Nucléaire : les usages de demain se développent dès aujourd’hui !

Dossier : Vie des entreprisesMagazine N°780 Décembre 2022
Par Philippe STOHR (X92)

Éner­gie bas car­bone, le nucléaire a voca­tion à jouer un rôle déci­sif dans la réus­site de la décar­bo­na­tion du bou­quet éner­gé­tique, d’une part, et des pro­ces­sus et indus­tries les plus éner­gi­vores, d’autre part. Alors que se des­sinent aujourd’hui les contours du nucléaire de demain et l’émergence de nou­veaux usages, le CEA est en pre­mière ligne pour y contri­buer et accom­pa­gner les indus­triels, et plus lar­ge­ment la socié­té, dans cette tran­si­tion. Phi­lippe Stohr (X92), direc­teur des éner­gies au sein du CEA, nous en dit plus.

Quel regard portez-vous sur le contexte énergétique actuel ?

Nous vivons actuel­le­ment une crise éner­gé­tique et géo­po­li­tique sans pré­cé­dent, qui font de l’énergie, une pré­oc­cu­pa­tion majeure pour toutes les com­po­santes de la socié­té. En ce contexte par­ti­cu­lier, la tran­si­tion vers une éner­gie bas car­bone se pour­suit, et doit s’accélérer si nous vou­lons atteindre nos objec­tifs 2050. Une cer­ti­tude est de plus en plus par­ta­gée, celle que nous allons avoir besoin de toutes les formes d’énergies bas car­bone dis­po­nibles : les renou­ve­lables, l’hydraulique et le nucléaire. Le CEA y tra­vaille depuis de nom­breuses années et a été, disons, un pré­cur­seur dans cette approche. L’Agence Inter­na­tio­nale de l’Energie (AIE) rap­pelle régu­liè­re­ment le rôle que le nucléaire peut jouer. RTE, le ges­tion­naire de réseau de trans­port d’électricité, a éga­le­ment mis exergue dans un rap­port qui a néces­si­té deux années de tra­vaux, les atouts d’un bou­quet équi­li­bré com­bi­nant le nucléaire aux éner­gies renou­ve­lables. Le rap­port pros­pec­tif « Futurs Éner­gé­tiques 2050 » a été publié en 2021.

Plus récem­ment, cet été, la France et plus lar­ge­ment l’Europe du sud ont connu vagues de cha­leur, incen­dies, inon­da­tions, qui sont des illus­tra­tions concrètes des effets du réchauf­fe­ment de la pla­nète, un sujet lar­ge­ment docu­men­té par les scien­ti­fiques et les experts depuis les 15 der­nières années. Ces phé­no­mènes de très forte inten­si­té ont accé­lé­ré la prise de conscience des Fran­çais face à l’évolution du cli­mat… Par ailleurs, le conflit ukrai­nien, pose la ques­tion de la sécu­ri­té d’approvisionnement en éner­gie aus­si bien en termes de quan­ti­té suf­fi­sante d’énergie, et notam­ment de gaz pour ali­men­ter l’Europe, qu’en termes de coûts, avec des prix records du gaz et de l’électricité en com­pa­rai­son aux pré­cé­dentes décen­nies. 

Quels sont le rôle et la place du nucléaire dans la décarbonation de notre mix énergétique ? 

Depuis le lan­ce­ment du pro­gramme nucléaire en France, dans les années 70 et 80, le nucléaire est uti­li­sé pour pro­duire de l’électricité. Tou­te­fois son poten­tiel dépasse lar­ge­ment cette dimen­sion. C’est aus­si un moyen de pro­duire une éner­gie ther­mique bas car­bone qui peut être uti­li­sée pour décar­bo­ner les pro­ces­sus indus­triels dans des sec­teurs dits éner­go-inten­sifs (métal­lur­gie, cimen­te­rie, chi­mie…). Le nucléaire peut éga­le­ment être uti­li­sé pour pro­duire mas­si­ve­ment de l’hydrogène, qui est consi­dé­ré comme un des prin­ci­paux vec­teurs de décar­bo­na­tion de la mobi­li­té, domaine où de nom­breux pro­grès sont pos­sibles. Au-delà des appli­ca­tions indus­trielles et de mobi­li­té, on peut éga­le­ment recou­rir au nucléaire pour ali­men­ter des réseaux de cha­leur urbains, une piste que de nom­breux pays explorent actuel­le­ment. D’autres pays s’intéressent aus­si au des­sa­le­ment de l’eau de mer. Il est clair que les usages du nucléaire dépassent la pro­duc­tion de l’électricité et qu’il est, aujourd’hui, urgent de les revi­si­ter pour décar­bo­ner les prin­ci­paux sec­teurs de l’économie et notre socié­té de manière plus large.

Dans ce cadre, pouvez-vous nous rappeler le positionnement du CEA ?  

Le CEA est un acteur his­to­rique dans le domaine du nucléaire avec dif­fé­rentes mis­sions : sou­te­nir les acteurs indus­triels aus­si bien au niveau des cen­trales du parc élec­tro­nu­cléaire exis­tant que des ins­tal­la­tions du cycle nucléaire depuis la fabri­ca­tion du com­bus­tible nucléaire jusqu’à son retrai­te­ment avec un objec­tif de ges­tion opti­mi­sée du recours à l’uranium natu­rel et des déchets radio­ac­tifs. 

Il tra­vaille aus­si sur l’anticipation des besoins indus­triels et s’inscrit dans une démarche conti­nue d’optimisation des per­for­mances du réac­teur, du com­bus­tible nucléaire, de la sûre­té des ins­tal­la­tions. 

Le CEA est éga­le­ment for­te­ment enga­gé dans le déve­lop­pe­ment du nucléaire de demain et tra­vaille sur les nou­veaux usages des réac­teurs pour décar­bo­ner les sys­tèmes éner­gé­tiques locaux, l’électricité, la cha­leur et l’hydrogène, ain­si que sur les nou­veaux pro­cé­dés pour les ins­tal­la­tions du cycle. À plus long terme, le CEA mène aus­si des tra­vaux pour ima­gi­ner des futurs éner­gé­tiques, avec des pro­jets inno­vants comme celui d’une raf­fi­ne­rie nucléaire pro­dui­sant des car­bu­rants de syn­thèse en alliant hydro­gène, car­bone cap­tu­ré et élec­tri­ci­té et cha­leur d’origine nucléaire.

Le futur du nucléaire ne peut éga­le­ment se conce­voir sans une maî­trise de son pas­sé. La filière nucléaire doit être en mesure de gérer, de manière res­pon­sable et dans le res­pect de l’environnement, ses acti­vi­tés pas­sées : assai­nis­se­ment et déman­tè­le­ment de sites, condi­tion­ne­ment et ges­tion des déchets induits. Ce sont des domaines d’activités pour le CEA, tant opé­ra­tion­nels que de recherche. 

Comment contribuez-vous au développement de ce nucléaire du futur ? 

Nous avons au CEA une très forte acti­vi­té de recherche et déve­lop­pe­ment dans les dif­fé­rents sujets que j’évoquais pré­cé­dem­ment, avec des études de concep­tion, des tra­vaux expé­ri­men­taux en labo­ra­toire ou dans des ins­tal­la­tions dédiées, de la modé­li­sa­tion et simu­la­tion. Dans cette démarche, l’innovation n’est pas seule­ment tech­nique, elle est aus­si métho­do­lo­gique. Il s’agit par exemple de trou­ver de nou­velles manière de tra­vailler et de col­la­bo­rer avec dif­fé­rentes com­po­santes d’un éco­sys­tème en pleine évo­lu­tion. Dans le cadre du pro­gramme France 2030, le CEA accom­pagne des start-ups dans le déve­lop­pe­ment de leurs pro­jets. En paral­lèle, nous met­tons en place des pro­grammes expé­ri­men­taux avec des entre­prises et indus­triels à qui nous don­nons accès à nos infra­struc­tures de recherche et à nos moyens de simu­la­tion. Le CEA contri­bue acti­ve­ment au renou­veau de cet éco­sys­tème nucléaire et orga­nise régu­liè­re­ment des sémi­naires, des « boot­camps » afin de créer des espaces pro­pices aux échanges, à l’idéation, mais aus­si pour atti­rer de nou­veaux acteurs sur ces sujets d’innovation nucléaire. 

Quel est le rôle que peuvent jouer les lecteurs de la revue, les polytechniciens, dans le développement de cette industrie dans les années à venir ?

Nous avons besoin du nucléaire pour atteindre la neu­tra­li­té car­bone à hori­zon 2050. Aujourd’hui, nous avons encore de nom­breux chal­lenges tech­niques et d’innovation à rele­ver. Le nucléaire a besoin de talents et de com­pé­tences pour décar­bo­ner la pla­nète, assu­rer la com­pé­ti­ti­vi­té et la sou­ve­rai­ne­té de la France. J’invite donc les étu­diants et les jeunes diplô­més qui ont une appé­tence pour les sujets éner­gé­tiques et qui veulent contri­buer à déve­lop­per le bou­quet éner­gé­tique de demain à nous rejoindre !

J’invite éga­le­ment les lec­teurs qui évo­luent dans des domaines indus­triels et qui, dans ce cadre, sont confron­tés au quo­ti­dien à l’enjeu de la décar­bo­na­tion de leur pro­cess et de leurs sources d’alimentation éner­gé­tique, à venir par­ta­ger leurs ques­tion­ne­ments, leurs enjeux et leurs pistes de réflexion avec le CEA. Nous pour­rons explo­rer des solu­tions, en met­tant à leur dis­po­si­tion nos exper­tises et trans­fé­rant des tech­no­lo­gies que nous avons déve­lop­pées. En effet, c’est ensemble que nous pour­rons renou­ve­ler notre approche du nucléaire et déve­lop­per les usages de demain. 

Et pour conclure ? 

Dans le contexte actuel d’urgence cli­ma­tique, de ten­sions et de ques­tion­ne­ment sur l’approvisionnement éner­gé­tique de notre pays, l’objectif du CEA est d’accélérer l’innovation et son trans­fert vers la socié­té pour tenir nos enga­ge­ments en matière de décar­bo­na­tion et atteindre la neu­tra­li­té car­bone à l’horizon 2050. Nous vivons un moment char­nière qui est por­teur d’opportunités. La mobi­li­sa­tion des talents, des com­pé­tences, des exper­tises et l’implication des indus­triels et de la socié­té nous per­met­tront de rele­ver ensemble ce défi. Et notre ambi­tion est d’accompagner ce chan­ge­ment au béné­fice de la socié­té !  

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