les nanotechnologies

Nanotechnologies : les chimistes au cœur des dernières avancées

Dossier : La ChimieMagazine N°749 Novembre 2019
Par Sophie CARENCO (2004)

Domaine pri­or­i­taire dans la R & D des pays indus­tri­al­isés, les nan­otech­nolo­gies seront à l’horizon 2030 essen­tielles aux ingénieurs pour faire face aux crises envi­ron­nemen­tales, à la raré­fac­tion de matières pre­mières stratégiques et à la demande crois­sante d’énergie.
Les chimistes y jouent un rôle de pre­mier plan.

Les avancées sci­en­tifiques récentes cachent en fait une maîtrise anci­enne et fine des nanomatéri­aux. Les arti­sans ver­ri­ers de l’Antiquité fab­ri­quaient empirique­ment des grains nanométriques en alliage d’or et d’étain, la pour­pre de Cas­sius, pour col­or­er les émaux. En 1857, Michael Fara­day décrivait deux procédés rationnels pro­duisant des « par­tic­ules exces­sive­ment petites qui, en dif­fu­sant, pro­duisent une belle solu­tion rubis » – autrement dit, des nanopar­tic­ules d’or. Au siè­cle suiv­ant, les nanopar­tic­ules métalliques sont fab­riquées par dépôt sur des sup­ports oxy­des (sil­ice, cérine, dioxyde de titane, etc.) pour catal­yser les réac­tions majeures de l’industrie chim­ique. Le procédé Haber-Bosch, catalysé au fer, est util­isé par BASF dès 1913 : il fixe l’azote atmo­sphérique pour pro­duire l’ammoniac, molécule de base pour la syn­thèse des engrais azotés essen­tiels à l’agriculture. Le procédé Fis­ch­er-Trop­sch, catalysé au cobalt ou au fer, four­nit des hydro­car­bu­res de syn­thèse à par­tir des gaz de com­bus­tion de la bio­masse : il joue un rôle stratégique lors de la Sec­onde Guerre mon­di­ale et con­naît un sec­ond souf­fle avec l’épuisement pro­gram­mé des gise­ments pétrolifères.


REPÈRES

C’est à la fois par les hauts faits de la sci­ence et par la cul­ture pop­u­laire que le grand pub­lic a fait con­nais­sance avec le nanomonde. Dans les années 90, alors que les chercheurs d’IBM manip­u­laient un à un des atom­es de xénon à l’aide d’un micro­scope à effet tun­nel, Eric Drexler enrichis­sait en 1986 la sci­ence-fic­tion d’un scé­nario apoc­a­lyp­tique sup­plé­men­taire : nous finiri­ons tous en « gelée grise », mâchés par des nanoro­bots autoré­pli­cat­ifs et écophages. Aujourd’hui plusieurs mil­liers de pro­duits grand pub­lic con­ti­en­nent au moins un nanomatéri­au, dans des secteurs var­iés : cos­mé­tiques, tex­tile, con­struc­tion, médi­cal, agroal­i­men­taire, auto­mo­bile, etc.


Et la nanotechnologie fut

Le mot « nan­otech­nolo­gie » n’apparaît qu’en 1974, à l’aube d’un engoue­ment pour les nanoma­chines, des archi­tec­tures molécu­laires dess­inées pour effectuer des mou­ve­ments sim­ples : rota­tion ou flex­ion par exem­ple. Si leur com­plex­ité reste triv­iale par rap­port à celle des moteurs molécu­laires à l’œuvre dans nos cel­lules (ribo­somes, ARN polymérase…), ces curieux objets ini­tient une approche ludique des nanosciences, illus­trée récem­ment par la NanoCar Race organ­isée par une équipe du CNRS, et don­nent en France deux prix Nobel en chimie (Jean-Marie Lehn en 1987, puis Jean-Pierre Sauvage en 2016).

Aujourd’hui, la recherche en nan­otech­nolo­gies fait appel à toutes les dis­ci­plines con­nex­es : syn­thèse organique et polymères, chimie des matéri­aux, physique du solide et physique quan­tique, biolo­gie cel­lu­laire, etc. Elle se traduit par de nou­velles class­es de matéri­aux : les nanocom­pos­ites, que l’on retrou­ve dans de nom­breuses appli­ca­tions high-tech (de l’équipement du sportif jusqu’à l’aéronautique), les cap­teurs et les luminophores quan­tiques, comme les quan­tum dots qui équipent les écrans plats de dernière généra­tion et révo­lu­tion­nent le mar­quage cel­lu­laire et la détec­tion de molécules uniques, les tech­nolo­gies de remé­di­a­tion environ­nementale (piégeage et con­ver­sion de CO2, catal­y­seurs pour les bio­raf­finer­ies, pots cat­aly­tiques qui équipent toutes les voitures mod­ernes) ou encore les dis­posi­tifs de cap­ta­tion et de stock­age de l’énergie (pan­neaux solaires, bat­ter­ies au lithi­um, piles à combustible).

Nanotechnologie, alimentaire et médecine

Dans un con­texte de vig­i­lance du con­som­ma­teur vis-à-vis de son ali­men­ta­tion, le secteur agroal­i­men­taire est par­ti­c­ulière­ment débat­tu en ce moment, et pâtit de quelques car­i­ca­tures qui brouil­lent le débat : par exem­ple, « c’est petit donc c’est dan­gereux ». La sit­u­a­tion est évidem­ment plus com­plexe : la caséine est une pro­téine majeure du lait, qui se présente sous la forme d’une micelle nanométrique. Les tox­i­co­logues sont aujourd’hui forte­ment impliqués dans l’étude des nanopar­tic­ules par les voies d’exposition con­nues (aéri­enne, cutanée, etc.) et tra­vail­lent avec les chimistes par­fois dès le développe­ment de nou­veaux nanomatériaux.

D’ailleurs, les nanopar­tic­ules représen­tent un axe de recherche majeur en médecine. Les assem­blages nanométriques de polymères bio­com­pat­i­bles ser­vent de « nanocar­go » pour trans­porter des principes act­ifs jusqu’à des tumeurs ou des organes cibles : cette stratégie per­met de réduire forte­ment les dos­es de médica­ment et donc leurs effets sec­ondaires. Cette fonc­tion de trans­port est aus­si cou­plée au diag­nos­tic, au ciblage et au traite­ment : le car­go est alors chargé de nanopar­tic­ules métalliques qui améliorent le con­traste en IRM ou per­me­t­tent une détec­tion par caméra, et déclenchent le relargage des principes act­ifs sous champ mag­né­tique ou sous éclaire­ment laser. Des tests clin­iques sont en cours pour le traite­ment de can­cers et de tumeurs, illus­trant un des suc­cès récents de la nanochimie.

“La recherche sur les nano-particules reste focalisée sur un nombre restreint de composés”

Le chimiste façonne les nanomatériaux

Du lab­o­ra­toire académique aux cen­tres de R & D des grands groupes, en pas­sant par les start-up et les PME à car­ac­tère tech­nologique, il est au cœur des avancées sur les nanosciences et les nan­otech­nolo­gies : il conçoit ces assem­blages molécu­laires et ces nou­veaux solides, puis il crée des procédés de fab­ri­ca­tion et enfin il intè­gre les com­posants pro­duits aux tech­nolo­gies exis­tantes. En cette année 2019 qui célèbre les 150 ans du tableau péri­odique, quelques élé­ments seule­ment sont mis à prof­it à grande échelle : car­bone (fibres, nan­otubes), sili­ci­um (nanosil­ices), alu­mini­um (sup­port de catal­yse), titane (pig­ments, addi­tifs). Même dans les lab­o­ra­toires les plus en pointe, je con­state que la recherche sur les nanopar­tic­ules est focal­isée sur un nom­bre restreint de com­posés, comme les oxy­des et les métaux, faute de moyens pour engager des travaux ambitieux et plus risqués sur le long terme.

Je crois que les chercheurs en nanosciences ont aus­si pour mis­sion d’éclairer les débats autour de ces tech­nolo­gies et d’expliquer leur poten­tiel, sans en exagér­er la portée. Souhaitons que la société civile, les cap­i­taines d’industrie et les décideurs poli­tiques fassent davan­tage appel à eux dans le futur, pour con­cevoir les solu­tions tech­nologiques atten­dues dans de nom­breux secteurs et face au change­ment cli­ma­tique, et ain­si organ­is­er leur usage raison­né et durable.


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