industrie chimique française

L’industrie chimique française, un second qui résiste derrière l’Allemagne

Dossier : La ChimieMagazine N°749 Novembre 2019
Par Hervé JOLY

Si la taille de l’industrie chim­ique française n’a rien de com­pa­ra­ble à celle du géant alle­mand, elle n’en reste pas moins un acteur économique impor­tant et dynamique, qui con­tribue pos­i­tive­ment à la bal­ance commerciale.

L’indus­trie chim­ique alle­mande a tou­jours été, depuis ses orig­ines dans les col­orants tex­tiles, beau­coup plus puis­sante que son homo­logue française. Elle repo­sait depuis les années 1860 sur de grandes entre­pris­es autonomes et diver­si­fiées. Après de pre­mières ententes sous la forme de car­tels, la fusion de huit entre­pris­es de la branche donne nais­sance en 1925 au géant IG Far­benin­dus­trie, qui domine la chimie mon­di­ale de manière écras­ante avec un effec­tif ini­tial de 94 000 salariés, porté à 138 000 en 1938 avec le développe­ment de ses activ­ités sous le régime nazi. Une opéra­tion sem­blable, à moin­dre échelle, a lieu en 1926 entre qua­tre entre­pris­es anglais­es pour don­ner nais­sance à Impe­r­i­al Chem­i­cal Indus­tries (ICI), qui compte 33 000 employés.

Une industrie française divisée

En France, le pro­jet d’Union chim­ique porté par Kuhlmann échoue du fait notam­ment de l’opposition de Saint-Gob­ain. Seules des fusions plus restreintes, comme celle de la Société chim­ique des usines ­du Rhône et des Ets Poulenc Frères en 1928, sont réal­isées. Les dif­férents groupes français ne cou­vrent pas l’ensemble du spec­tre des activ­ités, de la chimie minérale ou organique à la phar­ma­cie. Seuls Kuhlmann et Rhône-Poulenc sont de purs acteurs de la chimie ; Pechiney et Ugine sont d’abord des entre­pris­es métal­lurgiques, Saint-Gob­ain une man­u­fac­ture de verre ; aucun n’atteint dix mille salariés dans la branche. Mais, même divisée, l’industrie chim­ique, avec la con­struc­tion de nom­breuses usines pen­dant la Grande Guerre pour répon­dre aux besoins stratégiques en phénol ou en chlore, et le développe­ment d’une indus­trie nationale des col­orants qui n’existait guère avant 1914, occupe dans les années 1920 une posi­tion ren­for­cée sur le marché nation­al, mais aus­si à l’exportation. Au point que les Alle­mands s’en inquiè­tent et oblig­ent Kuhlmann en 1929 à la for­ma­tion, avec ICI et les Suiss­es, d’un car­tel européen qui fige les posi­tions acquis­es. En 1940, l’IG Far­ben prof­ite de la défaite française pour pren­dre le con­trôle de l’industrie des col­orants et de la phar­ma­cie de Rhône-Poulenc.


REPÈRES

L’industrie chim­ique française est un acteur majeur de la chimie mon­di­ale et de l’économie française : 2e rang en Europe après l’Allemagne et 7e rang dans le monde. Avec 60,6 mil­liards d’euros d’exports et 50,4 mil­liards d’euros d’imports, elle présente un sol­de indus­triel de 10,2 mil­liards d’euros. Elle emploie 166 500 per­son­nes au sein de 3 000 entre­pris­es, con­sacre 1,9 mil­liard d’euros à la R & D et dépense 3,1 mil­liards en investisse­ments (chiffres de l’Union des indus­tries chim­iques, UIC, de 2018). 


Erreurs stratégiques

L’effondrement du Reich en 1945 débouche sur un déman­tèle­ment de l’IG Far­ben imposé par les Alliés. À l’Ouest renais­sent les entre­pris­es BASF, Bay­er et Hoechst, qui se font pen­dant des décen­nies une con­cur­rence très cor­diale. Au lieu d’un géant mon­di­al, l’Allemagne en a trois… La France, qui avait l’usine de Lud­wigshafen dans sa zone d’occupation, a dû rapi­de­ment renon­cer à ses espoirs de con­trôle de la BASF. L’industrie française est ensuite affaib­lie par des erreurs stratégiques. Rhône-Poulenc récupère en 1961 la branche tex­tiles arti­fi­ciels du groupe famil­ial Gillet qui se révèle être un boulet dans les années 1970. Pechiney, après avoir regroupé sa chimie en 1959 avec celle de Saint-Gob­ain, la cède en 1969 à Rhône-Poulenc, avant de récupér­er deux ans plus tard celle d’Ugine et de Kuhlmann ! Les nation­al­i­sa­tions de 1982 arrivent oppor­tuné­ment pour une branche en dif­fi­culté. Mais elles n’empêchent pas des restruc­tura­tions mas­sives. Rhône-Poulenc pour­suit la fer­me­ture puis la ces­sion de ses usines tex­tiles. Pechiney se recen­tre sur l’aluminium en aban­don­nant sa chimie à Elf Aquitaine.

“Le projet d’Union chimique porté par Kuhlmann échoue du fait notamment de l’opposition de Saint-Gobain”

Restructurations à l’échelle mondiale

Au tour­nant des années 2000, les groupes chim­iques sont, dans le monde entier, con­fron­tés aux pres­sions des milieux financiers pour éclater leurs activ­ités qui obéis­sent à des cycles économiques dif­férents. Aus­si bien ICI que les Suiss­es, Hoechst, Bay­er ou Rhône-Poulenc con­stituent des entités dis­tinctes pour la chimie de base et la phar­ma­cie, sou­vent regroupées entre elles ensuite. De nou­veaux noms sor­tis de nulle part comme Aven­tis, Zeneca ou Novar­tis émer­gent. L’éclatement se traduit aus­si par la trans­for­ma­tion de grands sites chim­iques en plate­formes mul­ti­en­tre­pris­es ; les réseaux tech­niques n’imposent plus de liens économiques.


Domination germanique

Après la phase de restruc­tura­tion mon­di­ale, les Alle­mands restent dom­i­nants. BASF, délestée en 2000 d’une branche phar­ma­ceu­tique mineure, est le pre­mier groupe chim­ique mon­di­al inté­gré (122 000 salariés). Bay­er, recen­trée sur la phar­ma­cie et l’agrochimie, con­stitue, avec la reprise récente de l’encombrant Mon­san­to, un autre géant mon­di­al (117 000 salariés).


Des perspectives encourageantes

De ce côté-ci du Rhin, la chimie de Rhône-Poulenc, autonomisée sous le nom de Rho­dia avec de lour­des dettes, a été reprise par le groupe belge Solvay en 2011, qui, après la ces­sion de divers­es activ­ités, n’emploie plus que 3 700 salariés en France. La chimie d’Elf Aquitaine, passée sous le con­trôle de Total en 1999, s’est rebap­tisée Arke­ma après le désen­gage­ment du groupe pétroli­er en 2004 ; avec 20 000 salariés dans le monde, dont un bon tiers en France, le groupe est le leader français. Les plate­formes chim­iques alle­man­des comme Lud­wigshafen (39 000 salariés), Lev­erkusen (32 600) ou Franc­fort-Hoechst (22 000) restent bien plus impor­tantes que, dans l’Isère par exem­ple, celles de Rous­sil­lon (1 450 salariés) ou Pont-de-Claix (569). Mais la chimie française, avec un cap­i­tal sou­vent étranger, se porte mieux que jamais. La plu­part des sites his­toriques sub­sis­tent ; de nou­veaux acteurs indépen­dants, même s’ils sont de taille mod­este, comme Kem One ou Seqens, ont émergé. Avec de nom­breuses TPE-PME, la branche emploie, hors phar­ma­cie, ­­166 000 salariés ; elle occupe le deux­ième rang
européen, loin der­rière l’Allemagne certes avec ses 336 000 salariés. Elle se réclame d’être la pre­mière indus­trie man­u­fac­turière expor­ta­trice, devant l’aéronautique et l’automobile. La glob­al­i­sa­tion des con­traintes envi­ron­nemen­tales ne peut que favoris­er des relo­cal­i­sa­tions d’une pro­duc­tion chim­ique qui se veut verte.


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