Utilisation du caoutchouc

Les alternatives au pétrole dans le domaine des caoutchoucs

Dossier : La ChimieMagazine N°749 Novembre 2019
Par Nicolas SEEBOTH (98)

Avant le développe­ment mas­sif de la pétrochimie, les matières pre­mières végé­tales et celles issues du recy­clage étaient très dévelop­pées pour pro­duire des objets en caoutchouc. L’économie linéaire pour­rait n’être finale­ment qu’une par­en­thèse : depuis 2010, de nom­breux pro­jets d’économie cir­cu­laire ont vu le jour, tant en amont avec la recherche de matières pre­mières renou­ve­lables qu’en aval avec le recy­clage. Les pre­mières con­créti­sa­tions indus­trielles sont atten­dues vers 2025.


REPÈRES

Au début du XXe siè­cle, tous les arti­cles en caoutchouc étaient fab­riqués à par­tir d’une seule ressource naturelle : le latex d’hévéa, intro­duit en Europe par les pre­miers explo­rateurs de l’Amérique au XVIIIe siè­cle. Des ten­sions sur l’approvisionnement sont rapi­de­ment apparues et des recherch­es pour diver­si­fi­er les sources de caoutchouc se sont mis­es en place. Qua­tre voies prin­ci­pales ont été explorées : autres plantes pro­duisant du latex, syn­thèse chim­ique à par­tir de pét­role, syn­thèse chim­ique à par­tir d’alcool et toutes les méth­odes de recyclage.


Ce n’est qu’à par­tir du milieu de la Sec­onde Guerre mon­di­ale, face à la pénurie général­isée de caoutchouc, que des efforts con­sid­érables ont été réal­isés pour indus­tri­alis­er des voies alternatives.

Ain­si, aux États-Unis, en 1942, Roo­sevelt a lancé l’Emer­gency Rub­ber Pro­gram, sim­i­laire au pro­jet Man­hat­tan par son ampleur et son car­ac­tère stratégique. L’objectif était de ren­dre le pays rapi­de­ment autonome sur ses appro­vi­sion­nements en caoutchouc. Des pro­grammes sim­i­laires en Alle­magne et en Russie ont été menés et ont con­duit à des résul­tats très proches. En 1944, les États-Unis étaient ain­si devenus autonomes grâce à la maîtrise de la pro­duc­tion et de la polyméri­sa­tion du butadiène, molécule de base des caoutchoucs syn­thé­tiques. Deux tiers du butadiène, soit 600 000 tonnes, étaient alors issus d’alcool pro­duit à par­tir de maïs, et un tiers prove­nait du raf­fi­nage du pétrole.

Après 1945 et le développe­ment très rapi­de de la pétrochimie, toutes les unités indus­trielles de pro­duc­tion de butadiène à par­tir d’alcool ont été déman­telées et le caoutchouc syn­thé­tique est alors devenu 100 % pétrosourcé.

Aujourd’hui la pro­duc­tion de caoutchouc syn­thé­tique est com­pa­ra­ble en vol­ume à celle du caoutchouc naturel issu de l’hévéa : s’il est pos­si­ble de repro­duire les pro­priétés de la gomme naturelle par syn­thèse chim­ique, le caoutchouc naturel a tou­jours présen­té un équili­bre coût-per­for­mance pertinent.

Arti­cle de 1927 illus­trant ces recherch­es d’alternatives au caoutchouc naturel : régénéra­tion = recy­clage ; réno­va­tion = répa­ra­tion et réu­til­i­sa­tion ; caoutchouc arti­fi­ciel = caoutchouc syn­thé­tique. La Sci­ence et la Vie, n° 115, 1927.

Un caoutchouc durable ?

Le caoutchouc naturel étant par essence renou­ve­lable, une stratégie sim­pliste pour séquestr­er du car­bone pour­rait être d’augmenter la pro­por­tion de gomme naturelle dans les pneu­ma­tiques. Naturel n’est pas néces­saire­ment syn­onyme de durable, car il faut con­sid­ér­er l’ensemble du cycle de vie et tous les impacts comme la phase d’usage du pneu­ma­tique (con­som­ma­tion de car­bu­rant et durée de vie), ou la déforesta­tion et les pra­tiques agricoles.

Pour pro­mou­voir les pra­tiques les plus durables, plusieurs par­ties prenantes dans la chaîne de valeur du caoutchouc naturel – ONG, planteurs, man­u­fac­turi­ers – se sont coor­don­nés et ont créé la Glob­al Plat­form for Sus­tain­able Rub­ber. Pour aller plus loin, Con­ti­nen­tal et Miche­lin se sont alliés à l’éditeur de logi­ciels Smag pour dévelop­per Rub­ber­way. Il s’agit d’une solu­tion de car­togra­phie et d’évaluation des pra­tiques et des risques tout au long de la fil­ière. Enfin, à Bornéo, un pro­gramme de refor­esta­tion mené par Miche­lin et Bar­i­to en parte­nar­i­at avec le WWF a pour objec­tif de démon­tr­er qu’il est pos­si­ble d’exploiter une plan­ta­tion d’hévéas tout en préser­vant la bio­di­ver­sité, et en four­nissant des emplois durables.

Caoutchouc synthétique issu de ressources végétales

En rai­son des pro­priétés spé­ci­fiques ren­dues pos­si­bles grâce aux mul­ti­ples struc­tures chim­iques acces­si­bles, le caoutchouc syn­thé­tique restera incon­tourn­able. Les dernières généra­tions de caoutchouc syn­thé­tique, tou­jours en développe­ment, per­me­t­tront de réduire encore davan­tage la con­som­ma­tion de car­bu­rant ou d’augmenter l’autonomie des véhicules élec­triques sans pénalis­er l’usure. Comme déjà men­tion­né, le caoutchouc syn­thé­tique et le butadiène en par­ti­c­uli­er sont aujourd’hui inté­grale­ment issus du pét­role. Pour lim­iter l’empreinte envi­ron­nemen­tale et sécuris­er les appro­vi­sion­nements, il faut donc trou­ver des alter­na­tives durables au pétrole.

Le butadiène, une des molécules clés pour la pro­duc­tion de caoutchouc syn­thé­tique, devrait pou­voir être pro­duit à l’horizon 2025 à par­tir de résidus végé­taux non ali­men­taires. Plusieurs acteurs y tra­vail­lent et notam­ment un con­sor­tium entre Axens, l’IFPEN (Insti­tut français du pét­role et des éner­gies nou­velles) et Miche­lin, avec le sou­tien de l’Ademe. Grâce à la mise au point de catal­y­seurs inno­vants et une opti­mi­sa­tion poussée du procédé, il devrait être pos­si­ble de pro­duire du butadiène com­péti­tif avec une empreinte envi­ron­nemen­tale réduite.

Pub­lic­ité mon­trant du caoutchouc syn­thé­tique « chim­i­urgique » dérivé des cul­tures agri­coles améri­caines. Chem­i­cal Indus­tries, 1943.

Les biotechnologies offrent de nouvelles possibilités

Depuis quelques années, la biolo­gie de syn­thèse per­met de réalis­er des cas­cades de réac­tions chim­iques com­plex­es de manière très sélec­tive et ain­si de pro­duire des molécules peu acces­si­bles par la chimie tra­di­tion­nelle ou par extrac­tion de com­posés naturels. Par­mi les entre­pris­es pio­nnières dans ce domaine, on peut citer Amyris qui pro­duit à l’échelle indus­trielle un ter­pène com­plexe dont les débouchés se trou­vent à la fois dans le domaine des vit­a­mines, des cos­mé­tiques ou des polymères amélio­rant la per­for­mance de pneus hiver­naux. Glob­al Bioen­er­gies a aus­si ouvert la voie pour la pro­duc­tion d’isobutène biosour­cé, molécule de base util­isée dans de nom­breux domaines dont la syn­thèse de poly­isobutylène, caoutchouc indis­pens­able pour garan­tir l’étanchéité des pneus et ain­si se pass­er de cham­bres à air.

On peut se réjouir que, dans le domaine des bio­technologies, la France dis­pose d’un envi­ron­nement attrac­t­if : on trou­ve à la fois des plate­formes de R & D inno­vantes asso­ciant acteurs publics et privés telles que le Toulouse White Biotech­nol­o­gy, mais aus­si de nom­breuses start-up très dynamiques telles que Afyren, Metex ou encore Car­bios. Ain­si, par­mi les vingt meilleures entre­pris­es européennes dans ce domaine, huit sont français­es et cer­taines très proches de la con­créti­sa­tion dans des pre­mières unités industrielles.

Ces col­lab­o­ra­tions mul­ti­parte­nar­i­ales com­binées aux avancées sci­en­tifiques ouvriront à coup sûr de nou­velles oppor­tu­nités pour alli­er per­for­mance et durabilité.

Poster un commentaire