Musiques de joie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°622 Février 2007Rédacteur : Jean Salmona (56)

Deux quatuors

Deux quatuors
Ceux qui con­sid­èrent Dvo­rak comme un com­pos­i­teur un peu rus­tique et même mineur ne con­nais­sent pas son 13e Quatuor. Dvo­rak était, on le sait, un être tour­men­té dont la musique, presque tou­jours joyeuse, appa­raît comme un anti­dote à son anx­iété, excel­lente illus­tra­tion de l’aphorisme de Mar­t­inu. Le 13e Quatuor est une œuvre com­plexe qui, tout au long de ses quar­ante min­utes, nous trans­porte de l’univers brahm­sien à celui de la musique atonale, dans une atmo­sphère chaleureuse, même dans le superbe ada­gio, à la fois trag­ique et heureux, très slave au fond. Une musique char­nue et riche en har­monies et mélodies – comme on dit d’un repas qu’il est riche – inter­prétée par un quatuor généreux et pré­cis dans sa fougue, le Quatuor Artemis1. Le Quatuor « Let­tres intimes » de Janacek, qui fig­ure sur le même disque, com­posé trente années après le 13e de Dvo­rak, est plus con­nu. Rugueux et sen­suel, à la fois tour­men­té et d’un lyrisme brûlant, c’est un des som­mets de la musique de quatuor du XXe siè­cle, aus­si inno­va­teur que les quatuors de Bar­tok. Janacek, épuisé par une vie com­pliquée, mou­rut peu avant la pre­mière exé­cu­tion de « Let­tres intimes ».

Délices (baro­ques) et orgues
Pietro Del­la Valle (1586–1652) aurait pu être un per­son­nage de fic­tion et son voy­age de onze ans en Ori­ent un roman picaresque. C’était aus­si un libret­tiste et un com­pos­i­teur. Sous le titre « Pel­le­gri­no » (pèlerin), Ari­on pub­lie dans sa col­lec­tion Musique des Lumières son ora­to­rio « Per la Fes­ta del­la San­tis­si­ma Purifi­cazione » par un ensem­ble vocal et instru­men­tal dirigé par Jean-Christophe Frisch2. On lais­sera au lecteur le soin de décou­vrir les péripéties de son voy­age, à la fois trag­ique et fab­uleux, dans le livret du disque. L’éditeur a accom­pa­g­né le court ora­to­rio par une ving­taine de musiques que l’on jouait, à l’époque, dans les lieux vis­ités par Del­la Valle, Con­stan­tino­ple, Jérusalem, Alexan­drie, Bag­dad, Ispa­han, Goa, Cali­cut, y com­pris des pièces tra­di­tion­nelles à la vina et à l’oud.

Jean-Adam Freins­berg, dit Guilain, fut l’un des grands organ­istes français du début du XVIIIe siè­cle. Son Mag­ni­fi­cat con­stitue un fan­tas­tique sub­strat sur lequel un organ­iste peut exercer ses tal­ents d’interprète, surtout s’il dis­pose d’un orgue d’exception. C’est le cas des orgues de Cin­te­ga­belle, sur lesquelles Erik Feller joue les qua­tre Suites qui com­posent ce Mag­ni­fi­cat3. Si vous aimez l’orgue flam­boy­ant, vous serez comblé par ce disque qui béné­fi­cie d’une prise de son excep­tion­nelle, pour un instru­ment hors du commun.



Le disque du mois : une anthologie
Paul Elu­ard avait pub­lié autre­fois une antholo­gie de la poésie française en lui don­nant dans un pre­mier temps le titre para­dox­al : « Le meilleur choix de poèmes est celui que l’on fait pour soi. » Et cha­cun de nous a bien, dans sa bib­lio­thèque, sa dis­cothèque ou tout sim­ple­ment dans sa tête, son antholo­gie au moins implicite, tout comme les util­isa­teurs de lecteurs MP3 se con­stituent leurs petites antholo­gies per­son­nelles. Celle que nous pro­pose le pianiste norvégien Leif Ove And­snes, sous le titre Hori­zons4, rassem­ble une ving­taine de ces pièces mineures par leur durée mais majeures par le plaisir qu’elles nous pro­curent, que les pianistes éclec­tiques jouent par­fois en bis s’ils cherchent non à épa­ter leur pub­lic mais à faire en sorte qu’ils quit­tent in fine le con­cert réjouis et l’âme légère, et que les jeunes filles du temps de Proust auraient peut-être égrenées dans le salon de leurs par­ents si elles avaient eu la curiosité d’aller au-delà des pièces à la mode dont elles fai­saient leur ordi­naire. On décou­vre – ou l’on redé­cou­vre – ain­si une Étude de Sibelius, un Impromp­tu de Scri­abine, la Pol­ka de Chostakovitch, un Choral de Bach, une Étude de con­cert de Smetana, un Paisaje de Mom­pou (par­ti­c­ulière­ment exquis), et même… un arrange­ment de Coin de rue, la chan­son de Charles Trenet. Comme tous ces morceaux de musique sont joués par un inter­prète dont le touch­er révèle une infinie palette de couleurs, on sort de cette heure d’écoute sere­in, joyeux et rêveur comme à la fin d’une prom­e­nade dans un jardin après la pluie.

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1. 1 CD EMI 0946 353399 2 5 
2. 1 CD ARION ARN 68716
3. 1 CD ARION ARN 68725
4. 1 CD EMI 3 41682 2.

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