Charles Kœchlin

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°575 Mai 2002Par : Aude CAILLETRédacteur : Jean SALMONA (56)

Quel dom­mage qu’il fasse de la musique, après avoir réus­si de si belles études ! ” Cette déc­la­ra­tion de son beau-frère ingénieur, rap­portée par Kœch­lin (X 1887), con­traste évidem­ment avec ce qu’il écrit, plusieurs années après sa sor­tie de l’X où, malade, il n’avait pu sor­tir dans la botte et avait dû démis­sion­ner : “ En réal­ité, ma mal­adie à l’X avait été prov­i­den­tielle. Sans elle, je fusse devenu ingénieur des Ponts, ou du Génie Mar­itime, et musi­cien ama­teur. Un raté, car je n’avais pas l’étoffe d’un bon ingénieur, n’aimant que les math­é­ma­tiques abstraites…

De tous les musi­ciens, com­pos­i­teurs et inter­prètes, que l’X a pro­duits, Charles Kœch­lin est sans aucun doute le plus célèbre ; moins, peut-être, par ses com­po­si­tions que par ses traités d’harmonie et d’orchestration qui, aujourd’hui encore, font autorité dans les con­ser­va­toires et les écoles de musique du monde entier. La biogra­phie très vivante de Kœch­lin par Aude Cail­let, à la fois exhaus­tive et con­cise, nous présente un por­trait qui éton­nera et séduira tout lecteur hon­nête homme, con­nais­seur ou non de la musique de Kœchlin.

Tout d’abord, Charles Kœch­lin (1867–1950) a été un musi­cien mul­ti­forme, et à temps plein. Élève de Fau­ré aux côtés de Georges Enesco, de Flo­rent Schmitt, de Louis Aubert et de Mau­rice Rav­el, qui était son cadet, Kœch­lin a dévelop­pé sa pro­pre con­cep­tion, exigeante, de la musique, hors de toute école. Celui dont l’Opus 2 avait été “ L’Épopée de l’École poly­tech­nique ”, pièce orches­trale avec réc­i­tants et pro­jec­tion d’ombres, com­posée pour le cen­te­naire de l’École en 1894, orchestre à la demande de Fau­ré sa musique de scène pour Pel­léas et Mélisande de Maeter­linck, puis, pour Debussy, son bal­let Kham­ma.

Créa­teur avec Rav­el de la Société musi­cale indépen­dante, la célèbre SMI, il sera aus­si l’ami d’Erik Satie, et le pro­fesseur de Dar­ius Mil­haud, de Fran­cis Poulenc, d’Henri Sauguet, de Ger­maine Taille­ferre, de Roger Désormière et de… Cole Porter ! Il enseign­era aus­si à Berkeley.

Aude Cail­let décrit la genèse de la grande œuvre de Kœch­lin, Le Livre de la jun­gle, écrite sur une péri­ode de quar­ante années et aus­si des œuvres moins con­nues de ce théoricien de la beauté, comme ses musiques de films et la Sev­en Stars Sym­pho­ny, hom­mage à sept stars d’Hollywood, dont Dou­glas Fair­banks, Mar­lène Diet­rich, Lil­ian Har­vey, Char­lie Chaplin.

Mais Aude Cail­let révèle aus­si à ceux qui l’ignoraient que Kœch­lin fut un mil­i­tant et un human­iste. Drey­fusard con­tre la Schola can­to­rum menée par Vin­cent d’Indy, sig­nataire de l’appel de L’Aurore suite au J’accuse de Zola, sym­pa­thisant (mais non mem­bre) du Par­ti com­mu­niste, jour­nal­iste à l’Human­ité pen­dant le Front pop­u­laire, écol­o­giste avant la let­tre, défenseur de la nature, Kœch­lin rêvait d’une musique pour le peu­ple et, plus générale­ment, d’un art pop­u­laire qui ne soit ni dégradant, ni défi­ni par les appareils.

Il milit­era aux côtés de Romain Roland pour le paci­fisme et s’associera à Georges Duhamel pour s’élever con­tre les vices de la société de consommation.

Il défini­ra ses cinq pré­ceptes : le musi­cien doit s’affranchir du juge­ment d’autrui, des événe­ments con­tem­po­rains, de la mode du jour et du style prôné par les snobs, des écoles, des tra­di­tions et des dogmes, de tout inter­dit ; et il écrira, quelques mois avant sa mort, “Une musique est utile quand elle est belle, con­di­tion néces­saire et suff­isante.

Mer­ci à Aude Cail­let de nous présen­ter un X aus­si attachant et aus­si peu con­formiste, mais n’est-ce pas là, au fond, l’une des qual­ités majeures aux­quelles nous forme notre École ?

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