Nobuyuki Tsujii, au piano en concert à Saint-Pétersbourg et au Carnegie Hall

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°690 Décembre 2013Par : Nobuyuki TsujiiRédacteur : Marc Darmon (83)

Le pia­niste japo­nais Nobuyu­ki Tsu­jii est aveugle de nais­sance. Ces deux DVD montrent l’extrême vir­tuo­si­té et musi­ca­li­té de cet artiste, dont le han­di­cap est sur­mon­té et trans­cen­dé. L’indépendance remar­quable de ses mains lui per­met de pro­je­ter un son très pho­no­gé­nique car son jeu est extrê­me­ment lisible et clair, avec une grande maî­trise de la pédale, dont il n’est pas avare.

Tsu­jii varie constam­ment les cou­leurs, les nuances, main­tient en per­ma­nence l’attention de l’auditeur.

DVD NOBUYUKI TSUJII, PIANO Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg,Le pre­mier concert, repro­duit ici, réunit dans la nou­velle salle Mariins­ky de Saint-Péters­bourg, avec Vale­ry Ger­giev à la baguette (ou absence de baguette, car le grand chef russe dirige sou­vent sans baguette ou avec un simple cure-dent), le Pre­mier Concer­to de Tchaï­kovs­ki avec Tsu­jii en soliste, et la Qua­tor­zième Sym­pho­nie de Dmi­tri Chostakovitch.

Le Concer­to pour pia­no n° 1 de Pio­tr Ilitch Tchaï­kovs­ki fut com­po­sé en 1875 et revu en 1879 et à nou­veau en 1888. Le pia­niste dédi­ca­taire ne l’apprécia pas (« injouable ») et refu­sa l’œuvre. C’est pour­tant deve­nu le che­val de bataille des pia­nistes les plus vir­tuoses, et Tsu­jii le maî­trise par­fai­te­ment, même si son jeu paraît plus appli­qué que l’impression de liber­té fou­gueuse de l’interprétation de Mar­tha Arge­rich (DVD Euroarts également).

Une très belle inter­pré­ta­tion, d’une grande vir­tuo­si­té, où l’attention conti­nue de Ger­giev pour suivre son soliste est très émouvante.

La Sym­pho­nie n° 14 op. 135 de Dmi­tri Chos­ta­ko­vitch a été écrite au prin­temps 1969. C’est une œuvre pour sopra­no, basse, petit ensemble de cordes avec per­cus­sion où se suc­cèdent onze poèmes (dont six d’Apollinaire), abor­dant le thème de la mort, injuste ou pré­ma­tu­rée. Ces poèmes sont chan­tés en russe, et mal­heu­reu­se­ment sans sous-titre alors qu’il existe une ver­sion avec les poèmes dans leur langue ori­gi­nale (trou­ver l’enregistrement de Ber­nard Haitink).

Les der­nières des quinze sym­pho­nies de Chos­ta­ko­vitch, comme les der­niers de ses quinze qua­tuors à cordes, aus­tères et fai­sant preuve d’un ascé­tisme éton­nant, datent des années 1960 et 1970. Ce sont pro­ba­ble­ment les œuvres de cette époque qui sur­vi­vront le plus à l’Histoire.

DVD NOBUYUKI TSUJII, PIANO Récital au Carnegie Hall Le concert au Car­ne­gie Hall montre un pro­gramme soliste d’une grande intel­li­gence : La 17e sonate, La Tem­pête, de Bee­tho­ven (1802), les Tableaux d’une expo­si­tion de Mous­sorg­ski et deux pièces de Liszt, et une œuvre contem­po­raine très inté­res­sante Impro­vi­sa­tion et Fugue de John Mus­to (né en 1954), l’œuvre avec laquelle « Nobu » a rem­por­té le concours Cho­pin en 2009, dans le style des œuvres pour pia­no d’Hindemith, Chos­ta­ko­vitch ou Krenek.

En bis le Pré­lude « à la goutte d’eau » de Cho­pin très bien construit et une adap­ta­tion par Tsu­jii lui-même de Jea­nie with the light brown hair, célèbre chan­son popu­laire amé­ri­caine du XIXe siècle dont Hei­fetz lui-même avait mis une adap­ta­tion à son cata­logue de bis. Ce pro­gramme montre la lar­geur de son répertoire.

Un pre­mier concert au Car­ne­gie Hall est un évé­ne­ment impor­tant dans la car­rière d’un artiste. On voit Tsu­jii, avant de péné­trer sur cette scène gigan­tesque, où le pia­niste paraî­tra un peu per­du, très impressionné.

Mais le concert est un énorme suc­cès, et le public lui fait un accueil for­mi­dable. Le musi­cien joue natu­rel­le­ment par cœur, mais sans trem­bler, sans miè­vre­rie, au contraire avec une maî­trise et une sûre­té rares.

Les Tableaux d’une expo­si­tion de Modest Mous­sorg­ski sont une série de dix pièces pour pia­no de 1874, ins­pi­rées par une expo­si­tion du peintre Vic­tor Hart­mann, ami du com­po­si­teur mort l’année pré­cé­dente, de plus de 400 de ses œuvres (pein­tures sur­tout mais aus­si aqua­relles, plans, des­sin…) à l’Académie des beaux-arts à Saint-Péters­bourg. Seuls six des dix tableaux pré­sen­tés dans l’œuvre sub­sistent de nos jours.

La varié­té des sujets donne pré­texte à une œuvre incroyable, mélange de nom­breux styles et ambiances musicales.

Cette œuvre a été plu­sieurs fois orches­trée (notam­ment par Ravel, orches­tra­tion la plus jouée), car il est natu­rel de vou­loir entendre ces mor­ceaux phé­no­mé­naux joués par un orchestre sym­pho­nique. Avec Tsu­jii, c’est l’orchestre que l’on entend, tel­le­ment son jeu est puis­sant, contras­té, coloré.

Voi­ci deux DVD vrai­ment très impressionnants.

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