MUSIQUE EN IMAGES : RIGOLETTO

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°657 Septembre 2010Par : Inva Mula, Leo Nucci – Arènes de VéroneRédacteur : Marc Darmon (83)

Les trois opéras qui ont assuré la répu­ta­tion de Ver­di, ses ouvrages les plus célèbres, ont été com­posés à la même péri­ode (1850–1853). La car­rière de Ver­di est répar­tie entre les opéras de jeunesse (dont tout de même Nabuc­co, Mac­beth…) et les opéras de la matu­rité (Don Car­los, Un bal masqué, La Force du des­tin, Simon Boc­cane­gra, Aïda, puis Otel­lo et Fal­staff). Et entre les deux il com­posa la fameuse trilo­gie, La Travi­a­ta, Le Trou­vère et Rigo­let­to. Ces trois opéras sont d’un style très sim­i­laire, faits d’airs et ensem­bles inou­bli­ables accom­pa­g­nés sim­ple­ment par l’orchestre, alter­nant avec une dra­maturgie implaca­ble soulignée par un orchestre plus original.

Coffret du DVD de RIGOLETTOLe pre­mier des trois a été Rigo­let­to. Il est une évi­dence que les drames roman­tiques de Vic­tor Hugo, qui s’abstraient de la con­trainte des unités de lieu et de temps, sont bien adap­tés à la trans­po­si­tion en opéras. Après avoir com­posé Ernani d’après le chef‑d’oeuvre d’Hugo, emblé­ma­tique du théâtre roman­tique, Ver­di s’est ici inspiré du for­mi­da­ble Le roi s’amuse (pièce jouée puis inter­dite en 1832, absol­u­ment du niveau d’Hernani ou Ruy Blas), trans­posant la cour de François Ier à la cour du duc de Man­toue. L’intrigue est la même : le sou­verain lib­ertin est encour­agé dans sa débauche par son bouf­fon (Tri­boulet, véri­ta­ble bouf­fon de François Ier, devient ici Rigo­let­to). Mais le duc déshon­ore égale­ment la fille du bouf­fon, qui décide de se venger. Rigo­let­to, mau­dit, échouera et per­dra sa fille dans la mise en oeu­vre man­quée de sa vengeance.

Le spec­ta­cle filmé en 2001 dans les arènes de Vérone méri­tait d’être immor­tal­isé. Les arènes de Vérone, le plus grand théâtre romain encore en état (avec le Col­isée) est le lieu d’un fes­ti­val d’opéra depuis 1913. Évidem­ment ce lieu a des con­traintes (espace gigan­tesque, en plein air, ne facil­i­tant pas l’acoustique, car naturelle­ment rien n’est sonorisé) mais aus­si de nom­breux avan­tages. Le cadre tout d’abord, faisant office de décor naturel (comme à Orange), ce qui per­met d’avoir des décors sup­plé­men­taires très sim­ples, mais aus­si la taille de la scène qui per­met d’offrir un spec­ta­cle visuel impres­sion­nant. Nous avons ain­si, par exem­ple, plus de soix­ante danseurs lors du bal qui ouvre l’opéra, les cour­tisans se répar­tis­sant sur scène et une par­tie des gradins.

En DVD le défaut d’acoustique est par­faite­ment gom­mé et l’on prof­ite sans con­trepar­tie d’un impres­sion­nant spec­ta­cle sur une scène gigan­tesque telle que rarement vue à l’opéra (sauf à Bercy ou dans des stades, mais avec sonori­sa­tion et une réal­i­sa­tion musi­cale d’un niveau bien moin­dre). Ici la per­for­mance musi­cale est du même niveau que sur les meilleures scènes. La Roumaine Inva Mula, décou­verte en France grâce aux spec­ta­cles du regret­té Pierre Jour­dan au Théâtre impér­i­al de Com­piègne, est une Gil­da mag­nifique. Son air « Gualti­er Malde » où elle pense à son nou­v­el amoureux (le duc déguisé, Gauch­er Mahi­et chez Hugo) est absol­u­ment mag­nifique. Le grand bary­ton Leo Nuc­ci, ici enreg­istré en fin de car­rière, est très crédi­ble en bouf­fon mesquin puis éploré. Habitué de ce rôle, il le joue avec des mim­iques et mou­ve­ments du corps dont nous prof­i­tons, mais dont les spec­ta­teurs de Vérone n’ont pas dû voir grand-chose. Inva Mula et Nuc­ci ont un mag­nifique duo où la jeune fille avoue sa honte à son père. Telle­ment réus­si, ce duo a été applau­di longue­ment et bis­sé par les deux chanteurs : c’est un signe de qual­ité qui ne trompe pas, car le bis d’un ensem­ble est raris­sime (on se sou­vient du sex­tuor de Lucia di Lam­mer­moor, bis­sé par Callas et Di Ste­fano sous la direc­tion de Kara­jan en 1955, dont le disque est chéri par les col­lec­tion­neurs). Nous avons été moins con­va­in­cus par le duc joué par Aquiles Macha­do, même si son La Don­na è mobile est très réus­si. Cet air est la tra­duc­tion du « Sou­vent femme varie, bien fol qui s’y fit », cher à François Ier et rap­pelé par Vic­tor Hugo dans la pièce.

Il y a plusieurs Travi­a­ta à con­seiller en DVD (la prise de rôle d’A. Ghe­o­rghiu avec Solti à Covent Gar­den chez Dec­ca, le duo tor­ride Netre­bko-Vil­la­zon chez DG, ou bien le très beau film de Zefirelli). Mais pour Rigo­let­to, c’est ce spec­ta­cle que nous recom­man­dons, sans hésiter.

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