Musique en images

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°648 Octobre 2009Par : Simon Rattle

Coffret du DVD Moussorgsky et BorodineVoi­là un très beau pro­gramme de musique sym­pho­nique russe, par la Phil­har­mo­nie de Ber­lin dont ce n’est pour­tant pas la spé­cia­li­té, diri­gée par son chef atti­tré Sir Simon Rat­tle, récem­ment pro­lon­gé à ce poste jusqu’en 2018. Dans une telle musique, qui néces­site une large puis­sance et une grande expres­si­vi­té, la vir­tuo­si­té et la richesse de timbre de Ber­lin sont très bienvenues.

Le concert com­mence par les fameuses Danses polovt­siennes, tirées du Prince Igor de Boro­dine. Dans l’opéra, ce pas­sage est un bal­let avec choeur, mais ici il est inter­pré­té comme une pièce sym­pho­nique vir­tuose, suc­ces­sion d’atmosphère autour de quelques thèmes qui reviennent de façon cyclique. Une mise en appé­tit brillante pour l’orchestre et le spectateur.

La pièce maî­tresse de la pre­mière par­tie du concert est natu­rel­le­ment la 2e Sym­pho­nie du même Boro­dine. Fon­da­teur du « groupe des Cinq », avec Mous­sorg­ski, Bala­ki­rev, César Cui et Rim­ski-Kor­sa­kov, Boro­dine est, dans le domaine de la sym­pho­nie, le lien entre Tchaï­kovs­ki et les sym­pho­nistes russes du XXe siècle (Pro­ko­fiev, Chos­ta­ko­vitch). Sa 2e Sym­pho­nie, la plus célèbre des trois, est une struc­ture clas­sique en trois mou­ve­ments. Rare en disque, cette oeuvre l’est encore plus en DVD, naturellement.

Après l’entracte, le pro­gramme est consa­cré à Mous­sorg­ski, avec l’ouverture de la Kho­vancht­chi­na, opé­ra moins connu que Boris Godou­nov, puis sur­tout les Tableaux d’une expo­si­tion, qui à eux seuls jus­ti­fie­raient d’acquérir ce DVD. Les Tableaux d’une expo­si­tion sont en fait une oeuvre pour pia­no, suc­ces­sion d’une dizaine de tra­duc­tions pia­nis­tiques de tableaux variés (Gnome, Cata­combes, Tui­le­ries…) de Vic­tor Hart­mann, grand ami du groupe des Cinq, tableaux expo­sés en 1874, un an après la mort du peintre. Ces tra­duc­tions musi­cales sont entre­cou­pées de courtes « pro­me­nades », repré­sen­ta­tion au pia­no du dépla­ce­ment du spec­ta­teur entre deux tableaux dans la gale­rie. Phé­no­mé­nale au pia­no, cette oeuvre est deve­nue une pièce maî­tresse du réper­toire sym­pho­nique lorsque Mau­rice Ravel en a réa­li­sé une for­mi­dable trans­crip­tion. Cette orches­tra­tion, nous en goû­tons toute la finesse, la per­ti­nence et l’efficacité grâce à l’image, car la réa­li­sa­tion nous fait suivre les inter­ven­tions suc­ces­sives des dif­fé­rents ins­tru­ments : par exemple, dans la seconde Pro­me­nade, Ravel fait inter­ve­nir suc­ces­si­ve­ment les dif­fé­rents bois puis cuivres, comme dans le Bolé­ro. Ou bien dans le Vieux châ­teau, second tableau, Ravel se plaît à repré­sen­ter du « vieux avec du neuf » puisque la mélo­die médié­vale lan­ci­nante est jouée… au saxo­phone, alors un tout jeune instrument.

La mise en image de l’orchestre, avec des plans très réus­sis, et des angles ori­gi­naux, notam­ment sur les vio­lon­celles, les bois et la harpe, est vrai­ment de très grande qua­li­té et l’attention est conti­nû­ment sou­te­nue. Les magni­fiques images en gros plan de Simon Rat­tle, un des plus grands chefs actuels, par­ti­cipent éga­le­ment à notre adhé­sion à l’interprétation : l’allure de ce chef, avec une superbe « cri­nière » argen­tée et une concen­tra­tion excep­tion­nelle dans le regard, nous hyp­no­tise au même titre que les émo­tions qu’il crée dans les mor­ceaux diri­gés : inquié­tude pour le Gnome, les Cata­combes, et cer­tains pas­sages de Baba Yaga, insou­ciance pour les Pous­sins, les Tui­le­ries et le Mar­ché de Limoges.

Au même titre que quelques autres concerts remar­quables, sou­vent com­men­tés ici (Mah­ler par Abba­do à Lucerne, concerts de Bern­stein), ce DVD est bien la preuve que l’image apporte énor­mé­ment par rap­port au disque, pas uni­que­ment pour l’opéra ou le pia­no, mais aus­si pour la musique d’orchestre

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