Mise en place d’une loi sur les concessions en Ukraine

Dossier : UkraineMagazine N°547 Septembre 1999
Par Jean-Luc POGET

Déjà en 1995, le Par­lement ukrainien avait saisi la Com­mis­sion de l’U­nion européenne afin de recevoir une assis­tance pour éla­bor­er une loi qui tir­erait prof­it de l’ex­péri­ence française. Le Par­lement n’a reçu aucune réponse.

Depuis le début de l’an­née 1998, BCEOM et sa fil­iale Euro-Ukraina Con­sult­ing ont été man­datés, au tra­vers de la procé­dure FASEP du min­istère français de l’É­conomie, pour aider les pou­voirs publics ukrainiens à pré­par­er et à soumet­tre au Par­lement une loi générale sur les con­ces­sions de ser­vices publics et d’in­fra­struc­tures en Ukraine. Le présent arti­cle fait le point des travaux menés à bien, dans le cadre de cette action, par une équipe mixte fran­co-ukraini­enne qui est inter­v­enue sous la respon­s­abil­ité de l’au­teur, de jan­vi­er 1998 à juil­let 19991.

Les enjeux

Fait rare dans l’en­vi­ron­nement ukrainien, la réno­va­tion des infra­struc­tures et des ser­vices publics est une idée con­sen­suelle qui tra­verse tous les courants poli­tiques. Elle rassem­ble à la fois les réformistes (réduc­tion des dépens­es publiques) et les non-réformistes (relance économique par une poli­tique de grands travaux). Pour l’in­stant, la vision de cer­tains d’en­tre eux sur le sujet est peut-être trop idyllique, mais leur volon­té est réelle.

L’Ukraine s’est engagée dans la voie des réformes économiques à la fin de l’an­née 1994, et le mou­ve­ment a pris de l’am­pleur entre 1996 et 1998. La crise finan­cière de l’au­tomne 1998 a certes gelé pour un temps cet élan de réno­va­tion économique. Mais la pos­si­bil­ité d’or­gan­is­er en Ukraine un finance­ment privé des infra­struc­tures et des ser­vices publics était dev­enue une ques­tion d’ac­tu­al­ité : compte tenu de la faib­lesse struc­turelle des finances publiques, les investisse­ments de ser­vices publics ne pour­ront pas être cou­verts par le seul recours aux emprunts publics.

La con­ces­sion ne génère pas un accroisse­ment de la dette publique ; les prêts sont obtenus par les opéra­teurs privés, fondés sur des recettes réservées, liées à l’usage des infra­struc­tures. En out­re, les sociétés con­ces­sion­naires sont spé­cial­isées, ce qui per­met de garan­tir une haute qual­ité de ser­vices, sous le con­trôle des pou­voirs publics.

Or, les besoins en investisse­ments de ser­vices publics d’un pays comme l’Ukraine devien­dront con­sid­érables dans les prochaines années. Le développe­ment d’in­fra­struc­tures de trans­port de haute qual­ité est une étape néces­saire pour rap­procher l’Ukraine de l’e­space économique européen. La posi­tion par­ti­c­ulière de l’Ukraine, au car­refour de cer­tains des plus impor­tants cor­ri­dors européens (Ouest-Est et mer Noire, mer Bal­tique), donne à ce pays un rôle pré­dom­i­nant de tran­sit, pour peu que l’Ukraine sache anticiper de manière réal­iste les besoins de demain, pour éviter que ces trafics ne soient déviés défini­tive­ment sur d’autres routes.

De même, dans le secteur de la dis­tri­b­u­tion d’eau potable, cinq pro­jets de réha­bil­i­ta­tion de réseaux sont actuelle­ment en pré­pa­ra­tion, tous com­pris entre 150 à 175 mil­lions de francs ; or la con­clu­sion de chaque prêt butte sur la ques­tion du statut de l’or­gan­i­sa­tion locale de la dis­tri­b­u­tion des eaux (Vodekanal). Les Insti­tu­tions finan­cières inter­na­tionales souhait­ent une pri­vati­sa­tion totale de cette struc­ture, tant de sa ges­tion (accep­tée par les respon­s­ables locaux) que des infra­struc­tures correspondantes.

Or les autorités locales ukraini­ennes (et le cadre juridique nation­al) s’op­posent à ce que ces infra­struc­tures soient pri­vatisées, pour toute une série de raisons : accep­ta­tion psy­chologique de cer­tains con­tenus des réformes, vitesse d’ap­pli­ca­tion des réformes… La con­ces­sion ou la ges­tion déléguée, qui ne pri­va­tise ni le fonci­er ni les infra­struc­tures, apporte une solu­tion adap­tée à ce problème.

Les pou­voirs publics ukrainiens doivent revendi­quer claire­ment leur rôle de régu­la­teur, dans le cadre d’une économie de marché, mais doivent lim­iter autant que pos­si­ble, voire aban­don­ner totale­ment leurs rôles d’opéra­teur économique.

Les pou­voirs publics français ont com­pris qu’il s’agis­sait là d’une occa­sion de pro­mou­voir le savoir-faire français dans ce domaine. En effet, le plus gros écueil à l’in­vestisse­ment étranger, notam­ment français, en Ukraine provient d’un cadre juridique impar­fait qui n’of­fre pas encore des garanties suff­isantes. L’élab­o­ra­tion d’une loi ukraini­enne sur les con­ces­sions est une étape préal­able au développe­ment des activ­ités des investis­seurs français dans le secteur de la ges­tion déléguée des ser­vices publics.

La méthodologie adoptée

La pré­pa­ra­tion de la loi générale sur les con­ces­sions a été organ­isée pour jouer un rôle péd­a­gogique qui a con­tribué à régler un prob­lème qui n’ar­rivait pas à se résoudre dans les con­di­tions ukraini­ennes. L’o­rig­i­nal­ité de la démarche adop­tée ici a été de réalis­er des cam­pagnes d’in­for­ma­tion auprès des hauts respon­s­ables pour que cer­tains con­cepts, nou­veaux en univers ukrainien, soient com­pris et cor­recte­ment appro­priés. Tous ces con­cepts ont été struc­turés en un sys­tème cohérent, organ­isant le développe­ment futur des con­ces­sions, et qui a été traduit en un texte de loi.

La loi ukraini­enne définit le con­cept de con­ces­sion, pré­cise les règles de fonc­tion­nement, les droits et les oblig­a­tions des par­ties, les procé­dures d’at­tri­bu­tion des marchés publics, pour amélior­er la qual­ité des ser­vices publics et sat­is­faire les besoins de la population.

La loi s’ap­plique notam­ment aux domaines suiv­ants : appro­vi­sion­nement en eau et assainisse­ment ; trans­ports urbains de voyageurs ; col­lecte et élim­i­na­tion des déchets ; chauffage urbain ; autoroutes et grandes infra­struc­tures de trans­port (ponts, tun­nels, ouvrages spé­ci­aux) ; dis­tri­b­u­tion du gaz et de l’élec­tric­ité ; ges­tion des ports de com­merce et de plai­sance ; ges­tion des aéro­ports ; instal­la­tions sportives et de loisir ; ser­vices câblés de télévi­sion ; activ­ités cul­turelles et sociales ; ges­tion de la voirie ; pom­pes funèbres ; park­ings publics. L’élab­o­ra­tion de la loi a été faite en ten­ant compte des besoins d’in­vestisse­ment dans ces secteurs.

En revanche a été exclu du champ d’ap­pli­ca­tion de la loi tout ce qui con­cerne l’ex­ploita­tion des ressources naturelles. L’ex­ploita­tion en con­ces­sion de ser­vices publics relève d’une autre logique que celle de l’ex­ploita­tion des ressources naturelles. Dans ce dernier cas, les intérêts des acteurs publics et privés ne sont pas tou­jours con­ver­gents, et l’a­mal­game des deux logiques au sein d’une seule et même loi aurait pol­lué le débat tant tech­nique que politique.

Enfin, il a été décidé que le pro­jet de loi serait pré­paré directe­ment avec le Par­lement. Il s’agis­sait là d’une option impor­tante. En effet, tra­vailler exclu­sive­ment avec les experts d’un seul min­istère, puis laiss­er au gou­verne­ment le soin de présen­ter le pro­jet au Par­lement pou­vait paraître plus sim­ple. Mais les risques asso­ciés à ce choix sont mul­ti­ples, et de nom­breuses assis­tances tech­niques inter­na­tionales (USAID et Tacis) qui se sont aven­turées sur cette voie ont obtenu des résul­tats décevants.

En effet, pour pré­par­er une loi générale sur les con­ces­sions, la dif­fi­culté aurait d’abord été dans le choix de l’in­ter­locu­teur min­istériel ; choisir un seul min­istère aurait con­duit à déclencher une bataille de com­pé­tence entre plusieurs min­istères ou qua­si-min­istères (Trans­ports, Économie, Jus­tice, Énergie, Comité d’É­tat pour les ser­vices munic­i­paux, Agence pour la recon­struc­tion et l’in­té­gra­tion européenne, etc.) et créer un groupe de tra­vail inter­min­istériel aurait con­duit à enlis­er le pro­jet. Le nom­bre des insti­tu­tions et des per­son­nes impliquées aurait con­duit à éla­bor­er, dans de longues et sans doute douloureuses négo­ci­a­tions, un con­sen­sus mou qui aurait incon­testable­ment dénaturé les con­cepts clés des concessions.

Puis serait venue l’é­tape de la val­i­da­tion du pro­jet de loi par le Cab­i­net des Min­istres ; il s’ag­it d’un secré­tari­at per­ma­nent et très élar­gi du gou­verne­ment, héritage du Gos­plan de la péri­ode sovié­tique. Dans ce lieu mythique, chaque chef de bureau s’est attribué de fac­to des pou­voirs par­fois équiv­a­lents à ceux des min­istres, dans la mesure où toute propo­si­tion min­istérielle doit être validée par ces fonc­tion­naires avant d’ac­céder à l’éch­e­lon du Pre­mier min­istre ou de l’un de ses vice-Pre­miers min­istres. Les aléas qu’au­rait con­nus notre pro­jet au sein du Cab­i­net des Min­istres auraient été des plus imprévisibles.

Le pro­jet serait finale­ment arrivé au Par­lement, pour être décor­tiqué et retra­vail­lé en Com­mis­sion. Comme le pro­jet aurait été pré­paré par le gou­verne­ment, un arbi­trage entre le som­met de l’exé­cu­tif et le som­met du lég­is­latif aurait été néces­saire pour qu’il devi­enne pri­or­i­taire. Et il aurait été soumis à l’ap­pro­ba­tion des députés à l’is­sue d’un par­cours long, com­plexe et chao­tique au cours duquel les efforts pour expli­quer, con­va­in­cre et per­suad­er par per­son­nes inter­posées auraient été sans com­mune mesure avec les moyens disponibles. L’a­van­tage de tra­vailler directe­ment avec le Par­lement était de min­imiser les risques de voir le pro­jet dénaturé au cours de son adoption.

La préparation de la loi

Aujour­d’hui en Ukraine, le con­texte juridique est com­plexe, sou­vent con­fus et par­fois con­tra­dic­toire. En effet, les respon­s­ables ukrainiens ont dû, en quelques années depuis l’indépen­dance du pays en 1991, établir un ensem­ble de textes d’une part pour créer un nou­v­el État indépen­dant, affranchi de la tutelle de l’U­nion sovié­tique, et d’autre part pour faire pass­er cet État, à marche for­cée, dans une économie de marché.

Or ce dou­ble défi devait être relevé alors que l’Ukraine, anci­enne région de l’URSS, était exsangue de ses élites, depuis longtemps exportées volent nolent vers l’ad­min­is­tra­tion des autres régions de l’empire russe, puis sovié­tique2. Le savoir-faire, la cul­ture et la pra­tique de la pré­pa­ra­tion de bonnes lois n’ex­is­taient pas. La classe poli­tique et le Par­lement ukrainien n’ont pas encore appris une des ver­tus sacrées des lois : être faites pour dur­er et être en cohérence sys­témique les unes avec les autres. D’ailleurs, ils ont encore une lourde ten­dance à éla­bor­er des textes par secteur, indépen­dants les uns des autres, sans chercher à rédi­ger des lois générales.

La sit­u­a­tion qui pré­vaut aujour­d’hui est donc un ensem­ble de lois de faible qual­ité, man­quant de cohérence, et lais­sant d’emblée une part trop grande à l’in­ter­pré­ta­tion de l’ad­min­is­tra­tion au cas par cas. Pour pré­par­er une loi sur les con­ces­sions, tout devait donc être mené de front : adopter les principes d’une nou­velle économie, for­malis­er les con­cepts, puis pré­par­er une loi générale, en étant lim­ité par la pénurie de juristes ukrainiens qual­i­fiés dans cet exercice.

Il exis­tait un cer­tain nom­bre de lois ukraini­ennes, déjà adop­tées ou à l’é­tat de pro­jets, qui con­cer­naient de près ou de loin les activ­ités sus­cep­ti­bles d’être mis­es en con­ces­sion. Ces textes demandaient à être revus, amendés ou toi­let­tés pour devenir com­pat­i­bles avec une loi générale sur les con­ces­sions. La pre­mière étape fut d’i­den­ti­fi­er de manière exhaus­tive l’ensem­ble de ces textes lég­is­lat­ifs et régle­men­taires. Pour cer­tains de ces textes, il exis­tait déjà une tra­duc­tion en anglais ; les autres ont été traduits en français.

L’ensem­ble de ces textes, dont la liste peut être con­sultée sur notre site Inter­net, a été soumis à un exa­m­en minu­tieux, pour iden­ti­fi­er les amélio­ra­tions à apporter. Par­al­lèle­ment, un cer­tain nom­bre de textes de droit français et européen ayant trait aux con­ces­sions, ain­si que des textes sur la jurispru­dence en la matière dans divers pays, ont été traduits en ukrainien et mis à la dis­po­si­tion des experts et des par­lemen­taires ukrainiens.

La deux­ième étape, l’ap­pro­pri­a­tion du sujet au sein du Par­lement, s’est effec­tuée au tra­vers de l’an­i­ma­tion d’un groupe de tra­vail, créé dès le début des travaux, et qui com­pre­nait des juristes et des écon­o­mistes français et ukrainiens. Au sein du Par­lement, la Com­mis­sion chargée des réformes économiques a été choisie comme lieu de ges­ta­tion du pro­jet. Le groupe de tra­vail était présidé par Lud­mi­la I. Notch­vaiy, chef du secré­tari­at per­ma­nent de cette com­mis­sion par­lemen­taire, et com­pre­nait notam­ment, du côté ukrainien, Vas­sil I. Kissil, juriste, avo­cat et pro­fesseur de droit ; Volodimir G. Chep­ino­ga, écon­o­miste ; et Volodimir I. Matveev, député, prési­dent de la Sous-com­mis­sion par­lemen­taire chargée de la privatisation.

Du côté français, une con­tri­bu­tion sub­stantielle a été faite par Gilles Le Chate­lier, maître des requêtes au Con­seil d’É­tat. À par­tir de l’ensem­ble des travaux pré­para­toires, il a élaboré une struc­ture détail­lée de loi sur les con­ces­sions. Pré­paré en mai 1998, ce doc­u­ment a servi de référence tout au long des travaux de pré­pa­ra­tion du pro­jet final de la loi. Il a en out­re ani­mé de nom­breuses séances de tra­vail, sémi­naires et travaux pré­para­toires, tant avec les représen­tants du pou­voir lég­is­latif que du pou­voir exécutif.

Les séances du groupe de tra­vail ont don­né lieu à des dis­cus­sions appro­fondies sur la com­préhen­sion et la portée des con­cepts de base de la con­ces­sion. Ces dis­cus­sions ont per­mis à la loi d’être rédigée et présen­tée au Par­lement dans les meilleures conditions.

Le groupe de tra­vail a, en out­re, tenu régulière­ment des sémi­naires et des ate­liers de présen­ta­tion, aux­quels par­tic­i­paient les représen­tants des prin­ci­paux min­istères, pour démon­tr­er l’in­térêt de faire une loi con­cept, cou­vrant l’ensem­ble des secteurs, plutôt que d’éla­bor­er une série de textes sec­to­riels, pour présen­ter les con­cepts de base de la loi et la manière dont ils devaient se retrou­ver dans le pro­jet de loi.

Sig­nalons enfin qu’à Paris, le Club de Kiev, en qui beau­coup recon­nais­sent la future Cham­bre de com­merce fran­co-ukraini­enne, a réu­ni régulière­ment, tous les deux mois env­i­ron en 1998, les représen­tants d’une dizaine d’en­tre­pris­es français­es habituées à tra­vailler en tant que con­ces­sion­naires, pour les informer de l’évo­lu­tion des travaux de pré­pa­ra­tion de la loi ukraini­enne sur les con­ces­sions et pour s’as­sur­er que leurs con­traintes soient pris­es en compte, autant que faire se peut, dans la rédac­tion de la loi.

La procédure parlementaire

Les travaux pré­para­toires tech­niques ont été achevés en mai 1998. Sont venus alors se gref­fer des fac­teurs poli­tiques externes : de nou­velles élec­tions lég­isla­tives se sont tenues en mars 1998, renou­ve­lant large­ment le per­son­nel par­lemen­taire (80 % d’en­tre eux étaient de nou­veaux élus), l’élec­tion du prési­dent du nou­veau Par­lement n’a eu lieu qu’en juin 1998 et celle des prési­dents des dif­férentes com­mis­sions par­lemen­taires en juil­let, juste avant la trêve estivale.

Les activ­ités lég­isla­tives du Par­lement ont, de fait, été gelées durant toute cette péri­ode. La Com­mis­sion par­lemen­taire chargée des réformes économiques, respon­s­able au Par­lement de la loi sur les con­ces­sions, n’a repris ses travaux que courant sep­tem­bre 1998.

Son nou­veau prési­dent, M. Gurenko, a man­i­festé le plus vif intérêt pour les travaux de pré­pa­ra­tion de la loi sur les con­ces­sions, qui avaient été lancés sous la respon­s­abil­ité de son prédécesseur, et a décidé de les pour­suiv­re. Cette adhé­sion au prépro­jet de loi a représen­té une étape déci­sive et a per­mis une étroite col­lab­o­ra­tion entre les mem­bres du groupe de tra­vail et les par­lemen­taires, nou­veaux élus. M. Matveev, prési­dent de la sous-com­mis­sion par­lemen­taire chargée de la pri­vati­sa­tion, a alors été pro­posé comme rap­por­teur du pro­jet de loi.

Un dou­ble résul­tat a ain­si été atteint : tout d’abord, la Com­mis­sion chargée des ques­tions économiques s’en­gageait pleine­ment dans la final­i­sa­tion de la pré­pa­ra­tion de la loi, puis dans son adop­tion ultérieure ; ensuite comme M. Matveev est rat­taché au groupe com­mu­niste, groupe le plus impor­tant du Par­lement ukrainien avec env­i­ron 29 % des voix, sa nom­i­na­tion comme rap­por­teur de la loi a per­mis d’obtenir le sou­tien et la col­lab­o­ra­tion de ce groupe politique.

Par­al­lèle­ment à nos travaux, deux pro­jets de lois sec­to­riels sur les con­ces­sions ont été dis­cutés au par­lement. Le pre­mier visait à réguler le partage de l’ex­ploita­tion des ressources naturelles, sujet certes impor­tant mais tech­nique­ment com­plexe. Ce pro­jet de loi, amené au par­lement par les groupes d’in­térêts pro­pres au secteur minier, avait été présen­té — et rejeté — en pre­mière lec­ture, par la Cham­bre précé­dente. Il devait être représen­té à la nou­velle Cham­bre. Pour min­imiser les résis­tances à l’en­con­tre de notre pro­jet de loi, nous avions explicite­ment exclu de son champ la ques­tion de l’ex­ploita­tion des ressources naturelles.

Or, il exis­tait au sein de la Com­mis­sion par­lemen­taire chargée des réformes économiques un groupe de députés qui étaient de fer­vents défenseurs de ce pro­jet de loi sur le partage de l’ex­ploita­tion des ressources naturelles ; ces députés souhaitaient que cette dernière loi cou­vre aus­si le champ des con­ces­sions de ser­vices publics. Néan­moins, cette Com­mis­sion par­lemen­taire a con­fir­mé offi­cielle­ment sa posi­tion : la loi générale sur les con­ces­sions devait être con­servée sous sa forme ini­tiale et restait prioritaire.

Cepen­dant, nous avons pu voir là une manœu­vre des­tinée à brouiller la clarté du mes­sage ini­tial, à semer le doute voire la con­fu­sion dans les esprits. Aujour­d’hui encore, le terme de con­ces­sion reste trop attaché à “exploita­tion des ressources naturelles” et pas encore assez à “exploita­tion de ser­vices publics”, ceci en dépit des nom­breux efforts d’ex­pli­ca­tion que nous avons conduits.

Le deux­ième pro­jet de loi sec­to­riel con­cer­nait les autoroutes à péage. Avant même que notre pro­jet de loi générale sur les con­ces­sions ne soit enreg­istré en tant qu’ini­tia­tive par­lemen­taire, le min­istère ukrainien des Trans­ports, en appli­ca­tion d’une instruc­tion prési­den­tielle, s’é­tait attelé à la tâche de pré­par­er une loi très sec­to­rielle régu­lant “les autoroutes à péage en concession”.

Un pre­mier pro­jet, pré­paré unique­ment par une équipe d’ex­perts ukrainiens, sur la base d’une analyse tron­quée de l’ex­péri­ence française en la matière, avait été présen­té et rejeté en pre­mière lec­ture par le Par­lement en novem­bre 1998. Le Par­lement avait demandé que ce pro­jet de loi sur les autoroutes soit retra­vail­lé et présen­té après l’adop­tion de la loi générale sur les concessions.

Ain­si, si des par­lemen­taires comme M. Gurenko, prési­dent de la Com­mis­sion par­lemen­taire chargée des réformes économiques, restaient d’ar­dents défenseurs d’une loi générale sur les con­ces­sions, sus­cep­ti­ble de s’im­pos­er de façon trans­ver­sale à tous les secteurs con­cernés, d’autres forces poli­tiques ont pu con­sid­ér­er que le pro­jet de loi générale fai­sait de l’om­bre aux deux autres pro­jets sec­to­riels men­tion­nés ci-dessus et ont con­tribué à le faire rejeter en pre­mière lecture.

Le renvoi du projet de loi en première lecture

Con­for­mé­ment aux procé­dures par­lemen­taires en vigueur, le pro­jet fut enreg­istré en tant qu’ini­tia­tive lég­isla­tive, le 17 décem­bre 1998. La Com­mis­sion par­lemen­taire chargée des réformes économiques a présen­té cette ini­tia­tive en son pro­pre nom, mon­trant par là l’im­por­tance qu’elle lui por­tait, avec pour rap­por­teur le député M. Matveev. Le pro­jet de loi a été présen­té au Par­lement en pre­mière lec­ture le 12 jan­vi­er 1999. Ce délai entre l’en­reg­istrement et la pre­mière lec­ture a été extrême­ment réduit.

Le Par­lement procé­da au vote : 187 voix pour, alors que la majorité req­uise était de 226 voix. L’adop­tion du pro­jet en l’é­tat était donc rejetée. Le Par­lement déci­da néan­moins de ren­voy­er le pro­jet à une pre­mière lec­ture ultérieure et de réex­am­in­er ce pro­jet durant la troisième ses­sion par­lemen­taire, débu­tant courant févri­er 1999.

Les enseigne­ments à tir­er de cette pre­mière présen­ta­tion au par­lement sont mul­ti­ples. Nous avons reçu la con­fir­ma­tion que, tout au long des débats, les com­men­taires avaient tous été posi­tifs. Ce pro­jet n’a pas but­té sur des ques­tions de fond. Son échec en pre­mière lec­ture a résulté de manœu­vres de dernière minute liées aux deux autres pro­jets sec­to­riels présen­tés ci-dessus.

Le pro­jet de loi sur les con­ces­sions autoroutières, inap­plic­a­ble dans son état ini­tial, a été amélioré avec l’as­sis­tance des experts français qui avaient été mobil­isés sur la loi générale. Ce pro­jet, ingénu, n’avait pas de capac­ité de nui­sance. Il a été représen­té par ses défenseurs au sein du par­lement, et son vote était pro­gram­mé après celui de la loi générale sur les con­ces­sions de ser­vices publics et d’infrastructures.

Mais le groupe com­mu­niste, totale­ment acquis au pro­jet de loi générale, était caté­gorique­ment opposé au pro­jet de loi sur les autoroutes, en par­ti­c­uli­er en rai­son de mal­adress­es dans sa for­mu­la­tion. Par mesure de rétor­sion, les sup­port­ers de la loi autoroute, issus du lob­by des travaux publics, et notam­ment les mem­bres du Par­ti démoc­ra­tique nation­al, arti­sans poli­tiques de la loi autoroute, n’ont pas voté en faveur de la loi générale.

De son côté, le groupe de pres­sion arti­san de la loi sur l’ex­ploita­tion des ressources naturelles est inter­venu, pour jeter le trou­ble, en pré­ten­dant que son pro­jet de loi (déjà rejeté par deux fois) était meilleur pour réguler les con­ces­sions. L’in­ter­ven­tion de ce groupe de députés était d’au­tant plus imprévis­i­ble que toutes les expli­ca­tions avaient été fournies, notam­ment dans une note cir­con­stan­ciée remise aux députés à l’oc­ca­sion du vote, pour faire com­pren­dre que les deux pro­jets de lois cou­vraient des champs dif­férents, sans recou­vre­ment de compétences.

Mal­gré cela, à la fin des débats, un vice-min­istre chargé de l’é­conomie a pris la parole et a mon­tré sa capac­ité à ne pas com­pren­dre le sujet : Le titre du pro­jet de loi ne cor­re­spond pas au con­tenu. Dans le monde entier, les con­trats de con­ces­sion stip­u­lent la part de la richesse nationale qui ne peut pas être pri­vatisée, telle que les ressources naturelles, les ressources en eau, les forêts et autres ressources ayant une valeur nationale exclusive.

Les con­clu­sions de ce vice-min­istre ont jeté le trou­ble dans cer­tains esprits et le pro­jet fut ren­voyé à un exa­m­en ultérieur. Le lende­main, ce vice-min­istre présen­tait ses excus­es à M. Gurenko, en recon­nais­sant qu’il avait fait de grossières erreurs d’in­ter­pré­ta­tion. Il a d’ailleurs été démis de ses fonc­tions depuis.

L’adoption de la loi par le Parlement

À l’is­sue de la pre­mière lec­ture du pro­jet au Par­lement, au mois de jan­vi­er dernier, nous avons relancé une cam­pagne d’in­for­ma­tion qui s’est traduite par de nom­breuses ren­con­tres avec des mem­bres clés du par­lement, avec des représen­tants du pou­voir exé­cu­tif tant au niveau cen­tral qu’au niveau région­al, ain­si qu’avec des représen­tants d’en­tre­pris­es ukraini­ennes sus­cep­ti­bles de devenir des concessionnaires.

Le pro­jet de loi générale a été réex­am­iné par le Par­lement et adop­té en pre­mière lec­ture le 1er juil­let 1999. Il a été adop­té de façon défini­tive le 16 juil­let. Elle est entrée en appli­ca­tion dès qu’elle a été signée en août par le prési­dent Koutch­ma, chef de l’État.

Quelle que soit la per­ti­nence de la loi générale sur les con­ces­sions finale­ment adop­tée par le par­lement, elle porte en elle ses pro­pres lim­ites. En par­ti­c­uli­er, elle ne règle que ce qui relève de la loi. Plusieurs textes régle­men­taires com­plé­men­taires devront être élaborés, notam­ment des con­trats types entre con­cé­dant et concessionnaire.

Ensuite, il aurait été sat­is­faisant de tout pou­voir traiter à l’oc­ca­sion de la loi générale sur les con­ces­sions. Mais la cohérence de la con­struc­tion juridique a con­duit à reporter cer­tains prob­lèmes qui devront être traités dans le cadre d’autres lois. C’est le cas notam­ment de la loi fis­cale qui est actuelle­ment, sur cer­tains points, dis­crim­i­nante vis-à-vis des entre­pris­es à cap­i­tal majori­taire étranger (ain­si, une frac­tion seule­ment des charges de frais financiers afférents à un investisse­ment peut être portée en charge dans le compte de résul­tats, ce qui con­duit à pénalis­er l’in­vestis­seur étranger).

C’est le cas égale­ment pour une loi en cours de pré­pa­ra­tion sur la répar­ti­tion des com­pé­tences entre État, Régions et Munic­i­pal­ités : aujour­d’hui, dans bien des cas, nul ne sait à qui appar­tient le bien pub­lic, ni qui a com­pé­tence pour le gér­er ou pour sign­er un con­trat de délé­ga­tion de gestion.

En ce qui con­cerne le règle­ment des lit­iges com­mer­ci­aux, le Con­seil de l’Eu­rope, qui a accueil­li l’Ukraine en son sein en 1994, est extrême­ment cri­tique quant à l’indépen­dance du sys­tème judi­ci­aire ukrainien. Le choix de tri­bunaux ukrainiens n’est donc pas un élé­ment moti­vant pour des investis­seurs internationaux.

Pour remédi­er à cet état de fait, une clause a été intro­duite dans la loi qui per­met de recourir à l’ar­bi­trage inter­na­tion­al pour régler tout lit­ige sur­venant dans le cadre des con­ces­sions. Le Club de Kiev, déjà nom­mé, a ain­si pré­paré un pro­jet de règle­ment d’ar­bi­trage, com­pat­i­ble avec la loi ukraini­enne sur l’ar­bi­trage et avec les us et cou­tumes occi­den­taux en la matière, pour fonder un tri­bunal d’ar­bi­trage fran­co-ukrainien sus­cep­ti­ble de régler tout lit­ige sur­venant à l’avenir entre l’une ou l’autre des par­ties engagées dans les con­ces­sions en Ukraine : les usagers, le con­ces­sion­naire et le concédant.

Enfin, il con­viendrait de met­tre à l’é­tude la pré­pa­ra­tion et les con­di­tions de mise en œuvre d’un fonds de garantie des con­ces­sions en Ukraine.

Conclusion

Il serait sans doute pré­maturé de pré­ten­dre que l’Ukraine, le plus européen des pays issus de l’URSS, va soudain devenir un champ d’ac­tiv­ité facile pour les acteurs français, dans le secteur des con­ces­sions. Mais nous souhaitons mon­tr­er de quelle manière il est pos­si­ble d’in­ter­a­gir sur cet univers com­plexe et encore large­ment incon­nu que représente l’en­vi­ron­nement juridique et économique de l’Ukraine. Ain­si, des axes struc­turants pro­pres sont en train d’être mis en place. Dans le cadre des travaux en cours, des actions ont été entre­pris­es pour que le con­cept de con­ces­sion passe du stade de la con­nais­sance spon­tanée à celui d’une con­nais­sance plus rigoureuse, ceci tant au niveau nation­al qu’à l’éch­e­lon local.

Nous voyons à présent se mul­ti­pli­er des oppor­tu­nités réelles, con­crètes et intéres­santes de con­ces­sions au niveau région­al. Mais des actions péd­a­gogiques restent à men­er, de façon ciblée, auprès des autorités locales con­cé­dantes ukrainiennes.

Les travaux, briève­ment décrits dans cet arti­cle, ont démon­tré qu’il était pos­si­ble d’avoir prise sur un univers com­plexe : inter­a­gir au niveau le plus élevé des insti­tu­tions d’un jeune État indépen­dant et l’aider à met­tre en place des mesures légales cohérentes, dans le cadre d’une analyse glob­ale devant con­duire à terme à dynamiser le développe­ment de ses ser­vices publics lais­sés jusque-là en jachère.

__________________________________________
1. Nous devons remerci­er Svit­lana Did­kivs­ka, écon­o­miste et direc­trice générale adjointe de Euro-Ukraina Con­sult­ing, pour son opiniâtreté et sa capac­ité à surfer sur les dif­fi­cultés pro­pres à une telle ambi­tion ; Lud­mi­la Notch­vaiy, admin­is­tra­trice au Par­lement ukrainien ; Petro Mor­gos, avo­cat fran­co-améri­cain ; Alain Fayard et Pierre Debeuss­ch­er, inspecteurs généraux de l’Équipement ; Vas­sil Kissil, pro­fesseur de droit pub­lic à l’u­ni­ver­sité Tarass Chevtchenko de Kiev ; et surtout, Gilles le Chate­lier, maître des requêtes au Con­seil d’É­tat, qui a été l’ar­chi­tecte de la clé de voûte de l’ensem­ble des travaux. Le sou­tien de l’É­tat français s’est traduit par l’at­tri­bu­tion d’un don du FASEP pour l’as­sis­tance à la pré­pa­ra­tion de la loi. Tout le mérite en revient à Madame Élis­a­beth Puis­sant, con­seil­lère économique et com­mer­ciale auprès de l’am­bas­sade de France à Kiev, que nous tenons égale­ment à remercier.
2. À ces mou­ve­ments internes des élites, il con­vient d’a­jouter les effets durables de divers trau­ma­tismes pro­fonds : le géno­cide organ­isant la famine de 1932 tuant de 5 à 6 mil­lions de per­son­nes ; les purges stal­in­i­ennes ciblant les élites ; puis 6 mil­lions de morts durant la Sec­onde Guerre mon­di­ale ; enfin l’im­por­tant flux migra­toire des Ukrainiens durant toute la péri­ode sovié­tique et tou­jours per­sis­tant à ce jour, vers l’Eu­rope et l’Amérique du Nord.

Poster un commentaire