Mise en place d’une loi sur les concessions en Ukraine

Dossier : UkraineMagazine N°547 Septembre 1999
Par Jean-Luc POGET

Déjà en 1995, le Par­le­ment ukrai­nien avait sai­si la Com­mis­sion de l’U­nion euro­péenne afin de rece­voir une assis­tance pour éla­bo­rer une loi qui tire­rait pro­fit de l’ex­pé­rience fran­çaise. Le Par­le­ment n’a reçu aucune réponse.

Depuis le début de l’an­née 1998, BCEOM et sa filiale Euro-Ukrai­na Consul­ting ont été man­da­tés, au tra­vers de la pro­cé­dure FASEP du minis­tère fran­çais de l’É­co­no­mie, pour aider les pou­voirs publics ukrai­niens à pré­pa­rer et à sou­mettre au Par­le­ment une loi géné­rale sur les conces­sions de ser­vices publics et d’in­fra­struc­tures en Ukraine. Le pré­sent article fait le point des tra­vaux menés à bien, dans le cadre de cette action, par une équipe mixte fran­co-ukrai­nienne qui est inter­ve­nue sous la res­pon­sa­bi­li­té de l’au­teur, de jan­vier 1998 à juillet 19991.

Les enjeux

Fait rare dans l’en­vi­ron­ne­ment ukrai­nien, la réno­va­tion des infra­struc­tures et des ser­vices publics est une idée consen­suelle qui tra­verse tous les cou­rants poli­tiques. Elle ras­semble à la fois les réfor­mistes (réduc­tion des dépenses publiques) et les non-réfor­mistes (relance éco­no­mique par une poli­tique de grands tra­vaux). Pour l’ins­tant, la vision de cer­tains d’entre eux sur le sujet est peut-être trop idyl­lique, mais leur volon­té est réelle.

L’U­kraine s’est enga­gée dans la voie des réformes éco­no­miques à la fin de l’an­née 1994, et le mou­ve­ment a pris de l’am­pleur entre 1996 et 1998. La crise finan­cière de l’au­tomne 1998 a certes gelé pour un temps cet élan de réno­va­tion éco­no­mique. Mais la pos­si­bi­li­té d’or­ga­ni­ser en Ukraine un finan­ce­ment pri­vé des infra­struc­tures et des ser­vices publics était deve­nue une ques­tion d’ac­tua­li­té : compte tenu de la fai­blesse struc­tu­relle des finances publiques, les inves­tis­se­ments de ser­vices publics ne pour­ront pas être cou­verts par le seul recours aux emprunts publics.

La conces­sion ne génère pas un accrois­se­ment de la dette publique ; les prêts sont obte­nus par les opé­ra­teurs pri­vés, fon­dés sur des recettes réser­vées, liées à l’u­sage des infra­struc­tures. En outre, les socié­tés conces­sion­naires sont spé­cia­li­sées, ce qui per­met de garan­tir une haute qua­li­té de ser­vices, sous le contrôle des pou­voirs publics.

Or, les besoins en inves­tis­se­ments de ser­vices publics d’un pays comme l’U­kraine devien­dront consi­dé­rables dans les pro­chaines années. Le déve­lop­pe­ment d’in­fra­struc­tures de trans­port de haute qua­li­té est une étape néces­saire pour rap­pro­cher l’U­kraine de l’es­pace éco­no­mique euro­péen. La posi­tion par­ti­cu­lière de l’U­kraine, au car­re­four de cer­tains des plus impor­tants cor­ri­dors euro­péens (Ouest-Est et mer Noire, mer Bal­tique), donne à ce pays un rôle pré­do­mi­nant de tran­sit, pour peu que l’U­kraine sache anti­ci­per de manière réa­liste les besoins de demain, pour évi­ter que ces tra­fics ne soient déviés défi­ni­ti­ve­ment sur d’autres routes.

De même, dans le sec­teur de la dis­tri­bu­tion d’eau potable, cinq pro­jets de réha­bi­li­ta­tion de réseaux sont actuel­le­ment en pré­pa­ra­tion, tous com­pris entre 150 à 175 mil­lions de francs ; or la conclu­sion de chaque prêt butte sur la ques­tion du sta­tut de l’or­ga­ni­sa­tion locale de la dis­tri­bu­tion des eaux (Vode­ka­nal). Les Ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales sou­haitent une pri­va­ti­sa­tion totale de cette struc­ture, tant de sa ges­tion (accep­tée par les res­pon­sables locaux) que des infra­struc­tures correspondantes.

Or les auto­ri­tés locales ukrai­niennes (et le cadre juri­dique natio­nal) s’op­posent à ce que ces infra­struc­tures soient pri­va­ti­sées, pour toute une série de rai­sons : accep­ta­tion psy­cho­lo­gique de cer­tains conte­nus des réformes, vitesse d’ap­pli­ca­tion des réformes… La conces­sion ou la ges­tion délé­guée, qui ne pri­va­tise ni le fon­cier ni les infra­struc­tures, apporte une solu­tion adap­tée à ce problème.

Les pou­voirs publics ukrai­niens doivent reven­di­quer clai­re­ment leur rôle de régu­la­teur, dans le cadre d’une éco­no­mie de mar­ché, mais doivent limi­ter autant que pos­sible, voire aban­don­ner tota­le­ment leurs rôles d’o­pé­ra­teur économique.

Les pou­voirs publics fran­çais ont com­pris qu’il s’a­gis­sait là d’une occa­sion de pro­mou­voir le savoir-faire fran­çais dans ce domaine. En effet, le plus gros écueil à l’in­ves­tis­se­ment étran­ger, notam­ment fran­çais, en Ukraine pro­vient d’un cadre juri­dique impar­fait qui n’offre pas encore des garan­ties suf­fi­santes. L’é­la­bo­ra­tion d’une loi ukrai­nienne sur les conces­sions est une étape préa­lable au déve­lop­pe­ment des acti­vi­tés des inves­tis­seurs fran­çais dans le sec­teur de la ges­tion délé­guée des ser­vices publics.

La méthodologie adoptée

La pré­pa­ra­tion de la loi géné­rale sur les conces­sions a été orga­ni­sée pour jouer un rôle péda­go­gique qui a contri­bué à régler un pro­blème qui n’ar­ri­vait pas à se résoudre dans les condi­tions ukrai­niennes. L’o­ri­gi­na­li­té de la démarche adop­tée ici a été de réa­li­ser des cam­pagnes d’in­for­ma­tion auprès des hauts res­pon­sables pour que cer­tains concepts, nou­veaux en uni­vers ukrai­nien, soient com­pris et cor­rec­te­ment appro­priés. Tous ces concepts ont été struc­tu­rés en un sys­tème cohé­rent, orga­ni­sant le déve­lop­pe­ment futur des conces­sions, et qui a été tra­duit en un texte de loi.

La loi ukrai­nienne défi­nit le concept de conces­sion, pré­cise les règles de fonc­tion­ne­ment, les droits et les obli­ga­tions des par­ties, les pro­cé­dures d’at­tri­bu­tion des mar­chés publics, pour amé­lio­rer la qua­li­té des ser­vices publics et satis­faire les besoins de la population.

La loi s’ap­plique notam­ment aux domaines sui­vants : appro­vi­sion­ne­ment en eau et assai­nis­se­ment ; trans­ports urbains de voya­geurs ; col­lecte et éli­mi­na­tion des déchets ; chauf­fage urbain ; auto­routes et grandes infra­struc­tures de trans­port (ponts, tun­nels, ouvrages spé­ciaux) ; dis­tri­bu­tion du gaz et de l’élec­tri­ci­té ; ges­tion des ports de com­merce et de plai­sance ; ges­tion des aéro­ports ; ins­tal­la­tions spor­tives et de loi­sir ; ser­vices câblés de télé­vi­sion ; acti­vi­tés cultu­relles et sociales ; ges­tion de la voi­rie ; pompes funèbres ; par­kings publics. L’é­la­bo­ra­tion de la loi a été faite en tenant compte des besoins d’in­ves­tis­se­ment dans ces secteurs.

En revanche a été exclu du champ d’ap­pli­ca­tion de la loi tout ce qui concerne l’ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles. L’ex­ploi­ta­tion en conces­sion de ser­vices publics relève d’une autre logique que celle de l’ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles. Dans ce der­nier cas, les inté­rêts des acteurs publics et pri­vés ne sont pas tou­jours conver­gents, et l’a­mal­game des deux logiques au sein d’une seule et même loi aurait pol­lué le débat tant tech­nique que politique.

Enfin, il a été déci­dé que le pro­jet de loi serait pré­pa­ré direc­te­ment avec le Par­le­ment. Il s’a­gis­sait là d’une option impor­tante. En effet, tra­vailler exclu­si­ve­ment avec les experts d’un seul minis­tère, puis lais­ser au gou­ver­ne­ment le soin de pré­sen­ter le pro­jet au Par­le­ment pou­vait paraître plus simple. Mais les risques asso­ciés à ce choix sont mul­tiples, et de nom­breuses assis­tances tech­niques inter­na­tio­nales (USAID et Tacis) qui se sont aven­tu­rées sur cette voie ont obte­nu des résul­tats décevants.

En effet, pour pré­pa­rer une loi géné­rale sur les conces­sions, la dif­fi­cul­té aurait d’a­bord été dans le choix de l’in­ter­lo­cu­teur minis­té­riel ; choi­sir un seul minis­tère aurait conduit à déclen­cher une bataille de com­pé­tence entre plu­sieurs minis­tères ou qua­si-minis­tères (Trans­ports, Éco­no­mie, Jus­tice, Éner­gie, Comi­té d’É­tat pour les ser­vices muni­ci­paux, Agence pour la recons­truc­tion et l’in­té­gra­tion euro­péenne, etc.) et créer un groupe de tra­vail inter­mi­nis­té­riel aurait conduit à enli­ser le pro­jet. Le nombre des ins­ti­tu­tions et des per­sonnes impli­quées aurait conduit à éla­bo­rer, dans de longues et sans doute dou­lou­reuses négo­cia­tions, un consen­sus mou qui aurait incon­tes­ta­ble­ment déna­tu­ré les concepts clés des concessions.

Puis serait venue l’é­tape de la vali­da­tion du pro­jet de loi par le Cabi­net des Ministres ; il s’a­git d’un secré­ta­riat per­ma­nent et très élar­gi du gou­ver­ne­ment, héri­tage du Gos­plan de la période sovié­tique. Dans ce lieu mythique, chaque chef de bureau s’est attri­bué de fac­to des pou­voirs par­fois équi­va­lents à ceux des ministres, dans la mesure où toute pro­po­si­tion minis­té­rielle doit être vali­dée par ces fonc­tion­naires avant d’ac­cé­der à l’é­che­lon du Pre­mier ministre ou de l’un de ses vice-Pre­miers ministres. Les aléas qu’au­rait connus notre pro­jet au sein du Cabi­net des Ministres auraient été des plus imprévisibles.

Le pro­jet serait fina­le­ment arri­vé au Par­le­ment, pour être décor­ti­qué et retra­vaillé en Com­mis­sion. Comme le pro­jet aurait été pré­pa­ré par le gou­ver­ne­ment, un arbi­trage entre le som­met de l’exé­cu­tif et le som­met du légis­la­tif aurait été néces­saire pour qu’il devienne prio­ri­taire. Et il aurait été sou­mis à l’ap­pro­ba­tion des dépu­tés à l’is­sue d’un par­cours long, com­plexe et chao­tique au cours duquel les efforts pour expli­quer, convaincre et per­sua­der par per­sonnes inter­po­sées auraient été sans com­mune mesure avec les moyens dis­po­nibles. L’a­van­tage de tra­vailler direc­te­ment avec le Par­le­ment était de mini­mi­ser les risques de voir le pro­jet déna­tu­ré au cours de son adoption.

La préparation de la loi

Aujourd’­hui en Ukraine, le contexte juri­dique est com­plexe, sou­vent confus et par­fois contra­dic­toire. En effet, les res­pon­sables ukrai­niens ont dû, en quelques années depuis l’in­dé­pen­dance du pays en 1991, éta­blir un ensemble de textes d’une part pour créer un nou­vel État indé­pen­dant, affran­chi de la tutelle de l’U­nion sovié­tique, et d’autre part pour faire pas­ser cet État, à marche for­cée, dans une éco­no­mie de marché.

Or ce double défi devait être rele­vé alors que l’U­kraine, ancienne région de l’URSS, était exsangue de ses élites, depuis long­temps expor­tées volent nolent vers l’ad­mi­nis­tra­tion des autres régions de l’empire russe, puis sovié­tique2. Le savoir-faire, la culture et la pra­tique de la pré­pa­ra­tion de bonnes lois n’exis­taient pas. La classe poli­tique et le Par­le­ment ukrai­nien n’ont pas encore appris une des ver­tus sacrées des lois : être faites pour durer et être en cohé­rence sys­té­mique les unes avec les autres. D’ailleurs, ils ont encore une lourde ten­dance à éla­bo­rer des textes par sec­teur, indé­pen­dants les uns des autres, sans cher­cher à rédi­ger des lois générales.

La situa­tion qui pré­vaut aujourd’­hui est donc un ensemble de lois de faible qua­li­té, man­quant de cohé­rence, et lais­sant d’emblée une part trop grande à l’in­ter­pré­ta­tion de l’ad­mi­nis­tra­tion au cas par cas. Pour pré­pa­rer une loi sur les conces­sions, tout devait donc être mené de front : adop­ter les prin­cipes d’une nou­velle éco­no­mie, for­ma­li­ser les concepts, puis pré­pa­rer une loi géné­rale, en étant limi­té par la pénu­rie de juristes ukrai­niens qua­li­fiés dans cet exercice.

Il exis­tait un cer­tain nombre de lois ukrai­niennes, déjà adop­tées ou à l’é­tat de pro­jets, qui concer­naient de près ou de loin les acti­vi­tés sus­cep­tibles d’être mises en conces­sion. Ces textes deman­daient à être revus, amen­dés ou toi­let­tés pour deve­nir com­pa­tibles avec une loi géné­rale sur les conces­sions. La pre­mière étape fut d’i­den­ti­fier de manière exhaus­tive l’en­semble de ces textes légis­la­tifs et régle­men­taires. Pour cer­tains de ces textes, il exis­tait déjà une tra­duc­tion en anglais ; les autres ont été tra­duits en français.

L’en­semble de ces textes, dont la liste peut être consul­tée sur notre site Inter­net, a été sou­mis à un exa­men minu­tieux, pour iden­ti­fier les amé­lio­ra­tions à appor­ter. Paral­lè­le­ment, un cer­tain nombre de textes de droit fran­çais et euro­péen ayant trait aux conces­sions, ain­si que des textes sur la juris­pru­dence en la matière dans divers pays, ont été tra­duits en ukrai­nien et mis à la dis­po­si­tion des experts et des par­le­men­taires ukrainiens.

La deuxième étape, l’ap­pro­pria­tion du sujet au sein du Par­le­ment, s’est effec­tuée au tra­vers de l’a­ni­ma­tion d’un groupe de tra­vail, créé dès le début des tra­vaux, et qui com­pre­nait des juristes et des éco­no­mistes fran­çais et ukrai­niens. Au sein du Par­le­ment, la Com­mis­sion char­gée des réformes éco­no­miques a été choi­sie comme lieu de ges­ta­tion du pro­jet. Le groupe de tra­vail était pré­si­dé par Lud­mi­la I. Not­ch­vaiy, chef du secré­ta­riat per­ma­nent de cette com­mis­sion par­le­men­taire, et com­pre­nait notam­ment, du côté ukrai­nien, Vas­sil I. Kis­sil, juriste, avo­cat et pro­fes­seur de droit ; Volo­di­mir G. Che­pi­no­ga, éco­no­miste ; et Volo­di­mir I. Mat­veev, dépu­té, pré­sident de la Sous-com­mis­sion par­le­men­taire char­gée de la privatisation.

Du côté fran­çais, une contri­bu­tion sub­stan­tielle a été faite par Gilles Le Cha­te­lier, maître des requêtes au Conseil d’É­tat. À par­tir de l’en­semble des tra­vaux pré­pa­ra­toires, il a éla­bo­ré une struc­ture détaillée de loi sur les conces­sions. Pré­pa­ré en mai 1998, ce docu­ment a ser­vi de réfé­rence tout au long des tra­vaux de pré­pa­ra­tion du pro­jet final de la loi. Il a en outre ani­mé de nom­breuses séances de tra­vail, sémi­naires et tra­vaux pré­pa­ra­toires, tant avec les repré­sen­tants du pou­voir légis­la­tif que du pou­voir exécutif.

Les séances du groupe de tra­vail ont don­né lieu à des dis­cus­sions appro­fon­dies sur la com­pré­hen­sion et la por­tée des concepts de base de la conces­sion. Ces dis­cus­sions ont per­mis à la loi d’être rédi­gée et pré­sen­tée au Par­le­ment dans les meilleures conditions.

Le groupe de tra­vail a, en outre, tenu régu­liè­re­ment des sémi­naires et des ate­liers de pré­sen­ta­tion, aux­quels par­ti­ci­paient les repré­sen­tants des prin­ci­paux minis­tères, pour démon­trer l’in­té­rêt de faire une loi concept, cou­vrant l’en­semble des sec­teurs, plu­tôt que d’é­la­bo­rer une série de textes sec­to­riels, pour pré­sen­ter les concepts de base de la loi et la manière dont ils devaient se retrou­ver dans le pro­jet de loi.

Signa­lons enfin qu’à Paris, le Club de Kiev, en qui beau­coup recon­naissent la future Chambre de com­merce fran­co-ukrai­nienne, a réuni régu­liè­re­ment, tous les deux mois envi­ron en 1998, les repré­sen­tants d’une dizaine d’en­tre­prises fran­çaises habi­tuées à tra­vailler en tant que conces­sion­naires, pour les infor­mer de l’é­vo­lu­tion des tra­vaux de pré­pa­ra­tion de la loi ukrai­nienne sur les conces­sions et pour s’as­su­rer que leurs contraintes soient prises en compte, autant que faire se peut, dans la rédac­tion de la loi.

La procédure parlementaire

Les tra­vaux pré­pa­ra­toires tech­niques ont été ache­vés en mai 1998. Sont venus alors se gref­fer des fac­teurs poli­tiques externes : de nou­velles élec­tions légis­la­tives se sont tenues en mars 1998, renou­ve­lant lar­ge­ment le per­son­nel par­le­men­taire (80 % d’entre eux étaient de nou­veaux élus), l’é­lec­tion du pré­sident du nou­veau Par­le­ment n’a eu lieu qu’en juin 1998 et celle des pré­si­dents des dif­fé­rentes com­mis­sions par­le­men­taires en juillet, juste avant la trêve estivale.

Les acti­vi­tés légis­la­tives du Par­le­ment ont, de fait, été gelées durant toute cette période. La Com­mis­sion par­le­men­taire char­gée des réformes éco­no­miques, res­pon­sable au Par­le­ment de la loi sur les conces­sions, n’a repris ses tra­vaux que cou­rant sep­tembre 1998.

Son nou­veau pré­sident, M. Guren­ko, a mani­fes­té le plus vif inté­rêt pour les tra­vaux de pré­pa­ra­tion de la loi sur les conces­sions, qui avaient été lan­cés sous la res­pon­sa­bi­li­té de son pré­dé­ces­seur, et a déci­dé de les pour­suivre. Cette adhé­sion au pré­pro­jet de loi a repré­sen­té une étape déci­sive et a per­mis une étroite col­la­bo­ra­tion entre les membres du groupe de tra­vail et les par­le­men­taires, nou­veaux élus. M. Mat­veev, pré­sident de la sous-com­mis­sion par­le­men­taire char­gée de la pri­va­ti­sa­tion, a alors été pro­po­sé comme rap­por­teur du pro­jet de loi.

Un double résul­tat a ain­si été atteint : tout d’a­bord, la Com­mis­sion char­gée des ques­tions éco­no­miques s’en­ga­geait plei­ne­ment dans la fina­li­sa­tion de la pré­pa­ra­tion de la loi, puis dans son adop­tion ulté­rieure ; ensuite comme M. Mat­veev est rat­ta­ché au groupe com­mu­niste, groupe le plus impor­tant du Par­le­ment ukrai­nien avec envi­ron 29 % des voix, sa nomi­na­tion comme rap­por­teur de la loi a per­mis d’ob­te­nir le sou­tien et la col­la­bo­ra­tion de ce groupe politique.

Paral­lè­le­ment à nos tra­vaux, deux pro­jets de lois sec­to­riels sur les conces­sions ont été dis­cu­tés au par­le­ment. Le pre­mier visait à régu­ler le par­tage de l’ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles, sujet certes impor­tant mais tech­ni­que­ment com­plexe. Ce pro­jet de loi, ame­né au par­le­ment par les groupes d’in­té­rêts propres au sec­teur minier, avait été pré­sen­té – et reje­té – en pre­mière lec­ture, par la Chambre pré­cé­dente. Il devait être repré­sen­té à la nou­velle Chambre. Pour mini­mi­ser les résis­tances à l’en­contre de notre pro­jet de loi, nous avions expli­ci­te­ment exclu de son champ la ques­tion de l’ex­ploi­ta­tion des res­sources naturelles.

Or, il exis­tait au sein de la Com­mis­sion par­le­men­taire char­gée des réformes éco­no­miques un groupe de dépu­tés qui étaient de fer­vents défen­seurs de ce pro­jet de loi sur le par­tage de l’ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles ; ces dépu­tés sou­hai­taient que cette der­nière loi couvre aus­si le champ des conces­sions de ser­vices publics. Néan­moins, cette Com­mis­sion par­le­men­taire a confir­mé offi­ciel­le­ment sa posi­tion : la loi géné­rale sur les conces­sions devait être conser­vée sous sa forme ini­tiale et res­tait prioritaire.

Cepen­dant, nous avons pu voir là une manœuvre des­ti­née à brouiller la clar­té du mes­sage ini­tial, à semer le doute voire la confu­sion dans les esprits. Aujourd’­hui encore, le terme de conces­sion reste trop atta­ché à « exploi­ta­tion des res­sources natu­relles » et pas encore assez à « exploi­ta­tion de ser­vices publics », ceci en dépit des nom­breux efforts d’ex­pli­ca­tion que nous avons conduits.

Le deuxième pro­jet de loi sec­to­riel concer­nait les auto­routes à péage. Avant même que notre pro­jet de loi géné­rale sur les conces­sions ne soit enre­gis­tré en tant qu’i­ni­tia­tive par­le­men­taire, le minis­tère ukrai­nien des Trans­ports, en appli­ca­tion d’une ins­truc­tion pré­si­den­tielle, s’é­tait atte­lé à la tâche de pré­pa­rer une loi très sec­to­rielle régu­lant « les auto­routes à péage en concession ».

Un pre­mier pro­jet, pré­pa­ré uni­que­ment par une équipe d’ex­perts ukrai­niens, sur la base d’une ana­lyse tron­quée de l’ex­pé­rience fran­çaise en la matière, avait été pré­sen­té et reje­té en pre­mière lec­ture par le Par­le­ment en novembre 1998. Le Par­le­ment avait deman­dé que ce pro­jet de loi sur les auto­routes soit retra­vaillé et pré­sen­té après l’a­dop­tion de la loi géné­rale sur les concessions.

Ain­si, si des par­le­men­taires comme M. Guren­ko, pré­sident de la Com­mis­sion par­le­men­taire char­gée des réformes éco­no­miques, res­taient d’ar­dents défen­seurs d’une loi géné­rale sur les conces­sions, sus­cep­tible de s’im­po­ser de façon trans­ver­sale à tous les sec­teurs concer­nés, d’autres forces poli­tiques ont pu consi­dé­rer que le pro­jet de loi géné­rale fai­sait de l’ombre aux deux autres pro­jets sec­to­riels men­tion­nés ci-des­sus et ont contri­bué à le faire reje­ter en pre­mière lecture.

Le renvoi du projet de loi en première lecture

Confor­mé­ment aux pro­cé­dures par­le­men­taires en vigueur, le pro­jet fut enre­gis­tré en tant qu’i­ni­tia­tive légis­la­tive, le 17 décembre 1998. La Com­mis­sion par­le­men­taire char­gée des réformes éco­no­miques a pré­sen­té cette ini­tia­tive en son propre nom, mon­trant par là l’im­por­tance qu’elle lui por­tait, avec pour rap­por­teur le dépu­té M. Mat­veev. Le pro­jet de loi a été pré­sen­té au Par­le­ment en pre­mière lec­ture le 12 jan­vier 1999. Ce délai entre l’en­re­gis­tre­ment et la pre­mière lec­ture a été extrê­me­ment réduit.

Le Par­le­ment pro­cé­da au vote : 187 voix pour, alors que la majo­ri­té requise était de 226 voix. L’a­dop­tion du pro­jet en l’é­tat était donc reje­tée. Le Par­le­ment déci­da néan­moins de ren­voyer le pro­jet à une pre­mière lec­ture ulté­rieure et de réexa­mi­ner ce pro­jet durant la troi­sième ses­sion par­le­men­taire, débu­tant cou­rant février 1999.

Les ensei­gne­ments à tirer de cette pre­mière pré­sen­ta­tion au par­le­ment sont mul­tiples. Nous avons reçu la confir­ma­tion que, tout au long des débats, les com­men­taires avaient tous été posi­tifs. Ce pro­jet n’a pas but­té sur des ques­tions de fond. Son échec en pre­mière lec­ture a résul­té de manœuvres de der­nière minute liées aux deux autres pro­jets sec­to­riels pré­sen­tés ci-dessus.

Le pro­jet de loi sur les conces­sions auto­rou­tières, inap­pli­cable dans son état ini­tial, a été amé­lio­ré avec l’as­sis­tance des experts fran­çais qui avaient été mobi­li­sés sur la loi géné­rale. Ce pro­jet, ingé­nu, n’a­vait pas de capa­ci­té de nui­sance. Il a été repré­sen­té par ses défen­seurs au sein du par­le­ment, et son vote était pro­gram­mé après celui de la loi géné­rale sur les conces­sions de ser­vices publics et d’infrastructures.

Mais le groupe com­mu­niste, tota­le­ment acquis au pro­jet de loi géné­rale, était caté­go­ri­que­ment oppo­sé au pro­jet de loi sur les auto­routes, en par­ti­cu­lier en rai­son de mal­adresses dans sa for­mu­la­tion. Par mesure de rétor­sion, les sup­por­ters de la loi auto­route, issus du lob­by des tra­vaux publics, et notam­ment les membres du Par­ti démo­cra­tique natio­nal, arti­sans poli­tiques de la loi auto­route, n’ont pas voté en faveur de la loi générale.

De son côté, le groupe de pres­sion arti­san de la loi sur l’ex­ploi­ta­tion des res­sources natu­relles est inter­ve­nu, pour jeter le trouble, en pré­ten­dant que son pro­jet de loi (déjà reje­té par deux fois) était meilleur pour régu­ler les conces­sions. L’in­ter­ven­tion de ce groupe de dépu­tés était d’au­tant plus impré­vi­sible que toutes les expli­ca­tions avaient été four­nies, notam­ment dans une note cir­cons­tan­ciée remise aux dépu­tés à l’oc­ca­sion du vote, pour faire com­prendre que les deux pro­jets de lois cou­vraient des champs dif­fé­rents, sans recou­vre­ment de compétences.

Mal­gré cela, à la fin des débats, un vice-ministre char­gé de l’é­co­no­mie a pris la parole et a mon­tré sa capa­ci­té à ne pas com­prendre le sujet : Le titre du pro­jet de loi ne cor­res­pond pas au conte­nu. Dans le monde entier, les contrats de conces­sion sti­pulent la part de la richesse natio­nale qui ne peut pas être pri­va­ti­sée, telle que les res­sources natu­relles, les res­sources en eau, les forêts et autres res­sources ayant une valeur natio­nale exclusive.

Les conclu­sions de ce vice-ministre ont jeté le trouble dans cer­tains esprits et le pro­jet fut ren­voyé à un exa­men ulté­rieur. Le len­de­main, ce vice-ministre pré­sen­tait ses excuses à M. Guren­ko, en recon­nais­sant qu’il avait fait de gros­sières erreurs d’in­ter­pré­ta­tion. Il a d’ailleurs été démis de ses fonc­tions depuis.

L’adoption de la loi par le Parlement

À l’is­sue de la pre­mière lec­ture du pro­jet au Par­le­ment, au mois de jan­vier der­nier, nous avons relan­cé une cam­pagne d’in­for­ma­tion qui s’est tra­duite par de nom­breuses ren­contres avec des membres clés du par­le­ment, avec des repré­sen­tants du pou­voir exé­cu­tif tant au niveau cen­tral qu’au niveau régio­nal, ain­si qu’a­vec des repré­sen­tants d’en­tre­prises ukrai­niennes sus­cep­tibles de deve­nir des concessionnaires.

Le pro­jet de loi géné­rale a été réexa­mi­né par le Par­le­ment et adop­té en pre­mière lec­ture le 1er juillet 1999. Il a été adop­té de façon défi­ni­tive le 16 juillet. Elle est entrée en appli­ca­tion dès qu’elle a été signée en août par le pré­sident Koutch­ma, chef de l’État.

Quelle que soit la per­ti­nence de la loi géné­rale sur les conces­sions fina­le­ment adop­tée par le par­le­ment, elle porte en elle ses propres limites. En par­ti­cu­lier, elle ne règle que ce qui relève de la loi. Plu­sieurs textes régle­men­taires com­plé­men­taires devront être éla­bo­rés, notam­ment des contrats types entre concé­dant et concessionnaire.

Ensuite, il aurait été satis­fai­sant de tout pou­voir trai­ter à l’oc­ca­sion de la loi géné­rale sur les conces­sions. Mais la cohé­rence de la construc­tion juri­dique a conduit à repor­ter cer­tains pro­blèmes qui devront être trai­tés dans le cadre d’autres lois. C’est le cas notam­ment de la loi fis­cale qui est actuel­le­ment, sur cer­tains points, dis­cri­mi­nante vis-à-vis des entre­prises à capi­tal majo­ri­taire étran­ger (ain­si, une frac­tion seule­ment des charges de frais finan­ciers affé­rents à un inves­tis­se­ment peut être por­tée en charge dans le compte de résul­tats, ce qui conduit à péna­li­ser l’in­ves­tis­seur étranger).

C’est le cas éga­le­ment pour une loi en cours de pré­pa­ra­tion sur la répar­ti­tion des com­pé­tences entre État, Régions et Muni­ci­pa­li­tés : aujourd’­hui, dans bien des cas, nul ne sait à qui appar­tient le bien public, ni qui a com­pé­tence pour le gérer ou pour signer un contrat de délé­ga­tion de gestion.

En ce qui concerne le règle­ment des litiges com­mer­ciaux, le Conseil de l’Eu­rope, qui a accueilli l’U­kraine en son sein en 1994, est extrê­me­ment cri­tique quant à l’in­dé­pen­dance du sys­tème judi­ciaire ukrai­nien. Le choix de tri­bu­naux ukrai­niens n’est donc pas un élé­ment moti­vant pour des inves­tis­seurs internationaux.

Pour remé­dier à cet état de fait, une clause a été intro­duite dans la loi qui per­met de recou­rir à l’ar­bi­trage inter­na­tio­nal pour régler tout litige sur­ve­nant dans le cadre des conces­sions. Le Club de Kiev, déjà nom­mé, a ain­si pré­pa­ré un pro­jet de règle­ment d’ar­bi­trage, com­pa­tible avec la loi ukrai­nienne sur l’ar­bi­trage et avec les us et cou­tumes occi­den­taux en la matière, pour fon­der un tri­bu­nal d’ar­bi­trage fran­co-ukrai­nien sus­cep­tible de régler tout litige sur­ve­nant à l’a­ve­nir entre l’une ou l’autre des par­ties enga­gées dans les conces­sions en Ukraine : les usa­gers, le conces­sion­naire et le concédant.

Enfin, il convien­drait de mettre à l’é­tude la pré­pa­ra­tion et les condi­tions de mise en œuvre d’un fonds de garan­tie des conces­sions en Ukraine.

Conclusion

Il serait sans doute pré­ma­tu­ré de pré­tendre que l’U­kraine, le plus euro­péen des pays issus de l’URSS, va sou­dain deve­nir un champ d’ac­ti­vi­té facile pour les acteurs fran­çais, dans le sec­teur des conces­sions. Mais nous sou­hai­tons mon­trer de quelle manière il est pos­sible d’in­te­ra­gir sur cet uni­vers com­plexe et encore lar­ge­ment incon­nu que repré­sente l’en­vi­ron­ne­ment juri­dique et éco­no­mique de l’U­kraine. Ain­si, des axes struc­tu­rants propres sont en train d’être mis en place. Dans le cadre des tra­vaux en cours, des actions ont été entre­prises pour que le concept de conces­sion passe du stade de la connais­sance spon­ta­née à celui d’une connais­sance plus rigou­reuse, ceci tant au niveau natio­nal qu’à l’é­che­lon local.

Nous voyons à pré­sent se mul­ti­plier des oppor­tu­ni­tés réelles, concrètes et inté­res­santes de conces­sions au niveau régio­nal. Mais des actions péda­go­giques res­tent à mener, de façon ciblée, auprès des auto­ri­tés locales concé­dantes ukrainiennes.

Les tra­vaux, briè­ve­ment décrits dans cet article, ont démon­tré qu’il était pos­sible d’a­voir prise sur un uni­vers com­plexe : inter­agir au niveau le plus éle­vé des ins­ti­tu­tions d’un jeune État indé­pen­dant et l’ai­der à mettre en place des mesures légales cohé­rentes, dans le cadre d’une ana­lyse glo­bale devant conduire à terme à dyna­mi­ser le déve­lop­pe­ment de ses ser­vices publics lais­sés jusque-là en jachère.

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1. Nous devons remer­cier Svit­la­na Did­kivs­ka, éco­no­miste et direc­trice géné­rale adjointe de Euro-Ukrai­na Consul­ting, pour son opi­niâ­tre­té et sa capa­ci­té à sur­fer sur les dif­fi­cul­tés propres à une telle ambi­tion ; Lud­mi­la Not­ch­vaiy, admi­nis­tra­trice au Par­le­ment ukrai­nien ; Petro Mor­gos, avo­cat fran­co-amé­ri­cain ; Alain Fayard et Pierre Debeus­scher, ins­pec­teurs géné­raux de l’É­qui­pe­ment ; Vas­sil Kis­sil, pro­fes­seur de droit public à l’u­ni­ver­si­té Tarass Chevt­chen­ko de Kiev ; et sur­tout, Gilles le Cha­te­lier, maître des requêtes au Conseil d’É­tat, qui a été l’ar­chi­tecte de la clé de voûte de l’en­semble des tra­vaux. Le sou­tien de l’É­tat fran­çais s’est tra­duit par l’at­tri­bu­tion d’un don du FASEP pour l’as­sis­tance à la pré­pa­ra­tion de la loi. Tout le mérite en revient à Madame Éli­sa­beth Puis­sant, conseillère éco­no­mique et com­mer­ciale auprès de l’am­bas­sade de France à Kiev, que nous tenons éga­le­ment à remercier.
2. À ces mou­ve­ments internes des élites, il convient d’a­jou­ter les effets durables de divers trau­ma­tismes pro­fonds : le géno­cide orga­ni­sant la famine de 1932 tuant de 5 à 6 mil­lions de per­sonnes ; les purges sta­li­niennes ciblant les élites ; puis 6 mil­lions de morts durant la Seconde Guerre mon­diale ; enfin l’im­por­tant flux migra­toire des Ukrai­niens durant toute la période sovié­tique et tou­jours per­sis­tant à ce jour, vers l’Eu­rope et l’A­mé­rique du Nord.

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