Créer son entreprise, c’est changer de vie

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Jacques-Charles FLANDIN (59)

REPÈRES

REPÈRES
En 1970, quelques années après avoir quit­té l’É­cole et avoir passé cinq ans au sein du groupe Philips, j’ai sauté le pas. À l’époque, nous étions vrai­ment très peu nom­breux à faire ce choix et je crois bien être l’un des rares de ma pro­mo­tion à l’avoir fait. Aujour­d’hui, cela a bien changé et plus de dix pour cent d’une pro­mo­tion n’hésite plus à se lancer dans la créa­tion de leur start-up.

Quel est celui d’en­tre nous qui n’a pas, à un moment ou un autre, envis­agé de se met­tre à son compte comme con­sul­tant ou pour repren­dre une entre­prise ou encore pour en créer une ? Les moti­va­tions sont mul­ti­ples et var­iées : une étape, une ambi­tion, un rêve d’ac­com­plisse­ment, un besoin d’au­tonomie ou une com­bi­nai­son d’en­tre elles.

Si vous n’avez pas les nerfs solides, ne ten­tez pas l’aventure

La déci­sion se ramène tou­jours en fait au même choix : aban­don­ner une rel­a­tive sécu­rité dans une admin­is­tra­tion ou dans une entre­prise plus ou moins impor­tante ou bien plonger dans le grand bain et courir le risque de se retrou­ver quelques années plus tard dans une sit­u­a­tion déli­cate à gér­er que l’en­tre­prise créée ou reprise s’avère une réus­site, le cas idéal, ou un échec, cela arrive, avec toutes les con­séquences per­son­nelles, famil­iales et matérielles qui en découlent.

La solitude de l’entrepreneur

Choix dif­fi­cile
Les dif­fi­cultés sont tou­jours les mêmes et le choix n’est pas plus facile : avoir la bonne idée, délim­iter un créneau où la con­cur­rence n’est pas trop dure, trou­ver la bonne entre­prise à repren­dre et définir un busi­ness plan solide, imag­in­er et con­stru­ire la struc­ture adéquate, sol­liciter et obtenir des finance­ments à des con­di­tions accept­a­bles, recruter des col­lab­o­ra­teurs com­pé­tents et coopérat­ifs, anticiper les dif­fi­cultés sans se laiss­er aller au cat­a­strophisme, s’en­tour­er de con­seils avisés et, enfin, com­mencer à trac­er son sillon.

Trente-cinq ans d’ex­péri­ence dans la con­ti­nu­ité en tant qu’en­tre­pre­neur indépen­dant m’ont inspiré quelques réflex­ions. La toute pre­mière ques­tion qu’il faut se pos­er, c’est de se deman­der si l’on a les ressources men­tales suff­isantes pour être autonome et indépen­dant. Il faut se regarder dans une glace et éval­uer franche­ment sa capac­ité à absorber seul toutes les dif­fi­cultés imag­in­ables et inimaginables.

En effet, l’en­tre­pre­neur est, en défini­tive, seul lorsqu’il doit pren­dre des déci­sions cru­ciales pour son entre­prise car les con­seilleurs ne sont pas les payeurs, for­mule clas­sique mais très réelle au quo­ti­di­en. Tout le monde a eu ou aura des coups durs la plu­part du temps inat­ten­dus et il fau­dra savoir réa­gir rapi­de­ment sans per­dre de temps pour pren­dre les bonnes déci­sions. Si vous n’avez pas les nerfs solides ou si vous avez ten­dance à atten­dre que les prob­lèmes se règ­lent tout seuls restez où vous êtes et ne ten­tez pas l’aventure.

Un soutien familial réel

Vie quo­ti­di­enne
Il faut être con­scient que la vie quo­ti­di­enne va être très dif­férente. Dans votre vie précé­dente, vous dis­posiez d’un envi­ron­nement en per­ma­nence à votre ser­vice. Vous devrez par­fois vous pren­dre par la main pour effectuer des tâch­es très triv­iales car vous n’au­rez per­son­ne pour les faire à votre place : pho­to­copi­er un dossier, chercher le cour­ri­er à la poste, réserv­er vos bil­lets de train ou d’avion, rap­pel­er un cor­re­spon­dant jamais disponible, pren­dre des ren­dez-vous, etc.

La ques­tion suiv­ante con­siste à s’as­sur­er de la sol­i­dar­ité famil­iale et de la solid­ité de ses liens. L’en­tre­pre­neur dont le con­joint est hési­tant ou réti­cent à l’ac­com­pa­g­n­er prend des risques qui peu­vent se ter­min­er mal­heureuse­ment en cat­a­stro­phe. Votre com­pagne ou votre com­pagnon doit être bien con­scient qu’il ou elle sera par­tie prenante à 150 % de vos soucis et de vos angoiss­es, 150 % parce qu’elle ou il ne pour­ra s’en libér­er sur per­son­ne. Il faut aus­si savoir que vous allez vous dévouer à votre pro­jet de nom­breuses heures par jour y com­pris les week-ends ce qui ne vous lais­sera pas beau­coup de temps pour une vie de famille et pour la détente néces­saire et indispensable.

Nouveaux problèmes

Vous allez avoir aus­si à vous préoc­cu­per vous-même de gér­er votre tré­sorerie, d’or­gan­is­er l’ac­tiv­ité de vos col­lab­o­ra­teurs, de con­trôler si ce n’est de faire vos déc­la­ra­tions fis­cales ou sociales même si vous dis­posez d’un cab­i­net compt­able, toutes opéra­tions dont vous n’avez jamais ou du moins rarement eu à vous occu­per vous-même car vous dis­posiez de ser­vices spé­cial­isés et compétents.

Comme vous n’au­rez pas l’ex­péri­ence cor­re­spon­dante, vous allez devoir con­sacr­er du temps et de l’én­ergie à résoudre des prob­lèmes qui sont essen­tiels mais qui vont vous empêch­er de vous mobilis­er en per­ma­nence sur votre projet.

Lorsque vous aurez pris con­science de tout cela et que vous en aurez accep­té les con­séquences, vous allez pou­voir entre­pren­dre con­crète­ment votre projet.

Prendre du temps

Se faire conseiller
Une fois que le nou­v­el entre­pre­neur a bien défi­ni son pro­jet, il doit s’en­tour­er de spé­cial­istes pour abor­der les prob­lèmes pra­tiques et se faire con­seiller à pro­pos des ques­tions juridiques, sociales et matérielles. Quel statut juridique pour l’en­tre­prise ? Quelle pro­tec­tion sociale pour vous et les vôtres ? Quelles ressources finan­cières seront néces­saires ? Quel emplace­ment, proche ou loin de son domi­cile, de quelle dimen­sion, etc.? Com­ment con­stituer une équipe ? Tout cela doit per­me­t­tre d’être prêt à l’ac­tion et d’écrire un busi­ness plan crédible.

Ne croyez pas que la pre­mière idée soit la bonne ou que la pre­mière entre­prise à repren­dre soit l’af­faire du siè­cle. Prenez votre temps pour étudi­er la ques­tion sous tous les angles. Par­lez-en autour de vous à des per­son­nes com­plète­ment extérieures. C’est en exp­ri­mant ses idées qu’on les fait pro­gress­er sinon vous tournerez en rond et vous ris­quer de vous auto-con­va­in­cre. Il faut savoir pren­dre du recul pour pren­dre les bonnes déci­sions. Soyez hum­ble et acceptez la con­tra­dic­tion. Vos inter­locu­teurs n’au­ront pas la même vision que vous et leur éclairage dif­férent vous fera sans doute voir des aspects que vous ne soupçon­niez pas.

Ne croyez pas que la pre­mière idée soit la bonne

Et voilà, tout est en ordre, vous pou­vez vous lancer et c’est main­tenant que les dif­fi­cultés vont sur­venir et que le stress va faire son appari­tion. Gardez votre sang-froid, prenez du recul avant de pren­dre les déci­sions qui s’im­poseront. Sachez pren­dre encore du temps pour con­serv­er votre équili­bre. Soyez capa­ble de recon­naître vos erreurs tac­tiques. Faites preuve d’hu­mil­ité face aux événe­ments. Ne vous emballez pas quand une occa­sion se présente mais sachez saisir les oppor­tu­nités qui sur­gis­sent sans hésiter. Bref, accomplissez-vous.

Apprendre de ses erreurs

Comme moi, vous allez faire des erreurs, vous allez vous laiss­er embar­quer dans des voies sans issue, vous allez per­dre du ter­rain mais vous allez vivre votre aven­ture, vous allez vous bat­tre et vous réus­sirez car vous aurez la rage de gagner.

Puis, quand vous vous retournerez vous aurez la sat­is­fac­tion d’avoir rem­pli votre vie, d’avoir fait votre devoir de citoyen respon­s­able, d’avoir créé des richess­es pas for­cé­ment mon­nayables mais morale­ment sat­is­faisantes, d’avoir réus­si votre vie famil­iale avec des hauts et des bas et tout cela grâce à vous et à votre indé­fectible volonté.

Bonne chance !

Commentaire

Ajouter un commentaire

Denis OULESrépondre
3 novembre 2010 à 19 h 11 min

C’est réal­iste, très com­plet, et com­plé­men­taire des pro­jec­tions idylliques faites par les créa­teurs par procu­ra­tion (les con­seilleurs qui ne sont pas payeurs!): bra­vo Jacques-Charles.

Répondre