La rupture, ça se négocie

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Bertrand REYNAUD

REPÈRES
Bertrand Rey­naud a exer­cé les fonc­tions de DRH dans de grands groupes (AXA, Fnac, La Poste). Son méti­er actuel con­siste à accom­pa­g­n­er des dirigeants en péri­ode de rup­ture pour qu’ils puis­sent, autant que pos­si­ble, opti­miser les con­di­tions finan­cières de départ tout en main­tenant une rela­tion de qual­ité avec l’entreprise

Rude moment pour un dirigeant. Après avoir servi et défendu les intérêts de son entre­prise, le voilà en con­fronta­tion avec elle. La rup­ture avec l’employeur peut être source de frag­ili­sa­tion et par­fois de souf­frances. Le monde du tra­vail est sou­vent bru­tal. Il impose à cha­cun de s’af­firmer par et à tra­vers l’épreuve. 

L’épreuve de la rupture

Face à ce choc, chaque dirigeant est con­fron­té à un choix, qui influ­encera son futur.

L’épreuve peut devenir un moteur de con­struc­tion identitaire

Soit subir le choc, chercher à le blo­quer, résis­ter, lut­ter de divers­es manières, voire entamer un con­tentieux long, coû­teux, aléa­toire. Ten­ta­tive sou­vent vaine qui crispe les sit­u­a­tions et lim­ite l’ou­ver­ture à la créativité.

Soit inscrire cette rup­ture dans une démarche dynamique. L’épreuve peut alors devenir un moteur de con­struc­tion iden­ti­taire, qui favorise l’émer­gence et l’af­fir­ma­tion de soi, ren­force l’adapt­abil­ité dans un monde incer­tain. Devenu seul face à une entre­prise organ­isée et puis­sante, le dirigeant doit éviter l’improvisation. 

Penser à la négociation

La rup­ture s’an­nonce ? Mieux vaut sor­tir les antennes que les armures. Il ne s’ag­it pas en effet d’en­tr­er en guerre mais de dévelop­per une grande vig­i­lance pour appréhen­der la sit­u­a­tion dans sa com­plex­ité, y évoluer avec sou­p­lesse et obtenir des résul­tats quan­ti­tat­ifs et qual­i­tat­ifs élevés.

Le “dossier” de négo­ci­a­tion doit être pré­paré dans ses mul­ti­ples dimen­sions. La pre­mière est le con­texte de négo­ci­a­tion : quels acteurs ? Quels scé­nar­ios envis­age­ables ? Quelles con­séquences en l’ab­sence d’ac­cord ? Quels sont les fac­teurs sus­cep­ti­bles de peser (anci­en­neté, âge, sit­u­a­tion de famille, urgence du départ, pou­voir de nui­sance ou d’influence) ?

La dimen­sion pro­fes­sion­nelle est cen­trale : en fonc­tion de l’âge, l’an­ci­en­neté dans l’en­tre­prise, la for­ma­tion, l’ex­péri­ence, quel est le degré de dif­fi­culté prob­a­ble de la future recherche d’emploi ?

Les aspects psy­chologiques et émo­tion­nels (com­ment le dirigeant ressent la sit­u­a­tion ?) sont à analyser avec soin car l’i­den­ti­fi­ca­tion des émo­tions (colère, frus­tra­tion, angoisse) aide à leur maîtrise.

Calculer ses droits

Inci­dence fiscale
Avant la négo­ci­a­tion, il faut anticiper et cal­culer l’im­pact fis­cal de l’ac­cord. En effet, la fis­cal­ité n’est plus ce qu’elle était : au-delà de 20 7000 euros, les indem­nités sont chargées et imposées comme de la rémunération.

Sur le plan financier, le dirigeant cal­culera ses droits liés au départ, ses futures allo­ca­tions de chô­mage. On estimera le juste mon­tant de l’in­dem­nité négo­ciée de rupture.

Enfin, sur le plan juridique, il est essen­tiel de déter­min­er si l’en­tre­prise dis­pose d’élé­ments sérieux con­tre son dirigeant ou si la déci­sion est surtout poli­tique. Et aus­si de savoir quelles sont les modal­ités de rup­ture les plus adaptées.

Inter­venant le plus en amont pos­si­ble, ce tra­vail ouvre à l’ac­tion, réduit l’anx­iété et balise le ter­ri­toire, sou­vent incon­nu, sur lequel le dirigeant s’engage.

Les objec­tifs de négo­ci­a­tion (quan­ti­tat­ifs et qual­i­tat­ifs) et la stratégie la plus adap­tée sont alors iden­ti­fiés. Cette étape est néces­saire pour se lancer dans une négo­ci­a­tion qui, bien pré­parée et con­duite, pour­ra assur­er la sécu­rité finan­cière atten­due tout en enrichissant son expérience.

Un art contre-intuitif

Domin­er ses sentiments
Au moment clé de la négo­ci­a­tion, le risque est grand de se laiss­er emporter par l’é­mo­tion, la colère, de s’op­pos­er à ses inter­locu­teurs, de leur dire leurs qua­tre vérités, de répon­dre pied à pied. Cette réac­tion humaine et habituelle n’est générale­ment pas la plus efficace.

Quelle pos­ture adopter ? C’est en dom­i­nant son émo­tiv­ité que l’on retrou­ve force et puis­sance de façon à dévelop­per des rela­tions de qual­ité avec les négo­ci­a­teurs, éviter les guer­res de posi­tion, chiffr­er ses propo­si­tions et faire preuve de souplesse.

Il est essen­tiel de tra­vailler la qual­ité de la rela­tion avec ses inter­locu­teurs, d’en­ten­dre leurs argu­ments, de les remerci­er d’une propo­si­tion sig­ni­fica­tive, d’être atten­tif à ce qui est ren­voyé par les inter­locu­teurs. En exp­ri­mant posé­ment les sen­ti­ments que nous inspire la sit­u­a­tion et en posant des ques­tions pour explor­er le ter­ri­toire de l’autre, on décou­vre bien des aspects du prob­lème (et de sa solu­tion) que la colère non maîtrisée ne lais­sera pas deviner. 

Justifier ses demandes

Bench­mark­ing
Pour s’as­sur­er de la per­ti­nence des don­nées et mon­tants évo­qués de part et d’autre, on s’ap­puie sur des critères d’équité : mon­tants sus­cep­ti­bles d’être octroyés par un tri­bunal, pra­tiques de l’en­tre­prise, pra­tiques du marché. Ce tra­vail qui crédi­bilise le dis­cours et assoit l’analyse des propo­si­tions de l’en­tre­prise est une dimen­sion impor­tante du tra­vail pré­para­toire. Grâce à mon expéri­ence, je dis­pose d’élé­ments utiles à cet indis­pens­able exercice.

Plutôt que de s’arc-bouter sur des posi­tions, il con­vient de pos­er ses attentes et préoc­cu­pa­tions (finan­cières, en ter­mes d’im­age de soi, de répu­ta­tion) afin d’ar­riv­er à un bon accord, tout en restant à l’é­coute de celles de l’en­tre­prise. Base d’un accord mutuelle­ment accept­able, cette démarche pos­i­tive ouvre l’e­space de solu­tions créatives.

Quand il fau­dra en arriv­er à des propo­si­tions con­crètes et à des chiffres, le dirigeant a tout intérêt à dis­pos­er d’un max­i­mum de références chiffrées per­me­t­tant de jus­ti­fi­er ses demandes.

Souplesse et patience

Rester sere­in sur la rela­tion, exigeant sur le fond, sou­ple dans le mou­ve­ment et dans la tac­tique, cela donne puis­sance et effi­cac­ité dans la négociation.

Toute déci­sion est précédée de temps, même courts, de réflexion

Toutes antennes sor­ties, il est utile de jouer sur les rap­ports dans l’en­tre­prise, de faire levi­er avec dif­férents acteurs internes. À aucun moment, il ne faut décrédi­bilis­er ses inter­locu­teurs directs. De plus, jamais prise dans l’in­stant, toute déci­sion est précédée de temps, même courts, de réflexion.

Enfin, si l’in­ter­locu­teur use de tac­tiques déloyales de coerci­tion, de pres­sions et d’at­taques per­son­nelles, je peux rapi­de­ment pren­dre le relais et négoci­er directe­ment avec l’en­tre­prise ou son représentant.

Un nouveau départ

Cette approche incon­di­tion­nelle­ment con­struc­tive per­met de garder le con­trôle sur la négo­ci­a­tion et rend crédi­ble la fer­meté dans la défense de ses intérêts tout en favorisant la créativité.

Les dirigeants que j’ai ain­si accom­pa­g­nés témoignent que cette démarche les aide à pass­er de la réac­tion, très humaine mais pas tou­jours effi­cace, à l’ac­tion stratégique. La rup­ture per­met alors d’as­sumer le passé et devient une étape clé dans la pré­pa­ra­tion de l’avenir. C’est une grande ver­tu que savoir ” éprou­ver l’épreuve “.

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