La fin de la vie professionnelle : s’y préparer et en profiter

Dossier : Gestion de carrièreMagazine N°659 Novembre 2010
Par Bernard DUBOIS (64)

REPÈRES

REPÈRES
La France compte aujour­d’hui plus de 15 mil­lions de retraités, soit près d’un Français sur qua­tre. Mais les retraités oisifs sont rares. Beau­coup sont enclins à pour­suiv­re une activ­ité pro­fes­sion­nelle, encour­agés en cela par la loi qui, depuis le début de 2009, les autorise à cumuler leurs pen­sions avec les revenus d’une activ­ité pro­fes­sion­nelle, sans aucune restric­tion. D’autres se tour­nent vers des activ­ités bénév­oles : sur les 15 mil­lions de bénév­oles, près de la moitié a plus de 55 ans.

La retraite, quel mot pour désign­er la fin de la vie pro­fes­sion­nelle ! Quand finit-on vrai­ment sa vie pro­fes­sion­nelle ? Est-ce au soir du pot de départ offert par l’en­tre­prise recon­nais­sante ou quand, plus tard, con­statant que la mémoire flanche et que les forces nous quit­tent, ou qu’on ne nous regarde plus vrai­ment, il faut pour de bon démis­sion­ner de ses man­dats ou fonc­tions ? Il n’y a plus alors qu’à se repli­er sur son jardin pour le cul­tiv­er avec encore peut-être une petite place pour le bénévolat où l’on embauche à tout âge. Au-delà de l’am­biguïté des mots, recon­nais­sons qu’il y a une coupure sym­bol­ique mais forte, le jour où l’on n’a plus ses insignes de pou­voir et de notoriété : plus de bureau, plus d’as­sis­tante, peut- être même plus de voiture de fonc­tion et surtout plus de pro­gramme de tra­vail tout tracé et plus de rôle à jouer. Qui n’a pas eu cette impres­sion de vide bru­tal, d’inu­til­ité, de silence, enfer­mé dans son chez soi ? Finie la ras­sur­ante appar­te­nance à une struc­ture qui, mal­gré les risques à pren­dre et les respon­s­abil­ités (allez, on aime bien cela, hein ?), pro­cure un bon con­fort douil­let et rythme nos journées de ses rites bien définis. 

Une nouvelle tranche de vie

Il est vrai que les paramètres changent : les vies pro­fes­sion­nelles ne sont plus un long fleuve tran­quille et nous abor­dons l’âge de la retraite dans des con­di­tions très dif­férentes selon le nom­bre d’ac­ci­dents de car­rière — quand ce n’est pas de san­té — que nous avons dû surmonter.

Il faut relâch­er la pres­sion sur notre organisme

En plus, la per­spec­tive d’une retraite tran­quille a dis­paru car elle s’al­longe et il faut vrai­ment la con­sid­ér­er comme une nou­velle tranche de vie à part entière : pensez donc, en moyenne une demi-vie pro­fes­sion­nelle de plus avec les espérances de vie que l’on nous prédit. Et pour peu que Ç l’on fasse atten­tion È on peut vivre cen­te­naire, bien soigné, entouré par sa nom­breuse et aimante progéniture. 

Regarder la réalité en face

Alors que faire ? Dédrama­tis­er, tout est dans le men­tal, comme pour les sportifs. Tout d’abord, telle­ment occupés à attein­dre nos objec­tifs et à défendre notre ÇmaisonÈ nous oublions que le temps passe inex­orable­ment et qu’il y aura bien un moment où il fau­dra relâch­er la pres­sion sur notre organ­isme sur lequel on a tiré et tiré sans réfléchir. Donc, pre­mier point, regarder la réal­ité en face, ne pas refouler au fin fond de notre con­science ce petit appel à réfléchir à la suite. Il n’y a en effet pas de rai­son de ne pas le faire : de même que l’on a plan­i­fié sa car­rière pro­fes­sion­nelle, il faut un peu plan­i­fi­er sa vie. Donc, ce qui arrive est nor­mal, dans l’or­dre des choses, il n’y a pas de rai­son de l’occulter. 

Page blanche

Une vision à court terme
Notre époque est toute con­cen­trée sur le court terme, avide de savoir en temps réel tout ce qui se passe dans le monde pour réa­gir au quart de tour. Le long terme et la plan­i­fi­ca­tion n’in­téressent plus guère. Pas éton­nant dans ces con­di­tions que nous oublions la réal­ité de notre vie ter­restre et que nom­bre de nos cama­rades sont désem­parés quand ils se retrou­vent à nou­veau seuls sans organ­i­sa­tion à laque­lle se raccrocher.

Deux­ième­ment, il ne faut pas refer­mer son hori­zon sur la seule vie pro­fes­sion­nelle. Je sais bien que beau­coup ont une pas­sion, un vio­lon d’In­gres, un jardin secret pour se repos­er du tra­vail haras­sant. Cer­tains mêmes arrivent à assur­er une activ­ité par­al­lèle qu’ils comptent bien dévelop­per plus tard. Il y a donc bien sûr toutes sortes de cas mais, tous, nous devons con­sid­ér­er notre envi­ron­nement com­plet. Nous avons une famille, des amis, nous appartenons à des groupes, nous sommes géo­graphique­ment situés ; nous avons des tal­ents, des pro­jets, des envies non sat­is­faites faute de temps. Surtout, nous avons emma­gas­iné un fan­tas­tique cap­i­tal de savoir-faire, d’ex­péri­ences, de sagesse même, appuyés sur un grand réseau de rela­tions nouées tout au long de notre car­rière. Tout cela devrait être présent à l’e­sprit à tout âge ; mais il est essen­tiel de bien l’ap­préhen­der à cette péri­ode, quand on sent qu’une nou­velle page va devoir s’écrire. Et elle est blanche, il faut presque faire comme pour un bilan de com­pé­tences : se forcer à met­tre noir sur blanc tout ce qui nous ” fait ” à ce stade. C’est le sec­ond point : exam­in­er son développe­ment inté­gral en inclu­ant tous les aspects de sa per­son­nal­ité et de son environnement. 

Se prendre en main

Troisième­ment, il faut con­tin­uer à pren­dre les choses en main : notre volon­té et notre déter­mi­na­tion sont intactes. Il faut garder le même état d’e­sprit que quand il fal­lait décrocher son tra­vail ou sa pro­mo­tion avec toute­fois un énorme avan­tage cette fois-ci : à quelques mal­heureuses excep­tions près, il n’y a plus de pres­sion financière.

Nos choix doivent nous amen­er à une vraie sérénité

Même si les régimes de retraite vont souf­frir, nos vieux jours sont assurés. On a donc le choix. Cela implique un cer­tain effort pour chercher ce qui nous con­vien­dra le mieux sans se jeter sur la pre­mière sol­lic­i­ta­tion venue, tant est grande l’an­goisse de n’avoir plus rien à faire. Pour cela il faut garder un cer­tain rythme et ne pas per­dre ses bonnes pra­tiques de méth­odes de tra­vail effi­cace et rapi­de, ce qui implique en par­ti­c­uli­er de garder une bonne forme physique. Plusieurs cama­rades l’ont vécu : dire oui trop vite à tout con­duit à être débor­dé et à se charg­er d’ac­tiv­ités qui nous assom­ment parce que sans intérêt ou peu con­formes, finale­ment, à nos aspirations. 

Un monde autre

À cha­cun selon ses goûts
Il n’y a aucune honte à pren­dre du temps pour soi, à prof­iter de la vie comme l’on dit, à voy­ager, à faire du sport, bref à assou­vir toutes les frus­tra­tions que l’on a accu­mulées après des semaines et des semaines trop chargées. Il n’y a aucune honte non plus à vouloir se sen­tir utile.

Qua­trième­ment, il faut recon­naître que l’on entre dans un monde nou­veau que l’on ne con­naît pas et qui a des règles de fonc­tion­nement très dif­férentes. Le monde asso­ci­atif, les organ­i­sa­tions phil­an­thropiques ne se gèrent pas comme des entre­pris­es. Sou­vent aus­si on décou­vre un peu piteuse­ment que l’on ne nous a pas atten­dus et qu’il n’y a pas for­cé­ment tout de suite la place et l’au­torité qui con­vi­en­nent à nos mérites et à notre statut, éminem­ment grands bien sûr. Qui n’a pas fait l’ex­péri­ence de la ver­tu d’hu­mil­ité à cette occa­sion ? Il ne faut donc pas sous-estimer le temps que prend cet appren­tis­sage. C’est comme ren­tr­er dans un dif­férent secteur d’ac­tiv­ité : il faut en com­pren­dre les règles, en repér­er les acteurs, se pénétr­er de l’his­toire et bâtir sa stratégie d’approche. 

Trouver une harmonie

Don­ner sens à sa vie
L’homme, cet ani­mal pen­sant, ne peut pas ne pas se pos­er con­sciem­ment ou non la ques­tion du sens de sa vie. Quelle que soit la foi à laque­lle il adhère, sa rai­son de vivre jus­ti­fiera et expli­quera ses actions. Il sera heureux dans la mesure où elles cor­re­spon­dront à ses aspi­ra­tions pro­fondes ; et c’est cette har­monie que sa con­science lui fera ressen­tir en lui procu­rant paix et joie.

Tout cela est très bien mais com­ment s’y pren­dre ? Oh ! il n’y a pas de feuille de route stan­dard ni de recette. Mal­gré les pré­cau­tions évo­quées ci-dessus, il y aura autant de solu­tions que de tem­péra­ments et de goûts.

La vie, c’est le mou­ve­ment et la rencontre

C’est ce qui fait d’ailleurs le charme de cette nou­velle tranche de vie : une grande var­iété de voies rend tout pos­si­ble ou presque et l’on retrou­vera dans ses amis une grande richesse à cette diver­sité. Car tous, nous souhaitons, tant que notre san­té et celle de nos proches le per­me­t­tent, avoir une vie épanouie et heureuse. Et ce sera un critère fon­da­men­tal d’une “retraite ” réussie : est-ce que nous sommes heureux ? Et com­ment s’en ren­dre compte sinon en sen­tant intime­ment que nos choix sont les bons, c’est-à-dire qu’ils nous pro­curent paix intérieure et joie. Voilà les deux critères fon­da­men­taux d’un bon dis­cerne­ment. Out­re qu’ils ne con­tre­vi­en­nent pas aux lois aux­quelles nous adhérons, nos choix doivent nous amen­er à une vraie sérénité et nous pro­cur­er une joie intense, ressen­tie au plus pro­fond de nous-mêmes. 

Une nouvelle relation aux autres

Pseu­do-retraité avec sa ton­deuse à gazon jaune et rouge.

Pour­suiv­ant cette réflex­ion je livre quelques clés plus per­son­nelles espérant qu’elles peu­vent être utiles. La vie pro­fes­sion­nelle peut bien sûr pro­cur­er de grandes joies. Mais le rythme et la den­sité de l’emploi du temps sont tels que les rela­tions sont trop fugi­tives et ne peu­vent sou­vent pas être appro­fondies ou sont bridées par le risque d’en per­turber leur car­ac­tère pro­fes­sion­nel. Une fois dégagées de ces oblig­a­tions, les rela­tions avec les autres demeurent bien sûr tou­jours respon­s­ables mais elles sont bien plus libres donc bien plus pais­i­bles et décon­trac­tées car il n’y a plus le car­can de la défense des intérêts de l’en­tre­prise. En par­ti­c­uli­er, on peut plus facile­ment quit­ter le ter­rain de l’ef­fi­cac­ité pure et pren­dre plus de temps pour la spécu­la­tion intel­lectuelle, l’é­coute et le débat. De plus appa­raî­tra cer­taine­ment le sen­ti­ment fort d’avoir, dans l’ensem­ble et en général, eu beau­coup de chance et d’être légitime­ment fier de sa car­rière et de ses réal­i­sa­tions. À mon sens, il en découlera une forme de recon­nais­sance pour la société et un désir, peut-être, de faire béné­fici­er les généra­tions suiv­antes de notre savoir-faire. 

Stoïcisme et entrepreneuriat

Laiss­er une trace
Si en plus cela flat­te un peu notre ego, pourquoi ne pas assou­vir notre désir de laiss­er une trace der­rière nous, c’est bien humain. Pour cer­tains ce sera sim­ple, leurs organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles faisant naturelle­ment appel à leur exper­tise. Les autres con­stateront vite que les struc­tures pour met­tre son expéri­ence au ser­vice des autres ne man­quent pas.

Voilà quelques réflex­ions venues après quelques années de “retraite”; même si je n’aime tou­jours pas le mot, je dois recon­naître que la var­iété et la pro­fondeur des rela­tions que je développe rem­plis­sent à la fois mes journées et mes ambi­tions. Le temps passe tou­jours aus­si vite mais sans stress et j’éprou­ve une grande joie à me sen­tir utile. C’est mer­veilleux de maîtris­er ses horaires, de saisir les occa­sions qui se présen­tent, de pren­dre le temps de savour­er les ren­con­tres, de prof­iter de sa famille et de ses amis, de lancer de nou­veaux pro­jets. Bref, c’est un mélange de stoï­cisme (prof­iter du moment présent) et d’en­tre­pre­neuri­at (pro­jets que l’on con­tin­ue à lancer). La vie, a dit quelqu’un, c’est le mou­ve­ment et la rencontre.

Commentaire

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Denis OULESrépondre
3 novembre 2010 à 18 h 15 min

Super, Bernard !
Peut être des exem­ples d’ac­tiv­ités par Pierre, Paul, François et d’autres auraient illus­tré ton propos…

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