Méthodes épidémiologiques : une indispensable rigueur

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Denis HÉMON, directeur de l'unité de recherches épidémiologiques et statistiques sur l'environnement et la santé de l'INSERM.

Des populations hétérogènes

Les pop­u­la­tions humaines sont con­sti­tuées d’in­di­vidus présen­tant une extra­or­di­naire vari­abil­ité :

  • con­sti­tu­tion, génétique,
  • âge, sexe,
  • car­ac­téris­tiques socio-économiques,
  • expo­si­tion antérieure et actuelle à de mul­ti­ples agents de l’environnement,
  • habi­tudes de vie (ali­men­ta­tion, tabac, alcool…),
  • antécé­dents médicaux,
  • con­som­ma­tion médicamenteuse,
  • modal­ités d’ex­po­si­tion à l’en­vi­ron­nement étudié (nature pré­cise de l’ex­po­si­tion, inten­sité, fréquence, durée d’ex­po­si­tion, voies de pénétration…).


Une très petite par­tie de ces fac­teurs est con­nue, la grande majorité ne l’est pas. Ils sont autant de sources de vari­abil­ité de la réponse de dif­férents indi­vidus à une même expo­si­tion envi­ron­nemen­tale. Il n’est pas pos­si­ble de prédire qui sera ou ne sera pas atteint par une patholo­gie du fait d’une expo­si­tion envi­ron­nemen­tale. On s’in­téresse au risque de patholo­gie dans une population.

Une conjonction de facteurs

Un grand nom­bre d’altéra­tions de la san­té tien­nent à la con­jonc­tion de l’ex­po­si­tion à plusieurs fac­teurs, la plu­part incon­nus ; une même patholo­gie peut provenir selon les indi­vidus d’ex­po­si­tion à des ensem­bles dif­férents de fac­teurs ; elle com­porte une part pure­ment “aléa­toire”, non explic­a­ble par des fac­teurs car­ac­térisant l’in­di­vidu dans son ensemble.

L’é­tude des risques au niveau des pop­u­la­tions per­met d’i­den­ti­fi­er des caus­es d’ac­croisse­ment de ces risques alors même que l’ensem­ble des fac­teurs de risque, des voies éti­ologiques et des mécan­ismes qui régis­sent la com­posante pure­ment aléa­toire des risques res­teront large­ment inconnus.

Études épidémiologiques descriptives

Elles con­sta­tent la fréquence des patholo­gies, les vari­a­tions selon des car­ac­téris­tiques col­lec­tives glob­ales et les fac­teurs de vari­a­tion selon la dis­tri­b­u­tion indi­vidu­elle des niveaux d’exposition.

L’é­tude de la mor­tal­ité par le can­cer de la vessie dans dif­férents comtés du Roy­aume-Uni selon l’im­por­tance rel­a­tive d’un secteur indus­triel est un exem­ple de la méthode de prise en compte des vari­a­tions géographiques.

De telles études sont de sim­ples con­stats, insuff­isants pour rechercher les caus­es d’une pathologie.

Pro­duc­tion de col­orants et pigments
Rap­port com­para­tif de mor­tal­ité à celle de la pop­u­la­tion générale Nom­bre de comtés % de salariés dans< la production
< 0,80
0,80- 0,99
1,00–1 ‚19
> 1,20
21
59
44
17
0,03%
0,05 %
0,20 “la
0,40 %

Études épidémiologiques analytiques

Elles visent à cern­er une rela­tion entre une patholo­gie et un fac­teur de risque en con­statant des fréquences dans des col­lec­tions d’in­di­vidus sur lesquels on recueille le max­i­mum d’information.

On utilise des études de cohorte en suiv­ant un groupe pen­dant une longue péri­ode, comme dans l’ex­em­ple des “médecins fumeurs”.

Les études de cas-témoins com­par­ent les fréquences d’une patholo­gie entre groupes exposés non exposés à un fac­teur de risque ou groupes malades non malades selon les fac­teurs d’exposition.

Par exem­ple le suivi pen­dant dix ans d’in­di­vidus répar­tis en deux groupes selon l’ex­po­si­tion au sul­fure de car­bone (CS2) a per­mis de con­stater un risque relatif de décès par mal­adie coro­nar­i­enne de 2,6, valeur qui s’avère indépen­dante des autres fac­teurs de risques.

Ces études per­me­t­tent d’éval­uer des rela­tions dose-effet. Par exem­ple, l’é­tude de la mor­tal­ité par can­cer du poumon des indi­vidus exposés aux fibres d’ami­ante selon l’ex­po­si­tion cumulée (fibres/ml x 50 ans) per­met d’établir la rela­tion ci-dessous :

L’é­tude d’ex­po­si­tions simul­tanées per­met de décel­er des inter­ac­tions et d’é­val­uer d’éventuels effets mul­ti­pli­ca­teurs que l’on con­state par exem­ple pour le risque relatif de mor­tal­ité par can­cer du poumon chez les mineurs d’uranium.

Con­som­ma­tion de tabac Expo­si­tions cumulées
(mois x niveau)
< 360 360 — 1800 > 1800
Non-fumeurs
1 à 9 cigarettes/jour
20 cig­a­rettes et plus
1,0
7,9
13,6
4,3
5,7
23,4
6,9
41,5
66,5


Mais il est heureuse­ment des études qui appor­tent une touche opti­miste. Par exem­ple celle qui com­pare l’évo­lu­tion du risque relatif de décès par mal­adies car­dio­vas­cu­laires à celle de la con­cen­tra­tion aéri­enne de sul­fure de carbone.

Des constats réalistes…

Plus le risque relatif est faible, plus les moyens à met­tre en œuvre sont impor­tants. On admet qu’un risque relatif inférieur à 2 impose une méthodolo­gie par­ti­c­ulière­ment rigoureuse.

Pour les rela­tions envi­ron­nement- san­té, l’épidémi­olo­gie permet :

— de regarder ce qui se passe pour l’homme lui-même,
— dans ses con­di­tions d’ex­po­si­tion réelles,
— en présence de la myr­i­ade des autres fac­teurs de risque envi­ron­nemen­taux … et con­sti­tu­tion­nels (mod­u­lant la sen­si­bil­ité per­son­nelle aux fac­teurs environnementaux).

… nécessitant une grande rigueur

Il est indis­pens­able de repren­dre l’ensem­ble des études sur le même sujet et si l’on con­state une inco­hérence d’en rechercher les caus­es. Il faut enfin s’in­former pour savoir s’il existe une expli­ca­tion phys­i­ologique plausible.

Pour dimin­uer l’in­cer­ti­tude attachée aux résul­tats, l’épidémi­ol­o­giste doit étudi­er les sources de vari­a­tion indépen­dantes de la cause, qui con­stituent le “bruit de fond” :

— aléa sta­tis­tique dû à la dimen­sion de l’échantillon,
— biais sur le mode de sélection,
— mau­vaise représen­ta­tion du phénomène par insuff­i­sance de la qual­ité de la mesure des facteurs,
— con­fu­sion si la cause pré­sumée masque un autre phénomène.

Poster un commentaire