Toxicité des NOx

Dossier : Environnement et santé publiqueMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Professeur Étienne Fournier, professeur honoraire de clinique toxicologique, membre de l'Académie nationale de médecine.

Monsieur le Professeur, lors de la réunion-débat du 3 juin dernier, vous avez évoqué les dangers attribués à de faibles doses de toxiques, nocivité trop souvent évaluée par simple extrapolation ? Pouvez-vous nous donner, sans termes trop savants, un exemple d’évaluation toxicologique ?

Monsieur le Professeur, lors de la réunion-débat du 3 juin dernier, vous avez évoqué les dangers attribués à de faibles doses de toxiques, nocivité trop souvent évaluée par simple extrapolation ? Pouvez-vous nous donner, sans termes trop savants, un exemple d’évaluation toxicologique ?

Pro­fesseur Fournier : Essayons en quelques min­utes de par­courir la tox­i­colo­gie appliquée à notre envi­ron­nement avec l’ex­em­ple des oxy­des d’a­zote. Le sujet est à la mode. On en par­le à pro­pos de la pol­lu­tion de l’air, des mal­adies res­pi­ra­toires. C’est un des paramètres de notre sécu­rité et de notre con­fort. En out­re, c’est un thème qui vient de faire obtenir un prix Nobel de médecine aux décou­vreurs de leur rôle dans l’organisme.

Il y a de nombreux oxydes d’azote !

Mon pro­pos con­cerne les mélanges de NO et de NO2, les vapeurs rouss­es du petit chimiste, que l’on désigne par le sigle sim­plifi­ca­teur de NOx.

Pro­fesseur Fournier : Si toutes ces molécules N2O, NO, NO2, N2O3, N2O5 par­ticipent à des cycles naturels d’une impor­tance biologique con­sid­érable pour les végé­taux, elles ne sont pas toutes tox­iques pour l’homme. Le pro­toxyde d’a­zote, N2O, le gaz hila­rant, n’est pas émis à un taux notable dans les gaz d’échappe­ment ; le taux nor­mal tro­posphérique est 0,25 ppm. S’il con­tribue théorique­ment, et peut-être puis­sam­ment, à “l’ef­fet de serre”, il ne saurait être tox­ique pour l’homme : il a été util­isé comme anesthésique à des con­cen­tra­tions con­sid­érables (50 %, 70 %, 700 000 ppm).

Vous parlez de ppm, alors que les valeurs limites normalisées sont exprimées en µg/m3.

Pro­fesseur Fournier : Un ppm représente une par­tie par mil­lion en vol­ume, soit 1 cm3 par m3, un ppb une par­tie par bil­lion, soit mille fois moins. Le poids par m3 d’air d’un con­t­a­m­i­nant gazeux dépend évidem­ment de son poids molécu­laire, ce qui est un peu gênant pour les mélanges en pro­por­tions vari­ables. Par exem­ple 1 cm3 de NO2 pèse env­i­ron 2 mg, soit 2 mg/m3 pour un ppm.

Quelle concentration dans l’air que nous respirons ?

Pro­fesseur Fournier : Les dis­cus­sions actuelles por­tent sur des con­cen­tra­tions courantes allant de 10 à 200 ppb, soit, s’il s’ag­it essen­tielle­ment de NO2 entre 20 et 400 µg/m3 de “pol­lu­ant”, terme évidem­ment très laid mon­trant bien le danger.

Sachant qu’à chaque res­pi­ra­tion un humain inhale env­i­ron 0,5 litre d’air et qu’il respire seize fois par minute, nous inhalons env­i­ron 10 à 200 µg de con­t­a­m­i­nant par heure.

Est-ce dangereux ou non ?

Pro­fesseur Fournier : Nous allons chercher à le savoir. Respirons des vapeurs rouss­es. Nous tou­s­sons du fait d’une irri­ta­tion très intense et nous asphyx­ions très rapi­de­ment, intox­i­ca­tion mortelle, les NOx réagis­sant très rapi­de­ment sur tous les com­posants biologiques.

Donc substances épouvantables.

Pro­fesseur Fournier : Sans aucun doute, et cela en descen­dant jusqu’à des con­cen­tra­tions assez bass­es que les tox­i­co­logues indus­triels fix­ent vers 20 ppm. C’est un seuil très grossier d’in­tox­i­ca­tion aiguë recon­nu couram­ment avec des gaz de com­bat comme le chlore.

Qu’en est-il pour les industries chimiques qui ont longtemps dégagé des oxydes d’azote sans décimer leur personnel ?

Pro­fesseur Fournier : Les tox­i­co­logues dis­ent qu’il existe une rela­tion dose-effet et con­sta­tent qu’en dessous d’une cer­taine con­cen­tra­tion les médecins ne voient plus rien ; médecins et hygiénistes indus­triels ont ain­si con­fron­té leurs expéri­ences sur un siè­cle et ont fixé, avec des coef­fi­cients de sécu­rité pour tenir compte des sujets les plus sen­si­bles, des lim­ites impéra­tives : 3 ppm pour les taux tolérables 8 heures par jour pour les activ­ités pro­fes­sion­nelles, 25 ppm pour les taux tolérables très peu de temps, le temps néces­saire pour don­ner des masques de pro­tec­tion aux sauveteurs, évac­uer les usines.

Revenons au cas de la population non exposée professionnellement.

Pro­fesseur Fournier : La masse des NOx for­més et rejetés dans la tro­posphère plané­taire est estimée à 600 mil­lions de tonnes par an, la par­tie rejetée du fait des activ­ités humaines étant de l’or­dre de 60 MT/an, un dix­ième, ce qui est peu pour une civil­i­sa­tion tech­nique grande con­som­ma­trice d’énergie.

L’évo­lu­tion des modes de chauffage a beau­coup réduit les émis­sions en péri­ode froide et l’au­to­mo­bile devient de ce seul fait un fac­teur prépondérant dans les rues, en toute sai­son, si bien que les jour­nal­istes peu­vent con­cen­tr­er l’an­goisse du pié­ton sur la pol­lu­tion auto­mo­bile, quels que soient les pro­grès des motori­sa­tions et des carburants.

Or NOx appa­raît au cours de toute com­bus­tion, explo­sive ou non ; moteur ou cuisinière à gaz, peu importe.

Quels sont les effets respectifs du monoxyde et du dioxyde d’azote aux taux atmosphériques courants ?

Pro­fesseur Fournier : Nuls. Le taux naturel, nor­mal, de NO dans la tro­posphère varie de 0,5–1 ppb (air océanique) à 4 ppb (air con­ti­nen­tal). L’émis­sion totale en France est de l’or­dre de 1 MT/an. En pra­tique, dans les zones urbaines pol­luées, les taux de NO, gaz for­mé préféren­tielle­ment à l’émis­sion des gaz d’échappe­ment, vari­ent actuelle­ment de 10 à 100 ppb en rai­son d’une oxy­da­tion rapi­de par l’oxygène, accom­pa­g­née d’une dilu­tion très rapi­de dans l’air. NO à 10 ppm (100 fois le taux max­i­mum con­staté) n’est pas irri­tant et le métab­o­lisme ultime de NO con­duit à la for­ma­tion de nitrites et de nitrates élim­inés dans l’urine. NO aux con­cen­tra­tions max­i­males trou­vées dans l’air urbain n’a aucune nocivité.

Et le dioxyde ?

Pro­fesseur Fournier : NO se trans­forme rapi­de­ment en NO2 par réac­tion avec l’oxygène de l’air.

Voyons com­ment ce gaz, asphyxi­ant pour de fortes con­cen­tra­tions, peut être toléré sans risque en dessous d’une con­cen­tra­tion plus faible, sim­ple­ment parce que les défens­es phys­i­ologiques des voies res­pi­ra­toires seront efficaces.

Nous por­tons tous un fil­tre res­pi­ra­toire qui part du nez et aboutit à des canaux très fins (quelques micromètres de diamètre), les bron­chi­oles, aux­quelles les alvéoles, poches ultra­fines, s’abouchent. Le fil­tre pul­monaire bronchique est humid­i­fié en per­ma­nence par une sécré­tion muqueuse, le mucus, qui forme une couche con­tin­ue mise en mou­ve­ment par un tapis de cils vibratiles et con­stitue l’ex­pec­to­ra­tion exis­tant chez tous les indi­vidus, même et surtout s’ils sont infec­tés, asth­ma­tiques… En cas d’ir­ri­ta­tion mar­quée, d’in­fec­tion, les bronch­es “bavent” de même qu’un escar­got bave pour se pro­téger si on le place sur un sup­port irri­tant ou agres­sif. Vous tou­ssez et vous crachez. C’est prévu.

Pour nous, tox­i­co­logues, un tox­ique réagis­sant sur un film inerte qui sera élim­iné implique l’ab­sence d’ab­sorp­tion cel­lu­laire, l’ab­sence d’ir­ri­ta­tion. Aucune réac­tion par­ti­c­ulière n’est néces­saire ; donc pas de tox­i­c­ité. Plus la con­cen­tra­tion en NO2 est faible, plus la réac­tion chim­ique reste lim­itée aux pre­mières couch­es molécu­laires de mucus, sans attein­dre les cel­lules. C’est une chimie de sur­face, à deux dimen­sions. Il suf­fit d’un gramme de mucus bien étalé sur les muqueuses pour piéger plusieurs mil­ligrammes de NO2 et puri­fi­er totale­ment les mètres cubes respirés dans une journée.

Mais une très faible partie restante se répartira nécessairement dans les alvéoles où elle atteint les cellules de défense. Si faible sera la concentration résiduelle alvéolaire en NO2, elle n’en reste pas moins un peu nocive.

Pro­fesseur Fournier : Il n’y aurait jamais de risque nul ? La nature est astu­cieuse et complexe.

Revenons à NO et NO2. NO vient d’être recon­nu comme un régu­la­teur phys­i­ologique essen­tiel de la cir­cu­la­tion san­guine, d’où le prix Nobel de médecine. C’est l’in­ter­mé­di­aire act­if de la trini­trine qui n’est que de la très vul­gaire nitro­gly­cérine (Nobel retour­nant à Nobel). Or le rad­i­cal NO° est for­mé en per­ma­nence dans l’or­gan­isme par un groupe d’en­zymes : les NO-syn­thas­es, enzymes oxy­dants puis­sants puisqu’ils réalisent pré­cisé­ment la for­ma­tion de NO à par­tir d’aminoacides. La NO-syn­thase endothéliale nous intéresse beau­coup en tox­i­colo­gie pul­monaire, le poumon étant un réseau con­sid­érable de capil­laires. Capil­laires et cel­lules alvéo­laires for­ment ensem­ble de très fins sachets de deux couch­es très minces provenant de cel­lules aplaties, à tra­vers lesquelles les gaz dif­fusent très rapi­de­ment vers le sang et du sang vers l’air extérieur puisque nous reje­tons du gaz car­bonique, par­tic­i­pant ain­si active­ment au très célèbre effet de serre.

Les macrophages, pre­mières cel­lules de défense situées dans les alvéoles, de leur côté, fab­riquent en per­ma­nence NO, en équili­bre avec NO2 pour tuer cer­tains étrangers indésir­ables. Com­ment alors faire jouer un rôle néfaste à cette molécule phys­i­ologique ? Nous sommes en présence d’une tox­i­c­ité impossible.

D’ailleurs, n’a-t-on pas réal­isé des traite­ments par NO de nou­veau-nés asphyx­iques avec des con­cen­tra­tions effi­caces de 5 à 20 ppm et avec des résul­tats con­sid­érés comme favorables.

Un peu tour de passe-passe, NO sorti du chapeau. Mais le NO2, infiltré et fabriqué ?

Pro­fesseur Fournier : Dans l’or­gan­isme NO s’oxyde très rapi­de­ment en NO2 en présence d’oxygène. Com­ment régler ce prob­lème d’un organ­isme qui “tox­i­fie” NO ? C’é­tait encore prévu.

Il existe dans l’or­gan­isme un équili­bre très affiné entre l’oxy­da­tion de NO par l’oxygène et la réduc­tion du NO2 circulant.

Celle-ci dépend d’une enzyme hépa­tique, le NO2-réduc­tase, qui utilise le glu­tathion réduit, tripep­tide soufré (R‑SH), ubiq­ui­taire dans les cel­lules humaines. Il existe aus­si quan­tité de pro­duits biologiques (acide ascor­bique, vit­a­mine E…) qui réduisent NO2. On les appelle les antioxy­dants — gros suc­cès de diété­tique. Nous arrivons à la con­clu­sion qu’il suf­fi­ra de nous en tenir aux effets de sur­face cel­lu­laire du NO2 pour juger de la dan­gerosité des NOx pour les con­cen­tra­tions mesurées dans l’air extérieur.

Pas de risques de cancers ?

Pro­fesseur Fournier : Pas davan­tage. Pour ini­ti­er un can­cer, il faut au moins inter­venir dans la cel­lule, dans le noy­au, à l’in­térieur et non en sur­face. Il s’ag­it bien d’un seuil absolu. Aucun risque, sauf à imag­in­er des cel­lules qui se can­céris­eraient par le NO, qu’elles sécrètent !

Vous nous avez pourtant dit qu’on tuait assez facilement un humain avec des concentrations somme toute modestes de NO2, quelques dizaines de ppm… Alors où placer votre optimisme ?

Pro­fesseur Fournier : En accep­tant hum­ble­ment les don­nées de la phys­i­olo­gie et de la médecine, comme tou­jours. Voyons les effets expéri­men­taux de con­cen­tra­tions crois­santes de NO2 entre 100 et 20 000 ppb (20 ppm). L’at­teinte cel­lu­laire ini­tiale débute vers 200 à 300 ppb et se man­i­feste pro­gres­sive­ment sur trois zones :

a) la cou­ver­ture, le velours cil­i­aire englué dans le gly­co­ca­lyx, une gelée de pro­tec­tion ; il s’ag­it d’une zone régénérée en permanence ;
b) les mem­branes cel­lu­laires périphériques en général ;
c) les ter­mi­naisons des fibres nerveuses non pro­tégées par la myé­line (répon­dant au sig­nal chim­ique irri­tatif avec toux, réac­tions vas­cu­laires et bronchiolaires).

S’il faut une concentration élevée pour déterminer la toux et les signes cliniques, ceux-ci ne sont pas des paramètres sensibles.

Pro­fesseur Fournier : Assez sen­si­bles pour nous pro­téger, pas assez pour définir une régle­men­ta­tion de pro­tec­tion qui ne doit accepter qu’un effet nul. Pour cer­tains théoriciens, il ne peut y avoir de risque nul. C’est une théorie gra­tu­ite. Pour un médecin, comme nous le con­sta­tons, pour NO2, un effet nul comme réponse de courte durée en dessous de 100–150 ppb, nous traduisons un risque nul ; nous restons à un niveau de lan­gage aisé­ment compréhensible.

Même pour les enfants asthmatiques ?

Pro­fesseur Fournier : Je vous attendais là, à pro­pos des sujets plus sen­si­bles que les autres. Pour les con­cen­tra­tions à effet nul, les con­sid­éra­tions sont les mêmes pour tous. À la con­cen­tra­tion 300 à 500 ppb, le NO2 pénètre plus pro­fondé­ment. Il atteint des ter­mi­naisons sen­si­tives, sources de réflex­es vaso­mo­teurs, en par­ti­c­uli­er dans le nez (sen­sa­tion de nez bouché par dis­ten­sion du tis­su érec­tile) et dans le poumon (en provo­quant une bron­chostric­tion par réac­tion de la mus­cu­la­ture lisse des bronches).

Toutes ces réac­tions sont phys­i­ologiques, con­trôlées et réversibles, con­formes aux sys­tèmes de régu­la­tion et de défense de l’or­gan­isme entier. Que vous soyez asth­ma­tique ou non, il est désagréable d’avoir le nez bouché et les bronch­es ser­rées. Cer­tains asth­ma­tiques réagis­sent forte­ment aux stim­u­la­tions les plus var­iées, en par­ti­c­uli­er aux irri­tants. On par­le d’hy­per­réac­tiv­ité bronchique.

La mal­adie com­mence quand le sys­tème phys­i­ologique, trop sol­lic­ité “aban­donne ou se bloque”.

C’est le cas des enfants atteints de bron­chites chroniques et d’asthmes sévères. Et je suis d’ac­cord pour sup­primer absol­u­ment les pics de pol­lu­tion atteignant 300 à 500 ppb de NO2. Ces pics, poten­tielle­ment nocifs, survi­en­nent quelques jours par an en France, les mau­vais­es années. Je ne par­le que des pics poten­tielle­ment nocifs et non des vari­a­tions plus ou moins pointues restant inférieures aux taux actifs.

Mais, il y a davantage d’asthme chez les enfants.

Pro­fesseur Fournier : Et moins de pol­lu­tion de l’air extérieur, ce qui est au moins para­dox­al si celle-ci était la cause dom­i­nante de l’asthme. Un esprit ordi­naire chercherait ailleurs (ali­men­ta­tion néona­tale, con­t­a­m­i­nants allergènes des habi­ta­tions, par­a­sites per­ma­nents, tech­niques culi­naires) les caus­es du phénomène observé. Ceci dit, les expéri­men­ta­teurs aller­go­logues savent depuis cinquante ans que pour créer une allergie, il est utile et par­fois néces­saire, si l’al­lergène est peu puis­sant, d’employer ce que nous appelons des adju­vants : irri­tants intens­es, éro­sion de la peau.

En out­re l’in­ten­sité des répons­es et le nom­bre de répon­deurs dépen­dent du pro­duit testé et de divers­es com­posantes géné­tiques. La réac­tion d’ir­ri­ta­tion mobilise des cel­lules dites sen­tinelles pour appel­er à l’en­droit du test les cel­lules de l’im­mu­nité. À par­tir de 300–500 ppb, NO2 devrait favoris­er la for­ma­tion de répons­es allergiques et les médecins du tra­vail auraient dû con­stater le fait très aisé­ment chez les ouvri­ers exposés à des taux de NO2 égaux ou supérieurs.

Dans les régle­men­ta­tions des années 70, les taux jugés tolérables et recom­mandés comme max­i­ma accept­a­bles au poste de tra­vail, 8h/jour, étaient égaux ou peu inférieurs à 3 ppm, taux man­i­feste­ment élevé, trop élevé de nos jours où la tolérance sociale s’est forte­ment et juste­ment réduite, mais dif­fi­cile­ment con­trôlé dans les secteurs à émis­sions puis­santes (soudure à l’arc, com­bus­tions et hautes tem­péra­tures). Or les pub­li­ca­tions médi­cales restent ras­sur­antes sur ce point…

Le taux de NO2 dans l’air des villes se situe habituelle­ment entre 50 à 100 ppb. Les plus sérieuses études français­es mon­trent un léger effet aggra­vant sur les asthmes de l’en­fant des taux de pol­lu­tion les plus élevés con­statés à Paris quelques jours par an. Encore faudrait-il ne pas ren­voy­er l’en­fant chez lui si sa mère cui­sine au gaz. Il risque d’y trou­ver 1 000 ppb de NO2 ! Et ne pas faire cir­culer le très rare cycliste parisien der­rière les bus dont les pots d’échappe­ment lui crachent au nez NO et NO2, à moins qu’il s’agisse de volon­taires pour des expéri­ences extrêmes. Il eût été si sim­ple de ramen­er les gaz en haut du véhicule.

Les NOx sont surtout accusés de participer à la formation d’ozone, qui serait un adjuvant des allergies pulmonaires.

Pro­fesseur Fournier : Les réac­tions sont trop com­plex­es pour être exposées en deux phras­es. O3 est un irri­tant pour des taux voisins de ceux act­ifs avec NO2. Sim­pli­fi­ant à l’ex­trême, je vous indique seule­ment une réac­tion dom­i­nante NO3 + O3- —> NO3- + O2, en notant le fait que ces deux pol­lu­ants ne sont pas indépen­dants, se for­ment l’un l’autre et réagis­sent l’un sur l’autre.

Glob­ale­ment, l’air des villes peu pol­luées, comme Paris, s’au­to-épure avec for­ma­tion d’un “puits” d’o­zone. La demi-vie “glob­ale” des oxy­des d’a­zote est de quelques jours, l’évo­lu­tion finale se faisant par oxy­da­tion en un acide nitrique facile­ment neu­tral­isé en nitrates. Le pas­sage aux nitrates, bien qu’il s’agisse d’une “surox­y­da­tion”, sup­prime tout dan­ger pour l’homme.

L’o­zone c’est d’abord la réac­tion de l’at­mo­sphère au ray­on­nement solaire. Le coupable est le Soleil : pho­toac­ti­va­tion, pho­tol­yse. Et le Soleil n’est pas encore un objet d’ex­péri­men­ta­tion à notre portée. De jour se for­ment des rad­i­caux — NO°, O° par exem­ple -, et l’hu­main dis­pose d’un bon équipement antioxy­dant. De nuit se for­ment les nitrates, un peu partout, dans les villes, dans les champs, les forêts, partout.

Revenons-en à NO2.

La Com­mis­sion européenne l’a classé “tox­ique et irri­tant pour les yeux et les voies res­pi­ra­toires”, ce qui est par­faite­ment jus­ti­fié pour les taux égaux et supérieurs à 5–20 ppm.

L’ex­er­ci­ce physique entraîne une aug­men­ta­tion de la ven­ti­la­tion, facilite une plus grande péné­tra­tion alvéo­laire des NOx. Ce sont des évi­dences qui n’ont pas inter­dit la con­struc­tion de grands stades sur sites urbains.

Cependant, on nous met en garde contre des concentrations faibles.

Pro­fesseur Fournier : Il faudrait éviter les procla­ma­tions affolantes men­tion­nant des mil­liers de morts pré­maturées même si elles don­nent quelque piment à l’ac­tu­al­ité. Une sec­ousse de toux est rarement mortelle.

En “dig­i­tal­isant” la médecine, toute mal­adie devient chiffre codé, médecine à nom­breuses incon­nues qui n’a plus besoin que d’une secré­taire et d’un micro-ordi­na­teur pour présen­ter au monde ébloui la loi, le décret ou le règle­ment dit de san­té publique…

Les décideurs français et, regret­tons-le, européens dans leur majorité, ont fait mieux. Ils ont éten­du en sys­tème ce qu’ils appel­lent l’ex­trap­o­la­tion linéaire et la règle de trois est dev­enue toute la médecine. Le procédé, assez sim­ple, est le suivant :

Pour NO2, nous par­tons d’une con­cen­tra­tion qui provoque cer­taine­ment des anom­alies res­pi­ra­toires dans toute la pop­u­la­tion, par exem­ple 6 ppm. À 6 ppm (6 000 ppb) toute la pop­u­la­tion ou presque sera très prob­a­ble­ment forte­ment irritée et tou­ssera. Les tox­i­co­logues con­sultés répon­dent sci­en­tifique­ment et affir­ma­tive­ment : 6 ppm font tou­ss­er. Donc 6 ppm en France = 60 mil­lions de malades. Faisons une extrap­o­la­tion linéaire : si 6 ppm don­nent 60 mil­lions de malades, 0,6 ppm (600 ppb) don­neront 6 mil­lions de malades. Exact ! Et 60 ppb = 600 000. Les cal­cu­la­teurs diront qu’un ppb fait tou­ss­er au moins une fois 10 000 enfants. 10 000 enfants qui tou­ssent, c’est à insér­er dans les journaux.

Alors, ne rien faire ?

Pro­fesseur Fournier : Certes non ! D’abord nous aspirons tous à un envi­ron­nement aus­si pur que pos­si­ble, même si l’ob­jec­tif n’a qu’un sens esthé­tique. Les tox­i­co­logues médecins souhait­ent aus­si une col­lab­o­ra­tion organique avec les ingénieurs pro­fes­sion­nelle­ment intéressés par l’en­vi­ron­nement, en par­ti­c­uli­er avec ceux qui s’ef­for­cent de sup­primer les pro­duits d’échappe­ment auto­mo­bile, et avec les décideurs des mesures à pren­dre pour réduire les nui­sances, en séparant net­te­ment les mesures à pren­dre des propo­si­tions de confort.

Oserais-je men­tion­ner en par­al­lèle de véri­ta­bles caus­es d’in­tox­i­ca­tion res­pi­ra­toire ? Le tabag­isme apporte dans le monde entier une expéri­ence irrem­plaçable de volon­taires payant pour pra­ti­quer pen­dant des années l’in­hala­tion d’un air extrême­ment pol­lué. Inespéré pour un toxicologue.

En admet­tant qu’un fumeur inhale la fumée d’une cig­a­rette en cinq à dix min­utes, on peut admet­tre qu’il inhale en même temps env­i­ron 100 litres d’air, soit très approx­i­ma­tive­ment, en prenant en con­sid­éra­tion les pol­lu­ants nor­maux de la fumée de cig­a­rette et leur dilu­tion “très grossière­ment cal­culée” dans l’air inhalé :

NOx : (0,1 — 0,6 mg) –> 1–6 ppm ; voilà nos NO-NO2,
Acide acé­tique : (0,1 — 1 mg) –> 1 — 4 ppm,
Acide cyan­hy­drique : (0,5 mg) –> 4 ppm,
Ben­zo (a) pyrène : (20–40 ng) –> 200–400 ng/m3,
Par­tic­ules fines (15–40 mg) –> 150 400 mg/m3.

Ceci donne une idée des atmo­sphères très pol­luées, apparem­ment bien tolérées après une “péri­ode d’ap­pren­tis­sage” et cepen­dant tox­iques à terme.

Cette intox­i­ca­tion est bien plus préoc­cu­pante que la pol­lu­tion de l’air des villes par NO2. C’est un vrai prob­lème de san­té publique. Peut-être faudrait-il con­seiller aux par­ents de jeunes asth­ma­tiques de s’ab­stenir de fumer ?

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