Mardiros Dickran Indjoudjian

Mardiros Dickran Indjoudjian (41) Mathématicien, Ingénieur, Visionnaire

Dossier : TrajectoiresMagazine N°744 Avril 2019
Par Pierre LASZLO

Mar­di­ros Dickran Ind­joud­jian est de ces per­son­nages qui sus­citent l’admiration dès qu’on les côtoie. D’une totale inté­gri­té, d’un juge­ment solide et acé­ré, fidèle à ses pré­fé­rences – la Mon­tagne-Sainte-Gene­viève, les mathé­ma­tiques et le bridge qu’il pré­sen­ta régu­liè­re­ment, des années durant, dans La Jaune et la Rouge – et ami­tiés, il fut un arti­san clé de la moder­ni­sa­tion de notre pays lors des trente glorieuses.

Un visionnaire

Cet intel­lec­tuel majeur, ce vision­naire affec­tionne, outre les maths, les grands pro­blèmes de socié­té, qu’il s’agisse de ter­ro­risme ou de construc­tion d’Europe. Sa réflexion est tou­jours lucide, rai­son­née, tour­née vers l’avenir. Un grand ban­quier, comme il le fut pen­dant des décen­nies, est en quelque sorte par fonc­tion, une vigie. Tou­jours très soi­gné, cha­leu­reux, il vous gra­ti­fie d’un verbe et d’une écri­ture impec­cables. Il choi­sit soi­gneu­se­ment ses termes, il m’apprit ce qu’est une apocope.

Son nom le montre, il est d’origine armé­nienne : son père était un anti­quaire, à Paris depuis 1920, qui par­cou­rait l’Empire turc à la recherche de pièces rares. Il fut de la pro­mo­tion 1941, repliée pour sa sco­la­ri­té à Vil­leur­banne. Il s’y adon­na à ses matières de pré­di­lec­tion, l’analyse et l’électromagnétisme. Pour évi­ter d’aller en Alle­magne, il fut tout un temps mineur de fond. Il par­vint ensuite à entrer dans le corps des télé­com­mu­ni­ca­tions, cumu­lant ain­si ses pré­fé­rences scien­ti­fiques et son désir de se col­le­ter avec la vie réelle. Puis, il se don­na un très utile com­plé­ment de for­ma­tion, sui­vant en 1945–1946 les cours de Laurent Schwartz sur sa toute nou­velle théo­rie des distributions.

Des télécoms à la banque

Sa car­rière connut deux cha­pitres, de 1946 à 1957 au CNET de Pierre Mar­zin (25), puis de 1957 à 1992 à la Banque Pari­bas. Durant ces deux périodes, Ind­joud­jian fit énor­mé­ment pour la moder­ni­sa­tion de la France.

Lors de la pre­mière période, il fut l’un des acteurs de la révo­lu­tion télé­pho­nique, conce­vant des cen­traux, nour­ris par des câbles coaxiaux, qui firent pas­ser notre pays de la pré­his­toire – le célèbre 22 à Asnières – au pré­sent. Ce fai­sant, il tint à éla­bo­rer des solu­tions à la fran­çaise, refu­sant toute inféo­da­tion aux Amé­ri­cains. De 1951 à 1953, il devint conseiller tech­nique du ministre des Postes d’alors, Roger Duchet. Il veilla à ce que « les choix de sys­tèmes de com­mu­ta­tion télé­pho­niques soient faits dans des condi­tions tenant compte de l’évolution des tech­niques et don­nant le maxi­mum de chance à l’industrie fran­çaise ». En décembre 1957, il s’exprime vigou­reu­se­ment sur l’urgence d’une ratio­na­li­sa­tion des pro­grammes d’électronique du minis­tère de l’Air.

C’est aus­si durant cette pre­mière période qu’il est aus­si ensei­gnant : d’abord maître de confé­rences d’analyse à l’École des ponts, puis à l’École natio­nale supé­rieure des télé­com­mu­ni­ca­tions. Vers 1954, il suc­cède à Georges Dar­mois à l’Institut de sta­tis­tique de l’université de Paris. Il y ensei­gne­ra sta­tis­tiques et pro­ba­bi­li­tés quinze années durant. L’Ins­ti­tut Hen­ri-Poin­ca­ré est l’un de ses lieux de pré­di­lec­tion. Il y côtoie les mathé­ma­ti­ciens, tant purs qu’appliqués, et s’initie à la recherche opérationnelle.

“Un artisan des trente glorieuses”

La seconde période le trouve chez Pari­bas, où il tra­vaille­ra, avec un égal suc­cès jusqu’à 72 ans révo­lus. Il y entre en 1957, comme fon­dé de pou­voir à la direc­tion indus­trielle ; y deviendra
sous-direc­teur en 1964. Le patron d’alors, Jean Reyre, s’attache à la moder­ni­sa­tion de l’industrie fran­çaise. Il charge MDI de suivre, outre le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions, celui du nucléaire. En 1960, MDI s’adresse à Jacques Lesourne (48), major de sa pro­mo­tion, futur direc­teur du Monde, pour cofon­der une socié­té de mathé­ma­tiques appli­quées, la Sema.

En 1965, il part en mis­sion aux États-Unis étu­dier l’informatique d’une grande socié­té (GE), dans le cadre de négo­cia­tions ardues pour éta­blir des liens en infor­ma­tique entre Bull et Gene­ral Elec­tric. Son rap­port cir­cule dans l’élite diri­geante de notre pays. Dans les années 60, MDI fut pres­sen­ti pour prendre la direc­tion de l’École. Comme haut diri­geant de sa banque, MDI eut jusqu’à 17 man­dats d’administrateur pour le compte de Pari­bas, avec pour mis­sion de valo­ri­ser et de moder­ni­ser ces entreprises.

Notre pays lui doit énor­mé­ment. Je m’honore per­son­nel­le­ment de son ami­tié : full dis­clo­sure, je lui dois, ain­si qu’à Mau­rice Ber­nard (48), mon entrée au comi­té édi­to­rial de La Jaune et la Rouge.


Pour en savoir plus : 

Ind­joud­jian (Dickran), « Dix ans dans le CNET des débuts », dans Réseaux, His­toire, recherche, télé­com­mu­ni­ca­tions, sous la direc­tion de Michel Atten, hors-série 14, 1996, cha­pitre 10, p. 221–233.

« Par­cours d’un grand ban­quier d’affaires », entre­tien de Ber­nard Colasse et Fran­cis Pavé avec Dickran Ind­joud­jian, Annales des Mines, décembre 2000, p. 4–15.

Lesourne (Jacques), Un homme de notre siècle. De Poly­tech­nique à la pros­pec­tive et au jour­nal Le Monde, Paris, Édi­tions Odile Jacob, 2000.

Poster un commentaire