Dickran Indjoudjian

Dickran Indjoudjian (X41) chercheur et banquier d’affaires

Dossier : TrajectoiresMagazine N°784 Avril 2023
Par Gilles COSSON (57)

Décé­dé le 1er jan­vier 2023, Dickran Ind­joud­jian a eu une double car­rière de cher­cheur puis de ban­quier, qui l’amena à jouer un rôle émi­nent dans la moder­ni­sa­tion de notre pays.

Né à Paris le 28 jan­vier 1920, Dickran Ind­joud­jian est issu d’une famille armé­nienne venue s’installer en France pour fuir le géno­cide. À sa sor­tie de l’X, les lois de Vichy ne lui per­mettent pas d’entrer dans un corps car son père n’était pas né en France et il choi­sit de tra­vailler comme mineur de fond pour ne pas aller en Alle­magne. À la Libé­ra­tion, les portes des corps lui sont ouvertes et il choi­sit les Télé­com­mu­ni­ca­tions, consi­dé­rant ce sec­teur comme pro­mis à un brillant ave­nir. Après les deux ans d’école d’application, il entre dans un ser­vice de recherche des PTT qui allait absor­ber le Cnet (Centre natio­nal d’études des télé­com­mu­ni­ca­tions). Il y par­ti­cipe à la créa­tion ex nihi­lo d’un réseau moderne de télé­com­mu­ni­ca­tions, en par­ti­cu­lier de télé­pho­nie à grande dis­tance, avec les pre­miers câbles coaxiaux. Ceux-ci étaient, à l’époque, le moyen moderne de trans­mis­sion et le Cnet essayait de ne pas être tota­le­ment tri­bu­taire des Amé­ri­cains. Appe­lé au cabi­net du ministre des PTT, il est conseiller de Roger Duchet de 1951 à 1953 , puis retourne au Cnet où il a l’occasion de don­ner des cours à l’ENST (École natio­nale supé­rieure des télécommunications).

Du public au privé

Au prin­temps 1957, Dickran Ind­joud­jian entre chez Pari­bas comme fon­dé de pou­voir à la direc­tion indus­trielle où il tra­vaille­ra jusqu’en 1992, à 72 ans révo­lus, d’abord comme fon­dé de pou­voir puis comme sous-direc­teur et direc­teur. Il se trouve au cœur des grandes aven­tures indus­trielles de l’époque dans le sec­teur des télé­com­mu­ni­ca­tions, du nucléaire, de l’informatique – en par­ti­cu­lier le rap­pro­che­ment Bull-Gene­ral Elec­tric –, de l’assurance et des ser­vices, en par­ti­cu­lier avec la créa­tion de la SEMA (Socié­té d’économie et de mathé­ma­tiques appli­quées). C’est là que je l’ai connu. C’était un homme à l’esprit fer­tile, sachant tour­ner autour d’un pro­blème avec la sub­ti­li­té néces­saire pour en faire res­sor­tir toutes les nuances. On entrait chez lui pour prendre une déci­sion sur un pro­blème qui parais­sait simple et l’on décou­vrait che­min fai­sant les innom­brables pos­si­bi­li­tés – et tra­que­nards – que l’on n’avait pas entre­vus. Bref, le pas­sage dans son bureau était tou­jours très enri­chis­sant. Je me sou­viens d’une dis­cus­sion sur la typo­lo­gie des conces­sions auto­rou­tières dans les­quelles l’État délé­guait à diverses socié­tés pri­vées le soin de défi­nir la struc­ture des accords envi­sa­gés, valables pen­dant plu­sieurs dizaines d’années : redou­table pers­pec­tive qui ouvrait la voie à de dif­fi­ciles dis­cus­sions, mais que sol­dèrent in fine des textes soi­gneu­se­ment éla­bo­rés, qui res­tent d’actualité.

Une grande curiosité d’esprit

Esprit curieux, tou­jours à l’affût de la der­nière décou­verte scien­ti­fique ou socio­lo­gique, Dickran Ind­joud­jian a été un des arti­sans les plus réso­lus de la mise en œuvre d’internet dans les années 90, tout en pre­nant soin de suivre pen­dant des années les cours du Col­lège de France, s’agissant aus­si bien des chaires consa­crées aux mathé­ma­tiques et aux sciences infor­ma­tiques que de celles consa­crées à l’économie des ins­ti­tu­tions. Il avait, en matière de bridge, mon­tré aux pro­fes­sion­nels de ce jeu que des mathé­ma­tiques simples pou­vaient trou­ver des solu­tions que les robots d’aujourd’hui résou­draient aisé­ment, mais avec des algo­rithmes plus compliqués !

À la fin de sa longue vie, je lui ren­dais visite dans son bel appar­te­ment de la rue Tour­ne­fort, au centre même du Quar­tier latin où il se sen­tait chez lui, tou­jours accueilli par un grand sou­rire où se lisait la cha­leur humaine qui était sa marque comme celle de son épouse. Sou­cieux de l’avenir de l’Arménie, il réunis­sait par­fois autour de lui des hommes remar­quables qui savaient mieux que d’autres tout ce que ce pays éter­nel­le­ment assié­gé rece­lait de force cachée, d’esprit de résis­tance et d’intelligence.

Mer­ci Dickran pour tout ce que tu nous as appor­té. Nous ne t’oublierons pas.

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