Maîtriser la maladie, de l’animal au végétal

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011
Par Christian DUCROT
Par Christian LANNOU

Parasites et pesticides

Les prob­lèmes san­i­taires liés au développe­ment épidémique de par­a­sites sont prob­a­ble­ment apparus dès la nais­sance de l’agriculture, au Néolithique (Zadoks, 1982, Stuken­brock et al., 2007).

REPÈRES
Depuis tou­jours, l’homme s’est employé à lut­ter con­tre les mal­adies qui rav­agent ses cul­tures ou déci­ment son chep­tel, en fon­dant son action sur la per­cep­tion qu’il avait de l’origine et de la trans­mis­sion de ces mal­adies. L’épidémiologie a struc­turé et for­mal­isé pro­gres­sive­ment des modes d’approche et d’étude de la trans­mis­sion des mal­adies, en emprun­tant, tout en les adap­tant, des méth­odes à l’épidémiologie humaine, à l’écologie et aux sci­ences math­é­ma­tiques. Le développe­ment de l’informatique, de la puis­sance de cal­cul des ordi­na­teurs, et des bib­lio­thèques de logi­ciels con­vivi­aux ont per­mis un développe­ment rapi­de de l’épidémiologie dans le domaine ani­mal et végé­tal au cours des décen­nies passées.

Com­parés aux écosys­tèmes naturels, les agrosys­tèmes offrent en effet des con­di­tions très favor­ables à la prop­a­ga­tion des parasites.

Les pro­grès de l’agriculture ont facil­ité le développe­ment des mal­adies parasitaires

Dans un champ cul­tivé, la même plante est présente à forte den­sité et dans des con­di­tions de fer­til­i­sa­tion et d’irrigation sou­vent favor­ables aux mal­adies. À plus grande échelle, l’uniformisation pro­gres­sive des paysages cul­tivés, avec de larges zones cou­vertes par un petit nom­bre d’espèces, favorise encore la prop­a­ga­tion des par­a­sites. Les pro­grès de l’agriculture mod­erne ont certes per­mis d’accéder à l’autosuffisance ali­men­taire (durant les années 1970 en France), puis à des excé­dents com­mer­ci­aux, mais ils ont eu pour con­séquence néga­tive de faciliter le développe­ment des mal­adies parasitaires.

Néces­saire compréhension
L’épidémiologie végé­tale était une dis­ci­pline rel­a­tive­ment con­fi­den­tielle dans un con­texte où le prob­lème san­i­taire était tech­nique­ment maîtris­able par une pro­tec­tion chim­ique acces­si­ble et rel­a­tive­ment peu coû­teuse. Les choix de société actuels de diminu­tion des apports mas­sifs de pes­ti­cides en agri­cul­ture (Grenelle de l’environnement, plan Eco­phy­to 2018) et les nou­velles régle­men­ta­tions remet­tent au pre­mier plan la ques­tion de la com­préhen­sion et de la maîtrise des épidémies.

La mise au point et l’utilisation mas­sive de pes­ti­cides chim­iques, à par­tir des années 1970, ont per­mis de main­tenir le risque épidémique sous un relatif con­trôle et, sauf acci­dent, d’éviter des pertes majeures. Grâce au pro­grès géné­tique, à l’amélioration de la pro­duc­tiv­ité et à la pro­tec­tion apportée par les pes­ti­cides, le ren­de­ment moyen du blé en France a pu ain­si aug­menter de manière remar­quable­ment con­stante d’environ 1,2 quintal/ha chaque année entre 1950 et 2000. La sit­u­a­tion est cepen­dant en train de chang­er, avec un rejet assez fort des intrants chim­iques par le con­som­ma­teur et le citoyen, accom­pa­g­né d’un refus de solu­tions alter­na­tives apportées par les biotech­nolo­gies, dont les OGM.

Les animaux malades de l’élevage

Dans le domaine ani­mal, l’année 2011 a été décrétée Année mon­di­ale vétéri­naire pour com­mé­mor­er la fon­da­tion à Lyon, il y a deux cent cinquante ans, de la pre­mière école vétéri­naire au monde, par Claude Bourge­lat, écuy­er du roi. L’enjeu était alors de lut­ter con­tre de grandes épidémies, notam­ment la peste bovine, grâce à des mesures découlant directe­ment de ce qui était perçu du mode de trans­mis­sion de la mal­adie ; il s’agissait d’épidémiologie avant la lettre.

De nou­velles pathologies
Les années 1980 et 1990 ont été mar­quées dans les éle­vages par le retour des mal­adies infec­tieuses et l’apparition de mal­adies émer­gentes (ESB, influen­za avi­aire, fièvre catarrhale), qui ont amené les épidémi­ol­o­gistes à se pencher sur l’analyse des con­di­tions d’apparition et de trans­mis­sion de ces mal­adies, dans l’optique de con­trôler ou lim­iter leur transmission.

Au cours du XXe siè­cle, les con­nais­sances sur l’épidémiologie de mal­adies infec­tieuses comme la tuber­cu­lose bovine ont per­mis de met­tre en place de grandes cam­pagnes de dépistage et de lutte qui ont con­duit à la qua­si-dis­pari­tion de cette mal­adie des exploita­tions agricoles.

Plus près de nous, au cours des années 1960 et 1970, l’élevage s’est pro­fondé­ment trans­for­mé et inten­si­fié grâce à divers pro­grès tech­niques en matière de géné­tique des ani­maux, d’alimentation et de loge­ment, per­me­t­tant par exem­ple chez les vach­es une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion laitière annuelle moyenne de 2 000 kilo­grammes à plus de 7 000 kilo­grammes par indi­vidu. Cela s’est accom­pa­g­né d’une aug­men­ta­tion impor­tante de nom­breuses mal­adies dites « d’élevage » ou « mul­ti­fac­to­rielles », comme les trou­bles loco­mo­teurs ou les infec­tions de la mamelle.

L’épidémio-surveillance a pour objec­tif la sur­veil­lance des mal­adies et de leur évolution

Cette sit­u­a­tion a amené le développe­ment d’études épidémi­ologiques sur les fac­teurs de risque de ces mal­adies en vue de pro­pos­er des mesures de préven­tion fondées sur la cor­rec­tion de pra­tiques d’élevage défa­vor­ables. Ces travaux ont été ren­dus pos­si­bles grâce au développe­ment de la puis­sance de cal­cul des ordi­na­teurs actuels et des logi­ciels de sta­tis­tique multivariée.

Surveiller et comprendre

Fondée pour l’essentiel sur l’observation, en oppo­si­tion avec l’expérimentation, l’épidémiologie ani­male a, par­mi ses pre­miers objec­tifs, la sur­veil­lance des mal­adies et de leur évo­lu­tion dans le temps et dans l’espace, appelée épidémio­sur­veil­lance ; pour la plu­part, les mal­adies sur­veil­lées sont infec­tieuses. Entrent dans ce cadre de la sur­veil­lance les dis­posi­tifs per­me­t­tant l’identification la plus pré­coce pos­si­ble des mal­adies émer­gentes (Barnouin et Sache, 2011).

Tests révéla­teurs
La mise sur le marché de tests dits rapi­des, réal­isés de manière sys­té­ma­tique sur l’encéphale des ani­maux morts et à l’abattoir, a été testée en France en 2000 et général­isée en 2001. Ce mode de dépistage a com­plète­ment mod­i­fié l’image qu’on avait de la sit­u­a­tion en révélant l’ampleur du nom­bre d’animaux atteints, jusqu’à 274 en 2002. Une large part des ani­maux atteints était passée inaperçue jusqu’alors.

Sur­veiller cer­taines mal­adies sur le long terme sup­pose d’avoir des moyens sim­ples, peu onéreux et stan­dard­is­és de détecter les ani­maux malades ou les trou­peaux atteints, ce qui pose de nom­breuses ques­tions tech­niques et d’organisation. Les prin­ci­paux écueils tien­nent au fait que toute sur­veil­lance fondée sur le dépistage par l’homme, qu’il soit éleveur ou vétéri­naire, fait appel à un juge­ment et engen­dre invari­able­ment des biais, au nom­bre desquels le degré de vig­i­lance de l’opérateur qui dépend de l’intérêt qu’il porte à la mal­adie. Il est de ce fait sou­vent fait appel à des tests biologiques qui per­me­t­tent de rechercher la présence d’infections de manière sys­té­ma­tique et standardisée.

Une illus­tra­tion tout à fait démon­stra­tive peut être don­née par l’exemple de l’encéphalopathie spongi­forme bovine (ESB ou « vache folle ») (fig­ure 1a). Le dépistage des ani­maux atteints a été intro­duit en France en 1990. Fondé dans un pre­mier temps sur l’identification de sus­pects clin­iques, con­duisant à l’euthanasie et à la con­fir­ma­tion du diag­nos­tic grâce à l’examen his­tologique de l’encéphale, ce mode de détec­tion n’a per­mis de détecter au mieux que trente cas par an jusqu’en 1999.

L’exemple de l’ESB illus­tre la dif­fi­culté de met­tre en place une sur­veil­lance fiable, à la fois sen­si­ble, spé­ci­fique et sta­ble dans le temps et l’espace. Pour­tant, ces qual­ités sont indis­pens­ables pour une vision cor­recte de la fréquence de la mal­adie et de son évo­lu­tion. C’est la rai­son pour laque­lle une large part de l’activité de sur­veil­lance con­siste à amélior­er les out­ils et les dis­posi­tifs, à analyser les per­for­mances des tests util­is­ables, à étudi­er la qual­ité et le degré de cou­ver­ture des réseaux de surveillance.

Fig­ure 1 a
Analyse épidémi­ologique de l’encéphalopathie spongi­forme bovine en France
Graphique analyse épidémiologique EBS
Évo­lu­tion du nom­bre de cas détec­tés en France de 1990 à 2002 (sur­veil­lance clin­ique avec con­fir­ma­tion, puis intro­duc­tion des tests rapi­des en 2000, général­i­sa­tion depuis 2001).

Animal versus végétal

Les agents pathogènes évolu­ent vers de nou­velles formes virulentes

Si l’on retrou­ve dans le domaine végé­tal des sit­u­a­tions com­pa­ra­bles – il existe, par exem­ple, des viros­es sur arbres fruitiers qui con­duisent à des dis­posi­tifs de sur­veil­lance très large­ment fondés sur des tests de détec­tion –, le prob­lème de la sur­veil­lance est perçu de manière dif­férente. Les agents pathogènes de plantes sont en grande majorité des champignons micro­scopiques – on compte plus de 8000 espèces –, et dans une moin­dre mesure des virus (500) et des bac­téries (200). Ces par­a­sites ont sou­vent évolué vers des formes très spé­cial­isées, comme l’ont révélé les études de phylogénie.

Pathologies évolutives

S’il est rel­a­tive­ment rare que de nou­velles mal­adies appa­rais­sent, il est en revanche très fréquent que les agents pathogènes évolu­ent vers de nou­velles formes vir­u­lentes, capa­bles d’infecter les var­iétés résis­tantes pro­posées aux agriculteurs.

Évo­lu­tion des parasites
On a mon­tré que la pyric­u­lar­iose du riz, mal­adie dévas­ta­trice causée par un champignon (Mag­na­porthe oryzae), est apparue il y a 5000 à 7000 ans suite au pas­sage de l’agent pathogène d’un hôte sauvage du riz cul­tivé (Stuken­brock et al., 2007). À la fin des années 1980, au Brésil, ce même champignon est devenu pathogène pour le blé.

Une forme par­ti­c­ulière­ment impor­tante de la vig­i­lance exer­cée par les ser­vices tech­niques et les agences de recherche est le suivi de ces nou­velles formes vir­u­lentes dans les pop­u­la­tions (Goyeau et al., 2006). En effet, si l’approche la plus promet­teuse pour réduire l’utilisation des pes­ti­cides est la sélec­tion de plantes résis­tantes aux par­a­sites, l’homme joue avec un cer­tain hand­i­cap : une dizaine d’années est encore sou­vent néces­saire pour sélec­tion­ner une nou­velle var­iété, alors que les par­a­sites s’y adapteront assez facile­ment en trois à qua­tre ans.

Prévenir et conseiller

Une autre forme de sur­veil­lance con­siste à estimer le risque annuel d’épidémie, sur le mode de ce qui se fait dans le cas de la grippe humaine – mais avec moins de moyens. En effet, la plu­part des mal­adies des cul­tures sont récur­rentes et réap­pa­rais­sent chaque année, avec une impor­tance directe­ment liée aux con­di­tions cli­ma­tiques. Rien de tel qu’un hiv­er doux et un print­emps pré­coce pour favoris­er une rouille du blé. Il existe donc des mod­èles de prévi­sion, fondés sur des vari­ables cli­ma­tiques, ain­si que des réseaux d’observations qui per­me­t­tent aux tech­ni­ciens de prévenir et de con­seiller les agriculteurs.

Mécanismes de diffusion et de modélisation

Les approches sont emprun­tées à l’épidémiologie humaine

Un autre volet majeur de l’épidémiologie ani­male con­siste à analyser les fac­teurs impliqués dans la trans­mis­sion des mal­adies, entre ani­maux et entre trou­peaux, ain­si que la dif­fu­sion des mal­adies dans l’espace et dans le temps. Dans ce domaine, les approches util­isées sont directe­ment emprun­tées à l’épidémiologie humaine et reposent sur des études de ter­rain, des méth­odes sta­tis­tiques pour analyser ces don­nées en ten­ant compte de la com­plex­ité des fac­teurs impliqués, et divers types de mod­éli­sa­tion adap­tés aux objec­tifs et aux don­nées disponibles. Une bonne part de ces études repose néan­moins sur la qual­ité des don­nées de sur­veil­lance qui per­me­t­tent d’avoir accès aux ani­maux ou trou­peaux atteints, sans biais de sur- ou sous-représen­ta­tion de cer­tains types d’animaux, trou­peaux ou régions.

Le cas de l’ESB

Dif­férents types d’études mis en oeu­vre sur l’ESB per­me­t­tent d’illustrer la var­iété et la com­plé­men­tar­ité des approches épidémi­ologiques util­isées. Un pre­mier type d’études a été mené à l’échelle des vach­es et des trou­peaux, fondé sur la com­para­i­son des con­di­tions d’élevage entre vach­es atteintes et vach­es non atteintes choisies au hasard par­mi des ani­maux nés la même année. Ces études cas témoins menées en France sur les cas d’ESB nés après l’interdiction des farines ani­males dans l’alimentation des bovins ont per­mis de véri­fi­er l’hypothèse selon laque­lle l’alimentation des vach­es était tou­jours la source d’infection de ces cas, par le fait de con­t­a­m­i­na­tions entre ali­ments fab­riqués pour porcs ou volailles, dans lesquels les farines ani­males étaient tou­jours autorisées, et ali­ments pour bovins dans lesquels elles étaient interdites.

Fig­ure 1 b
Graphique évolution du risque EBS
Évo­lu­tion du risque ESB selon les cohort­es de nais­sance des bovins en France, mod­élisée à par­tir d’un mod­èle âge-péri­ode-cohorte (risque estimé par le odds ratio, référence pour la cohorte née en 1994). Les mesures de lutte con­tre la mal­adie ont été représen­tées sur le graphique à par­tir de leur date de mise en place.

Approches complémentaires

Analy­ses spatiales
Des études sur l’ESB ont été menées à l’échelle de zones géo­graphiques. Ces analy­ses spa­tiales ont été fondées sur l’hypothèse selon laque­lle le risque ESB devait être spa­tiale­ment super­posé aux zones de cha­lan­dise des ali­ments du com­merce d’une usine don­née si la source d’ESB était bien ali­men­taire et liée aux ali­ments de base util­isés et au procédé de fab­ri­ca­tion. Ces études ont en effet mon­tré un risque hétérogène d’ESB sur le ter­ri­toire français, une fois pris en compte la struc­ture de la pop­u­la­tion bovine (den­sité et types de pro­duc­tion), et une rela­tion sta­tis­tique avec l’usage, dans les usines d’aliments du bétail, des farines ani­males pour les ali­ments des­tinés aux porcs et volailles.

Une approche com­plé­men­taire, fondée sur la mod­éli­sa­tion sta­tis­tique, a été menée à l’échelle de la total­ité de la pop­u­la­tion bovine française. Elle a été réal­isée entre autres avec un mod­èle âge-péri­ode-cohorte, pour tenir compte de la durée d’incubation longue et vari­able de cette affec­tion, et décor­ti­quer les effets année de nais­sance et âge à la mal­adie. Ces travaux ont per­mis d’estimer le moment à par­tir duquel le risque d’infection par l’ESB a dimin­ué en France et d’analyser en regard les mesures de con­trôle mis­es en place par les pou­voirs publics (fig­ure 1b). Elles ont mon­tré une forte décrue du risque pour les cohort­es nées à par­tir de 1995, c’est-à-dire au moment du ren­force­ment des mesures régle­men­taires fondées sur l’élimination des cadavres et des abats à risques de la fab­ri­ca­tion des farines ani­males des­tinées aux porcs et volailles, et sur la stéril­i­sa­tion ren­for­cée de ces farines. De fait, cette étude a mon­tré que la diminu­tion très forte du risque n’avait pas atten­du l’interdiction totale de l’usage des farines ani­males pour les ani­maux de ferme, décrétée fin 2000.

De la plante au paysage

Dans le domaine végé­tal, il ne s’agit pas tant d’éradiquer une mal­adie que de dimin­uer de manière générale la sévérité des épidémies. La notion même de mal­adie est en effet assez dif­férente dans les deux domaines. Si, dans la plu­part des cas, un ani­mal est soit sain soit malade, la notion de « plante malade » est en revanche plus dif­fi­cile à définir. Une sim­ple prom­e­nade dans la nature per­met d’observer que la plu­part des plantes ont des feuilles mar­quées de tach­es sus­pectes ou per­forées de trous après le repas d’un insecte. Pour­tant, la plante sem­ble bien se porter et ter­mine son cycle de vie sans difficulté.

Tolér­er la maladie

Une plante de blé dont les feuilles inférieures sont cou­vertes de par­a­sites pro­duira pour ain­si dire le même ren­de­ment qu’une plante saine, car c’est l’activité pho­to­syn­thé­tique des deux feuilles supérieures qui per­me­t­tra le rem­plis­sage des grains. Les pre­mières feuilles n’auront servi qu’à assur­er la crois­sance des suivantes.

Dans un tel con­texte, l’objectif est donc de lim­iter suff­isam­ment le développe­ment des épidémies pour per­me­t­tre un ren­de­ment accept­able économique­ment, et non pas de sup­primer la mal­adie, ce qui serait du reste impossible.

Photo de blé malade
Plantes de blé atteintes de rouille, mal­adie des feuilles causée par un champignon pathogène (Puc­cinia trit­ic­i­na).
© HENRIETTE GOYEAU — INRA

Maîtriser le risque

Jusqu’à présent, le recours aux fongi­cides était la solu­tion idéale. Elle n’est cepen­dant pas applic­a­ble à toutes les sit­u­a­tions. Par exem­ple, il n’y a pas de pes­ti­cide directe­ment effi­cace con­tre les virus. La meilleure approche reste alors le con­trôle san­i­taire et l’élimination des plants ou des semences infec­tées, quand cela est pos­si­ble. D’autre part, la volon­té de réduire le recours aux intrants chim­iques a con­duit les chercheurs et les insti­tuts tech­niques vers deux ori­en­ta­tions com­plé­men­taires, d’une part l’adaptation du mode de con­duite de la cul­ture (par exem­ple en ajus­tant les dates de semis aux péri­odes de moin­dre risque) et d’autre part l’utilisation de var­iétés résistantes.

Variétés résistantes

La notion de « plante malade » est dif­fi­cile à définir

La lutte géné­tique con­siste à dévelop­per de nou­velles var­iétés résis­tantes par sélec­tion, en faisant appel notam­ment à des car­ac­tères de résis­tance dits quan­ti­tat­ifs, qui ralen­tis­sent le développe­ment du par­a­site sans l’empêcher totale­ment. Mais, au-delà de l’approche de sélec­tion pro­pre­ment dite, les recherch­es por­tent actuelle­ment sur la meilleure manière d’utiliser les car­ac­tères de résis­tance géné­tique, en se fon­dant sur la notion cen­trale de diver­sité fonc­tion­nelle. Pour des raisons de sim­plic­ité tech­nique (mais aus­si pour des raisons cul­turelles liées aux efforts d’amélioration des géno­types réal­isés dans le passé), les par­celles cul­tivées sont semées d’une seule var­iété, c’est-à-dire, en général, de plantes d’un même génotype.

Une connaissance pour l’action

L’épidémiologie tient une place impor­tante pour apporter des élé­ments de réponse aux grands enjeux actuels de réduc­tion des pes­ti­cides (pour les plantes) et des médica­ments (pour les ani­maux) en agri­cul­ture. L’objectif cen­tral de la dis­ci­pline est désor­mais la maîtrise de la dif­fu­sion des mal­adies par des moyens non chim­iques, dans un con­texte de change­ment glob­al et d’augmentation des échanges commerciaux.

La notion de « plante malade » est dif­fi­cile à définir

Les travaux sont menés pour con­naître et sur­veiller les risques de mal­adies ain­si que pour com­pren­dre les mécan­ismes de trans­mis­sion et de dif­fu­sion des agents pathogènes, en vue de pro­pos­er des moyens de préven­tion et de con­trôle. Des études d’épidémiologie éval­u­a­tive analy­sent par ailleurs l’impact de mesures de maîtrise, per­me­t­tant une val­i­da­tion a pos­te­ri­ori.

L’objectif est la maîtrise de la dif­fu­sion des mal­adies par des moyens non chimiques

Les travaux d’épidémiologie sont menés en parte­nar­i­at avec les acteurs de ter­rain, agricul­teurs, organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles agri­coles et insti­tuts tech­niques. Leurs résul­tats ali­mentent la réflex­ion et l’expertise auprès des pou­voirs publics, qui sont les ges­tion­naires du risque en ce qui con­cerne les mal­adies régle­men­tées. Il existe par ailleurs d’autres niveaux d’action pour lim­iter les mal­adies non régle­men­tées, depuis l’agriculteur jusqu’aux acteurs des fil­ières de pro­duc­tion et de com­mer­cial­i­sa­tion. Deux domaines con­nex­es de l’épidémiologie requièrent en par­ti­c­uli­er d’être mobil­isés pour raison­ner sur l’action : d’une part l’économie, pour éval­uer l’intérêt des démarch­es de préven­tion et de lutte con­tre les mal­adies pour les dif­férentes caté­gories de pro­tag­o­nistes, et d’autre part la soci­olo­gie, pour analyser les attentes, les per­cep­tions du risque et les logiques d’action indi­vidu­elles et collectives.

Mélange de variétés
Le sim­ple fait de mélanger trois ou qua­tre var­iétés pourvues de fac­teurs de résis­tance dif­férents oppose aux épidémies une résis­tance très effi­cace, qui résulte non pas d’un gène par­ti­c­uli­er mais d’un effet de dilu­tion des propag­ules du par­a­site, qui ne trou­vent une plante sen­si­ble que dans un cas sur trois ou qua­tre. Un rapi­de cal­cul mon­tre que le taux de mul­ti­pli­ca­tion du par­a­site est alors forte­ment dimin­ué. Les chercheurs ont élaboré autour de cette idée de nom­breux travaux, large­ment fondés sur la mod­éli­sa­tion, asso­ciant dynamique des pop­u­la­tions et évo­lu­tion géné­tique (Mundt 2002, Keesing et al., 2006).
La ques­tion est désor­mais portée à l’échelle des paysages agri­coles, dont on se demande s’il est pos­si­ble de les organ­is­er dans le sens d’une moin­dre con­nec­tiv­ité vis-à-vis des trans­mis­sions de mal­adies (Papaïx et al., 2011). Les approches sont ici celles de l’épidémiologie du paysage (land­scape epi­demi­ol­o­gy) et sont essen­tielle­ment basées sur la mod­éli­sa­tion. Ain­si, la thé­ma­tique de recherche cesse d’être pure­ment biologique pour faire appel à la col­lab­o­ra­tion avec les sci­ences sociales ; en effet, il n’est pas envis­age­able de réfléchir sur l’organisation des paysages sans com­pren­dre les con­traintes organ­i­sa­tion­nelles des acteurs de ter­rains et, in fine, sans les associ­er à la démarche.

BIBLIOGRAPHIE

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