Brève histoire de l’épidémiologie avant le XXe siècle

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011
Par Alain-Jacques VALLERON (63)

REPÈRES
Avant d’écrire l’histoire de l’épidémiologie humaine, il faut en don­ner une déf­i­ni­tion : « C’est la sci­ence qui étudie les vari­a­tions de fréquences des mal­adies dans les groupes humains et recherche les déter­mi­nants de ces vari­a­tions. Elle vise en par­ti­c­uli­er à la recherche des caus­es des mal­adies et de l’amélioration de leurs traite­ments et moyens de prévention. »

On peut certes invo­quer Hip­pocrate comme père de l’épidémiologie, puisque, dans son Traité des airs, des eaux et des lieux (400 av. J.-C.), il cher­chait déjà des déter­mi­nants envi­ron­nemen­taux, et non pas seule­ment indi­vidu­els, aux mal­adies. Mais si l’on admet ne par­ler d’épidémiologie en tant que sci­ence qu’à par­tir du moment où des sché­mas obser­va­tion­nels (enquêtes, reg­istres, études), expéri­men­taux (essais thérapeu­tiques com­parés) et théoriques (mod­èles pop­u­la­tion­nels) sont employés, avec des méth­odes de recueil et d’analyse des don­nées adap­tées, c’est au XVIIe siè­cle que l’on voit appa­raître en Angleterre les pre­miers travaux qui seraient classés aujourd’hui comme épidémiologiques.

Bills of mortality

L’Angleterre fut sans doute le pre­mier pays à recueil­lir une infor­ma­tion épidémi­ologique sur les morts. Dès 1538, un doc­u­ment était rem­pli pour chaque décès et des sta­tis­tiques de mor­tal­ité heb­do­madaire et annuelle étaient effec­tuées sys­té­ma­tique­ment. C’est ce qu’on appelait les bills of mor­tal­i­ty. Ces don­nées furent recueil­lies sys­té­ma­tique­ment à Lon­dres après 1592. Le recueil d’informations sur la cause de mor­tal­ité fut effec­tué sys­té­ma­tique­ment à par­tir de 1603.

Au XVI­Ie siè­cle appa­rais­sent en Angleterre les pre­miers travaux épidémiologiques

Ces travaux ini­tient donc ce qu’on appellerait aujourd’hui la sur­veil­lance épidémi­ologique (« proces­sus con­tinu de recueil de don­nées san­i­taires au cours du temps per­me­t­tant de doc­u­menter des change­ments éventuels et de créer des alertes san­i­taires »). Il est remar­quable que, dès cette époque, le bul­letin heb­do­madaire des décès ait été pub­lié à Lon­dres pour ain­si dire en temps réel si l’on se sou­vient que l’on n’eut pas, même à Paris, au cours de la canicule de 2003, l’estimation en temps réel de la mor­tal­ité heb­do­madaire toutes caus­es confondues.

Une parente de l’astronomie

Mais ce sont les travaux de Graunt en 1662 (Nat­ur­al and Polit­i­cal Obser­va­tions… Upon the Bills of Mor­tal­i­ty) qui peu­vent être con­sid­érés comme le pre­mier tra­vail épidémi­ologique (et de démo­gra­phie sta­tis­tique) au sens actuel : en effet, il four­nit une analyse en pro­fondeur de ces bul­letins de mor­tal­ité en éval­u­ant d’une part les sources d’erreurs et de biais qui pou­vaient ren­dre leur inter­pré­ta­tion dif­fi­cile, et en met­tant d’autre part en évi­dence des régu­lar­ités dans les séries de décès et les pics épidémiques, de taille vari­able, qui furent attribués à des épidémies récur­rentes de peste.

L’observation des récur­rences passées per­mit de com­pren­dre que le bul­letin heb­do­madaire de mor­tal­ité n’était pas sim­ple­ment un doc­u­ment admin­is­tratif, mais pou­vait être un out­il d’alerte épidémi­ologique. Ensuite, dans le cadre d’une col­lab­o­ra­tion au con­tour non totale­ment élu­cidé, Graunt établit avec son ami Pet­ty la pre­mière « table de mor­tal­ité », l’outil de base des démo­graphes, ces proches cousins des épidémiologistes.

La table de vie de Graunt
Cette table représente la prob­a­bil­ité de survie en fonc­tion de l’âge d’une cohorte de 100 nou­veau-nés (au XVI­I­Ie siè­cle, 36 meurent avant 6 ans et un seul survit à 76 ans).

Chris­t­ian Huy­gens, math­é­mati­cien et astronome anglais qui analyse avec son frère Lodewijk la table de vie de Graunt, en déduit une méthode de cal­cul de l’espérance de vie en fonc­tion de l’âge. Ain­si, on voit appa­raître la pre­mière man­i­fes­ta­tion de la par­en­té entre épidémi­ol­o­gistes et astronomes : ils appar­ti­en­nent en effet à deux dis­ci­plines qui, à par­tir de l’observation, essaient « d’inférer » des lois (même si l’équivalent des lois de Kepler en épidémi­olo­gie est encore à décou­vrir). Leib­niz tra­vaillera à son tour la notion de « vie moyenne », mais plutôt dans un état d’esprit d’actuaire, avec De Incer­ti Aes­ti­ma­tione (1678). Autre con­nex­ion his­torique impor­tante entre l’astronomie et l’épidémiologie, celle de Graunt avec Hal­ley, le décou­vreur de la comète éponyme, auquel il envoya sa table de vie. Celuici la cri­ti­qua à la fois sur le plan des don­nées avec lesquelles elle avait été con­stru­ite (rôle nég­ligé de l’immigration) et sur le plan de la méthode de cal­cul. Il four­nit en 1693 la pre­mière table de vie bâtie avec un algo­rithme de récur­rence, appliquée aux don­nées de Bres­lau (aujourd’hui Wro­claw). Cette table allait être util­isée en retour par le pre­mier des mod­élisa­teurs en épidémi­olo­gie, Daniel Bernoul­li (1700- 1782) qui, avec ses frères Nico­laus et Johann, était un thu­riféraire du cal­cul dif­féren­tiel de Leibniz.

Un pionnier de l’épidémiologie mathématique

La var­i­oli­sa­tion, ancêtre de la vaccination
Des obser­va­teurs astu­cieux, en Asie mineure, avaient fait de l’immunologie sans le savoir : ils avaient com­pris, comme Bernoul­li devait le for­malis­er plus tard dans son mod­èle, que « l’on ne prend jamais deux fois la petite vérole ». Le principe de la var­i­oli­sa­tion était de chal­lenger le sys­tème immu­ni­taire (qu’on ne con­nais­sait pas) grâce à une scar­i­fi­ca­tion effec­tuée à par­tir d’un prélève­ment sur une pus­tule de malade. Depuis 1721, la var­i­oli­sa­tion était pra­tiquée en Angleterre grâce à la force de con­vic­tion de Lady Mon­taigu, épouse d’un ambas­sadeur anglais auprès de la Sub­lime Porte, elle-même mar­quée par la var­i­ole et qui avait util­isé la tech­nique en 1717 sur son pro­pre enfant, puis témoigna de son effi­cac­ité – d’après elle –, grâce ensuite au sou­tien de la princesse de Galles, et enfin grâce à quelques expéri­ences réussies sur des volon­taires qui avaient échangé leur volon­tari­at con­tre la pendai­son qui les attendait.

Célèbre pour ses travaux hydro­dy­namiques, Bernoul­li avait aus­si une large palette d’intérêts en astronomie, en philoso­phie et en médecine. C’est donc naturelle­ment qu’il allait s’intéresser à la préven­tion de la var­i­ole (dite alors petite vérole). À l’époque, on esti­mait qu’une grande par­tie de la pop­u­la­tion anglaise avait été infec­tée par la var­i­ole et qu’un enfant qui en était atteint avait entre 20 et 30 chances sur 100 de mourir.

En un temps où la var­i­oli­sa­tion était cepen­dant fort con­tro­ver­sée car, dans une pro­por­tion non nég­lige­able des cas, les enfants étaient con­t­a­m­inés et mouraient, Bernoul­li com­prit qu’il fal­lait met­tre en avant ce que l’on appellerait aujourd’hui une approche coût-béné­fice. Exploitant les don­nées de Hal­ley, il con­stru­isit un mod­èle math­é­ma­tique fondé sur des hypothès­es sim­ples – car, dit-il, « les lois de la nature les plus sim­ples sont tou­jours les plus vraisemblables ».

Polémiques

Bernoul­li com­prit qu’il fal­lait met­tre en avant une approche coût-bénéfice

Le tra­vail de Bernoul­li n’est pas seule­ment d’une grande moder­nité parce qu’il utilise la mod­éli­sa­tion pour éval­uer une action de san­té publique qui ne peut pas être observée directe­ment, avec une méthode sem­blable à celle que les mod­ernes mod­élisa­teurs ont employée en prévi­sion d’une pandémie grip­pale qui survint en 2009. Sa moder­nité est aus­si dans les polémiques que son approche provo­qua dans la société, qu’elle soit savante ou profane.

D’Alembert, le père de l’Ency­clopédie, l’un de ses adver­saires les plus déter­minés à l’Académie royale des sci­ences où le tra­vail fut présen­té en 1760 (et pub­lié seule­ment en 1765), non seule­ment cri­tique de façon pointilleuse la qual­ité des math­é­ma­tiques util­isées (cri­tiques qui mesurent surtout l’importance de son hos­til­ité à l’égard de Bernoul­li), mais – ce qui est moins souligné – émet aus­si des cri­tiques de fond extrême­ment modernes.

Le mod­èle de Bernoulli
Éval­u­ant d’une part le nom­bre total de morts attribuables à la var­i­ole (d’après ses cal­culs, à l’âge de 25 ans, plus de 50% d’une cohorte d’enfants de 1 an avaient con­trac­té la var­i­ole, et 10 % en étaient morts), et d’autre part le nom­bre de morts qui seraient observées si l’on pra­ti­quait la var­i­oli­sa­tion, en sup­posant que celle-ci tue 1 inoculé sur 200, Bernoul­li trou­va que l’espérance de vie pro­gresserait de trois ans (pas­sant de 26 à 29 ans), en effec­tu­ant une « analyse de sen­si­bil­ité » met­tant en cause l’estimation du risque de l’inoculation (comme on dirait aujourd’hui). La var­i­oli­sa­tion, mon­tra-t-il, l’emporterait de loin par son béné­fice sur son risque puisqu’il faudrait qu’elle cause 1 mort sur 10 var­i­olisés (chiffre invraisem­blable) pour que les deux sit­u­a­tions soient équivalentes.
Un réseau de médecins sentinelles
Bernoul­li avait remar­qué que la mod­éli­sa­tion qu’il opérait serait bien plus facile « si les médecins voulaient tenir un reg­istre de leurs malades, où ils mar­queraient l’âge de chaque malade et ceux qui en seraient morts. D’un grand nom­bre de pareils reg­istres, dont on com­mu­ni­querait les résul­tats au doyen de la fac­ulté, on déduirait assez exacte­ment le dan­ger que l’on court de mourir à chaque âge auquel on prendrait la petite vérole. » Il antic­i­pait l’importance d’organiser un réseau nation­al de médecins sen­tinelles pour asseoir la qual­ité des mod­èles d’épidémies, comme cela a été fait à l’Inserm à par­tir des années 1980.

La pre­mière est que l’espérance de vie n’est peut-être pas le bon critère de com­para­i­son et que la pop­u­la­tion n’est pas prête à échang­er un risque immé­di­at même faible (celui de l’inoculation) con­tre un risque loin­tain. Cette cri­tique très sen­sée fut du reste endossée par Laplace (1749–1827) dans son Essai sur les prob­a­bil­ités. La sec­onde cri­tique est que les risques médi­caux dépen­dent des opéra­teurs. Si l’on arrive à réduire le risque immé­di­at de la procé­dure (inoc­u­la­tion) à une valeur égale à celle du risque immé­di­at de con­tracter la var­i­ole naturelle­ment, il est évi­dent que, dès lors, la pop­u­la­tion choisira d’être var­i­olisée. Il faut donc pro­pos­er ce qu’on appellerait aujourd’hui des méth­odes « d’assurance de la qual­ité ». La troisième cri­tique est que, pour con­stru­ire des mod­èles math­é­ma­tiques sérieux, il faut des don­nées de qual­ité, que ce soit sur les risques ou sur l’histoire naturelle des mal­adies : c’est la néces­sité pri­mor­diale d’un sys­tème d’information effi­cace qui est soulignée (et qui reste d’une par­faite actualité).

La néces­sité pri­mor­diale d’un sys­tème d’information effi­cace est soulignée

Une dernière remar­que néga­tive, et peut-être d’actualité, con­cer­nant le tra­vail de Bernoul­li, tou­jours cité comme le pio­nnier de l’épidémiologie math­é­ma­tique, est que cet appareil­lage math­é­ma­tique sophis­tiqué, objet de polémiques entre les plus beaux esprits math­é­ma­tiques, arrivait deux siè­cles en retard par rap­port à la pra­tique accep­tée en Asie mineure, plusieurs années après des don­nées obser­va­tion­nelles recueil­lies par divers médecins et sci­en­tifiques (dont Ben­jamin Franklin), et qu’au fond toutes ses con­clu­sions étaient déjà con­tenues – et exprimées beau­coup plus agréable­ment que dans le lan­gage des équa­tions – dans la XIe des Let­tres philosophiques de Voltaire pub­liée en 1734, soit plus de trente ans aupar­a­vant. Un regard cri­tique sur l’apport de la mod­éli­sa­tion en épidémi­olo­gie pou­vait donc, déjà, s’imposer. En 1765, année où Bernoul­li pro­dui­sait son mod­èle, Jen­ner pub­li­ait ses pre­mières obser­va­tions (qui passèrent large­ment inaperçues), avant de faire sa pre­mière expéri­men­ta­tion humaine en 1796. Peu à peu, alors que la var­i­oli­sa­tion s’installait, la vac­ci­na­tion – dont on com­prit qu’elle était aus­si effi­cace et moins dan­gereuse – appa­rais­sait. Ce n’est qu’en 1840 que la var­i­oli­sa­tion fut inter­dite en Angleterre au béné­fice de la vac­ci­na­tion, qui fut fournie gratuitement.

Le XIXe, siècle des sciences

Les grands chapitres de l’épidémiologie mod­erne s’ouvrent au XIXe siè­cle avec des con­tri­bu­tions où les sci­en­tifiques français jouent un rôle majeur : nais­sance de l’épidémiologie clin­ique et de ce qu’on appelle aujourd’hui la « médecine fondée sur les preuves » avec le nom de Pierre Louis et celui, bien plus con­nu du grand pub­lic mais pas dans ce domaine, de Claude Bernard. Épidémi­olo­gie sociale avec Viller­mé ; épidémi­olo­gie d’intervention et de sur­veil­lance épidémi­ologique avec William Farr ; sys­té­ma­ti­sa­tion de l’information recueil­lie dans les pop­u­la­tions avec Quetelet.

Impor­tance de l’observation
L’observation soigneuse­ment analysée est la base de l’épidémiologie, comme elle est la base de l’astronomie. Par­mi les obser­va­tions et expéri­men­ta­tions rigoureuses qui com­men­cent à se met­tre en place au XVI­I­Ie siè­cle, il est habituel de citer James Lind qui, en 1747, réal­isa le pre­mier essai clin­ique ran­domisé (sur de très petits nom­bres de sujets) et décou­vrit que le cit­ron per­me­t­tait, et lui seul par­mi les remèdes essayés, de guérir le scor­but des marins sur le bateau desquels il était embarqué.

Au début du XIXe siè­cle, con­ta­gion­nistes et anti­con­ta­gion­nistes s’affrontaient sur les caus­es des mal­adies, tan­dis que pré­valait tou­jours la théorie hip­pocra­tique des miasmes. D’après cette théorie, les dis­par­ités de san­té observées entre dif­férents ter­ri­toires s’expliquaient par des fac­teurs topographiques : dif­férences d’altitude, de den­sité de pop­u­la­tion, prox­im­ité ou non d’une rivière.

Louis-René Viller­mé (1782–1863), déci­dant de pren­dre les don­nées à bras-le-corps, voulut tester l’hypothèse selon laque­lle les iné­gal­ités de san­té observées dans les douze arrondisse­ments de Paris dans la péri­ode 1817–1826 s’expliqueraient essen­tielle­ment par des fac­teurs soci­aux (Paris ne fut divisé en vingt arrondisse­ments que par la loi du 16 juin 1859).

Épidémiologie sociale

Il mon­tra que des vari­ables économiques (impôt moyen, prix moyen de loca­tion des loge­ments, etc.) étaient cor­rélées néga­tive­ment à la mor­tal­ité, tan­dis que la den­sité de pop­u­la­tion ne l’était pas. Viller­mé apporte deux autres con­tri­bu­tions majeures à l’épidémiologie sociale : la pre­mière con­cerne la san­té des per­son­nes empris­on­nées, dont il mon­tra qu’elle était cor­rélée aux con­di­tions d’emprisonnement et non pas à la qual­ité morale des pris­on­niers. Dans la sec­onde, il fit observ­er que l’espérance de vie vari­ait selon les con­di­tions sociales des tra­vailleurs des indus­tries tex­tiles. Ses travaux furent à l’origine des pre­mières lois lim­i­tant les con­di­tions dans lesquelles on pou­vait recourir au tra­vail des enfants ou louer des loge­ments plus ou moins insalubres.

Épidémiologie clinique

Pierre-Charles-Alexan­dre Louis (1787–1872), médecin, eut le courage de con­tester une pra­tique médi­cale dom­i­nante de l’époque : la saignée, sou­vent pra­tiquée grâce à des sang­sues (en 1833, la France impor­tait 42 mil­lions de sang­sues pour usage médi­cal). L’idée était à l’époque que toutes les fièvres avaient la même orig­ine, étant la man­i­fes­ta­tion d’une inflam­ma­tion des organes, et qu’appliquer des sang­sues était effi­cace – théorie dont Brous­sais (1762–1838) était un grand thuriféraire.

La « méthode numérique » de Pierre Louis était révolutionnaire

Pour la remet­tre en cause, Louis établit une obser­va­tion rigoureuse sur un groupe de malades ayant tous une forme bien car­ac­térisée de pneu­monie et con­clut – au mieux – à une très faible effi­cac­ité de la pra­tique. Si ce qu’on a appelé la « méthode numérique » de Pierre Louis était révo­lu­tion­naire, parce qu’il cher­chait à tir­er des con­clu­sions à par­tir de don­nées numériques recueil­lies sys­té­ma­tique­ment au lit du malade, et non à par­tir d’opinions, fût-ce celles des « maîtres », il lui man­quait le sup­port de ce qu’on appelle aujourd’hui la sta­tis­tique. À cet égard, Jules Gavar­ret (1809- 1890), poly­tech­ni­cien, fut pio­nnier avec son livre Principes généraux de sta­tis­tique médi­cale (1840). Auteur du pre­mier inter­valle de con­fi­ance, il fut le pre­mier poly­tech­ni­cien prési­dent de l’Académie de médecine.

Les vertus de l’expérimentation

Infor­ma­tion et classification
Dans les sys­tèmes d’information san­i­taire, la clas­si­fi­ca­tion est évidem­ment une étape clé, et là aus­si les Français ont eu un rôle très impor­tant puisque la pre­mière clas­si­fi­ca­tion inter­na­tionale des mal­adies fut créée par Jacques Bertillon (un proche par­ent d’Alphonse Bertillon, « inven­teur » des empreintes dig­i­tales) et que, ce faisant, il était le loin­tain con­tin­u­a­teur de François Boissier de Sauvages de Lacroix, fon­da­teur de la nosolo­gie avec sa clas­si­fi­ca­tion de 2400 mal­adies pub­liée post mortem en 1771.

Claude Bernard est sou­vent présen­té comme un adver­saire irré­c­on­cil­i­able de la sta­tis­tique et de l’épidémiologie. Il a ain­si tourné en déri­sion l’idée « d’urine moyenne » de l’homme européen obtenue en opérant des prélève­ments dans les pis­sotières de la gare du Nord. En cela, il n’appréciait guère les efforts de ceux qui, comme Adolphe Quetelet (1796–1874, sta­tis­ti­cien, inven­teur de l’index de cor­pu­lence [poids/taille2] tou­jours util­isé, math­é­mati­cien, astronome et nat­u­ral­iste fran­co-belge) avaient foi dans le recueil sys­té­ma­tique de l’information dans des grandes pop­u­la­tions et – en effet – avait défendu le con­cept « d’homme moyen » (celui dont les paramètres indi­vidu­els seraient égaux à la moyenne des paramètres de la pop­u­la­tion). Mais Claude Bernard a souligné très claire­ment la néces­sité en clin­ique d’expérimentations com­par­a­tives, notam­ment dans l’évaluation des traite­ments. Il a écrit, dans son Intro­duc­tion à la médecine expéri­men­tale, des pas­sages soulig­nant claire­ment la néces­sité de ce qu’on appellerait aujourd’hui des essais thérapeu­tiques con­trôlés. On a donc pu dire de lui que, avec Pierre Louis, il était le sec­ond fon­da­teur français de ce qu’on appelle main­tenant dans le monde anglo-sax­on l’evi­dence based med­i­cine, la « médecine fondée sur la preuve ».

Surveillance épidémiologique

Depuis les années 1980, avec la con­science de l’importance des mal­adies émer­gentes, la sur­veil­lance épidémi­ologique est dev­enue un domaine impor­tant de l’épidémiologie, à la fois en ter­mes de méthode (recherche de sys­tèmes temps réel) et de résul­tats (décou­verte du sida, par exemple).

William Farr créa la sur­veil­lance épidémi­ologique moderne

La sur­veil­lance épidémi­ologique avait pris son essor au XIXe siè­cle à Lon­dres avec William Farr (1807–1883) qui, lorsque le bureau des reg­istres fut établi en Angleterre en 1838, devint rapi­de­ment respon­s­able du départe­ment sta­tis­tique. Il mit en place une clas­si­fi­ca­tion des caus­es des mal­adies, tra­vail­la rigoureuse­ment à la déf­i­ni­tion des dénom­i­na­teurs per­me­t­tant de cal­culer les risques et com­prit qu’il n’est pas de recueil et d’analyses de don­nées sans une dif­fu­sion appro­priée (ce qu’il fit grâce à un grand nom­bre de bul­letins heb­do­madaires, semes­triels, etc.). Il mon­tra com­ment cette con­nais­sance devait débouch­er sur des méth­odes de préven­tion et fut le pre­mier à décrire la chronolo­gie et la taille des épidémies de grippe.

Le XXe siè­cle en épidémiologie
Le XXe siè­cle s’ouvre sur le prix Nobel de Ross (1902), le mod­élisa­teur pilote de l’épidémiologie du palud­isme ; dans les années 1930, la démarche du test d’hypothèse, indis­pens­able à la recherche des fac­teurs de risque est mise au point par Ney­man et Pear­son ; l’après- Sec­onde Guerre mon­di­ale ver­ra naître et croître l’épidémiologie ana­ly­tique ; les années 1980 ver­ront renaître la crainte des mal­adies infec­tieuses ; les années 1990 seront celles des promess­es du décryptage du génome.
Surtout, depuis les années 1990, la puis­sance des moyens de cal­culs et de recueil de l’information per­met de dévelop­per à un tout autre niveau les recherch­es des caus­es géné­tiques et envi­ron­nemen­tales des mal­adies qui avaient été ini­tiées par les pio­nniers des siè­cles passés.

Ses résul­tats con­cer­nant le choléra, obtenus au milieu du XIXe siè­cle, mirent eux aus­si en cause la théorie des miasmes, et soutin­rent l’hypothèse que la cause du choléra était dans l’eau. C’est un autre épidémi­ol­o­giste anglais, Snow, qui en apportera une démon­stra­tion défini­tive en géolo­cal­isant les cas dans un quarti­er de Lon­dres et en iden­ti­fi­ant la source de la con­t­a­m­i­na­tion (une pompe à eau bien précise).

Au total, à la fin du XIXe siè­cle, la plu­part des grands champs de l’épidémiologie étaient créés, qu’il s’agisse de l’épidémiologie descrip­tive fondée sur de grands reg­istres sys­té­ma­tiques, de l’épidémiologie expéri­men­tale où l’on éval­ue l’efficacité de plusieurs traite­ments en les com­para­nt de façon rigoureuse sur des groupes de patients, ou de l’épidémiologie théorique, surtout util­isée dans le domaine des épidémies afin de com­pren­dre leurs lois et d’établir des prévi­sions. Seule l’épidémiologie des mal­adies mul­ti­fac­to­rielles n’était pas encore prête. C’est en 1856 que la pre­mière loi de Mendel est décou­verte, mais elle tombe dans l’oubli jusqu’en 1900 ; les patholo­gies dom­i­nantes en san­té publique sont encore les mal­adies infec­tieuses ; la recherche des fac­teurs géné­tiques et envi­ron­nemen­taux des grandes patholo­gies, qui est une pri­or­ité de l’épidémiologie mod­erne, ne peut donc encore être menée, mais les con­cepts ont déjà été réunis.

3 Commentaires

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thameurrépondre
4 mai 2012 à 14 h 02 min

His­toire de l’épidémi­olo­gie
en lisant l’his­toire de l’épidémi­olo­gie, nous pou­vons remar­quer qu’il y a une rela­tion évi­dente entre l’épidémi­olo­gie et l’action…ce qui a vrai­ment don­né la valeur et l’im­por­tance de ce domaine multidisciplinaire.

ce que nous remar­quons aujour­d’hui, c’est l’in­verse!! l’épidémi­olo­gie est dev­enue une sci­ence fon­da­men­tale, les épisté­mol­o­gistes sont dans leurs coins entrain d’analyser des don­nées et de met­tre en place des belles des équa­tions math­é­ma­tiques!!! en oubliant presque la final­ité de l’épidémiologie.….l’action.

et de cette manière on pour­ra jamais avancer dans ce domaine.

Mer­ci

Gabrielrépondre
17 juillet 2013 à 9 h 41 min
– En réponse à: thameur

His­toire de l’epidemiologie

Un peu d’ac­cord un peu non d’accord.


Épisté­mol­o­giste ne fait pas que les cal­culs mon frère. Il pro­pose des choses pour faire avancer. Si un temps une per­son­ne pou­vait être tout a la fois, physi­cien, math­é­mati­cien, astro­logue, philosophe et ain­si de suite, main­tenant la donne change.


Épisté­mol­o­giste reste tou­jours dans l’ac­tion et d’ailleurs les pre­miers fai­saient la même choses avec des reg­istres et des for­mules, nous avons hérité d’eux. La nou­velle façon de faire change, cha­cun fait une petite par­tie de la chose et l’autre en fait une autre pour enfin réu­nir, rassem­bler pour une réus­site totale. C’est ain­si que les avions, bateau et même des bicy­clette sont fab­riques par morceaux.


Épisté­mol­o­giste reste tou­jours dans l’ac­tion, d’ailleurs c’est lui qui lance l’alerte. Mer­ci pour cet espace de complémentarité


PS je ne suis pas épidemiologiste

DORErépondre
26 juin 2017 à 9 h 04 min

Tra­vail bref mais très riche
Tra­vail bref mais très riche et sci­en­tifique­ment fondé.
Mer­ci pour votre serieux.

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