Comment évaluer l’impact sanitaire des faibles doses de rayonnements ionisants

Dossier : Épidémiologie : au service de la santéMagazine N°670 Décembre 2011
Par Jacques REPUSSARD

REPÈRES
Les ray­on­nements ion­isants sont émis lors de la dés­in­té­gra­tion d’atomes radioac­t­ifs, qui peu­vent être d’origine naturelle ou arti­fi­cielle. Ils ont pour pro­priété de pénétr­er, plus ou moins pro­fondé­ment selon leur nature (alpha, bêta, gam­ma, X) dans la matière soumise à leur expo­si­tion, et d’y dépos­er de l’énergie le long de leur parcours.

REPÈRES
Les ray­on­nements ion­isants sont émis lors de la dés­in­té­gra­tion d’atomes radioac­t­ifs, qui peu­vent être d’origine naturelle ou arti­fi­cielle. Ils ont pour pro­priété de pénétr­er, plus ou moins pro­fondé­ment selon leur nature (alpha, bêta, gam­ma, X) dans la matière soumise à leur expo­si­tion, et d’y dépos­er de l’énergie le long de leur parcours.
On mesure en grays la quan­tité d’énergie ain­si déposée dans une quan­tité don­née de matière (par exem­ple le corps humain), qui est fonc­tion des car­ac­téris­tiques de la séquence d’exposition à une source de ray­on­nements et des car­ac­téris­tiques pro­pres de cette source.

Les risques de can­cer asso­ciés à une forte expo­si­tion aux ray­on­nements ion­isants ont été iden­ti­fiés quelques décen­nies après la décou­verte de la radioac­tiv­ité. Les pre­mières don­nées à car­ac­tère épidémi­ologique ont notam­ment con­cerné les ouvrières qui util­i­saient de la pein­ture au radi­um, et avaient l’habitude d’affiner les pinceaux avec les lèvres.

Puis ont été observés des can­cers fréquents chez les médecins qui avaient com­mencé à pra­ti­quer des actes de radi­olo­gie. De là est née, en 1928, la Com­mis­sion inter­na­tionale de pro­tec­tion radi­ologique, ou CIPR, société savante non gou­verne­men­tale des­tinée à définir des normes de pro­tec­tion vis-à-vis de l’usage des ray­on­nements ion­isants. Aujourd’hui, c’est la société tout entière qui s’inquiète de ce type de sujet, comme le mon­tre très bien Georges Mer­cadal (voir encadré en fin d’article).

Les effets démontrés

Mort rapi­de, brûlures graves et effets dis­crets en fonc­tion de l’exposition

Une expo­si­tion mas­sive du corps entier à une source puis­sante de ray­on­nements ion­isants entraîne très rapi­de­ment la mort, par défail­lance des organes les plus radiosen­si­bles (leu­co­cytes et moelle osseuse, sys­tème diges­tif). Une expo­si­tion locale à une source puis­sante peut entraîn­er des brûlures graves dont le traite­ment est sou­vent très dif­fi­cile. Au fur et à mesure que l’exposition dimin­ue, les effets dits « déter­min­istes » se font plus discrets.

Les con­nais­sances sci­en­tifiques disponibles sur ces effets à faibles dos­es sont encore par­cel­laires. Par exem­ple, on ne con­naît pas de manière pré­cise les éventuels effets sur le sys­tème car­dio­vas­cu­laire des expo­si­tions chroniques subies par les enfants des régions touchées par l’accident de Tch­er­nobyl, en rai­son d’une ali­men­ta­tion encore aujourd’hui con­t­a­m­inée par du cési­um. L’IRSN a entre­pris, en col­lab­o­ra­tion avec des équipes russ­es, une vaste étude épidémi­ologique sur ce sujet, dont les résul­tats seront disponibles vers 2015.

Tout aus­si com­plexe est la ques­tion de la rela­tion entre l’exposition et la prob­a­bil­ité d’apparition d’un can­cer. Les pre­mières études épidémi­ologiques de grande ampleur des­tinées à déter­min­er cette rela­tion ont été mis­es en place à par­tir des années 1950, au sein de pop­u­la­tions ayant reçu des expo­si­tions générale­ment impor­tantes : sur­vivants des bom­barde­ments d’Hiroshima et de Nagasa­ki, expo­si­tions médi­cales (irra­di­a­tions thérapeu­tiques), expo­si­tions pro­fes­sion­nelles (radi­o­logues, mineurs) et expo­si­tions envi­ron­nemen­tales dues à des acci­dents ou à des essais nucléaires. Ces études ont débouché sur des don­nées épidémi­ologiques étab­lis­sant de manière nette l’existence de can­cers radio-induits, de fréquence crois­sante avec le niveau d’exposition pour des dos­es au-dessus d’une cer­taine valeur.

La relation « dose-effet »

Con­cevoir un sys­tème de pro­tec­tion à voca­tion universelle

Sur la base des con­nais­sances acquis­es en radio­bi­olo­gie et en épidémi­olo­gie, la CIPR a pro­gres­sive­ment conçu un sys­tème de radio­pro­tec­tion à voca­tion uni­verselle. En par­ti­c­uli­er, les résul­tats acquis sur les sur­vivants des bom­barde­ments atom­iques d’Hiroshima et Nagasa­ki ont joué un rôle majeur dans la con­struc­tion de la rela­tion entre la dose de ray­on­nements ion­isants et les effets (rela­tion dose-effet).

Ce sys­tème de radio­pro­tec­tion, com­plet et com­plexe, per­met de com­par­er entre elles les dos­es dues à des ray­on­nements de dif­férents types, émis à des débits dif­férents, et con­cer­nant des organes dif­férents. Ain­si est apparue, en 1977, la grandeur de mesure de la dose appelée siev­ert, dont l’effet biologique est par déf­i­ni­tion équiv­a­lent à celui d’un gray de rayons X dans les con­di­tions de référence.

Siev­ert et millisievert

Le siev­ert, ain­si dénom­mé en mémoire du physi­cien sué­dois Rolf Siev­ert, mort en 1966, est une « grande » unité, puisque l’exposition humaine à la radioac­tiv­ité naturelle est de l’ordre de quelques mil­lisiev­erts (mSv) par an, selon les régions, et que l’exposition résul­tant des activ­ités de l’industrie nucléaire se chiffre en microsiev­erts pour les pop­u­la­tions riveraines.
Le domaine des « faibles dos­es » peut être con­sid­éré comme s’étendant jusqu’à des valeurs de l’ordre de 150 mSv.

La cohorte témoin des survivants d’Hiroshima et Nagasaki

Une des études épidémi­ologiques majeures dans le domaine des ray­on­nements ion­isants est celle des sur­vivants des bom­barde­ments atom­iques d’Hiroshima et Nagasa­ki. Les con­séquences immé­di­ates des deux explo­sions ont entraîné quelque 200000 décès, sur une pop­u­la­tion des deux villes de 630 000 habitants.

Une étude de cohorte menée par les États- Unis et le Japon se pour­suit depuis 1950. Cette cohorte, dénom­mée la « Life Span Study », est car­ac­térisée par un effec­tif impor­tant (près de 86600 per­son­nes) représen­tatif de la pop­u­la­tion générale (hommes, femmes, enfants), un suivi com­plet de la mor­tal­ité de cette pop­u­la­tion sur une durée de plus de cinquante ans, et des don­nées de mor­bid­ité (inci­dence) depuis 1958, et surtout la disponi­bil­ité d’une esti­ma­tion de la dose reçue lors du bom­barde­ment pour cha­cun des indi­vidus de la cohorte, fonc­tion de son éloigne­ment de l’épicentre de la défla­gra­tion (entre 0 et 4 Sv, avec une moyenne de 200 mSv). Cette dose est due exclu­sive­ment à l’exposition externe, et se car­ac­térise par un débit de dose très élevé pen­dant un temps très court.

Cette cohorte, à laque­lle des moyens d’analyse pluridis­ci­plinaires impor­tants ont été con­sacrés, four­nit une base impor­tante pour quan­ti­fi­er les effets à long terme des ray­on­nements ion­isants, qu’il s’agisse de can­cers ou d’autres mal­adies. En 2000, plus de 55% des indi­vidus de cette cohorte étaient décédés, dont 10 085 par can­cer et 296 par leucémie. Com­par­a­tive­ment à une pop­u­la­tion non exposée, il a été estimé que le nom­bre de ces décès attribuables à l’exposition aux ray­on­nements ion­isants était de 477 (4,7 %) pour les can­cers solides et de 93 (33 %) pour les leucémies.

Le risque et la dose

Cinquante ans après Hiroshi­ma et Nagasaki
Une aug­men­ta­tion de la dose com­pat­i­ble avec une rela­tion linéaire de la mor­tal­ité par can­cer solide a été mise en évi­dence pour un grand nom­bre de sites de can­cer : poumons, estom­ac, colon, œsophage, thy­roïde, vessie, seins et ovaires chez la femme. Les can­cers solides radio-induits appa­rais­sent avec une latence de quelques années à plusieurs dizaines d’années après l’exposition, et le nom­bre de cas en excès con­tin­ue à aug­menter encore aujourd’hui. L’excès de risque de décès par leucémie est apparu deux ans après l’exposition, a atteint un max­i­mum huit ans après l’exposition puis a dimin­ué avec le temps. Un excès de risque, faible mais sig­ni­fi­catif, per­siste encore cinquante ans après l’exposition.

À par­tir de quelle dose observe-t-on une aug­men­ta­tion du risque de can­cer ? Sur l’ensemble de la cohorte (de 0 à 4 Sv), l’excès de risque relatif (ERR) estimé est de 0.47 par Sv (c’est-à-dire que le risque relatif de can­cer aug­mente de 47% à chaque aug­men­ta­tion d’un Sv) et l’écart type (reflé­tant l’incertitude asso­ciée à l’estimation de l’ERR) est de 0,05 par Sv. Cela mon­tre une aug­men­ta­tion sta­tis­tique­ment sig­ni­fica­tive du risque relatif de can­cer avec la dose ; en effet, comme l’indique le degré de sig­ni­fica­tiv­ité asso­cié, la prob­a­bil­ité de se tromper lorsque l’on con­clut que cet ERR est dif­férent de zéro est inférieure à 1 pour 1000 et reste inférieure à 5 % jusqu’à une éten­due de dose restreinte à 125 mSv.

En dessous de cette valeur, l’incertitude asso­ciée à l’estimation de l’ERR devient trop impor­tante pour que l’on puisse affirmer la valid­ité de cette rela­tion dose-effet.

Un système international de radioprotection

Fondé sur le principe d’une rela­tion dose-effet linéaire et sans seuil, ce sys­tème a pour objec­tif d’organiser la pro­tec­tion radi­ologique des indi­vidus en réduisant autant que pos­si­ble leur expo­si­tion aux ray­on­nements ion­isants. La mise en place d’un tel sys­tème de radio­pro­tec­tion « uni­versel » à par­tir de résul­tats sci­en­tifiques acquis dans des cir­con­stances par­ti­c­ulières (prin­ci­pale­ment la cohorte évo­quée plus haut) exige d’accepter des hypothès­es qui ont voca­tion à être con­fortées (ou mod­i­fiées) au fur et à mesure des pro­grès scientifiques.

En effet, il s’agit de pro­téger l’ensemble de la pop­u­la­tion, qui présente des car­ac­téris­tiques et des con­di­tions d’exposition le plus sou­vent dif­férentes des pop­u­la­tions sur lesquelles des résul­tats épidémi­ologiques sont disponibles.

Trois hypothèses en question pour les faibles doses

Une base impor­tante pour quan­ti­fi­er les effets à long terme

Les trois grandes hypothès­es, dont la valid­ité n’est pas démon­trée dans le domaine des « faibles dos­es », sont les suivantes :

– extrap­o­la­tion d’une rela­tion dose-effet linéaire, depuis les domaines où les don­nées sont validées (grosso modo au-dessus de 150 mSv) jusqu’à une dose nulle : il n’y aurait donc pas de dose sans effet, sta­tis­tique­ment parlant ;
– analo­gie des effets entre des expo­si­tions de durée très courte à forte inten­sité et des expo­si­tions chroniques à très faible débit de dose (moyen­nant des coef­fi­cients de réduc­tion des effets par rap­port aux expo­si­tions à fort débit de dose) ;
– non-prise en compte de fac­teurs de dif­féren­ci­a­tion présents au sein des pop­u­la­tions exposées (âge, sexe, cofac­teurs d’exposition, état de san­té, vari­a­tion « naturelle » des taux de fréquence des can­cers, etc.).

L’épidémiologie pour mieux connaître les risques aux faibles doses

Depuis les années 1970, des études épidémi­ologiques ont été mis­es en place au sein de pop­u­la­tions durable­ment exposées à des dos­es faibles délivrées à faible débit (expo­si­tions pro­fes­sion­nelles ou envi­ron­nemen­tales). Dans ces études, les dos­es cumulées sont sou­vent inférieures à quelques dizaines ou cen­taines de mSv, et la mise en évi­dence d’un excès de risque néces­saire­ment lim­ité est ren­due dif­fi­cile par plusieurs éléments :

Des hypothès­es dont la valid­ité reste à démontrer

– l’existence d’autres fac­teurs de risque des can­cers étudiés (fac­teurs de con­fu­sion) qui, s’ils ne sont pas con­trôlés, peu­vent entraîn­er des vari­a­tions de risque supérieures à celles qui sont recherchées ;
– le bruit de fond con­sti­tué par l’exposition à la radioac­tiv­ité naturelle, vari­able selon les régions, qui peut représen­ter une expo­si­tion d’un ordre de grandeur sim­i­laire à celui de l’exposition étudiée ;
– la vari­abil­ité naturelle des taux de can­cer selon les pop­u­la­tions et les pays ;
– les biais inhérents aux études épidémi­ologiques, qui peu­vent mas­quer ou exagér­er l’excès de risque observé par rap­port à celui qui existe réellement ;
– la faible capac­ité des études aux faibles dos­es à démon­tr­er de très faibles effets. Cette lim­i­ta­tion exige de con­sid­ér­er des pop­u­la­tions de très grande taille.

Prérequis à remplir

Tch­er­nobyl
L’IRSN con­sid­ère qu’il n’est pas pos­si­ble de men­er une étude épidémi­ologique crédi­ble des éventuels effets sur la pop­u­la­tion française liés aux retombées de l’accident de Tch­er­nobyl, alors même qu’il est établi que l’est du pays a été plus exposé que l’ouest. En effet, les dos­es reçues, davan­tage fonc­tion de l’alimentation que du posi­tion­nement géo­graphique d’un indi­vidu don­né, ne sont pas reconstituables.

Dans le domaine des faibles dos­es, pour fournir des résul­tats per­ti­nents en ter­mes d’évaluation du risque, les études épidémi­ologiques doivent donc rem­plir plusieurs prérequis :
– veiller à la qual­ité du pro­to­cole et de sa mise en oeu­vre : seules des études ana­ly­tiques de type cohorte ou cas témoins doivent être envis­agées, et un effort par­ti­c­uli­er doit être fait pour lim­iter les biais poten­tiels (par exem­ple le nom­bre de per­dus de vue dans une étude de cohorte, ou le taux de non-réponse dans une étude cas témoins) ;
– ne pas nég­liger la durée de suivi : on sait que le délai entre l’exposition aux ray­on­nements ion­isants et la sur­v­enue de can­cers radio-induits peut attein­dre plusieurs dizaines d’années. La durée de suivi doit donc s’étendre sur plusieurs décen­nies, et inclure l’âge de sur­v­enue des can­cers « naturels » (en par­ti­c­uli­er, pour les études en milieu pro­fes­sion­nel, le suivi doit s’étendre au-delà de la péri­ode d’activité) ;
– recon­stituer les expo­si­tions et les dos­es de manière fiable. Si des méth­odes math­é­ma­tiques sophis­tiquées per­me­t­tent de pren­dre en compte les incer­ti­tudes et les erreurs de mesures, elles ne peu­vent se sub­stituer à des don­nées crédi­bles d’exposition.

Autres paramètres

Il est égale­ment impor­tant de con­trôler les prin­ci­paux fac­teurs de con­fu­sion : les can­cers peu­vent être causés par de nom­breux fac­teurs envi­ron­nemen­taux ou com­porte­men­taux. La col­lecte d’informations la plus com­plète pos­si­ble sur les fac­teurs de con­fu­sion con­nus per­met d’éclairer l’analyse de la rela­tion dose-effet (par exem­ple, le com­porte­ment tabag­ique asso­cié à l’exposition au radon pour le risque de can­cer du poumon). Si cette col­lecte est sou­vent dif­fi­cile sur de très grands effec­tifs, elle peut être envis­agée dans le cadre d’études cas témoins nichées au sein de larges cohortes.

Autre exem­ple, il a été établi que la non-prise en compte de la caté­gorie socio­pro­fes­sion­nelle dans l’analyse de la cohorte de tra­vailleurs français du nucléaire con­sti­tuée des salariés Are­va et CEA entraî­nait une sures­ti­ma­tion impor­tante de l’excès de risque de sur­v­enue d’un can­cer. Enfin, une étude doit dis­pos­er a pri­ori d’une puis­sance sta­tis­tique suff­isante au regard de son objectif.

L’interprétation de résul­tats d’une étude ne doit pas être faite sans con­naître la capac­ité de cette étude à détecter l’effet atten­du. Dans le domaine des faibles dos­es, l’obtention d’une puis­sance suff­isante passe sou­vent par la réal­i­sa­tion d’études inter­na­tionales, menées de manière coor­don­née, avec des pro­to­coles exigeants. C’est ain­si qu’a été mis en évi­dence le risque de can­cer du poumon asso­cié à l’exposition domes­tique au radon.

Radon
Sur la base du principe de linéar­ité du risque, il pour­rait être jugé préférable, d’un point de vue de san­té publique, de chercher à réduire l’exposition au radon dans les loge­ments en pri­or­ité dans les régions très urban­isées, même si la con­cen­tra­tion atten­due en radon est faible, car le nom­bre de « can­cers évités » appa­raî­tra sta­tis­tique­ment plus grand que celui relatif à des zones à forte expo­si­tion, mais peu peu­plées. Pour­tant, il est aujourd’hui sus­pec­té que les mécan­ismes biologiques mis en jeu par les organ­ismes vivants en réponse à une faible expo­si­tion aux ray­on­nements ion­isants soient dif­férents (stim­u­la­tion des sys­tèmes de répa­ra­tion de l’ADN, seuil d’effet, effet de prox­im­ité cel­lu­laire…) de ceux mis en jeu à plus fort débit de dose. Si tel est le cas, il faudrait con­cen­tr­er l’effort sur les habi­ta­tions des zones très exposées au risque radon.

Faire avancer la radiobiologie

L’enjeu socié­tal de ces ques­tions est par­ti­c­ulière­ment considérable

L’utilisation sans pré­cau­tion des par­a­digmes du sys­tème de radio­pro­tec­tion peut con­duire à des affir­ma­tions ou des choix san­i­taires mal fondés. C’est ce qui explique les chiffres très dif­férents pub­liés ici ou là sur le nom­bre de décès liés à l’accident de Tch­er­nobyl. L’enjeu socié­tal de ces ques­tions est par­ti­c­ulière­ment con­sid­érable dans un pays comme la France, dépen­dant de l’industrie nucléaire pour son énergie élec­trique. C’est pourquoi il paraît indis­pens­able de dévelop­per un effort de recherche mul­ti­dis­ci­plinaire, alliant expéri­men­ta­tion sur mod­èle ani­mal, travaux fon­da­men­taux sur les mécan­ismes de réponse des com­posants cel­lu­laires au stress radioac­t­if, et études épidémi­ologiques de val­i­da­tion sur l’homme des résul­tats de ces recherch­es. Tel est l’objet de l’association européenne Melo­di, qui vise à fédér­er les prin­ci­paux organ­ismes de recherche com­pé­tents dans ces disciplines.

Une inquiétude croissante de la société

Les publics qui fréquentent les débats organ­isés par la Com­mis­sion nationale du débat pub­lic (une cen­taine de débats sur des pro­jets nucléaires, de trans­ports routiers et fer­rovi­aires, de lignes élec­triques, de développe­ment des nan­otech­nolo­gies, etc.) sont à la fois deman­deurs insis­tants d’études épidémi­ologiques capa­bles de les ras­sur­er, et dubi­tat­ifs quant à leurs résultats.

Une croyance de bon sens

En effet, l’exposition aux faibles dos­es est source d’inquiétude forte et générale dans la pop­u­la­tion. Sa réso­nance émo­tion­nelle est d’autant plus élevée qu’elle est liée au risque de can­cer, et plus par­ti­c­ulière­ment de leucémie chez les nou­veau-nés. Car per­son­ne n’arrive à croire qu’une dose, même faible, de pol­lu­tion reçue sa vie durant, et notam­ment par des per­son­nes frag­iles, puisse être sans effet.

Il y a là comme une croy­ance col­lec­tive de « bon sens », appuyée sur nom­bre de faits d’observation courants. Cette inquié­tude se dou­ble de révolte lorsque cette expo­si­tion est liée à la local­i­sa­tion de son pro­pre habi­tat ou d’un lieu de vie habituel, car les gens ont le sen­ti­ment de n’en être en rien respon­s­ables, ils subis­sent. Et ils subis­sent quelque chose qui n’est pas naturel – auquel cas la sagesse pop­u­laire con­seille de s’en accom­mod­er comme du temps qu’il fait –, mais con­stru­it par la société, et à ce titre ressen­ti comme intolérable. Enfin, les ray­on­nements ion­isants ne sont pas seuls en cause. Toutes les pol­lu­tions sont con­cernées : les par­tic­ules émis­es par les pots d’échappement, les ondes élec­tro­mag­né­tiques, les nanopar­tic­ules, les pol­lu­tions chim­iques comme la diox­ine, etc.

Du mal à convaincre

Mal­heureuse­ment, les études épidémi­ologiques ont du mal à con­va­in­cre. Les dif­fi­cultés méthodologiques font qu’en fouil­lant bien, sur Inter­net notam­ment, il n’est pas impos­si­ble de trou­ver une ou des études qui con­clu­ent à l’existence d’effets. Ce fut le cas en matière d’ondes élec­tro­mag­né­tiques émis­es par les lignes à 400 000 volts dans un débat dans les Pyrénées-Ori­en­tales. Les répons­es des spé­cial­istes, qu’elles con­sis­tent à cri­ti­quer les méth­odes ou, pire, qu’elles recourent à l’invocation de la « méta-épidémi­olo­gie », syn­thèse à dire d’expert des études exis­tantes, ne parvi­en­nent pas à lever le doute. Et la manière dont les normes sont établies par extrap­o­la­tion explique que les instances de nor­mal­i­sa­tion inter­na­tionales les plus respecta­bles aient du mal à asseoir leur crédi­bil­ité. Cette sit­u­a­tion méthodologique déli­cate, face à une forte impli­ca­tion émo­tion­nelle du pub­lic, rend très com­pliquée la con­struc­tion d’un rap­port con­fi­ant entre la société et les respon­s­ables. S’agissant sou­vent, pour le pub­lic des débats, du prob­lème de san­té envi­ron­nemen­tale le plus inquié­tant, on com­prend com­bi­en la recherche dans ce domaine est attendue.

Georges Mercadal (56),
vice-président de la Commission nationale du débat public

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