MacroPsychanalyse

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°628 Octobre 2007Par : Vivien LÉVY-GARBOUA (67) et Gérard MAAREK (59)Rédacteur : Jacques LESOURNE (48)

Il n’est pas fréquent que deux X écon­o­mistes s’aventurent sur le ter­rain de la psy­ch­analyse. C’est pour­tant ce que vien­nent de faire Vivien Lévy-Gar­boua, venu du corps des Mines et ban­quier, et Gérard Maarek, ancien admin­is­tra­teur de l’INSEE. Les deux com­pères avaient déjà pub­lié ensem­ble en 1985 un livre stim­u­lant La dette, le boom et la crise.

Voir les poly­tech­ni­ciens sor­tir de leur domaine est tou­jours sym­pa­thique, mais sou­vent peu ras­sur­ant. Tel n’est pas le cas ici : les deux auteurs se sont don­né la peine de con­naître tous les textes essen­tiels et de soumet­tre leur man­u­scrit à un éven­tail de lecteurs.

Couverture du livre : MacroPsychanalyseLe titre de l’ouvrage ? MacroPsy­ch­analyse avec un sous-titre ambigu L’économie de l’inconscient.

Vivien Lévy-Gar­boua et Gérard Maarek par­tent du con­stat, dif­fi­cile­ment con­testable, que les sci­ences de l’homme offrent aujourd’hui un panora­ma chaotique.

Chao­tique certes, mais promet­teur. La sci­ence économique se nour­rit encore du mod­èle de l’optimisation de l’utilité sous con­traintes, mais depuis Her­bert Simon a recours de plus en plus, dans une approche évo­lu­tion­niste, à des représen­ta­tions de ratio­nal­ité procé­du­rale inté­grant antic­i­pa­tions, appren­tis­sages et adap­ta­tions. Les pro­grès spec­tac­u­laires des neu­ro­sciences offrent des analy­ses sérieuses de la genèse des émo­tions, du fonc­tion­nement de la mémoire, des proces­sus intel­lectuels. Et la psy­ch­analyse qui s’est sen­si­ble­ment enrichie depuis Sig­mund Freud a dévelop­pé une métapsy­cholo­gie qui per­met d’interpréter de nom­breuses obser­va­tions indi­vidu­elles. Le chaos annonce donc à mon avis une con­ver­gence créa­trice. Le livre de Vivien Lévy-Gar­boua est une con­tri­bu­tion à cette convergence.

Mais sa seg­men­ta­tion en trois par­ties : l’individu, le groupe et les études de cas est la mar­que de la dual­ité d’objectifs, ce que le titre lais­sait pressentir.

La pre­mière par­tie ne relève pas à pro­pre­ment par­ler de macropsy­ch­analyse. Elle intéressera surtout les écon­o­mistes. Pour met­tre en appétit le lecteur, j’en retiendrai deux messages :

1) un exposé très clair de la métapsy­cholo­gie de Freud, des divers­es top­iques qu’il intro­duit et de l’éclairage qu’apportent à ce sujet les neurosciences ;
2) un essai d’introduction de con­cepts psy­ch­an­a­ly­tiques pour appro­fondir des prob­lèmes économiques clas­siques comme le dilemme du prisonnier.

Les auteurs fran­chissent ensuite le pas­sage de la psy­ch­analyse indi­vidu­elle à ce qu’ils appel­lent la macropsy­ch­analyse et qui con­cerne les groupes struc­turés. Freud s’était aven­turé sur ce ter­rain, mais ses textes, célèbres et pro­fonds, ont à cet égard beau­coup vieil­li, et péri­odique­ment des psy­ch­an­a­lystes ont souligné que des insti­tu­tions pou­vaient être psy­chologique­ment malades comme des indi­vidus. Vivien Lévy-Gar­boua et Gérard Maarek s’attaquent donc à un domaine essen­tiel. Leur livre four­mille d’idées, de propo­si­tions, de pistes qui seront, je l’espère, dévelop­pées et ampli­fiées, tant leur con­tenu est presque trop riche.

L’hypothèse de tra­vail est que les groupes struc­turés sont dotés d’un psy­chisme col­lec­tif qui est lui-même « l’assemblage d’instances fonc­tion­nelles qui coopèrent ou se com­bat­tent selon les cir­con­stances ». De l’étude de ce psy­chisme, de son fonc­tion­nement nor­mal et de ses patholo­gies (névros­es, psy­choses, trou­bles de l’identité et de la com­mu­ni­ca­tion) sont déduites d’intéressantes propo­si­tions impos­si­bles à résumer car elles sont en elles-mêmes très synthétiques.

Aus­si me lim­it­erai-je à présen­ter un élé­ment qui, me sem­ble-t-il, peut don­ner goût de lire ce livre. L’introduction, pour chaque groupe struc­turé, de qua­tre instances (au sens métapsychologique) :

• le pro­duc­teur qui met en œuvre les pro­grammes tech­niques assignés au groupe,
• le pro­fesseur qui ini­tie les mem­bres aux tâch­es qui leur sont dévolues,
• le prince qui gou­verne et régule les pro­grammes tech­niques qui incombent au producteur,
• le prêtre qui affiche un sys­tème de valeurs et s’efforce de l’inculquer à tous les membres.

Quiconque a l’expérience d’une entre­prise peut avoir l’intuition de la sig­ni­fi­ca­tion et du rôle de ces qua­tre instances.

Faciles à lire, mais me sem­ble-t-il, moins orig­i­nales, les six études de cas de la troisième par­tie (por­trait de familles, l’entreprise en analyse, le man­age­ment au risque de la psy­ch­analyse, études clin­iques, la fin des empires, la moder­nité) ont le mérite de mon­tr­er que la macropsy­ch­analyse peut associ­er à ses développe­ments théoriques une analyse per­ti­nente de sit­u­a­tions col­lec­tives concrètes.

Poignée de grains semés, bouteille à la mer, cri dans le vent, l’avenir décidera ce qu’il advien­dra de ce livre, mais les auteurs ont eu rai­son de se lancer dans cette recherche.

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