Le Mendiant du Passé

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°630 Décembre 2007Par : Chu Lai, traduit du vietnamien par Alain Clanet (43)Rédacteur : NGHIEM Phong Tuan (56)

Les soixante années qui viennent de s’écouler (un siècle dans le calen­drier chi­nois) ont été pour le Viêt­nam celles du malheur.

Une guerre au nom d’une libé­ra­tion dési­rée avec pas­sion a été vite confis­quée par une poi­gnée d’hommes au ser­vice d’une idéo­lo­gie étran­gère, qui ont sou­mis la moi­tié du pays à une ter­reur dont les vic­times, celles qui ont sur­vé­cu, leurs enfants et leurs petits-enfants, après l’espace d’une vie, sont encore mar­qués au plus pro­fond de leur être. Puis venait l’invasion du sud du pays qui envoya par cen­taines de mil­liers des hommes et des femmes jeunes, cer­tains à peine sor­tis de l’adolescence, dans une guerre où leur jeu­nesse se consu­ma dans la forêt tro­pi­cale, sous le napalm et les tapis de bombes.

Couverture du livre : Le mendiant du passéCette forêt, ils en ont été les maîtres. Ils y ont vécu, aimé et souffert.

La vic­toire acquise, au lieu de la joie qu’on leur a fait espé­rer, de tout un peuple fra­ter­nel­le­ment uni pour la construc­tion du pays, ils ne trou­vèrent par­tout que la ruine. Ils décou­vrirent aus­si que ces tue­ries sans mer­ci de part et d’autre les avaient oppo­sés à des hommes qui n’étaient pas leurs enne­mis, mais des frères qui avaient eu le même rêve pour leur pays, la même soif de vivre, la même aspi­ra­tion au bonheur.

Ces com­bat­tants de la forêt reve­naient à la vie civile le cœur plein du sou­ve­nir de leurs com­bats héroïques. Mais dans le pays lais­sé à l’abandon, ils furent jetés dans la misère avec le reste de la population.

Pen­dant quinze ans, au nom du socia­lisme, la moindre ten­ta­tive de s’enrichir était punie comme un crime. Puis est venue la poli­tique du Renou­veau. Le pays a com­men­cé à pou­voir res­pi­rer, mais la socié­té qui a per­du tout repère moral est livrée à la loi de la jungle. Ceux qui y réus­sissent ne sont pas tou­jours les plus hon­nêtes. Les héros qui ont gagné cette guerre au prix de tant de sacri­fices n’arrivent pas tou­jours à s’intégrer au mou­ve­ment qui petit à petit sort le pays de sa misère. L’État sans res­sources n’est pas capable de leur assu­rer seule­ment une exis­tence décente…

Cer­tains sont écri­vains, alors ils écrivent, rap­pellent le sou­ve­nir de leur vie dans l’enfer de feu et de sang, de l’amitié, de l’amour qui y trouvent mal­gré tout leur place, et en contre­point, décrivent ce qu’ils voient aujourd’hui, cette socié­té où règne le roi dol­lar, où ils s’interrogent sur la place qui leur est faite.
Chu Lai est un de ces écri­vains. Ancien offi­cier, il est deve­nu l’un des roman­ciers contem­po­rains les plus popu­laires au Viêt­nam. Son roman Le men­diant du pas­sé vient d’être tra­duit en fran­çais par Alain Cla­net (43) et publié aux Édi­tions de l’Aube.

Le héros en est un ancien com­bat­tant de la forêt qui, dix-sept ans après la paix reve­nue, se trouve rat­tra­pé par son pas­sé. Au cours de son voyage au hasard à tra­vers le pays, à la recherche d’un emploi, il croit aper­ce­voir la femme qu’il a aimée jadis, et qu’il a vue morte. Il fait alors tous ses efforts pour ren­con­trer cette per­sonne entre­vue un court ins­tant et qui se dérobe sans cesse. Dans cette quête lui reviennent les sou­ve­nirs de la guerre, avec sa cruau­té de com­pas­sion mêlée, sa géné­ro­si­té et ses actes de dévoue­ment au quo­ti­dien. Leurs che­mins s’y sont croi­sés, lui com­man­dant une sec­tion de recon­nais­sance avan­cée en ter­ri­toire enne­mi, elle infir­mière déta­chée dans la zone des com­bats. Dans cette vie de pri­va­tions où la mort guet­tait, il a connu une sorte de bon­heur… Entre les images de ce pas­sé s’intercalent les scènes du pré­sent, où la misère des uns côtoie la richesse inso­lente des autres, par­mi les com­bines sor­dides du temps de paix.

Alain Cla­net a déjà tra­duit un pre­mier livre du même auteur, La rue des sol­dats, publié chez le même édi­teur (cf. La Jaune et la Rouge, février 2006). Pour ces tra­duc­tions, notre cama­rade a dû se battre contre la nou­veau­té d’une langue qui est sor­tie bou­le­ver­sée des récentes vicis­si­tudes de l’Histoire.

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