Cop 25 Madrid

Ma COP 25

Dossier : Nouvelles du PlatâlMagazine N°756 Juin 2020
Par Mounia MOSTEFAOUI (M2012)

La COP 25 a déçu. Impli­ca­tion des poli­tiques insuff­isante, prési­dence faible, repli des nations sur leurs intérêts pro­pres immé­di­ats… Mou­nia Moste­faoui, doc­tor­ante au LMD, revient sur cet échec dont elle a été témoin, au sein de la délé­ga­tion française à cette con­férence. Mais elle relève aus­si la mon­tée en puis­sance de voix nou­velles : celles des jeunes et de la société civile.

La COP 25 a bien fail­li ne pas avoir lieu. Le 30 octo­bre 2019, le Chili renonçait à accueil­lir la con­férence inter­na­tionale sur ses ter­res pour cause de révolte pop­u­laire. In extrem­is, l’Espagne accepte d’organiser la COP à Madrid, tout en lais­sant la main au Chili pour la prési­dence de la COP, en la per­son­ne de Car­oli­na Schmidt, min­istre de l’Environnement. Il faut avant toute chose recon­naître à l’Espagne d’avoir réus­si le tour de force d’une très bonne organ­i­sa­tion logis­tique de l’événement, eu égard au délai très court d’un mois au lieu d’un an habituelle­ment pour tout pré­par­er. On pour­rait sim­ple­ment déplor­er le manque de sobriété de la con­férence où lumi­naires et écrans géants fonc­tion­naient à longueur de journée et de nuit. Les cock­tails dîna­toires un peu trop rich­es con­trastaient eux aus­si avec les mes­sages de sobriété prônés par les experts du climat.

On attendait une COP de l’action

Par­mi les prin­ci­paux objec­tifs de cette COP, qui était cen­sée être celle du temps de l’action, fig­u­raient notam­ment l’accord sur un texte met­tant en place des règles pour faciliter les marchés globaux du car­bone (arti­cle 6 de l’Accord de Paris) et la hausse de l’ambition des feuilles de route nationales pour les engage­ments en ter­mes d’atténuation et d’adaptation.

Or la COP 25 s’est révélée déce­vante sur ces points. Quel con­stat des man­ques d’avancée, et quelles sont les caus­es de l’impossibilité à attein­dre des objec­tifs annon­cés ? Et qu’attendre du tour­nant de la COP 26, reportée à 2021 en rai­son de la crise san­i­taire de la Covid-19, qui doit mar­quer un accroisse­ment glob­al des ambi­tions de réduc­tion de gaz à effet de serre par les Parties ?

“La double comptabilité des réductions d’émissions de gaz à effet de serre
a constitué un point d’achoppement.”

Une COP décevante

Un pre­mier point de blocage a été celui de l’absence de final­i­sa­tion du rule­book de l’article 6 de l’Accord de Paris, un texte ayant pour but de définir les règles, modal­ités et procé­dures de gou­ver­nance du mécan­isme asso­cié au marché du car­bone et pour un comp­tage réal­iste des émis­sions de gaz à effet de serre. Ce point avait été publique­ment iden­ti­fié comme un objec­tif essen­tiel de la COP 25 par les instances offi­cielles. L’absence d’accord sur ce texte est donc une pre­mière décep­tion. Le ven­dre­di 12 décem­bre au soir, la prési­dence chili­enne de la COP avait pour­tant soumis une ver­sion du texte. Mais, à l’issue d’un délai sup­plé­men­taire de 48 heures – du jamais vu dans l’histoire des COP –, cet arti­cle n’est pas adopté.

Pourquoi cet échec du rule­book ? D’abord la ques­tion de la dou­ble compt­abil­ité des réduc­tions d’émissions de gaz à effet de serre a con­sti­tué un point d’achoppement : afin d’avoir un comp­tage réal­iste des diminu­tions d’émissions de CO2, les pays qui achè­tent et les pays qui vendent des quo­tas d’émissions de gaz à effet de serre ne doivent pas pou­voir compter leurs mêmes réduc­tions d’émissions deux fois, surtout pour que ce mécan­isme soit bien une inci­ta­tion à des réduc­tions d’émissions glob­ales effec­tives. Or le Brésil a notam­ment cher­ché à priv­ilégi­er son béné­fice nation­al au détri­ment de l’intérêt mon­di­al en plaidant pour un dou­ble comp­tage des réduc­tions d’émissions et a été soutenu par la Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite.

Par ailleurs, la revente des crédits car­bone créés dans le cadre du pro­to­cole de Kyoto a égale­ment con­sti­tué un nœud dans les dis­cus­sions à cause de la posi­tion de l’Australie, mais aus­si du Brésil, de la Chine et de l’Inde qui déti­en­nent déjà 60 % des crédits car­bone et ont insisté pour les conserver.

Pas d’avancée sur les pertes et dommages 

D’après les syn­thès­es des récents rap­ports du GIEC, les phénomènes extrêmes auront ten­dance à être plus fréquents et plus intens­es en rai­son du dérè­gle­ment cli­ma­tique, et il se trou­ve qu’ils ont ten­dance à affecter plus forte­ment les pays en voie de développe­ment. Même si les pays en développe­ment sont les moins respon­s­ables des prin­ci­pales émis­sions de gaz à effet de serre, qui sont dues essen­tielle­ment au proces­sus d’industrialisation des pays dévelop­pés, ils sont en pre­mière ligne des con­séquences de celles-ci. Les coûts asso­ciés à l’impact du change­ment cli­ma­tique qui affecte en par­ti­c­uli­er les pays en développe­ment sont abor­dés spé­ci­fique­ment dans ce qu’on appelle le Mécan­isme inter­na­tion­al de Varso­vie créé en 2013.

Pour­tant, compte tenu du car­ac­tère non con­traig­nant de l’Accord de Paris, cette sit­u­a­tion ne peut pas ouvrir la voie à des répa­ra­tions d’ordre juridique pour les pays en développe­ment. Les négo­ci­a­tions ont seule­ment été cen­trées sur des dis­cours affir­mant la bonne volon­té de part et d’autre quant à la néces­sité d’apporter des solu­tions à ce sujet, et la désig­na­tion con­jointe de lignes rouges à ne pas dépass­er sur le plan financier. Mais, là non plus, il n’y a pas eu d’accord entre les Par­ties sur un texte défini­tif : nou­v­el échec !

Pas d’avancée pour la résilience pour tous

Dès la semaine du Cli­mat de l’Asie-Pacifique parte­naire de la CNUCC qui s’est tenue en amont de la COP 25 dès sep­tem­bre 2019, dif­férents acteurs de l’écosystème du change­ment cli­ma­tique dont notam­ment des représen­tants des pop­u­la­tions indigènes ont lancé un dia­logue spé­ci­fique­ment dédié au rôle de l’éthique dans le traite­ment de l’urgence cli­ma­tique. À cette occa­sion, Youssef Nassef, le directeur du Pro­gramme des Nations unies pour l’Adaptation au change­ment cli­ma­tique, a intro­duit la notion de résilience pour tous, en référence à l’adaptation glob­ale sur le long terme à par­tir, entre autres, d’outils issus des sagess­es indigènes. La reprise textuelle de ce con­cept de résilience pour tous par la notion d’adaptation était cen­sée être un résul­tat majeur de la COP 25. Mais, durant celle-ci, la com­mis­sion dédiée à l’adaptation n’a pas été en mesure de trou­ver un accord à pro­pos de la tra­duc­tion con­crète de la notion de résilience pour tous.


L’échec de l’adoption d’une règle simple sur la transparence

Les négo­ci­a­tions à pro­pos de la règle de trans­parence pour réper­to­ri­er de façon stan­dard les inven­taires de gaz à effet de serre et l’obligation de rap­porter se sont aus­si sol­dées par un refus inquié­tant de la Chine. Ce blocage n’est pas lié à un manque de pré­pa­ra­tion ou à un prob­lème de fond sur les pos­si­bil­ités tech­niques de mise en œuvre, mais bien à une manœu­vre tac­tique chi­noise pour éviter une ingérence. Cet échec n’acte toute­fois pas la fin des travaux sur la trans­parence, qui doivent repren­dre fin 2020 lors de la COP 26.


L’échec du rehaussement de l’ambition

L’Accord de Paris pose un cadre com­mun dans lequel les pays se sont engagés à rehauss­er les ambi­tions inscrites dans les con­tri­bu­tions nationales en 2020. Or le texte de Madrid ne demande pas à tous les pays d’utiliser une ambi­tion accrue – seuls 80 pays sur les 197 Par­ties se sont volon­taire­ment engagés à relever leur ambi­tion – ni ne men­tionne l’échéance de 2020. Cela est en con­tra­dic­tion avec le mot d’ordre time for action de la COP 25 et l’état des lieux inquié­tant des récents rap­ports du groupe d’experts intergouverne­mental sur l’évolution du cli­mat (GIEC).

Des politiques peu impliqués

Un sen­ti­ment d’échec poli­tique ressort net­te­ment de la COP 25. Certes les négo­ci­a­teurs étaient présents mais ni les min­istres ni les chefs d’État n’étaient assez investis pour s’assurer de la robustesse des avancées de la COP 25, qui a pour ain­si dire été désertée au niveau poli­tique. Cela con­traste grande­ment avec les COP 21 et COP 22, entre autres, où des min­istres de tous les pays étaient présents suff­isam­ment et avec une impli­ca­tion réelle.

Par exem­ple, dans le cas de la France, le Pre­mier min­istre Édouard Philippe a certes par­ticipé à l’ouverture de la con­férence le pre­mier jour, mais briève­ment. La min­istre de la Tran­si­tion écologique et sol­idaire, Élis­a­beth Borne, n’est venue que deux jours, avec un impact poli­tique lim­ité, sans compter la venue encore plus courte d’une secré­taire d’État à la Tran­si­tion écologique et solidaire.

Une présidence de COP défaillante

La prési­dence chili­enne n’a pas tou­jours su com­mu­ni­quer un sens de l’urgence et ne s’est pas suff­isam­ment investie pour créer un sen­ti­ment de mobil­i­sa­tion générale, ni dis­cuter des points durs. Par exem­ple, le same­di 14 décem­bre au matin, alors que les négo­ci­a­tions avaient déjà pris un jour de retard, la prési­dence chili­enne n’a pas trou­vé meilleure stratégie que de deman­der aux négo­ci­a­teurs de lire les textes et d’apporter des com­men­taires, au lieu d’avoir une atti­tude plus rad­i­cale pour les pouss­er à stat­uer rapi­de­ment. Les derniers jours de cette COP, qui a pour­tant traîné en longueur, n’ont pas non plus été mar­qués par une atmo­sphère d’émulation notable.

Des points positifs malgré tout : le Green New Deal européen

Le Green New Deal annon­cé par Ursu­la von der Leyen en fin de COP 25 est certes une avancée pos­i­tive dans son inten­tion affichée à s’engager sur des objec­tifs chiffrés ambitieux pour la réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre au niveau européen. Toute­fois, les méth­odes détail­lées de décar­bon­a­tion avec des feuilles de route claires pour arriv­er à la neu­tral­ité car­bone européenne annon­cée pour 2050 ne sont pas encore pré­cisées. Les con­di­tions de relève de l’ambition en 2030 ne sont pas non plus définies.

Le rôle actif de la communauté scientifique

Le GIEC était très présent à la COP 25 avec de nom­breux événe­ments en plénière et en dehors, dont la présen­ta­tion détail­lée des trois plus récents rap­ports du GIEC lors du Earth Infor­ma­tion Day le 3 décem­bre à des­ti­na­tion des négo­ci­a­teurs, coor­gan­isé avec l’Organe sub­sidi­aire de con­seil sci­en­tifique et tech­nologique (SBSTA) de la CNUCC qui a aus­si un rôle majeur pour la dif­fu­sion des con­nais­sances sci­en­tifiques auprès des décideurs.

De même, l’événement con­joint entre des mem­bres de l’Union of Con­cerned Sci­en­tists et l’emblématique activiste pour le cli­mat Gre­ta Thun­berg le 10 décem­bre s’est inscrit dans une série d’actions proac­tives de la com­mu­nauté sci­en­tifique pour dif­fuser large­ment les con­nais­sances sci­en­tifiques à jour sur la ques­tion du réchauf­fe­ment climatique.

L’ombre de Donald Trump

Le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris, con­fir­mé par l’administration de Don­ald Trump le 4 novem­bre 2019, a prob­a­ble­ment indi­recte­ment pesé sur la COP 25 en sus­ci­tant une pos­si­ble réti­cence accrue à s’engager vers un relève­ment des niveaux d’ambition de la part des prin­ci­paux com­péti­teurs économiques des États-Unis, notam­ment la Chine, l’Inde, le Brésil et l’Australie, qui ont sys­té­ma­tique­ment blo­qué les avances sur de nom­breux points des textes.

La COP 25 a toute­fois été mar­quée par la présence de per­son­nal­ités améri­caines de pre­mier plan pour con­tre­bal­ancer cela. Par­mi elles : la prési­dente démoc­rate de la Cham­bre des représen­tants Nan­cy Pelosi, l’ex-maire de New York le mil­liar­daire Michael Bloomberg, les écon­o­mistes Jef­frey Sachs et Robert Stavins tous deux pro-Bernie Sanders, l’ancien secré­taire d’État des États-Unis John Ker­ry et son ini­tia­tive de coali­tion de per­son­nal­ités « en guerre » con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, l’ancien vice-prési­dent des États-Unis et Prix Nobel de la paix Al Gore et son dis­cours engagé pour le climat.

“Le Green New Deal annoncé
par Ursula von der Leyen
est une avancée positive.”

Les jeunes et la société civile, véritables champions de la COP 25 

Au-delà des acteurs déjà men­tion­nés, les véri­ta­bles héros de la COP 25 sont avant tout les jeunes et les citoyens. La par­tic­i­pa­tion de Gre­ta Thun­berg et des activistes de son mou­ve­ment de grève sco­laire Fri­days for future à une marche qui a rassem­blé pas moins de 500 000 man­i­fes­tants du monde entier à Madrid, puis leur par­tic­i­pa­tion au Som­met social pour le cli­mat à l’Université Com­plutense de Madrid dans laque­lle est né le mou­ve­ment des Indignés ont été marquantes.

Les actions d’Extinction Rébel­lion se sont aus­si mul­ti­pliées pen­dant et après la COP 25 avec des nuits dehors, des man­i­fes­ta­tions et des déc­la­ra­tions à la presse. Par ailleurs, face au manque d’avance des négo­ci­a­tions, une action de protes­ta­tion à l’intérieur même de la COP, au niveau de l’entrée de la salle plénière, s’est déroulée le 11 décem­bre 2019. Elle a d’ailleurs don­né lieu à une évac­u­a­tion poli­cière et au retrait pro­vi­soire des badges de 200 man­i­fes­tants qui étaient pour­tant tous accrédités. De nom­breuses autres actions mil­i­tantes ont eu lieu à l’intérieur même de l’espace dit de zone bleue de la COP, qui est pour­tant habituelle­ment extrême­ment policé et dans lequel des respon­s­ables poli­tiques sont amenés à cir­culer. De l’inédit dans l’histoire des COP !

Vers la COP 26

Ain­si, la COP 25 n’a pas tenu les objec­tifs annon­cés. L’implication insuff­isante des respon­s­ables poli­tiques ain­si qu’une prési­dence de COP défail­lante en sont deux caus­es majeures.

Pour­tant des points posi­tifs ressor­tent de la COP 25, dont notam­ment le Green New Deal européen, le rôle dynamique de la com­mu­nauté sci­en­tifique, la présence de per­son­nal­ités améri­caines très impliquées dans la lutte con­tre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, ain­si que l’implication forte des jeunes généra­tions et de la société civile. Affaire à suiv­re à la COP 26 après les prob­a­bles boule­verse­ments poli­tiques asso­ciés à la crise mon­di­ale de la Covid-19. À not­er que, pour la pre­mière fois de l’histoire des COP, la COP 26 n’aura pas lieu comme prévu en novem­bre 2020 mais a été reportée à 2021 en rai­son des incer­ti­tudes san­i­taires : par com­para­i­son, quelques jours à peine après les ter­ri­bles événe­ments du Bat­a­clan, la COP 21 s’était pour­tant tenue en 2015. 


Site offi­ciel de la COP 25 : https://cop25.mma.gob.cl/en/home/

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Thanh-Tâm Lê (X1991)répondre
19 juin 2020 à 11 h 32 min

Mer­ci pour cet arti­cle très clair, syn­thé­tique et qui abor­de bien de mul­ti­ples per­spec­tives sur un sujet fort complexe.

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