Collaborations franco-chinoises sur l’étude du climat

Dossier : Chine et environnementMagazine N°744 Avril 2019
Par Laurent LI

Le Lab­o­ra­toire de météorolo­gie dynamique (LMD com­mun à l’X, ENS, Sor­bonne Uni­ver­sité et CNRS) entre­tient des col­lab­o­ra­tions avec la Chine de longue date. Lau­rent Li l’a rejoint en 1985 et évoque dans cet entre­tien les liens qui unis­sent insti­tu­tions chi­nois­es et français­es sur le climat.

Laurent Li, pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours au sein du LMD ?

Je suis né et j’ai gran­di à Dengzhou dans la province du Henan. J’ai effec­tué mes études uni­ver­si­taires à Nan­jing, l’ancienne cap­i­tale de la Chine. J’ai rejoint le LMD en 1985 grâce à une bourse de thèse, thèse que j’ai passée en 1990 sur les pre­miers mod­èles cli­ma­tiques. Vu les capac­ités de cal­cul de l’époque, on ne pou­vait encore mod­élis­er le cli­mat que très grossière­ment, sur un tiers de la Terre seule­ment, c’était bien insuff­isant ! En 1991, j’ai rejoint le CNRS en tant que chargé de recherche, et mes études sur le cli­mat et le change­ment cli­ma­tique con­tin­u­ent donc au LMD. Ma recherche a con­tribué aux dif­férents rap­ports du Giec depuis les années 1990. J’ai été nom­mé directeur de recherche au CNRS en 2006.

Le LMD créé en 1968 est pio­nnier sur la mod­éli­sa­tion de l’atmosphère ter­restre, et des atmo­sphères plané­taires. Le mod­èle atmo­sphérique, LMDZ, dévelop­pé et con­tin­uelle­ment mis à jour au LMD, est util­isé en recherche cli­ma­tique par une large com­mu­nauté sci­en­tifique en France et à l’étranger. Il est la com­posante atmo­sphérique du mod­èle cou­plé IPSL (de l’Institut Pierre-Simon-Laplace) qui mod­élise le cli­mat avec une approche du sys­tème Terre qui prend en compte le cou­plage et les inter­ac­tions par­mi l’atmosphère, l’océan, la terre émergée, la neige et la glace, et la végétation.

Quelles sont les collaborations du LMD avec les laboratoires de recherche chinois ?

Le LMD tra­vaille actuelle­ment avec trois prin­ci­pales insti­tu­tions en Chine, cha­cune de nature assez dif­férente, et assez com­plé­men­taire en fin de compte.

La pre­mière col­lab­o­ra­tion, avec l’université spé­cial­isée de météorolo­gie de Nankin (NUIST), Nan­jing Uni­ver­si­ty of Infor­ma­tion Sci­ence and Tech­nol­o­gy, porte sur le change­ment cli­ma­tique, la région­al­i­sa­tion du change­ment cli­ma­tique en Chine, les événe­ments cli­ma­tiques extrêmes (fortes pré­cip­i­ta­tions et sécher­ess­es), et l’évaluation des scé­nar­ios 1,5 °C et 2 °C, réchauf­fe­ments globaux ciblés par l’Accord de Paris sur le cli­mat, con­clu en 2015.

La deux­ième col­lab­o­ra­tion est avec la pres­tigieuse uni­ver­sité mul­ti­dis­ci­plinaire de Pékin, Bei­da (Bei­jing Dax­ue) et porte sur les sujets plus trans­ver­saux, tels que les scé­nar­ios d’émissions, l’écologie, l’impact socié­tal, l’économie, le reboise­ment, etc.

La troisième col­lab­o­ra­tion est avec la CMA, la Chi­na Mete­o­ro­log­i­cal Admin­is­tra­tion, l’organisation homo­logue de Météo-France, mais out­re des mis­sions de ser­vice pub­lic, la CMA pos­sède un réseau de lab­o­ra­toires de recherche, dont le Bei­jing Cli­mate Cen­ter (BCC) qui développe égale­ment un mod­èle cou­plé océan/atmosphère/carbone. La col­lab­o­ra­tion est pilotée par le haut, par l’État chi­nois, qui a décidé il y a une dizaine d’années de par­ticiper active­ment au Giec. La CMA dis­pose bien évidem­ment de beau­coup de don­nées sur le vaste ter­ri­toire de la Chine, et de beau­coup d’expertise sur le cli­mat régional.

En réal­ité, la recherche cli­ma­tique est très riche en Chine, car plusieurs autres lab­o­ra­toires chi­nois tra­vail­lent égale­ment sur ces sujets, sou­vent plus en com­péti­tion entre eux qu’en collaboration.

Pouvez-vous donner un exemple de résultat de collaboration ?

Une étude menée en col­lab­o­ra­tion avec Bei­da a don­né lieu à une pub­li­ca­tion con­jointe Afforesta­tion in Chi­na cools local land sur­face tem­per­a­ture parue au PNAS (Pro­ceed­ings of the Nation­al Acad­e­my of Sci­ences of the Unit­ed States of Amer­i­ca). Une autre étude, plus récente, parue au jour­nal Sci­ence Advances, por­tait sur le sujet Diver­gent hydro­log­i­cal response to large-scale afforesta­tion and veg­e­ta­tion green­ing in Chi­na. Ces deux travaux de recherche étu­di­aient l’impact des grands pro­grammes de refor­esta­tion en Chine sur la tem­péra­ture et le cycle hydrologique des régions reboisées. En effet, si le stock­age de car­bone par les forêts ralen­tit le réchauf­fe­ment cli­ma­tique glob­al de la planète, l’effet ther­mique local met en jeu d’autres proces­sus physiques : d’une part le réchauf­fe­ment de la tem­péra­ture de sur­face en rai­son d’une aug­men­ta­tion de la chaleur absorbée (la cou­ver­ture végé­tale de la forêt est plus som­bre que les prairies et les champs cul­tivés), et d’autre part, le refroidisse­ment du feuil­lage par évapo­tran­spi­ra­tion. Cet effet con­duit à un refroidisse­ment des forêts trop­i­cales mais à un réchauf­fe­ment des forêts boréales (toundra). L’étude a mon­tré qu’en ce qui con­cerne la Chine le bilan de ces deux effets con­traires con­duit à un léger refroidisse­ment local. On peut en con­clure que la refor­esta­tion en Chine a un effet mod­éra­teur non seule­ment sur le plan du réchauf­fe­ment cli­ma­tique glob­al, mais aus­si pour la tem­péra­ture locale. La refor­esta­tion accélère aus­si le cycle hydrologique en aug­men­tant le taux d’évapotranspiration et celui des pré­cip­i­ta­tions dans cer­taines régions.

“Le déclin des deux dynasties impériales
les plus puissantes de l’histoire de la Chine
correspondait aux périodes de faible mousson d’été en Chine”

Quelles sont les caractéristiques fondamentales du climat en Chine ?

Le cli­mat en Chine est gou­verné par le régime de la mous­son sud-est asi­a­tique, qui impacte aus­si la Corée et le Japon. C’est un régime par­ti­c­uli­er, dif­férent du régime de mous­son trop­i­cale en Inde et en Afrique de l’Ouest. La mous­son sud-est asi­a­tique fait altern­er une mous­son d’hiver, don­nant lieu à un cli­mat sec et froid, et une mous­son d’été, don­nant lieu à un cli­mat chaud et humide. En été, la mous­son se matéri­alise par un front qua­si sta­tion­naire entre les mass­es d’air du sud et du nord de la Chine. Ce front, certes qua­si sta­tion­naire, présente un mou­ve­ment de migra­tion (sou­vent chao­tique) vers le nord avec l’avancement de l’été. La zone étroite et allongée de fortes pré­cip­i­ta­tions en rela­tion avec le front suit ce mou­ve­ment du sud vers le nord. Le mou­ve­ment de ce front et de la zone de pré­cip­i­ta­tions asso­ciée est très vari­able selon les années, ce qui donne lieu à une grande vari­abil­ité des pré­cip­i­ta­tions. Cette forte vari­abil­ité cli­ma­tique con­stitue un défi socié­tal à relever pour les pop­u­la­tions qui habitent dans cette région. Dans le passé, quand les sociétés étaient encore très agri­coles, on peut raisonnable penser que la vari­abil­ité de cette mous­son sud-est asi­a­tique a joué un rôle encore plus important.

Ce n’est peut-être pas une pure coïn­ci­dence que le déclin des deux dynas­ties impéri­ales les plus puis­santes de l’histoire de la Chine, celle des Tang de 618 à 907 et celle des Ming de 1368 à 1644, cor­re­spondait aux péri­odes de faible mous­son d’été en Chine. Des sécher­ess­es cat­a­strophiques dans la vaste plaine en Chine du Nord s’ajoutaient aux prob­lèmes poli­tiques du moment.

Une autre remar­que his­torique sur le cli­mat con­cerne le tracé de la Grande Muraille, en fait des grandes murailles con­stru­ites suc­ces­sive­ment par les dif­férentes dynas­ties, la pre­mière remon­tant à 221 av. J.-C. à la dynas­tie Qin, uni­fi­ca­trice de la Chine met­tant fin à la guerre des Roy­aumes com­bat­tants. Son tracé cor­re­spond à la ligne d’isoprécipitation de 200 mm annuels. Au nord, les pluies sont trop rares pour per­me­t­tre une vie séden­taire basée sur l’agriculture. C’est donc la région des nomades, celle des Xiongnu qui com­bat­taient la dynas­tie Han du temps de Jésus-Christ, celle des Mon­gols de Gengis Khan qui ont envahi la Chine et fondé un empire immense.

Est-il plus difficile de faire des prédictions climatiques pour une région comme la Chine que pour l’ensemble du système Terre ?

Les pro­jec­tions cli­ma­tiques régionales sont très dif­fi­ciles avec les mod­èles actuels basés sur des mail­lages de cal­cul dont la réso­lu­tion est de l’ordre de 100 km. La vari­abil­ité cli­ma­tique régionale en Chine est énorme, ce qui aug­mente con­sid­érable­ment les dif­fi­cultés de faire une prévi­sion ou une pro­jec­tion du change­ment cli­ma­tique dans cette région. Il sem­ble, néan­moins, que le réchauf­fe­ment glob­al du cli­mat pour­rait modifier
le régime de la mous­son en aug­men­tant les pluies
au nord et les dimin­u­ant au sud. Pour pou­voir obtenir des con­clu­sions plus solides, il faut aug­menter la réso­lu­tion des mod­èles, une pre­mière étape en cours étant un mail­lage de 20 km, mais idéale­ment il faudrait descen­dre à un mail­lage de quelques kilo­mètres. Cela sup­pose aus­si de den­si­fi­er les points de mesure sur le ter­ri­toire ce qui est très coû­teux. Enfin, il faut aus­si faire des pro­grès sur la con­nais­sance des phénomènes physiques en jeu dans le sys­tème cli­ma­tique, notam­ment sur les nuages, la cou­ver­ture végé­tale, les proces­sus du sol, les aérosols dans l’atmosphère, et le rôle du plateau tibé­tain dans la vari­a­tion du cli­mat régional.

Pour men­er toutes ces études à bien, les lab­o­ra­toires chi­nois, notam­ment le BCC du CMA, dis­posent de moyens impor­tants, que ce soient des super­cal­cu­la­teurs ou des sou­tiens financiers. Mais je pense que le LMD peut aus­si y jouer un rôle impor­tant avec ses rich­es exper­tis­es en matière de mod­éli­sa­tion du cli­mat glob­al et région­al. D’autre part, le LMD est aus­si très avancé dans l’observation de la Terre depuis l’espace. Depuis une quin­zaine d’années, la Chine a lancé plusieurs pro­grammes d’observation spa­tiale et a acquis de très nom­breuses don­nées sci­en­tifiques. Je pense que le LMD pour­ra faire de belles études si on arrive à exploiter ces don­nées chinoises.

Que voudriez-vous dire à nos jeunes diplômés de l’X intéressés par la recherche ?

La col­lab­o­ra­tion du LMD avec ces trois entités de recherche chi­noise (CMA, Bei­da, NUIST) représente une superbe oppor­tu­nité de stages pour les élèves de l’X qui voudraient se spé­cialis­er dans la recherche climatique ! 

Pro­pos recueil­lis par Fran­cis Char­p­en­tier (75)

Poster un commentaire