Pollution atmosphérique : la bataille pour le ciel bleu

Dossier : Chine et EnvironnementMagazine N°743 Mars 2019
Par Jérôme BOUTANG
Les hauts niveaux de pollution de l’air constituent un défi social et de santé publique urgent en Chine. C’est ce qui a amené les autorités à engager une politique de lutte contre la pollution de l’air à court terme, en synergie avec le défi climatique de 2030–2050.

Envi­ron un mil­lion de décès pré­ma­tu­rés sont aujourd’hui impu­tables à la pol­lu­tion exté­rieure. La moyenne d’espérance de vie en Chine serait ain­si réduite de près de vingt-cinq mois en rai­son de la mau­vaise qua­li­té de l’air. Il s’agit essen­tiel­le­ment d’un pro­blème urbain.

La Chine s’est lan­cée dans « la bataille pour la défense du ciel bleu » qui, selon le rap­port de 2018 du minis­tère de l’Écologie et de l’Environnement (MEE), s’annonce d’envergure. Le MEE affirme déjà que cette lutte a don­né des résul­tats remar­quables (NDLR : en termes de dimi­nu­tion du nombre de jours de pics de pol­lu­tion). Le « Plan d’action pour la pré­ven­tion et la réduc­tion de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique », publié en sep­tembre 2013, visait à réduire de manière signi­fi­ca­tive les concen­tra­tions de par­ti­cules d’un dia­mètre infé­rieur ou égal à 10 µm (PM10) et celles de PM2,5, à tra­vers la Chine. Toutes les actions pro­po­sées dans ce Plan néces­sitent un ajus­te­ment de la struc­ture éco­no­mique et indus­trielle et du mix éner­gé­tique d’une part, et d’autre part, la trans­for­ma­tion du mode de déve­lop­pe­ment chi­nois, la pro­mo­tion de l’environnement ain­si que l’amélioration de l’efficacité énergétique.


REPÈRES

La pol­lu­tion de l’air, qui a atteint un pic en 2013, s’est amé­lio­rée signi­fi­ca­ti­ve­ment depuis. Cepen­dant, en 2018, par­mi les trente plus grandes villes du monde, les villes chi­noises les plus pol­luées appa­raissent, selon l’OMS, en 14e, 13e, 11e, 10e, 9e, 7e et 4e posi­tion. Ain­si, en 4e posi­tion, les villes de Tian­jin et de Cheng­du affichent une concen­tra­tion moyenne annuelle de 150 µg/m3 de par­ti­cules fines (à titre de com­pa­rai­son, Los Angeles, 20 µg/m3).


La Chine fait face « au mur de l’environnement »

Les causes prin­ci­pales de cette forte pol­lu­tion résident dans la crois­sance des villes, dans les besoins crois­sants en trans­port, en élec­tri­ci­té et chauf­fage résul­tant de l’augmentation de la popu­la­tion et de son reve­nu dis­po­nible ain­si que dans le mix éner­gé­tique, qui fait encore la part belle au char­bon. Selon Jean-Paul Maré­chal, éco­no­miste et cher­cheur spé­cia­liste de la Chine, la part de la popu­la­tion vivant dans les zones urbaines aurait dou­blé, pour atteindre envi­ron 55 % de la popu­la­tion totale en 2017, tan­dis que la demande en éner­gie est aujourd’hui presque 3,5 fois supé­rieure à celle de 1990. Plus de 90 % de cette aug­men­ta­tion de la demande a été satis­faite par les com­bus­tibles fos­siles. Le char­bon génère main­te­nant encore 75 % de l’électricité. Deux tiers de la pro­duc­tion éner­gé­tique sont cou­verts par le char­bon et le pétrole. Ce der­nier repré­sente plus de 90 % de l’énergie consom­mée dans le sec­teur des transports.

“La moyenne d’espérance de vie en Chine
serait réduite de près de vingt-cinq mois en raison
de la mau­vaise qua­li­té de l’air”

Des niveaux de pollution préoccupants

83 % des Chi­nois sont expo­sés à des niveaux de pol­lu­tion de l’air qui seraient consi­dé­rés, aux États-Unis, comme dan­ge­reux pour la san­té, ou dan­ge­reux pour des per­sonnes fra­giles. Les pol­luants les plus pré­oc­cu­pants demeurent les par­ti­cules fines, les oxydes d’azote et le SO2.

Cepen­dant, d’après le MEE, dans son rap­port daté de 2018, les objec­tifs d’amélioration de la pol­lu­tion et les tâches clés défi­nies dans le Plan d’action de 2013 ont été rem­plis. Citons quelques-unes des prin­ci­pales actions récentes pré­sen­tées dans le rap­port. Les petites chau­dières à char­bon dans les zones urbaines devraient être éli­mi­nées pro­gres­si­ve­ment d’ici à 2020, dans presque toutes les villes dites « au niveau de la pré­fec­ture et plus » (villes dites APL). Les cen­trales au char­bon de 700 MW ou plus ont fait l’objet d’une réforme tech­nique visant à géné­rer de plus faibles émis­sions. De nou­velles normes d’émissions de véhi­cules à moteur ont été mises en œuvre à l’échelle natio­nale, avec une mise à l’écart totale des véhi­cules les plus pol­luants alors que plus de 1,8 mil­lion de nou­veaux véhi­cules à éner­gie propre ont été mis en service.

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Réduire l’usage du charbon

Le gou­ver­ne­ment chi­nois a conti­nué de sub­sti­tuer au char­bon du gaz et de géné­rer de l’électricité à par­tir d’autres sources éner­gé­tiques, rédui­sant la consom­ma­tion de char­bon d’environ 10 mil­lions de tonnes. Les résul­tats com­mu­ni­qués dans le rap­port du MEE montrent qu’en 2017 les concen­tra­tions moyennes de PM10 dans
338 villes « APL » étaient de 23 % infé­rieures à celles de 2013. Pour les PM2,5, les concen­tra­tions moyennes dans la région Bei­jing-Tian­jin-Hebei, ain­si que dans les del­tas du Yang-Tsé et de la rivière des Perles, étaient res­pec­ti­ve­ment de 40 %, 34 % et 28 % infé­rieures à celles de 2013. De même, la concen­tra­tion moyenne de PM2,5 à Pékin a chu­té de
89 µg / m3 (2013) à 58 µg / m3 en cinq ans.

Cepen­dant, le dis­po­si­tif de mesure et de sur­veillance envi­ron­ne­men­tale des 338 villes APL a mon­tré que seule­ment 99 villes res­pec­taient les niveaux exi­gés par la régle­men­ta­tion natio­nale de la qua­li­té de l’air (la valeur limite est fixée à 35 µg / m3 par exemple pour les PM2,5). Au total de ces 338 villes, en 2017, le MEE relève que les pics de pol­lu­tion ont repré­sen­té 2 311 jours cumu­lés, dont 802 jours de pics de pol­lu­tion très éle­vée. À titre d’exemples, par­mi ces der­niers, 74 % des jours concer­naient les PM2,5 pri­maires ; ceux avec PM10, 20 % des jours de dépas­se­ment éle­vé ; et ceux avec l’ozone, 6 % des jours.

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L’importance stratégique de l’inventaire des émissions atmosphériques

Si la qua­li­té de l’air en villes est un enjeu auquel les popu­la­tions sont par­ti­cu­liè­re­ment sen­sibles depuis fin 2011, date à par­tir de laquelle les réseaux sociaux ont abon­dam­ment par­ta­gé ces enjeux, éla­bo­rer un inven­taire natio­nal des émis­sions anthro­po­gé­niques fiable demeure un objec­tif consi­dé­rable. L’université de Tsing­hua a mis au point l’Inventaire mul­ti­ré­so­lu­tion des émis­sions de la Chine (MEIC), pour esti­mer les émis­sions anthro­piques. Le modèle MEIC est basé sur une série agré­geant l’inventaire d’émissions pour les cen­trales élec­triques et les cimen­te­ries ; un inven­taire à haute réso­lu­tion des émis­sions des véhi­cules au niveau du com­té ; un inven­taire des émis­sions de com­bus­tion rési­den­tielles basé sur des don­nées d’enquêtes natio­nales ; et un cadre de spé­cia­tion de com­po­sés orga­niques vola­tils non métha­niques (COVNM). Le MEIC four­nit un ensemble de don­nées d’émissions acces­sible au public, sur la Chine, avec des mises à jour régulières.

Neuf espèces chi­miques sont incluses dans ce rap­port qui sont tou­jours reprises dans les modèles de trans­port chi­mique : SO2, NOx, CO, COVNM, NH3 (ammo­niac), PM10 et PM2,5, BC (car­bone noir) et OC (car­bone organique).

Cepen­dant, le gou­ver­ne­ment chi­nois n’a pas encore nom­mé d’autorité ou d’agence indé­pen­dante en charge des inven­taires de pol­lu­tion atmo­sphé­rique. Ce tra­vail est encore réa­li­sé en par­tie par le Craes (Chi­nese Research Aca­de­my of Envi­ron­men­tal Sciences) et par des uni­ver­si­taires. En revanche, au niveau des GES, le Natio­nal Cen­ter for Cli­mate Change Stra­te­gy, qui rap­porte au MEE, est le lea­der de l’inventaire natio­nal. D’autre part, plu­tôt que des cal­culs d’émissions, la Chine publie, soit des concen­tra­tions de pol­luants, sans faire appa­raître les sources res­pon­sables de celles-ci, soit, pour le CO2, des ratios comme celui de l’intensité car­bone (émis­sions rap­por­tées à la valeur ajou­tée ou au GDP). Le MEE a dési­gné les auto­ri­tés locales comme ayant la charge de la sur­veillance et du contrôle de ces émissions.

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Intégrer la lutte air-climat-énergie

Dans son 13e plan quin­quen­nal, la Chine indique que l’objectif envi­ron­ne­men­tal doit s’accompagner « simul­ta­né­ment » de la pros­pé­ri­té afin d’édifier « une belle Chine ». La cause envi­ron­ne­men­tale, mal­gré son acui­té, n’est pas encore consi­dé­rée au même niveau de prio­ri­té que celui des sec­teurs dits contri­bu­tifs : l’industrie, l’énergie, le trans­port, l’agriculture et le bâti­ment. L’environnement est en effet per­çu comme un coût alors que les sec­teurs d’activité génè­re­raient de l’emploi et des pro­fits. C’est encore davan­tage le cas en ce qui concerne la lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique aux avan­tages incer­tains, mutua­li­sés et dif­fé­rés dans le temps. Avec la réforme ins­ti­tu­tion­nelle de 2018, les pou­voirs du MEE se déve­loppent pour inté­grer les res­pon­sa­bi­li­tés en matière de pol­lu­tion jusqu’alors attri­buées à plu­sieurs autres minis­tères, ain­si que pour tra­duire en actes la poli­tique en matière de chan­ge­ment cli­ma­tique de la Com­mis­sion natio­nale pour le déve­lop­pe­ment et la réforme (NDRC), un puis­sant orga­nisme de pla­ni­fi­ca­tion économique.

Une stra­té­gie sédui­sante pour la Chine vise à quan­ti­fier les cobé­né­fices de l’action cli­mat en matière de réduc­tion des coûts de san­té, consé­quences de la pol­lu­tion atmo­sphé­rique. Cette der­nière est en effet liée à de nom­breux objec­tifs onu­siens dits de déve­lop­pe­ment durable (ODD), adop­tés en 2015, notam­ment par la Chine. Les stra­té­gies visant à l’amélioration de la qua­li­té de l’air y inter­agissent direc­te­ment avec les objec­tifs d’atténuation du chan­ge­ment cli­ma­tique ou encore avec l’accès aux ser­vices d’énergie propre.

Collaboration franco-chinoise

L’idée « de faire d’une pierre deux coups », consis­tant à modi­fier les acti­vi­tés, tech­niques et pro­cé­dés ain­si que l’efficacité et le mix éner­gé­tiques pour pour­suivre conjoin­te­ment des objec­tifs cli­mat de long terme et de pol­lu­tion atmo­sphé­rique de court terme, est le fon­de­ment de la col­la­bo­ra­tion du Cite­pa avec le Craes, depuis l’automne 2014. Elle a vu la créa­tion d’un centre de lutte inté­grée air-cli­mat-éner­gie à Pékin, le SFCAGEM. Cette inté­gra­tion a aus­si été le thème d’une confé­rence orga­ni­sée par le Craes et le MEE, les 18 et 19 jan­vier 2019, à laquelle le Cite­pa a par­ti­ci­pé : « The 1st Inter­na­tio­nal Work­shop for Co-bene­fits Research on Green­house Gases Reduc­tion and Air Pol­lu­tants Control ».

Le minis­tère fran­çais en charge de l’Écologie, qui regroupe au sein de la DGEC les acti­vi­tés air-cli­mat-éner­gie, et le Cite­pa, illus­trent, au tra­vers des inven­taires, cette exper­tise fran­çaise d’intégration des enjeux envi­ron­ne­men­taux aux­quels les auto­ri­tés chi­noises sont sensibles.


Des progrès substantiels

Le MEE a publié les chiffres d’évolution de la concen­tra­tion de six pol­luants majeurs dans 338 villes dites APL (2015 et 2017). Pour les par­ti­cules fines PM10, de dia­mètre infé­rieur ou égal à 10 nm, il n’y a plus de villes qui dépassent le taux de 150 µg/m3 et celles dont le taux se situe entre 40 et 70 µg/m3 sont pas­sées de 30 à 40 %. Pour les par­ti­cules PM2,5 de dia­mètre inférieur
ou égal à 2,5 nm, plus aucune ville n’enregistre une concen­tra­tion au-delà de 70
µg/m3 – il y en avait encore 13 % en 2015 – et la pro­por­tion des villes dont le taux se situe entre 20 et 40 µg/m3 est pas­sée de 21 % à 32 %. Des pro­grès simi­laires sont consta­tés pour le NO2, le SO2 et le CO. Seule la concen­tra­tion d’ozone semble aug­men­ter sur la période.


Sources

• Base de don­nées de l’OMS sur la pol­lu­tion des villes, actua­li­sée en 2018 (don­nées 2016) https://www.who.int/airpollution/data/cities/en/

• « Ener­gy and air pol­lu­tion », WEO 2016 spe­cial report, chap­ter 7 : China.

• « Report on the State of the Eco­lo­gy and Envi­ron­ment of Chi­na », Minis­try of Eco­lo­gy and Envi­ron­ne­ment (MEE), 2017, May 22, 2018.

• « Minis­try of Eco­lo­gy and Envi­ron­ment of the People’s Repu­blic of Chi­na, Air Pol­lu­tion Pre­ven­tion and Control Action Plan » [online]. From : http://zfs.mep.gov.cn/fg/gwyw/ 201309/t20130912_260045.html (25÷06÷2018).

La Chine face au mur de l’environnement ?, sous la direc­tion de Jean-Paul Maré­chal, CNRS Édi­tions, Paris, 2017.

• MEE : les sources citées par la MEE sont prin­ci­pa­le­ment issues du moni­to­ring data of Natio­nal Envi­ron­men­tal Moni­to­ring Net­work, avec des com­plé­ments des minis­tères concer­nés par les émis­sions ain­si que les Com­mis­sions comme celle de la réforme ou encore le Chi­na Green­house Gas Bul­le­tin (2011−2016) en ce qui concerne les gaz à effet de serre du Bureau natio­nal de la sta­tis­tique pour l’énergie. L’évaluation de la qua­li­té de l’air ambiant en milieu urbain repose sur la norme de qua­li­té de l’air ambiant (GB 3095–2012) et les dis­po­si­tions sup­plé­men­taires sur l’évaluation de la qua­li­té de l’air en milieu urbain affec­tées par le pro­ces­sus météo­ro­lo­gique de tem­pête de sable avec des indi­ca­teurs d’évaluation, y com­pris SO2, NO2, PM10, PM2,5, CO et O3.

Pour les ana­lystes et experts, il est pos­sible de trou­ver des infor­ma­tions auprès de l’OCDE, Chi­na Sta­tis­ti­cal Year­book (CSY), Chi­na Ener­gy Group au Law­rence Ber­ke­ley Natio­nal Lab.), Gold­man Sachs, AIE, US Ener­gy Infor­ma­tion Administration.

• Rohde (Robert A.), Mul­ler (Richard A.), « Air Pol­lu­tion in Chi­na : Map­ping of Concen­tra­tions and Sources », The Eco­no­mist, 15 août 2015, p. 52. Rap­por­té par Jean-Paul Maré­chal « Le défi éco­lo­gique chi­nois », in Reliefs, n°7, p. 118–123, 2017.

• Li (Meng), Liu (Huan), Geng (Guan­nan), Hong (Chao­peng), Liu (Fei), Song (Yu), Tong (Dan), Zheng (Bo), Cui (Hon­gyang), Man (Hanyang) et al., « Anthro­po­ge­nic emis­sion inven­to­ries in Chi­na : a review », Natio­nal Science Review, Volume 4, Issue 6, 1st Novem­ber 2017, p. 834–866,

http://www.meicmodel.org

• Craes, Chi­nese Research Aca­de­my of Envi­ron­men­tal Sciences, Bei­jing (dépend du MEE).

http://en.ndrc.gov.cn/newsrelease/201612/P020161207645765233498.pdf p. 119.

• Rafa­ja (Peter), Kie­se­wet­te­ra (Gre­gor), Gulb (Timur), Schop­pa (Wolf­gang), Cofa­laa (Janusz), Kli­mon­ta (Zbi­gniew), Puro­hi­ta (Pal­lav), Heye­sa (Chris), Aman­na (Mar­kus), Bor­ken-Klee­fel­da (Jens), Coz­zib (Lau­ra), « Out­look for clean air in the context of sus­tai­nable deve­lop­ment goals », Glo­bal Envi­ron­men­tal Change, 2018.

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