Transition énergétique : des efforts qui tardent à payer

Dossier : Chine et EnvironnementMagazine N°743 Mars 2019
Par Thibault LACONDE
La Chine se positionne résolument comme « porte-étendard de la campagne mondiale pour l’écologie », selon les mots de Xi Jinping. Mais quelle est la réalité de cette ambition, en particulier en matière d’énergie ? Le pays peut-il vraiment avoir un rythme de croissance supérieur à 6 % par an tout en limitant sa consommation d’énergie et en résolvant ses immenses problèmes
de pollution atmosphérique ?

Pour­tant, la Chine a accu­mu­lé dans le domaine éner­gé­tique un lourd pas­sif qui rend le défi éco­lo­gique dif­fi­cile à rele­ver. Sa consom­ma­tion d’énergie pri­maire a plus que dou­blé pen­dant les années de crois­sance explo­sive qui ont sui­vi son entrée à l’Organisation mon­diale du com­merce en 2001 puis le plan de relance de 2008 et c’est très lar­ge­ment le char­bon qui a per­mis de faire face à cette demande. Aujourd’hui le pays consomme à lui seul la moi­tié du char­bon extrait sur la pla­nète : celui-ci four­nit à peu près les deux tiers d’une consom­ma­tion d’énergie pri­maire de l’ordre de 3 000 mil­liards de tonnes équi­valent pétrole. Sans sur­prise, les émis­sions de gaz à effet de serre ont aus­si for­te­ment aug­men­té : entre 2000 et 2016, elles ont été mul­ti­pliées par 3 pour atteindre 10,4 mil­liards de tonnes équi­valent CO2. Sur cette période la Chine a été res­pon­sable de près de 70 % de la hausse des émis­sions mondiales.


REPÈRES

Le 18 octobre 2017, le pré­sident Xi Jin­ping s’est expri­mé lon­gue­ment devant le 19e Congrès du Par­ti com­mu­niste chi­nois qui venait de renou­ve­ler son man­dat de secré­taire géné­ral, une étape impor­tante dans la conso­li­da­tion de son pou­voir. Au cours de ce dis­cours de plus de trois heures, il a pré­sen­té son idée d’une « moder­ni­sa­tion carac­té­ri­sée par la coexis­tence har­mo­nieuse de l’homme et de la nature » et van­té le rôle de la Chine désor­mais « aux com­mandes dans la coopé­ra­tion inter­na­tio­nale pour lut­ter contre le chan­ge­ment climatique ».


La diversification du mix électrique dans l’impasse

La pro­duc­tion d’électricité est révé­la­trice de ce pas­sif : en 2018, 73,1 % de l’électricité chi­noise était pro­duite à par­tir d’énergies fos­siles. La Chine ne publie pas régu­liè­re­ment de sta­tis­tiques sur la part des dif­fé­rents com­bus­tibles dans ce total mais le char­bon y est très majo­ri­taire : en 2016, der­nière année dis­po­nible, seule­ment 4,4 % de l’électricité fos­sile chi­noise pro­ve­nait de cen­trales à gaz et le fioul était négli­geable. Avec une part cer­tai­ne­ment com­prise entre 65 et 70 %, la Chine a donc un des mix élec­triques les plus inten­sifs en char­bon de la planète.

Cela ne signi­fie pas que le pays ne fait rien pour secouer cette dépen­dance : en 2017, la pro­duc­tion solaire s’est envo­lée avec une crois­sance de 78 % et mal­gré un mora­toire sur les tarifs de rachat garan­tis annon­cé en milieu d’année elle a encore aug­men­té de 44 % en 2018. L’éolien, qui est deve­nu en 2012 la deuxième source d’électricité décar­bo­née en Chine der­rière l’hydroélectricité mais devant le nucléaire, a connu une crois­sance de 27 % en 2017 et 21 % en 2018. Le nucléaire sur lequel de nom­breuses incer­ti­tudes pèsent depuis 2014 a réa­li­sé une belle pro­gres­sion pen­dant la deuxième moi­tié de l’année 2018 ce qui lui a per­mis d’augmenter sa pro­duc­tion de 18 %, contre 16 % l’année pré­cé­dente. L’hydroélectricité qui four­nit tou­jours le gros de la pro­duc­tion décar­bo­née a une crois­sance plus pous­sive : 1,7 % en 2017 et 1,9 % en 2018. La Chine dis­pose déjà des plus impor­tants parcs hydro­élec­trique, éolien et solaire de la pla­nète et avec de tels taux de crois­sance elle s’impose comme le pre­mier mar­ché mon­dial pour la plu­part des éner­gies décarbonées.

Une demande en croissance forte

Mal­heu­reu­se­ment ces pro­grès sont réduits à néant par la crois­sance de la demande : en 2018, la pro­duc­tion nucléaire et renou­ve­lable chi­noise a certes connu une hausse impres­sion­nante avec 147 TWh sup­plé­men­taires mais dans le même temps la consom­ma­tion a cru de 465 TWh. Il a donc fal­lu 318 TWh de fos­siles en plus pour com­bler l’écart. Même si le fac­teur de charge des cen­trales ther­miques chi­noises s’est effon­dré depuis 2010, pas­sant de 60 % à 50 %, le mora­toire sur la construc­tion de nou­velles cen­trales à char­bon, mis en place sur une grande par­tie du ter­ri­toire en 2017, a été assou­pli en mai de cette année.

Dans ces condi­tions, il est pro­bable que la pro­duc­tion fos­sile, et en par­ti­cu­lier le char­bon, conti­nue­ra à aug­men­ter aus­si long­temps que la Chine connaî­tra un taux de crois­sance de la demande d’énergie (et donc de la crois­sance éco­no­mique) supé­rieur à quelques pour­cents. Même dans son scé­na­rio le plus opti­miste, l’Agence inter­na­tio­nale de l’énergie ne voit pas de baisse de la capa­ci­té des cen­trales à char­bon chi­noises d’ici à 2040.

“Le pays consomme à lui seul la moitié
du charbon extrait sur la planète”

Un parc de centrales thermiques en cours de modernisation

Pro­ba­ble­ment conscient que la diver­si­fi­ca­tion de son mix éner­gé­tique ne per­met­tra pas de réduire les émis­sions pol­luantes et les émis­sions de gaz à effet de serre à court ou moyen terme, le gou­ver­ne­ment chi­nois s’est éga­le­ment enga­gé dans une autre voie : l’amélioration des per­for­mances du parc fossile.

La Chine a en la matière une régle­men­ta­tion par­mi les plus contrai­gnantes de la pla­nète. Les normes chi­noises pour les émis­sions de pol­luants atmo­sphé­riques des cen­trales ther­miques sont déjà équi­va­lentes ou plus res­tric­tives que leurs homo­logues amé­ri­caines ou euro­péennes. En 2020, des normes de ren­de­ment entre­ront en vigueur : les nou­velles cen­trales devront consom­mer moins de 300 grammes de char­bon par kilo­watt­heure pro­duit et les cen­trales exis­tantes devront pas­ser sous les 310 grammes ou fer­mer. À titre de com­pa­rai­son aucune des cent plus grandes cen­trales à char­bon amé­ri­caines actuel­le­ment en ser­vice ne par­vient à ce niveau d’efficacité.

Le parc ther­mique chi­nois est d’ores et déjà plus récent et plus per­for­mant que celui de la plu­part des pays indus­tria­li­sés. Cela se tra­duit notam­ment par une pro­por­tion impor­tante de cen­trales super­cri­tiques ou ultra­su­per­cri­tiques qui offrent de meilleures per­for­mances que les cen­trales sous-cri­tiques tra­di­tion­nelles. Envi­ron 19 % des cen­trales à char­bon chi­noises sont ultra­su­per­cri­tiques, 25 % sont super­cri­tiques et 56 % sont sous-cri­tiques. En com­pa­rai­son, les États-Unis ne pos­sèdent qu’une seule cen­trale à char­bon ultrasupercritique.

Le déploie­ment de ces tech­no­lo­gies a fait bais­ser signi­fi­ca­ti­ve­ment la consom­ma­tion de char­bon, et donc les émis­sions de CO2, par uni­té d’électricité pro­duite : en 2006, il fal­lait plus de 340 grammes de char­bon pour pro­duire un kilo­watt­heure, en 2018, il en fal­lait en moyenne 308. Dans les cent cen­trales les plus per­for­mantes, la consom­ma­tion de char­bon des­cend même à 286 g/kWh.


Centrales à haut rendement

Dans les cen­trales au char­bon à haut ren­de­ment, l’eau est sou­mise à une tem­pé­ra­ture et une pres­sion telles qu’elle est vapo­ri­sée ins­tan­ta­né­ment : les gains d’efficacité de cette opé­ra­tion per­mettent de réduire les besoins en com­bus­tible, et donc, les rejets dans l’atmosphère de CO2 liés à la com­bus­tion du char­bon. Plus la tem­pé­ra­ture et la pres­sion aug­mentent, plus le gain en termes d’efficacité est impor­tant (même phé­no­mène que pour le ren­de­ment de la machine ther­mique de Car­not), de même que la réduc­tion de l’impact envi­ron­ne­men­tal. Une cen­trale est dite « super­cri­tique » quand la tem­pé­ra­ture de la vapeur dépasse 565 °C et la pres­sion 250 bars. Au-delà de 300 bars et de 585 °C, la cen­trale est dite « ultra­su­per­cri­tique » (source EdF).


À suivre en 2019 et après

La Chine est enga­gée dans une refonte de sa poli­tique de sou­tien aux éner­gies décar­bo­nées. Les tarifs de rachat garan­tis qui ont très géné­reu­se­ment finan­cé l’envol de la pro­duc­tion éolienne et solaire vont, comme dans de nom­breux autres pays, être rem­pla­cés par un sys­tème d’enchères jugé moins coû­teux. Le gou­ver­ne­ment s’apprête par ailleurs à revoir son sys­tème de quo­tas d’énergies renou­ve­lables. Cette régle­men­ta­tion, dont une pre­mière ver­sion doit être publiée en mars 2019, pour­rait abou­tir à une révi­sion en forte hausse des objec­tifs de pro­duc­tion « non fos­sile » : pour l’électricité l’objectif à 2030 pour­rait ain­si pas­ser de 20 à 35 %.

Il sera éga­le­ment inté­res­sant de suivre l’évolution ins­ti­tu­tion­nelle : en avril 2018, la Chine a lan­cé une réor­ga­ni­sa­tion de son admi­nis­tra­tion avec le ren­for­ce­ment du minis­tère en charge des Res­sources natu­relles et sur­tout la créa­tion d’un grand minis­tère de l’Environnement et de l’Écologie (MEE) réunis­sant des com­pé­tences aupa­ra­vant éparses. Ce nou­veau minis­tère sera notam­ment en charge du cli­mat, préa­la­ble­ment sous la res­pon­sa­bi­li­té de la puis­sante Com­mis­sion natio­nale du déve­lop­pe­ment et de la réforme (NDRC), de la qua­li­té de l’eau et de l’air et de la pol­lu­tion des sols. La NDRC garde cepen­dant le contrôle de l’Agence natio­nale de l’énergie et il n’est pas encore clair qui, de la NDRC ou du MEE, sera en charge de la réforme de l’énergie.

À plus long terme, c’est lar­ge­ment la muta­tion de l’économie chi­noise qui déter­mi­ne­ra l’évolution du mix. Une crois­sance assa­gie et un bas­cu­le­ment de l’industrie vers les ser­vices per­met­traient de ralen­tir la hausse de la demande d’énergie et d’atteindre enfin le pic de la pro­duc­tion fos­sile. Cepen­dant un ralen­tis­se­ment trop rapide de l’économie pour­rait inci­ter la Chine à reve­nir vers des poli­tiques de relance pro­duc­ti­vistes inten­sives en éner­gie et en carbone.

© Jess Yu

Un marché clé pour les technologies bas carbone

Le posi­tion­ne­ment de la Chine comme lea­der de la tran­si­tion éner­gé­tique a une réa­li­té éco­no­mique et indus­trielle : le pays est deve­nu le pre­mier mar­ché pour la plu­part des tech­no­lo­gies bas car­bone, et ses entre­prises en s’imposant sur ce vaste mar­ché inté­rieur puis à l’export donnent nais­sance à des cham­pions mon­diaux. À défaut de se tra­duire immé­dia­te­ment dans le mix, ce posi­tion­ne­ment repré­sente aus­si une évo­lu­tion poli­tique notable : pen­dant trois décen­nies, le dis­cours des diri­geants chi­nois a été cen­tré sur le rythme de crois­sance et les suc­cès obte­nus dans la lutte contre la pau­vre­té, désor­mais l’accent est mis sur la tran­si­tion de l’économie chi­noise vers un mode de déve­lop­pe­ment plus res­pon­sable et moins émet­teur de gaz à effet de serre. Compte tenu du poids éco­no­mique et poli­tique qu’elle pos­sède désor­mais, ce bas­cu­le­ment pour­rait être au moins aus­si signi­fi­ca­tif pour la pla­nète que l’a été l’émergence de la Chine dans les années 2000.

Commentaire

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Han­senrépondre
14 mars 2019 à 16 h 32 min

Il y a peu de vent sur la plus grande par­tie de la Chine et dans la pénin­sule indo­chi­noise. Seul le déploie­ment du nucléaire peut décar­bo­ner l’é­co­no­mie chi­noise. Pour décar­bo­ner le monde, il fau­drait construire une cen­taine de réac­teurs nucléaires par an. C’est le seul scé­na­rio crédible.

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