Un immeuble

Lutter pour loger les plus défavorisés

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998Par : Louis MOREAU de SAINT-MARTIN (91), chef du service habitat à la DDE de la Moselle

Le logement des plus démunis

Le logement des plus démunis

La loi du 31 mai 1990, qui est appe­lée loi « Bes­son », a résul­té de la prise de conscience du fait que la conju­gai­son d’un parc de loge­ments sociaux de qua­li­té et d’un mar­ché libre ne per­met­tait pas – ou plus – d’of­frir un loge­ment décent à tous. Ce texte, qui a ins­ti­tué le droit au loge­ment, a pré­vu l’ins­tau­ra­tion d’un dis­po­si­tif par­te­na­rial dans chaque dépar­te­ment : il s’a­git du Plan dépar­te­men­tal d’ac­tion pour le loge­ment des per­sonnes défa­vo­ri­sées (PDALPD) et de son ins­tru­ment finan­cier, le Fonds de soli­da­ri­té loge­ment (FSL), qui, l’un et l’autre, asso­cient l’É­tat et le Conseil géné­ral. Paral­lè­le­ment, ont été mis en place des finan­ce­ments PLA très sociaux qui per­mettent d’of­frir à des ménages de res­sources très faibles des loge­ments avec un loyer plus bas que ceux du parc HLM ordinaire.

Sont concer­nés par le par­te­na­riat non seule­ment l’É­tat, déten­teur de la com­pé­tence loge­ment, et le Conseil géné­ral, qui a la res­pon­sa­bi­li­té de l’ac­tion sociale, mais aus­si les com­munes, les bailleurs publics ou pri­vés, les caisses d’al­lo­ca­tions fami­liales, les orga­nismes col­lec­teurs du 1 % loge­ment et enfin les asso­cia­tions œuvrant dans le domaine de l’in­ser­tion. Il s’a­git de per­mettre à la fois le main­tien dans les lieux (notam­ment par une aide à l’a­pu­re­ment des loyers impayés), l’ac­cès au loge­ment (par la recherche de loge­ments adap­tés et l’aide au paie­ment du dépôt de garan­tie…) et l’ac­com­pa­gne­ment social des ménages pour les­quels cela appa­raît nécessaire.

Le cas de la Moselle

En Moselle, les par­te­naires locaux ont mis en place des dis­po­si­tifs ori­gi­naux. Un Grou­pe­ment d’in­té­rêt public pour le droit au loge­ment (GIPDAL) a été créé pour assu­rer l’a­ni­ma­tion du PDALPD et la ges­tion finan­cière du FSL, qui pré­sente le double avan­tage d’une ins­ti­tu­tion neutre et uni­que­ment des­ti­née au loge­ment des dému­nis. Elle a par contre un coût de fonc­tion­ne­ment et subit la ten­ta­tion de tout orga­nisme ins­ti­tué à se prendre pour fin en soi.

Ils ont aus­si créé la fonc­tion « d’ou­vreurs à l’ha­bi­tat » dont la mis­sion est de recher­cher des solu­tions d’ha­bi­tat adap­té pour des familles en très grande dif­fi­cul­té. Il peut s’a­gir de les loger en habi­tat indi­vi­duel, quand il faut pré­ve­nir des pro­blèmes de voi­si­nage, mais il faut pré­voir aus­si une bonne acces­si­bi­li­té aux ser­vices, notam­ment sociaux, et par­fois un grand besoin d’es­pace pour des nomades en voie de séden­ta­ri­sa­tion. Il revient à ces ouvreurs à l’ha­bi­tat de trou­ver des solu­tions per­son­na­li­sées, en uti­li­sant tous les dis­po­si­tifs existants.

Les lourdeurs du système

Il reste mal­gré tout d’é­normes dif­fi­cul­tés à sur­mon­ter, d’une part parce que ces dis­po­si­tifs ne suf­fisent pas à appré­hen­der toutes les situa­tions, et d’autre part parce qu’il faut sans cesse réac­ti­ver les acteurs. Cer­tains dému­nis se trouvent confron­tés à des situa­tions très com­plexes où les dif­fi­cul­tés se cumulent dans tous les domaines : emploi, san­té, école, com­por­te­ment social, loge­ment…, de sorte qu’au­cun des cadres admi­nis­tra­tifs pré­vus par les textes ne s’ap­plique à leur cas. Il faut être à l’é­coute de la situa­tion réelle des per­sonnes, sans jamais perdre de vue la dimen­sion humaine.

Dans le cadre des com­mis­sions FSL, par exemple, on est confron­té à des dos­siers indi­vi­duels, qu’il faut regar­der cas par cas, sans se lais­ser enfer­mer dans des règles admi­nis­tra­tives intan­gibles. Un loge­ment adap­té, pour cer­tains types de familles, n’est pas néces­sai­re­ment un loge­ment en dur : il fau­drait pou­voir finan­cer des « mobile home » pour les nomades en voie de séden­ta­ri­sa­tion. Et cette néces­si­té de déro­ger à la règle dans cer­taines situa­tions est le plus sou­vent fon­dée sur une appré­cia­tion qua­li­ta­tive, voire sub­jec­tive : il s’a­git de se deman­der com­ment la famille per­çoit sa propre situation.

Un dis­po­si­tif comme les ouvreurs à l’ha­bi­tat apporte une sou­plesse, mais il ne per­met pas de dépas­ser tous les blo­cages, qu’ils soient régle­men­taires ou résultent de la rigi­di­té de cer­tains acteurs. Ain­si l’ins­tal­la­tion à demeure de cara­vanes pour un clan de gens du voyage, qui posent de gros pro­blèmes de voi­si­nage, ne sera géné­ra­le­ment pas auto­ri­sée par les règles d’ur­ba­nisme, et car­ré­ment impos­sible si l’on veut les ins­tal­ler à l’é­cart des zones habi­tées. Mais les ins­ti­tu­tions elles-mêmes mul­ti­plient les obs­tacles : celles qui financent n’ont pas envie de prendre en compte des opé­ra­tions à la marge, les com­munes ne sou­haitent pas accueillir plus de pauvres, ni même par­fois avoir à s’oc­cu­per de ceux qui sont déjà leurs admi­nis­trés, les bailleurs même sociaux rechignent à loger les loca­taires à risques…

Trouver les vraies réponses

La réa­li­té du ter­rain conduit ain­si à réin­ter­ro­ger le sys­tème par rap­port aux besoins à satis­faire et par rap­port aux objec­tifs à atteindre. Il faut une empa­thie par­ti­cu­lière envers les plus pauvres pour se rendre compte que les dis­po­si­tifs ins­ti­tu­tion­nels ne suf­fisent pas à appor­ter de vraies réponses et qu’il faut un sup­plé­ment d’âme. Il ne suf­fit pas d’un bon fonc­tion­ne­ment admi­nis­tra­tif, avec une bonne consom­ma­tion de cré­dits, pour décla­rer le dis­po­si­tif satis­fai­sant. Il faut per­pé­tuel­le­ment se poser la ques­tion des besoins, se deman­der si l’on n’i­gnore pas un pan entier du pro­blème : il est par exemple plus facile, en pre­nant pré­texte de la mécon­nais­sance du sec­teur et de son ato­mi­sa­tion, de ne pas se pré­oc­cu­per des pro­blèmes du parc pri­vé social de fait pour se consa­crer uni­que­ment aux loca­taires des bailleurs sociaux.

Il faut des acteurs ani­més par une convic­tion forte pour déve­lop­per une véri­table com­pré­hen­sion des pro­blèmes. Le dis­po­si­tif est par­te­na­rial, et pour le faire évo­luer, il faut sans cesse convaincre l’ins­tance de pilo­tage de la néces­si­té d’une prise en compte de la dimen­sion sociale et humaine des pro­blèmes. Après la phase des négo­cia­tions qui ont conduit à l’é­la­bo­ra­tion d’un pre­mier PDALPD, chaque ins­ti­tu­tion a ten­dance à se replier sur une vision étri­quée de ses com­pé­tences, de ses pré­ro­ga­tives et de ses inté­rêts, au risque de tuer la dyna­mique par­te­na­riale et de sclé­ro­ser le sys­tème pour en faire une simple machine administrative.

Il est néces­saire de se battre pour que conti­nue la lutte contre l’ex­clu­sion. Cha­cun des par­te­naires doit se convaincre que l’en­jeu social du pro­blème peut par­fois pri­mer sur l’in­té­rêt éco­no­mique à court terme, qu’il faut dépas­ser les inté­rêts par­ti­cu­liers à chaque ins­ti­tu­tion pour véri­ta­ble­ment conver­ger sur un pro­jet com­mun. Cha­cun pour­ra alors, au sein de sa propre struc­ture, se faire l’am­bas­sa­deur de ce pro­jet, lut­ter contre les rigi­di­tés de fonc­tion­ne­ment et de rai­son­ne­ment, trans­cen­der enfin les buts de sa struc­ture au nom d’un objec­tif recon­nu par tous qui est le main­tien de la cohé­sion de notre société.

Poster un commentaire