La création de leur propre emploi par les jeunes d’un quartier sensible

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998Par : Florence LARDANCHET, ADIE

A quar­ante-cinq min­utes à l’est de Paris se trou­ve le grand ensem­ble de Clichy-sous-Bois — Mont­fer­meil. Con­stru­it dans les années 60, avec de hautes et longues bar­res de loge­ments, ce quarti­er, qui abrite plus de 32 000 habi­tants, est aujour­d’hui un lieu où se trou­vent con­cen­trés tous les maux qui stig­ma­tisent les ban­lieues : dégra­da­tion, insécu­rité, taux de chô­mage, pour­cent­age de pop­u­la­tion d’o­rig­ine étrangère, suroc­cu­pa­tion des loge­ments… On y a pour­tant empilé tous les dis­posi­tifs des poli­tiques de la Ville : zone d’é­d­u­ca­tion pri­or­i­taire, con­trat de ville, grand pro­jet urbain, zone franche urbaine, procé­dure européenne Pic Urban…

C’est dans ce con­texte et avec la volon­té de s’adress­er aux plus dému­nis, à la fois sur le plan financier et sur celui de l’ac­cès à l’in­for­ma­tion et au con­seil, que l’ADIE(1) a mis en place un pro­gramme expéri­men­tal de mobil­i­sa­tion des jeunes autour de la créa­tion de leur pro­pre emploi. Les jeunes de ce quarti­er se com­plaisent à se représen­ter privés d’avenir et il est de fait que peu d’en­tre eux en ont si l’on pense à cet avenir en ter­mes d’emplois salariés. D’o­rig­ine ou de nation­al­ité étrangère, sans qual­i­fi­ca­tion ni expéri­ence pro­fes­sion­nelle recon­nue, ayant eu sou­vent des ennuis avec la jus­tice (deals, vols) et habi­tant un quarti­er dont le nom seul fait peur, ils ont peu d’ar­gu­ments pour se faire val­oir auprès des chefs d’entreprise.

Par­tant bat­tus d’a­vance, leurs con­tacts avec le monde du tra­vail sont d’au­tant plus négat­ifs qu’ils se mon­trent sou­vent très agres­sifs. Cepen­dant la plu­part pos­sè­dent une expéri­ence très con­crète du tra­vail informel dans des secteurs comme la vente sur les marchés, le sec­ond œuvre de bâti­ment, la répa­ra­tion auto­mo­bile, le négoce de pièces détachées…, toutes activ­ités qui leur ont per­mis d’ac­quérir un sens aigu du sys­tème D, de la chine et de la négociation.

L’ob­jec­tif de l’ADIE est de val­oris­er ces expéri­ences afin d’en tir­er une énergie pos­i­tive qui serait canal­isée sur le mon­tage de pro­jets pro­fes­sion­nels aboutis­sant à des micro-entreprises.

Nous avons com­mencé par une sen­si­bil­i­sa­tion préal­able via les asso­ci­a­tions locales, par le bouche à oreille et par un impor­tant tra­vail de rue, ce qui nous a per­mis de réu­nir un groupe de jeunes intéressés par l’idée de créer leur pro­pre emploi.
Nous leur avons pro­posé un “accom­pa­g­ne­ment-for­ma­tion” de longue durée ain­si que la pos­si­bil­ité de tester leur activ­ité dans une struc­ture de précréation.
À l’is­sue de l’ac­com­pa­g­ne­ment, si leur pro­jet tient la route, ils pour­ront obtenir un crédit pour créer leur micro-entreprise.

Nous avons déjà financé trois pro­jets, celui de Bap­tistin qui a créé un vidéo­club, celui de Mous­sa qui vend des tis­sus ori­en­taux sur les marchés et celui d’Amed qui vend des piz­zas à emporter ou à livr­er. Et nous exam­inons celui d’Ab­del­ghani, pas­sion­né de musique soul et funk, qui veut mon­ter son stand de vente de dis­ques vinyles sur les marchés aux puces et dans les foires spé­cial­isées, celui de Mohamed qui rêve d’ou­vrir une sand­wicherie et celui de Benyazid qui veut ven­dre des pièces détachées pour automobiles.

Les démarch­es sont longues et pas tou­jours faciles, mais elles sont dynamisées par la moti­va­tion de créer son pro­pre emploi, de devenir son maître et d’avoir à compter sur soi-même pour y par­venir. Nous visons la régu­lar­i­sa­tion dans un univers où tout est informel, un monde sans TVA, sans impôt et sans charges sociales. Mal­gré la zone franche, les prélève­ments fis­caux et soci­aux restent impor­tants pour une entre­prise qui démarre dans les règles. C’est un hand­i­cap pour cer­tains pro­jets qu’il serait si facile de mon­ter au noir. Et il faut bien recon­naître que l’ex­is­tence d’ac­tiv­ités informelles est un fac­teur de dynamisme dans des quartiers dépourvus de com­merces de prox­im­ité. Ces activ­ités pro­curent des ressources de base à une pop­u­la­tion dont le pou­voir d’achat est faible, où beau­coup de ménages sont en voie de paupérisation.

Ce n’est pas tant le pro­jet en lui même et son aboutisse­ment qui impor­tent, que le tra­vail effec­tué pour le pro­mou­voir, en groupe ou individuellement.
Peu à peu, cha­cun apprend à faire des démarch­es, à se présen­ter de façon pro­fes­sion­nelle et sans agres­siv­ité, apprend aus­si à se don­ner des objectifs.

C’est notre défi d’ar­riv­er à gér­er cette ambiguïté. Il nous faut trou­ver une démarche dynamisante et pos­i­tive d’in­ser­tion par l’é­conomique, sans per­dre de vue les spé­ci­ficités du quarti­er, ce qui nous con­duit à agir dans deux directions :

. d’une part, essay­er de faire évoluer la lég­is­la­tion sur les micro-activ­ités en faisant val­oir aux pou­voirs publics qu’un statut serait à définir, qui incite vrai­ment les gens à sor­tir de l’aide sociale sans les assom­mer de charges, chaque fois que, si mod­este soit leur pro­jet, ils essaient de créer leur pro­pre activité ;

. d’autre part, trou­ver des solu­tions inno­vantes comme la créa­tion d’une struc­ture de précréa­tion afin de per­me­t­tre aux futurs créa­teurs de tester leur pro­jet en grandeur réelle sans pren­dre tout de suite tous les risques de la créa­tion : société de fac­tura­tion, mutu­al­i­sa­tion des charges, mise à dis­po­si­tion d’un local, d’un véhicule, de matériel…, enfin de tout ce qui per­met de lim­iter les investisse­ments de départ.

Les pre­miers résul­tats sont encour­ageants, et nous sus­ci­tons un vif intérêt chez les jeunes. Ils se mobilisent sur de la for­ma­tion longue durée et le démar­rage de quelques-uns a un effet boule de neige. Mais l’ADIE a grand besoin de sou­tien pour men­er à bien cette action, il nous faudrait des dons et des apports en nature, comme par exem­ple des véhicules util­i­taires à met­tre gra­cieuse­ment à la dis­po­si­tion des jeunes créa­teurs d’entreprise…

ADIE : Asso­ci­a­tion pour le développe­ment de l’ini­tia­tive économique.

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