L’insertion sociale et professionnelle des jeunes sans qualification

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998
Par Stéphane DONZÉ (96)
Par Laurent MIRGUET (96)

Les Mis­sions locales pour l’in­ser­tion des jeunes, qui sont des asso­ci­a­tions financées par l’É­tat et par les munic­i­pal­ités parte­naires, sont chargées d’ac­cueil­lir tous les jeunes de 16 à 25 ans qui éprou­vent des dif­fi­cultés à se trou­ver une place dans la société. Leur prin­ci­pale tâche est l’ac­com­pa­g­ne­ment de ces jeunes dans leur recherche d’emploi, de stage et de for­ma­tion. Le par­cours ordi­naire d’un jeune de mis­sion locale, qui part générale­ment du niveau V I ou V bis1, est le plus sou­vent une suc­ces­sion de stages, de con­trats “jeunes”, de for­ma­tions (pas tou­jours adap­tées), tous de courte durée et n’aboutis­sant que très rarement à une embauche définitive.

On peut trou­ver de nom­breuses raisons pour jus­ti­fi­er cette sit­u­a­tion, mais une des expli­ca­tions sur laque­lle il nous paraît néces­saire d’in­sis­ter est l’i­nadéqua­tion de leur for­ma­tion avec ce que recherchent les employeurs. Des chefs d’en­tre­prise se plaig­nent de ne pas trou­ver de jeunes pour tra­vailler chez eux.

Le réseau des Mis­sions locales suit les par­cours de 900 000 jeunes en sit­u­a­tion pré­caire et recherche des entre­pris­es sus­cep­ti­bles de leur offrir du tra­vail. Il est vrai que ces jeunes man­quent de savoir être, qu’il est sou­vent néces­saire de repren­dre leur for­ma­tion à la base, et qu’ils ne pos­sè­dent pas les repères essen­tiels à la vie en entreprise.

En mis­sion locale, on doit par­fois com­mencer par leur (ré)apprendre la ponc­tu­al­ité, la politesse, la pro­preté, l’hy­giène… Ces jeunes y sont admis jusqu’au jour de leurs 26 ans ; et ensuite, s’ils n’ont rien trou­vé, ils touchent le RMI, et n’ont plus comme inter­locu­teurs que les ser­vices de l’ANPE, lesquels sont mal adap­tés à l’ac­cueil de ces jeunes qui ont un fort besoin d’accompagnement.

Pour illus­tr­er notre pro­pos, voici une sit­u­a­tion typ­ique de celles que nous avons ren­con­trées en Mis­sion locale. Cette sit­u­a­tion ne résume pas toutes celles que nous avons ren­con­trées, mais elle per­met de mieux com­pren­dre pourquoi les jeunes per­dent con­fi­ance dans le monde du tra­vail. Abel, 20 ans, est inscrit à la Mis­sion locale depuis deux mois. Il s’y était présen­té parce qu’il avait enten­du dire que l’on y pro­po­sait des for­ma­tions rémunérées. Après dis­cus­sion avec deux con­seillers, on ne lui pro­pose pas une for­ma­tion, mais un “con­trat ville d’as­sis­tant gar­di­en d’im­meu­ble”. Abel est “en galère”, il lit dif­fi­cile­ment, et jusqu’à présent n’a jamais eu d’emploi stable.

On lui explique rapi­de­ment ce qu’est le tra­vail d’as­sis­tant gar­di­en d’im­meu­ble : cela sem­ble cor­re­spon­dre tout à fait à ce qu’il sait faire. Mais dès le pre­mier jour, après avoir été accueil­li cinq min­utes par le gar­di­en, il se retrou­ve avec un seau et une ser­pil­lière à net­toy­er la cage d’escalier. L’après-midi, il se fait engueuler parce qu’il est arrivé dix min­utes en retard. Il en est de même le lende­main où il arrive à 10 heures (“je ne me suis pas réveil­lé...”). Au bout de deux jours il ne vient plus au tra­vail, mais de toute façon le gar­di­en ne veut plus le voir. Abel revient à la Mis­sion locale en expli­quant que “le gar­di­en n’é­tait jamais là, je suis sûr qu’il ne fai­sait rien pen­dant que je bos­sais”. Le con­trat a duré deux jours. Il fau­dra du temps pour retrou­ver du tra­vail à Abel, mais ce sera tou­jours trop dur, ou les patrons ne voudront pas de lui…

Peut-on con­sid­ér­er qu’on a don­né une vraie chance à ce garçon ? Com­ment auri­ons-nous réa­gi à sa place ? Ces jeunes sont frag­iles, ils ont de la peine à réalis­er ce qu’est un tra­vail quo­ti­di­en. Mais ils sont nos con­tem­po­rains et nos com­pa­tri­otes, ils méri­tent qu’on s’in­téresse à eux, et ils le prou­vent, chaque fois qu’on veut bien leur prêter un peu d’at­ten­tion et leur don­ner les moyens d’ex­primer les qual­ités qu’ils pos­sè­dent ! C’est là que se trou­ve le chal­lenge social des années à venir.

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1. Selon les critères des min­istères de l’É­d­u­ca­tion nationale et du Tra­vail, cela cor­re­spond à un niveau de fin de cinquième.

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