La violence à l’école en Seine-Saint-Denis

Dossier : L'exclusion sociale, un défiMagazine N°538 Octobre 1998Par : Gilles CLOGNE, inspecteur général de l’Éducation nationale

Je crois qu’on ne peut pas dis­soci­er les vio­lences à l’é­cole des vio­lences urbaines en général, mais que par con­tre il faut les dis­soci­er de la crise économique. L’ex­clu­sion économique vient s’a­jouter aux prob­lèmes de vio­lence ; elle n’en est pas la cause, seule­ment un fac­teur aggravant.

Le diagnostic

Nous avons affaire à des gamins qui n’ont aucun repère en ce qui con­cerne les lois et les règles y com­pris en matière de com­porte­ment. Ils n’ont aucun repère parental, aucun repère d’adulte, aucun repère dans la langue. On s’aperçoit très vite, quand on s’adresse à eux, qu’ils ne com­pren­nent pas, ou qu’ils com­pren­nent de tra­vers ce qu’on leur dit. Et de notre côté, nous inter­pré­tons aus­si de tra­vers leurs pro­pos. De plus, entre chaque quarti­er, entre chaque cité il y a des reg­istres de vocab­u­laire qui sont différents.

Cepen­dant le manque de repères parentaux n’est pas dû à une démis­sion des par­ents. Les qual­i­fi­er ain­si voudrait dire qu’ils ne veu­lent plus s’oc­cu­per de leurs enfants. En fait, je crois qu’il y a un cer­tain nom­bre de par­ents qui sont dépassés, et une par­tie de notre rôle est de leur redonner la place qu’ils ont per­due pour de mul­ti­ples raisons.

C’est pourquoi nous regar­dons avec méfi­ance l’ex­péri­ence des “grands frères”, qui nous a été décrite précédem­ment. Met­tre en avant les grands frères, c’est pouss­er les par­ents ailleurs, alors que nous voulons qu’ils s’im­pliquent, car c’est eux qui ont l’autorité.

La sit­u­a­tion actuelle com­porte plusieurs dan­gers. D’abord celui d’une dés­co­lar­i­sa­tion d’en­fants incon­trôlables. Le pre­mier réflexe des étab­lisse­ments con­fron­tés à un cer­tain nom­bre de gamins qu’ils ne savent pas con­trôler — il ne faut pas se voil­er la face -, c’est de les dés­co­laris­er, de les ren­voy­er après les avoir fait pass­er en con­seil de discipline.

Ils vont être ren­voyés une fois, deux fois, trois fois puis à la fin ils n’iront plus à l’é­cole, soit parce qu’ils ne peu­vent plus y venir, soit parce qu’ils se sont exclus d’eux-mêmes. C’est un dan­ger que l’in­spec­tion académique de Seine-Saint-Denis essaye de combattre.

L’autre dan­ger, c’est la dérive de quelques auteurs d’actes vio­lents et de petites infrac­tions. Si on ne les stoppe pas tout de suite, dès leur plus jeune âge et dès leur pre­mière infrac­tion, c’est le début d’une spi­rale infer­nale. Il y a de grands risques que leur délin­quance s’ag­grave et qu’ils soient exclus d’au­tant plus pro­fondé­ment qu’on ne leur aura pas mis de lim­ite, d’où un sen­ti­ment d’im­punité et de toute puissance.

Du côté des vic­times, un autre dan­ger guette, car être vic­time quand on a 12 ou 13 ans, surtout lorsqu’on l’est con­tin­uelle­ment, cela vous façonne psy­chologique­ment. Un cer­tain nom­bre de vic­times sont déstruc­turées et vont rejoin­dre des groupes négat­ifs, d’abord pour que les autres n’aient pas un regard négatif sur elles, et puis pour se pro­téger. Machin, dont on sait qu’il a des grands frères rel­a­tive­ment puis­sants sur le quarti­er, c’est une bonne sécu­rité même si pour être copain de Machin, on est obligé de lui ren­dre cer­tains services.

Il y a encore un autre dan­ger, qui est le développe­ment d’un cer­tain com­mu­nau­tarisme, et on trou­ve effec­tive­ment des quartiers qui ont ten­dance à se repli­er sur eux-mêmes.

Une politique volontariste

Pour essay­er de remédi­er à cette sit­u­a­tion, l’In­spec­tion d’a­cadémie a ini­tié depuis 1992 une poli­tique volon­tariste. Par­tant de la con­stata­tion que, si elle reste seule, l’é­cole ne peut rien faire, elle a insti­tué un parte­nar­i­at avec la police et le par­quet des mineurs de Bobigny. Ce parte­nar­i­at, avant de se con­cré­tis­er dans la sig­na­ture d’un accord, a d’abord été testé sur le terrain.

Il s’agis­sait, dans un pre­mier temps, de rétablir la paix dans un cer­tain nom­bre d’étab­lisse­ments par un sig­nale­ment direct (en ne se con­tentant pas d’en­voy­er un fax) de tous les événe­ments vio­lents. Aupar­a­vant, la poli­tique de l’É­d­u­ca­tion nationale était de ne rien dire, “de ne pas faire de vagues”. À l’heure actuelle, on essaye de regarder les choses comme elles se passent, on essaye aus­si de les combattre.

L’idée direc­trice est que tout ce qui appar­tient au pénal doit être traité par le pénal, et que tout ce qui appar­tient à la dis­ci­pline interne de l’étab­lisse­ment et qui fait par­tie de l’é­d­u­catif doit être traité par l’é­d­u­catif. Dans ces con­di­tions, nous pen­sons que les choses vont quand même s’amélior­er. Ce traite­ment ras­sure aus­si un cer­tain nom­bre de vic­times puisque le par­quet de Bobigny s’en­gage à con­vo­quer les auteurs d’in­frac­tions, leurs par­ents et les vic­times pour répa­ra­tion dans un délai qui ne dépasse pas une dizaine de jours. Le pire, c’est le sen­ti­ment d’im­punité car cela donne une illu­sion de toute puis­sance, qui con­duit à l’escalade dans les faits délictueux.

Un contrat de réinsertion et une politique pédagogique

Pour éviter la dés­co­lar­i­sa­tion des gamins, nous avons mis au point un con­trat de réin­ser­tion que les enfants sig­nent, que les chefs d’étab­lisse­ments sig­nent et que les par­ents sig­nent. Nous insis­tons beau­coup pour que les par­ents soient remis dans la course. La Police nationale le fait aus­si et le par­quet de Bobigny ne con­voque jamais un mineur sans ses par­ents. En règle générale, à 80 %, ces con­trats de réin­ser­tion ne sont pas rompus.

Simul­tané­ment, nous met­tons en place une poli­tique péd­a­gogique qui doit per­me­t­tre aux élèves de mieux réus­sir à l’é­cole. Et mieux réus­sir à l’é­cole c’est, à terme, mieux réus­sir leur inser­tion dans la société. Avec trois axes :

  • je vous ai dit que ces enfants maîtri­saient mal la langue : le pre­mier des axes est donc d’amélior­er cette maîtrise. Maîtris­er la langue, ce n’est pas maîtris­er le français, c’est tout sim­ple­ment pou­voir se faire com­pren­dre et avoir un cer­tain nom­bre de mots et de phraséolo­gies communs,
  • le deux­ième c’est l’é­d­u­ca­tion à la citoyen­neté, c’est-à-dire l’ap­pren­tis­sage des règles élé­men­taires de la vie en société, que ce soient les règles écrites ou que ce soient les règles implicites,
  • enfin si l’on veut que les gamins réus­sis­sent à l’é­cole, il faut qu’ils sachent pourquoi ils sont là. D’où le 3e axe qui est l’aide au pro­jet per­son­nel, pour tout sim­ple­ment redonner un sens à leur présence à l’école.


En Seine-Saint-Denis

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