Lula : pour une géographie Sud-Sud

Dossier : Le BrésilMagazine N°626 Juin/Juillet 2007
Par Michel MEYER (69)


Michel Mey­er

Aus­si voit-on depuis 2003 le prési­dent Luiz Ina­cio Lula da Sil­va œuvr­er active­ment en faveur de l’in­stau­ra­tion d’un « nou­v­el ordre économique mon­di­al ». Avec lui, les vis­ites à Brasil­ia de chefs d’É­tat se mul­ti­plient comme jamais. Rien qu’en novem­bre 2004 par exem­ple, s’y suc­cè­dent Hu Jin­tao, prési­dent de la République pop­u­laire de Chine ; puis Tran Duc Luong, prési­dent du Viêt­nam ; puis Roh Moo-hyun, prési­dent de la Corée du Sud ; ensuite Vladimir Pou­tine (qui en prof­ite pour promet­tre d’ap­puy­er le Brésil dans sa demande d’un siège per­ma­nent à l’ONU en échange d’un sou­tien à la Russie pour entr­er à l’OMC) ; enfin le Pre­mier min­istre du Cana­da. Cha­cun était accom­pa­g­né de cen­taines d’in­dus­triels. Simul­tané­ment, de 2003 à 2006, Lula tente de ren­forcer au-delà du Mer­co­sur le lead­er­ship sud-améri­cain du Brésil. Sur­prise… les USA le sou­ti­en­nent sur ce point depuis sa réélec­tion d’oc­to­bre 2006, comme l’il­lus­tre la vis­ite de Bush en mars 2007, venu con­forter un Brésil gou­verné par une gauche « accept­able » et con­tre­car­rer ain­si l’ex­pan­sion­nisme de l’idéolo­gie boli­vari­enne rad­i­cale du Vénézuélien Hugo Chavez (qui a ral­lié à lui la Bolivie de Morales puis l’Équa­teur de Correa).

Pour élargir l’éven­tail brésilien des accords com­mer­ci­aux passés avec des pays du Sud, Lula effectue plus de 20 voy­ages à l’é­tranger en 2003, pre­mière année de son pre­mier man­dat, essen­tielle­ment dans des pays du Sud.

À chaque déplace­ment, il joue un rôle d’am­bas­sadeur com­mer­cial de son pays, menant une diplo­matie com­mer­ciale par­ti­c­ulière­ment offen­sive en faveur d’ac­cords nou­veaux avec le Brésil et le Mer­co­sur. Pen­dant qua­tre années, cette diplo­matie très active et très ori­en­tée ne fléchi­ra pas. Le pre­mier Som­met « arabo-sud-améri­cain » s’est tenu au Brésil les 10 et 11 mai 2005 et a « ébauché un axe économique et poli­tique Sud-Sud ». Lula y a fait plusieurs déc­la­ra­tions stim­u­lantes pour les échanges entre ces blocs, comme : « Pen­dant tout le XXe siè­cle, nous sommes restés dis­tants. Nous devons nous rap­procher sur les plans poli­tique, sci­en­tifique et économique ; nous devons démoc­ra­tis­er afin d’avoir non plus la géo­gra­phie poli­tique de 1945, mais celle de 2005. » Plus de 1 200 entre­pre­neurs étaient rassem­blés à l’oc­ca­sion de ce som­met, bien décidés à faire pro­gress­er par une meilleure con­nais­sance réciproque les échanges com­mer­ci­aux entre les deux régions : « Avec $US 8 mil­liards sur $US 12, le Brésil se taille la part du lion » (Le Monde, 13 mai 2005). Lors du débat général de la 61e ses­sion de l’Assem­blée générale de l’ONU à New York en sep­tem­bre 2006, Lula invoque le droit de chaque nation au développe­ment économique et social à sup­primer les bar­rières pro­tec­tion­nistes de manière à ren­dre le com­merce inter­na­tion­al plus libre et plus juste : « Il faut bris­er les chaînes du pro­tec­tion­nisme » martèle t‑il. Selon lui, les sub­ven­tions accordées par les pays les plus rich­es, en par­ti­c­uli­er à leurs agricul­teurs « sont des menottes qui entra­vent le pro­grès et con­damnent les pays pau­vres à rester arriérés. »

Une nou­velle généra­tion du com­merce mon­di­al se serait-elle mise peu à peu en place depuis peu, comme le sug­gèrent cer­tains experts de la CNUCED ? Le monde des échanges s’est-il doté d’une véri­ta­ble dimen­sion mul­ti­po­laire, comme ten­dent à le mon­tr­er, depuis le bras de fer de Can­cun (« À Can­cun, titre Le Monde du 29 sep­tem­bre 2003, le Brésil est devenu un acteur glob­al »), les dif­fi­ciles négo­ci­a­tions au sein de l’Or­gan­i­sa­tion mon­di­ale du com­merce (OMC) ? Tou­jours est-il que les tra­di­tion­nels blocs économiques doivent compter avec le Brésil et ses alliés du Sud, regroupés à son ini­tia­tive au sein du G20 (voir : www.g‑20.mre.gov.br, site basé auprès du min­istère brésilien des Rela­tions extérieures !), et des liens nou­veaux que ce pays a réus­si à tiss­er en peu d’an­nées avec l’Inde et la Chine, « les deux mastodontes [qui] à eux seuls ont représen­té [en 2006] plus des deux tiers de la crois­sance de la zone (9,2 % et 10,7 %) […] L’Asie en développe­ment pos­sède plus de 2 000 mil­liards de dol­lars de réserves moné­taires, dont plus de 1 000 mil­liards pour la seule Chine. » (Les Échos, 28 mars 2007).

Le Brésil et l’Inde


Singh (inde), Lula et M’Be­ki (RSA) à Brasil­ia (sep­tem­bre 2006)

En 2002, les min­istres des Affaires étrangères de l’Inde, de l’Afrique du Sud et du Brésil pub­lient la Déc­la­ra­tion de Brasil­ia et annon­cent la for­ma­tion de « l’India, Brazil and South Africa Dia­logue Forum » ou IBSA : « L’Inde, le Brésil et l’Afrique du Sud, les trois prin­ci­pales démoc­ra­ties des trois con­ti­nents les plus pau­vres, con­fir­ment et con­cré­tisent leur alliance tri­an­gu­laire (révélée à Can­cun), avec des mesures des­tinées à faciliter les échanges com­mer­ci­aux entre les trois pays. […] Les trois puis­sances vont établir des taux préféren­tiels afin d’élever le flux de leurs échanges com­mer­ci­aux de 4 à 10 mil­liards de dol­lars d’i­ci 2007. […]

Autre manière de lut­ter con­tre la pau­vreté : utilis­er au mieux les com­pé­tences des uns et des autres pour con­stru­ire une chaîne de pro­duc­tion auto­suff­isante. Exem­ple : l’Inde pos­sède le char­bon qu’elle peut fournir à l’Afrique du Sud qui peut le trans­former en pét­role. Le Brésil, lui, a les capac­ités pour en faire du diesel bio ou du gasoil. » (C. Vann et R. Devraj, InfoSud-IPS).

Au pre­mier trimestre 2004, en marge du som­met de Mum­bay, qui suc­cède aux deux pre­miers som­mets alter­mon­di­al­istes de Por­to Ale­gre (Brésil, 2001 et 2002), Lula se rend en Inde pour la pre­mière fois et les médias indi­ens don­nent à sa vis­ite un éclat impor­tant et pro­longé. Ain­si le grand mag­a­zine indi­en Front­line explique-il en détail le 12 mars 2004 : « Le but affiché de la vis­ite de Lula en Inde est de con­stru­ire une « nou­velle géo­gra­phie mon­di­ale du com­merce ». Lula a expliqué que son objec­tif était de créer de nou­velles alter­na­tives. […] Son idée est de lancer à mi-2004 un plan basé sur un « Sys­tème de préférences com­mer­ciales » entre les PED. Lula pense que l’ex­pan­sion des liens com­mer­ci­aux entre les PED aidera à démoc­ra­tis­er les rela­tions inter­na­tionales et réduira l’hégé­monisme en poli­tique inter­na­tionale. » […] « Nos pro­duits sont les vic­times de sub­ven­tions, spé­ciale­ment en agri­cul­ture » a‑t-il dit.

À l’is­sue de sa vis­ite, des con­trats ont été signés pour con­stru­ire 15 usines de bio­car­bu­rants (éthanol) en Inde sur les deux prochaines années. Dans le domaine phar­ma­ceu­tique, des accords de ren­force­ment de la péné­tra­tion au Brésil des pro­duits indi­ens ont été arrêtés et tous les trois mois, des inspecteurs de la « Brazil­ian Fed­er­al Drug » vien­dront en Inde cer­ti­fi­er la qual­ité des produits.

Parachevant ces promess­es et ces accords, un forum de la CNUCED (Pre-UNC­TAD XI forum on region­al­ism and South-South coop­er­a­tion) se tient ensuite à Rio en juin 2004 et traite en pro­fondeur du cas des échanges entre le Mer­co­sur et l’Inde. Il réu­nit des offi­ciels des deux zones et des hommes d’af­faires des secteurs privés respec­tifs. Un accord des­tiné à favoris­er le développe­ment des échanges com­mer­ci­aux entre l’Inde et le Mer­co­sur est signé dans la foulée (« India and Mer­co­sur Pref­er­en­tial Trade Agree­ment »). Quant à la coopéra­tion entre l’Inde et le Brésil, elle est dès lors éten­due aux domaines spa­tial, phar­ma­ceu­tique, tech­nolo­gies de l’in­for­ma­tion et tourisme. Récem­ment, c’est Brasil­ia qui accueille du 11 au 14 sep­tem­bre 2006 le dernier som­met de l’IB­SA : de nom­breux accords addi­tion­nels y sont signés par les min­istres con­cernés de l’Inde, de l’Afrique du Sud et du Brésil.

Le Brésil et la Chine

En mai 2004, la Chine reçoit la vis­ite de Lula, alors qu’à l’ini­tia­tive du Brésil a déjà été créé le « Con­seil Entre­pre­neur­ial Brésil-Chine » (CEBC). Sous le sec­ond man­dat du prési­dent Car­doso, alors que la Chine allait entr­er à l’OMC, des con­tacts com­mer­ci­aux et une con­cer­ta­tion avaient eu lieu entre ces deux grands pays, notam­ment lors de la vis­ite à Pékin en avril 2002 du min­istre du Développe­ment indus­triel et du Com­merce, Ser­gio Ama­r­al (futur ambas­sadeur du Brésil à Paris de 2003 à 2005). De Pékin, Le Quo­ti­di­en du Peu­ple le relate ain­si : « Shi Guang­sheng, min­istre chi­nois du Com­merce extérieur et de la Coopéra­tion économique, et Ser­gio Sil­va Do Ama­r­al, min­istre brésilien du Développe­ment indus­triel et du Com­merce, sont con­venus lun­di 2 avril 2002 que le Brésil et la Chine œuvreront ensem­ble pour lut­ter con­tre l’escalade du pro­tec­tion­nisme commercial.

Lors de sa ren­con­tre à Bei­jing avec le min­istre brésilien, Shi Guang­sheng a souligné que les deux pays devaient con­juguer leurs efforts pour com­bat­tre la ten­dance crois­sante du pro­tec­tion­nisme com­mer­cial qui affecte les deux pays […]. La libéral­i­sa­tion com­mer­ciale qui avait été avancée par les pays dévelop­pés est sabotée actuelle­ment par cer­tains de ces pays mêmes, a indiqué le min­istre chi­nois […]. Le Brésil et la Chine, tous deux pays en voie de développe­ment, ont des intérêts sim­i­laires et parta­gent des vues com­munes. Ils ont une respon­s­abil­ité com­mune pour assur­er un sys­tème com­mer­cial mon­di­al, équitable et ouvert, a souligné Shi Guang­sheng. Nos deux pays doivent ren­forcer la coopéra­tion dans le domaine des prob­lèmes mul­ti­latéraux tels que leur rôle dans l’OMC et le nou­veau round des négo­ci­a­tions de l’OMC pour sauve­g­arder le développe­ment du libre com­merce. » (Le Quo­ti­di­en du Peu­ple, 2 avril 2002).


Lula vend le Brésil en Chine (Pékin, mai 2004)

C’est ce même jour­nal chi­nois qui racon­te la vis­ite de Lula à Pékin deux ans après : « Le prési­dent brésilien effectue une vis­ite d’É­tat en Chine du 22 au 27 du mois courant sur l’in­vi­ta­tion du prési­dent chi­nois Hu Jin­tao. C’est un autre grand événe­ment dans l’his­toire des rela­tions sino-brésili­ennes après la vis­ite au Brésil du prési­dent Jiang Zemin en 2001. Le prési­dent brésilien va égale­ment se ren­dre à Shang­hai pour par­ticiper à la Con­férence mon­di­ale d’aide aux pau­vres. Pen­dant cette vis­ite, les gou­verne­ments et entre­pris­es des deux pays vont sign­er une série de doc­u­ments de coopéra­tion con­cer­nant les secteurs diplo­ma­tique, juri­dic­tion­nel, san­i­taire, économique et com­mer­cial […]. Nous prenons en grande con­sid­éra­tion le Brésil en tant que plus grand pays en voie de développe­ment de l’Ouest de la planète pour son influ­ence impor­tante exer­cée sur les affaires inter­na­tionales et régionales. Nous voulons dévelop­per davan­tage le parte­nar­i­at stratégique avec le Brésil sur la base des cinq principes de la coex­is­tence paci­fique. La Chine sou­tient une réforme adéquate et néces­saire du Con­seil de Sécu­rité » (Le Quo­ti­di­en du Peu­ple, 21 mai 2004).

Lors de la vis­ite retour à Brasil­ia du prési­dent chi­nois en novem­bre 2004, sous l’in­sis­tante pres­sion des sirènes chi­nois­es, Lula recon­naît offi­cielle­ment « La Chine, pays d’é­conomie de marché ». En con­trepar­tie, le Brésil obtient sat­is­fac­tion dans plusieurs domaines, depuis l’ou­ver­ture du marché chi­nois aux vian­des brésili­ennes bovine et de volaille jusqu’à l’en­gage­ment d’une com­mande d’une dizaine d’avions de la firme Embraer instal­lée en Chine : « Les autorités chi­nois­es nous ont dit que les pays qui auront recon­nu depuis le début (le statut) auront des priv­ilèges d’ac­cès au marché chi­nois et seront traités en amis pri­or­i­taires » souligne le min­istre du Com­merce extérieur brésilien Furlan, qui ajoute : « La Chine est dev­enue l’an dernier le 3e client du Brésil, der­rière les USA et l’Ar­gen­tine, et espère main­tenant attir­er des investisse­ments impor­tants de la part de son parte­naire stratégique, surtout dans le domaine de l’in­fra­struc­ture. » (La Croix, 27 novem­bre 2004). En 2006, année record his­torique, les expor­ta­tions brésili­ennes vers la Chine pro­gressent encore de 24 % par rap­port à 2005, atteignant $US 9 mil­liards, soit 6,5 % du total (qui s’élève à 137) con­tre seule­ment 2,3 % en 1996. Quant aux impor­ta­tions en prove­nance de Chine, elles ont atteint en 2006 le mon­tant de $US 8 mil­liards (sur un total de 91, soit 8,8 %), faisant jeu égal au 2e rang (der­rière les USA) avec celles en prove­nance d’Argentine.


Au Brésil, la Chine veut aus­si s’ap­pro­vi­sion­ner notam­ment en soja et en aci­er. Un finance­ment chi­nois est promis (plusieurs dizaines de mil­liards de $US) qui con­tribuera à la recherche de sources addi­tion­nelles de min­erais et d’én­ergie et au développe­ment d’in­fra­struc­tures — routes, voies fer­rées, ports, gazo­ducs, oléo­ducs — visant à faciliter l’ap­pro­vi­sion­nement de la Chine. Dans cette per­spec­tive, le prési­dent Hu Jin­tao signe fin 2004 au Brésil des con­trats d’in­vestisse­ment dans l’ex­trac­tion du fer, dans la fab­ri­ca­tion d’a­lu­mini­um et dans le trans­port fer­rovi­aire. La coopéra­tion spa­tiale aus­si est dévelop­pée, le Brésil étant le pays d’Amérique latine le plus avancé dans la tech­nolo­gie de satel­lites et de lanceurs. Dans le secteur du tourisme, une dou­ble liste d’a­gences des deux pays (25 agences pour le Brésil pour 670 opéra­teurs de Chine pop­u­laire) est élaborée con­join­te­ment par les respon­s­ables con­cernés, le min­istre brésilien du Tourisme, Wal­fri­do dos Mares Guia, et l’am­bas­sadeur de la République pop­u­laire de Chine à Brasil­ia, Jiang Yuande.

Ces agences seront chargées d’ac­com­pa­g­n­er des groupes de Chi­nois en vis­ite au Brésil. Jusqu’à fin 2003, seul Cuba en Amérique latine était une des­ti­na­tion « autorisée » par les autorités de Pékin. La Chine envoie annuelle­ment 22 mil­lions de touristes à l’ex­térieur : c’est le 4e pays au monde par le nom­bre, avec une énorme marge de pro­gres­sion (taux actuel inférieur à 2 % de la pop­u­la­tion du pays). Le min­istre brésilien espère un flux de touristes chi­nois de 120 000 en 2007 (soit 7 fois le chiffre enreg­istré pour 2004), ce qui apporterait aux finances brésili­ennes env­i­ron $US 300 mil­lions. (« Brasil a um pas­so do mer­ca­do chinês », Gaze­ta Mer­can­til, São Paulo, 9 juil­let 2005). La for­ma­tion et le trans­fert de tech­nolo­gie font bien sûr par­tie des accords signés. Par exem­ple, ce sont mille cadres tech­niques brésiliens qui se sont envolés début juil­let 2005 pour for­mer leurs homo­logues chi­nois aux tech­niques à valeur ajoutée du tra­vail du cuir : « L’in­tense recrute­ment de Brésiliens fera que l’in­dus­trie chi­noise des chaus­sures pour­ra prochaine­ment offrir au monde des objets de qual­ité et de tech­nolo­gie de pointe » (« Know-how do Brasil para a Chi­na », Gaze­ta Mer­can­til, 10 juil­let 2005). À des prix défi­ants toute con­cur­rence. Mais le plus éton­nant est que l’ar­ti­cle nous apprend que cer­tains spé­cial­istes du tra­vail du cuir de l’É­tat du Rio Grande do Sul auraient com­mencé leur croisade for­ma­trice dès 1990 en Chine, où ils dis­ent avoir été traités comme des rois (salaires de $ 15 000 par mois par exem­ple). Après la chaude alerte aux US et en UE sur l’in­va­sion « jaune » de tex­tiles à la fin du pre­mier semes­tre 2005, les maro­quiniers clas­siques européens peu­vent pré­par­er leur reconversion !

Pour­tant, le Brésil apprend à ses dépens que tout n’est pas rose dans les échanges avec la Chine et com­mence à se méfi­er de la trop grande puis­sance de ce parte­naire asi­a­tique boulim­ique. En effet, il est clair que la Chine n’hésit­era pas, comme pour le soja brésilien en 2004, à impos­er des embar­gos, tem­po­raires, pour faire baiss­er les prix. L’embargo décrété par Pékin en juin sur 23 expor­ta­teurs de soja brésilien (des car­gaisons con­te­naient des grains traités aux fongi­cides) visait, selon Brasil­ia, à faire baiss­er le prix du soja. Dans le futur, le Brésil craint d’autres mesures « arbi­traires », les normes san­i­taires chi­nois­es restant floues.

Le min­istre du Com­merce extérieur, Luiz Furlan, accuse Pékin de fer­mer son marché aux pro­duits à plus grande valeur ajoutée, lim­i­tant la majorité des expor­ta­tions brésili­ennes à des pro­duits de base. « Lula voit dans la Chine un allié stratégique, alors que la réciproque n’est pas for­cé­ment vraie » note Mario Mar­coni­ni, directeur du Cen­tre brésilien de rela­tions inter­na­tionales. « Prag­ma­tique, la Chine est plus proche des États-Unis que de tout autre pays et ne voit dans l’Amérique latine qu’un four­nisseur de matières pre­mières. » (C. Rayes, Libéra­tion, 12 novem­bre 2004). Par ailleurs, il appa­raît que la Chine et l’Inde sont les deux pre­miers béné­fi­ci­aires de la libéral­i­sa­tion inter­na­tionale du com­merce des pro­duits tex­tiles. « Les prin­ci­pales vic­times de ce boom chi­nois et indi­en risquent d’être les autres pays émer­gents […] Après 2005, la part de marché de la Chine dans les impor­ta­tions améri­caines de vête­ments devrait pass­er de 16 % à 50 % et celle de l’Inde de 4 % à 15 % au détri­ment du Mex­ique et de l’Amérique du Sud. » (« Com­merce : le boom du tex­tile chi­nois et indi­en », Alter­na­tives économiques, n° 228, sep­tem­bre 2004).

Nom offi­ciel : République fédéra­tive du Brésil
Don­nées géographiques
Super­fi­cie : 8511965 km²
Pop­u­la­tion : 186 mil­lions d’habitants (esti­ma­tion 2006)
Cap­i­tale : Brasília (2 mil­lions d’habitants)
Villes prin­ci­pales : São Paulo (18,4 mil­lions), Rio de Janeiro (11,1 mil­lions), Belo Hor­i­zonte (4,5 mil­lions), Por­to Ale­gre (3,8 mil­lions), Sal­vador de Bahia (2,4 mil­lions), For­t­aleza (2,14 mil­lions), Curiti­ba (1,6 mil­lion), Recife (1,3 mil­lion), Belém (1,1 mil­lion), Goiâ­nia (1,1 million).
Langue offi­cielle : Portugais
Mon­naie : Real (BRL) – 1 EUR = 2, 78 BRL
Fête nationale : 7 septembre
Don­nées démographiques
Crois­sance démo­graphique : + 1,11 % (esti­ma­tion 2004)
Espérance de vie : 67,4 (hommes) ; 75,5 (femmes)
Taux d’alphabétisation : 89%
Reli­gions : catholiques (73,6%); évangélistes (18%)
Indice de développe­ment humain (classe­ment ONU) : 0,777 (65e rang mondial)
Don­nées économiques
PIB (2005) : 795,7 milliards $
PIB par habi­tant (2005) : 3370 $
Taux de crois­sance (2005) : 2,3%
Taux de chô­mage (2005) : 8,3%
Taux d’inflation (2005) : 4,7%
Excé­dent pri­maire (2005) : 4,84%
Expor­ta­tions : 100 mil­liards $ (sept 2006)
Excé­dent com­mer­cial (2005) : 44,8 milliards $
Dette extérieure totale (2005) : 22,8 % du PIB
Prin­ci­paux clients : États-Unis, Argen­tine, Chine, Pays-Bas
Prin­ci­paux four­nisseurs : États-Unis, Argen­tine, Alle­magne, Chine, Japon
Part des prin­ci­paux secteurs d’activités dans le PIB :
• agri­cul­ture : 10,2%
• indus­trie : 38,6%
• ser­vices : 51,2%
Com­mu­nauté française au Brésil : 14000 Français imma­triculés (25000 estimés dont binationaux)
Com­mu­nauté brésili­enne en France : 2 000 enreg­istrés (25 000 estimés dont binationaux)
 
Mise à jour : 20.11.2006

Un nouvel épicentre des échanges ?

À l’aube de ce XXIe siè­cle se sont donc imposés rapi­de­ment sur le marché mon­di­al­isé des pro­duits agri­coles et indus­triels, non seule­ment de nou­veaux acteurs géants nationaux issus des PED, mais surtout de nou­velles alliances incon­tourn­ables au Sud, qui font désor­mais jeu égal avec les États-Unis et l’U­nion européenne. Résul­tat tan­gi­ble de la nou­velle diplo­matie com­mer­ciale volon­tariste du Brésil, l’Asie reçoit depuis 2004 plus de 15 % de ses expor­ta­tions et est devenu le pre­mier bloc four­nisseur du Brésil pour $US 23 mil­liards soit 25 % (dont un tiers pour la seule Chine, mais beau­coup de pro­duits non man­u­fac­turés) des impor­ta­tions brésili­ennes en 2006. Une pro­gres­sion de 37 % sur 2005, devant l’U­nion européenne (22 %, dont un tiers pour l’Alle­magne et 3 % seule­ment pour la France) et les USA (16 %). Cette remar­quable pro­gres­sion s’ac­com­pa­gne d’une aug­men­ta­tion impor­tante des IDE (investisse­ments directs étrangers) au Brésil en prove­nance d’Asie (le prési­dent chi­nois a avancé le chiffre de $US 100 mil­liards d’in­vestisse­ments au Brésil pour 2005–2012 en infra­struc­tures et dans le secteur des matières pre­mières). D’autres blocs régionaux au Sud ne sont pas en reste pour l’an­née 2006, comme le relève avec sat­is­fac­tion sur le site du MDIC (Min­istère du Développe­ment, de l’In­dus­trie et du Com­merce : www.desenvolvimento.gov.br) le min­istre Furlan : « Un fait remar­quable est l’ex­pan­sion des ventes brésili­ennes à des pays non-tra­di­tion­nels ou qui représen­tent une faible part des expor­ta­tions du Brésil. En 2006, les expor­ta­tions vers des pays du Moyen-Ori­ent, d’Amérique latine et d’Afrique enreg­istrent une crois­sance impressionnante ».

En Afrique, où les grandes entre­pris­es brésili­ennes Petro­bras et Ode­brecht dévelop­pent des activ­ités fructueuses, le géant Nige­ria, par exem­ple, devient soudaine­ment le 5e four­nisseur du Brésil avec 4,3 % de ses impor­ta­tions, juste der­rière l’Alle­magne et loin devant la France (9e place). Le con­ti­nent noir, vis­ité à cinq ou six repris­es par Lula et qui n’a­chetait pra­tique­ment rien au Brésil à la fin du XXe siè­cle, reçoit en 2006 pour $US 7,5 mil­liards de pro­duits (en aug­men­ta­tion de 26 % sur 2005). Le Moyen-Ori­ent n’est pas en reste puisqu’il aug­mente de plus d’un tiers ses impor­ta­tions brésili­ennes en un an, avec presque $US 6 mil­liards de pro­duits. Dans le pal­marès lati­no des impor­ta­teurs, le Mex­ique s’ad­juge la 6e place ($US 4,5 mil­liards), le Chili la 7e et le Venezuela la 10e. La Russie de Pou­tine est 11e (3,5). Et des pays nou­veaux (ou presque, car le dif­féren­tiel 2005–2006 varie de 60 à 90 %) appa­rais­sent dans le car­net de vente des Brésiliens avec des mon­tants sig­ni­fi­cat­ifs comme l’I­ran (1,6), l’An­go­la (0,9), le Bangladesh (0,3) et Chypre (0,2).

Unanimes, l’OCDE et la FAO jugent aujour­d’hui (Per­spec­tives agri­coles 2006–2015) que « le Brésil, l’Inde et la Chine sont en train de devenir l’épi­cen­tre des forces qui gou­ver­nent la pro­duc­tion et les échanges (agri­coles) mon­di­aux » (L. Clavreul, Le Monde, 3 avril 2007). Sur le plan indus­triel aus­si, le pays s’est bien ouvert et beau­coup mod­ernisé depuis les années qua­tre-vingt-dix. Un seul exem­ple : en 2006, le Brésil est devenu le 3e pro­duc­teur mon­di­al d’au­to­bus et le 6e de camions. Le Brésil, mal­gré son poids plus faible que les deux géants que sont la Chine et l’Inde, entend effec­tive­ment jouer dans cette par­tie un rôle moteur, grâce aux poten­tial­ités immenses de son ter­ri­toire et de son peu­ple « métis­sé » au sens du soci­o­logue nordes­tin Gilber­to Freyre (« Maîtres et esclaves », 1933). Bien que ce G3 paraisse de par sa nature assez éloigné de l’idéolo­gie de la con­férence de Ban­dung (1955) et qu’il regroupe ceux qu’on appelle par­fois « le gre­nier du monde » (Brésil), « l’ate­lier du monde » (Inde), « l’u­sine du monde » (Chine), on ne doit pour­tant pas être naïf devant l’ir­ré­sistible mon­tée en puis­sance de « l’Em­pire du Milieu », qui n’au­ra aucune­ment la fibre tiers-mondiste. L’ir­rup­tion hégé­monique de la Chine dans le champ de l’é­conomie mon­di­ale est fac­teur de raré­fac­tion de nom­breuses matières pre­mières d’une part et de pro­duc­tions de masse à bas prix. Une Chine sans états d’âme, quand il s’ag­it d’é­conomie (de droits de l’homme aus­si), ce qui n’en fait pas un allié idéologique tous azimuts de ce Sud que Lula cherche à fédér­er dans la lutte pour le partage des pou­voirs mon­di­aux détenus encore par les pays du Nord. La décen­nie à venir réserve bien des sur­pris­es : cer­taines auront un goût amer pour le Brésil.

Alors que jour après jour l’Em­pire améri­cain s’en­lise au Moyen-Ori­ent, par con­tre en « Extrême-Occi­dent » (ref. Amérique latine : intro­duc­tion à l’Ex­trême-Occi­dent, Seuil, 1987, par A. Rouquié, ex-ambas­sadeur à Brasil­ia, Prési­dent de la Mai­son de l’Amérique latine), le géant Brésil, démoc­ra­tisé depuis déjà vingt-deux années et « économique­ment cor­rect » au regard du FMI depuis les deux man­dats du prési­dent Car­doso (1984–2002), père du « plano Real » et le pre­mier de Lula, est en train de devenir la nou­velle « ferme du monde » (Le Monde économie, 24 mai 2005), la médaille d’or mon­di­ale pour de nom­breux pro­duits agri­coles (sucre, café, jus d’o­r­anges, soja, tabac, volaille, viande bovine), et sur­prend par son énergie, sa fac­ulté à rebondir, son ortho­dox­ie finan­cière récente, son effi­cac­ité com­mer­ciale, son « lead­er­ship » région­al et ses com­bats mon­di­aux. Alors soyons per­suadés qu’en plus des nom­breuses poten­tial­ités en réserve du Brésil, le « jeit­in­ho » (sys­tème D) génial et inné des Sen­na, Guga, Pelé et Ronald­in­ho, des « capoeiristes » comme des chefs d’en­tre­prise de São Paulo, Belo Hor­i­zonte, Curiti­ba et Man­aus, ce quelque chose de plus que le soci­o­logue brésilien Gilber­to Freyre appelle « nos pass­es, nos feintes, notre imprévis­i­bil­ité, ce quelque chose de danse et de capoeira qui mar­que le style brésilien », fera sur­gir à la face du monde du XXIe siè­cle un Brésil majeur hors des pièges et des ornières que lui tend son passé.

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