Un épisode de la Résistance : le trésor caché

Dossier : Libres proposMagazine N°591 Janvier 2004Par : Jacques DUMAS-PRIMBAULT (25)

Affec­té depuis 1930 à la Direc­tion de l’ex­ploi­ta­tion télé­pho­nique du minis­tère des PTT comme ingé­nieur à la Sec­tion tech­nique, je connais­sais bien, par­mi les ser­vices qui en dépen­daient, l’exis­tence bou­le­vard Brune, à Paris XIVe, d’un ser­vice dit » des ate­liers et du maté­riel » qui était, en par­ti­cu­lier, char­gé d’a­che­ter puis de répar­tir sur l’en­semble du ter­ri­toire fran­çais tout le maté­riel télé­pho­nique d’u­sage cou­rant. Et j’a­vais aus­si appris que ce ser­vice pos­sé­dait – depuis long­temps – à Limoges une annexe (cou­ram­ment appe­lée » Le Mas Lou­bier ») sous forme d’une ancienne usine de por­ce­laine désaffectée.

Pour en venir à des temps un peu moins anciens, j’a­joute que je pas­sais la période appe­lée long­temps » la drôle de guerre « , comme com­man­dant d’une com­pa­gnie télé­gra­phique d’ar­mée puis comme » adjoint-fil » au géné­ral com­man­dant la 5e armée, enfin comme pri­son­nier dans un oflag bava­rois. Libé­ré comme père de famille nom­breuse, en mars 1941 je repris ma place à la Sec­tion tech­nique du Minis­tère mais pour quelques mois seule­ment car Charles Lange (1910) (mon direc­teur au minis­tère des PTT) pro­fi­ta d’une nou­velle dis­po­si­tion légis­la­tive créant les nou­velles régions de France pour me nom­mer direc­teur régio­nal des télé­com­mu­ni­ca­tions à Limoges, et, m’y envoyant fin 1941, Lange ne me don­na qu’une seule recom­man­da­tion par­ti­cu­lière : » Dumas-Prim­bault, vous trou­ve­rez à Limoges un dépôt à nous, au Mas Lou­bier, où nous avons dû accep­ter de dis­si­mu­ler une impor­tante quan­ti­té de maté­riel de guerre confié par l’ar­mée, et je compte sur vous pour qu’en aucun cas les Alle­mands ne mettent la main sur ce tré­sor ! »

Mais où était-il ce tré­sor ? Et quel était-il ? Dès que je pus, au début de 1942, connaître et visi­ter les lieux, j’y fus reçu et gui­dé par les trois seuls agents qui s’y trou­vaient, un ins­pec­teur et deux expé­di­tion­naires, qui me firent visi­ter de vastes locaux entiè­re­ment vides ! Et une enquête ulté­rieure, plus éten­due, me révé­la que les lieux n’a­vaient jamais été uti­li­sés… même au temps où, après les avoir fait construire avant 1914, la famille Havi­land, ini­tia­trice de la construc­tion, avait dû renon­cer à ses pro­jets et céder l’en­semble aux PTT.

Mais alors où était le tré­sor ? Les trois occu­pants, seuls pré­sents mais presque aus­si nou­veaux que moi dans les lieux, ne purent me faire qu’une sug­ges­tion : les fours à por­ce­laine, eux-mêmes vastes construc­tions (quelque vingt mètres de hau­teur), her­mé­ti­que­ment clos, acces­sibles seule­ment à l’ex­tré­mi­té du bas, pour le chauf­fage, et à celle du haut, pour l’ex­trac­tion, n’a­vaient jamais été visi­tés, ni même peut-être ouverts ! Le maté­riel recher­ché, tant convoi­té ne pou­vait être que là ! Quel était-il ? Je conti­nuais – comme tout le monde – à l’ignorer.

La guerre conti­nuait, elle aus­si, et l’Al­le­magne, iso­lée par les océans, avait besoin de métaux. Le plan Fell­kie­bel (du nom du géné­ral qui en avait la charge) s’oc­cu­pait avant tout de récu­pé­rer le cuivre ; et, avec les sta­tues de bronze qui ornaient nos villes, les grosses artères télé­pho­niques qui bor­daient routes et voies fer­rées nour­ris­saient les envies, d’où des pres­sions plus fortes sur les PTT qui n’é­par­gnèrent pas les régions méri­dio­nales jusque-là rela­ti­ve­ment pro­té­gées par la bien connue » ligne de démarcation « .

Les zones urbaines et notam­ment les locaux répu­tés » maga­sins » étaient par­ti­cu­liè­re­ment mena­cés. J’en­vi­sa­geais donc un repli de » nos tré­sors » sur des zones moins expo­sées et, dans cette région limou­sine à habi­tat rural dis­per­sé, je trou­vais sans trop de dif­fi­cul­té quelque 70 sites dif­fé­rents (dont les pro­prié­taires acce­ptèrent de me louer, ici ou là, quelque 30 ou 40 mètres car­rés de cave ou de gre­nier) discrets.

Aus­si, quand le 12 novembre 1942, l’ar­mée alle­mande occu­pa réel­le­ment la zone » nono* » au sud de la ligne dite de démar­ca­tion, je me déci­dai à agir en mobi­li­sant immé­dia­te­ment autour du Mas Lou­bier tous les camions de trans­port pos­sibles… et je fis ouvrir les énig­ma­tiques fours-maga­sins. Ils étaient bour­rés de bobines de fil de cuivre nu, un maté­riel qui n’é­tait d’au­cun usage pos­sible dans le ser­vice de trans­mis­sion de l’ar­mée fran­çaise, mais dont l’o­ri­gine mili­taire était indis­cu­table puisque chaque bobine était dûment estam­pillée » US Army » ! Le soir même tout ce maté­riel était à l’a­bri dans les caches préparées.

Il se trou­va, par la suite, que six ou sept caches arri­vèrent (par des dénon­cia­tions sans doute) à être connues des occu­pants alle­mands et j’eus – à deux reprises – à faire face à des entre­tiens » dif­fi­ciles » dans les locaux de la police alle­mande. J’ai eu très, très chaud !

Mais la chance fut avec moi car le Feld­na­chrich­ten­kom­man­dant de Limoges se trou­vait être un pro­fes­seur vien­nois peu com­ba­tif qui confir­ma que, d’a­près les termes mêmes des condi­tions de l’ar­mis­tice de 1940, les auto­ri­tés fran­çaises des PTT avaient, dans la zone non occu­pée, libre dis­po­si­tion de leurs magasins !

Et c’est à cela que je dois d’être là à vous racon­ter cette his­toire, plus heu­reux donc que ceux de nos cama­rades avec les­quels j’é­tais en contact dans cette » résis­tance » : Gatard (X 1928), Romon (X 1925), fusillés après avoir été jugés par un tri­bu­nal mili­taire alle­mand, Hanff (X 1917) fusillé de même à Bran­tôme (Dor­dogne) à titre d’o­tage, je crois.

Ain­si se ter­mi­na l’af­faire des cas­settes magiques (!) res­tée inéclair­cie cepen­dant sur un point : per­sonne n’a jamais pu me dire com­ment ce maté­riel rare y était arrivé ! 

* N. D. L. R. : c’est-à-dire non occupée.

2 Commentaires

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Ano­nymerépondre
15 mars 2013 à 19 h 39 min

Recherche des des­cen­dants de Jacques DUMAS-PRIMBAULT
Durant la 2ème guerre mon­diale, ma mère, qui était juive, a été cachée pen­dant plu­sieurs mois dans la demeure des Dumas-Prim­bault à Limoges. Elle a ain­si pu échap­per à la dépor­ta­tion en camp d’ex­ter­mi­na­tion et à une mort probable.

En témoi­gnage de ma gra­ti­tude envers M. et Mme Dumas-Prim­bault, je sou­hai­te­rai enta­mer les démarches néces­saires afin de leur faire attri­buer la Médaille des Justes, même à titre posthume.
Mais je désire aupa­ra­vant obte­nir l’au­to­ri­sa­tion de Madame Dumas-Prim­bault ou de leurs enfants, sur les­quels je n’ai aucune information.

Si vous connais­sez leurs coor­don­nées, vous serait-il pos­sible de m’ai­der dans mes recherches en leur trans­met­tant ma demande et mon adresse cour­riel, afin qu’ils prennent direc­te­ment contact avec moi s’ils le souhaitent

Avec mes remer­cie­ments anticipés. 

Marie-Agnesrépondre
17 juin 2013 à 8 h 26 min

Bon­jour,
Je suis une des

Bon­jour,
Je suis une des petite-fille de Jacques Dumas-Primbault.
Je m’intéresse beau­coup a l’his­toire de ma famille et serais heu­reuse de pou­voir entrer en contact avec vous.

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