L’opérateur historique et la concurrence.

Dossier : Télécommunications : la libéralisationMagazine N°585 Mai 2003Par Jean-Daniel LALLEMAND (70)

Dans le jeu de la con­cur­rence dans les télé­com­mu­ni­ca­tions France Télé­com tient le rôle de “l’opéra­teur his­torique” — tout au moins en France, car dans les autres pays d’Eu­rope ou d’ailleurs ses fil­iales se com­por­tent bien sûr comme des “nou­veaux entrants”. C’est un grand rôle. Mais ce n’est pas le beau rôle. En tout cas, c’est un rôle bien dif­fi­cile, qui néces­site beau­coup d’ex­er­ci­ces, de répéti­tions et d’ef­forts. Et c’est un rôle ingrat, car mal­gré tout le tal­ent que l’on peut y met­tre, les parte­naires (les con­cur­rents) et les cri­tiques (les autorités en charge de la régu­la­tion ou de la con­cur­rence) se déclar­ent rarement sat­is­faits de la performance.

Heureuse­ment, les spec­ta­teurs (les clients), eux, sem­blent appréci­er, puisqu’ils restent majori­taire­ment fidèles à ce “bon vieil opéra­teur his­torique”, tout en se réjouis­sant tout de même qu’il ne soit plus seul en scène.

Historique

France Télé­com, issue de la Direc­tion générale des télé­com­mu­ni­ca­tions, admin­is­tra­tion cen­trale rel­e­vant du min­istère des PTT, a été pen­dant longtemps — un siè­cle — en sit­u­a­tion de mono­pole, sauf sur cer­taines de ses activ­ités comme la vente des ter­minaux ou des cen­traux d’en­tre­pris­es. Sa mise en con­cur­rence totale s’est effec­tuée en deux étapes.

  • Les lois de 1990 ont doté France Télé­com d’un statut d’étab­lisse­ment autonome de droit pub­lic chargé de mis­sions de ser­vice pub­lic. Elles ont aus­si défi­ni stricte­ment le champ respec­tif des activ­ités restant en mono­pole, comme la télé­phonie vocale, des activ­ités en con­cur­rence soumis­es à autori­sa­tion et des activ­ités totale­ment libres.
  • Les lois de 1996, con­for­mé­ment aux déci­sions pris­es au niveau com­mu­nau­taire, ont abrogé tout mono­pole en matière de télé­com­mu­ni­ca­tions à par­tir du 1er jan­vi­er 1998. Mais cela seul n’au­rait pas suf­fi. Pour per­me­t­tre à de nou­veaux acteurs d’in­ter­venir sur ce marché jusque-là dom­iné par un opéra­teur dont les per­for­mances, et cela ne facil­i­tait pas les choses, étaient large­ment recon­nues et appré­ciées des clients, il a fal­lu instau­r­er toute une régle­men­ta­tion spé­ci­fique, extrême­ment com­plexe, forte­ment asymétrique, imposant à l’opéra­teur his­torique des con­traintes particulières. 
    Une instance admin­is­tra­tive d’un type nou­veau, l’Au­torité de régu­la­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions (ART), était mise en place pour veiller, aux côtés du min­istre chargé des télé­com­mu­ni­ca­tions, au respect et au bon fonc­tion­nement de cette régle­men­ta­tion sec­to­rielle. Dans le même temps, ces lois ont don­né à France Télé­com le statut de société anonyme à cap­i­tal détenu majori­taire­ment par l’État.


Et le résul­tat est spectaculaire.

Les objec­tifs pour­suiv­is en 1996 ont été par­faite­ment atteints. Il faut se rap­pel­er — mais que tout cela paraît loin­tain, aujour­d’hui ! — les nom­breux débats de l’époque : que d’in­ter­ro­ga­tions, de scep­ti­cisme, voire d’op­po­si­tions à pro­pos de l’ou­ver­ture de la télé­phonie à la con­cur­rence, ou encore de la pos­si­bil­ité de trans­former l’ad­min­is­tra­tion des télé­com­mu­ni­ca­tions en une véri­ta­ble entreprise !

En quelques années, les nou­veaux opéra­teurs se sont mul­ti­pliés, jusqu’à dépass­er large­ment la cen­taine. Après l’inévitable phase de con­sol­i­da­tion, ils sont main­tenant plusieurs dizaines et ont pris des parts de marché tout à fait sig­ni­fica­tives, ain­si dans la télé­phonie mobile où ils dépassent au total les 50 %.

Quant à France Télé­com, l’ac­tu­al­ité des derniers mois s’est mal­heureuse­ment chargée de démon­tr­er à ceux qui pou­vaient encore en douter qu’elle avait à présent tous les attrib­uts d’une ” vraie entre­prise “, c’est-à-dire en par­ti­c­uli­er qu’elle n’est plus immortelle…

Le cadre juridique mis en place en 1996 a donc bien joué son rôle qui con­sis­tait à assur­er le pas­sage d’une sit­u­a­tion de mono­pole à un régime con­cur­ren­tiel, en évi­tant que l’opéra­teur his­torique ne tente d’abuser de sa posi­tion dom­i­nante pour empêch­er le développe­ment d’opéra­teurs con­cur­rents et en évi­tant que les con­som­ma­teurs les moins favorisés, géo­graphique­ment ou économique­ment, fassent les frais de la fin du mono­pole pub­lic. C’est cette dernière préoc­cu­pa­tion qui a con­duit à la notion de ” ser­vice universel “.

L’asymétrie

Le cadre juridique a bien joué son rôle. Le régu­la­teur aus­si. Mais pourquoi ne pas le dire : France Télé­com aus­si a bien joué son rôle. Un rôle ô com­bi­en sub­til et paradoxal !

Car, d’un côté, du fait de son passé d’ad­min­is­tra­tion, de la pro­priété majori­taire­ment publique de son cap­i­tal et des mis­sions de ser­vice pub­lic qu’on lui a con­fiées, la société con­tin­ue à atten­dre plus ou moins con­fusé­ment de l’en­tre­prise nationale qu’elle pro­pose tous ses ser­vices un peu comme avant, lorsqu’elle était encore ” le ser­vice pub­lic ” nation­al et en mono­pole. On attend d’elle notam­ment qu’elle ait un rôle émi­nent en matière d’amé­nage­ment du ter­ri­toire : il paraît encore évi­dent à tous que ses presta­tions doivent être disponibles sur l’ensem­ble du ter­ri­toire, et, plus encore, que les prix qu’elle pra­tique soient partout iden­tiques, alors même que ses coûts de revient vari­ent forte­ment en fonc­tion de la den­sité de population.

En même temps, on lui demande de jouer pleine­ment le jeu de la con­cur­rence et même de se pli­er de bon gré, de façon à faire de la place à ses con­cur­rents, à une régle­men­ta­tion asymétrique qui est à son détri­ment. Or ses con­cur­rents, eux aus­si, ont des coûts bien plus faibles dans les zones les plus dens­es ; mais eux, ils n’of­frent leurs ser­vices que dans ces seules zones, à des prix, du coup, struc­turelle­ment plus com­péti­tifs que ceux, soumis à péréqua­tion, de l’opéra­teur historique.

Il a fal­lu appren­dre. En par­ti­c­uli­er l’au­teur de l’ar­ti­cle, qui fer­raille chez l’opéra­teur his­torique sur le front régle­men­taire, a beau­coup appris.

Que la régu­la­tion ex ante (c’est-à-dire l’im­po­si­tion d’oblig­a­tions à rem­plir a pri­ori, comme la four­ni­ture de ser­vices à ses con­cur­rents), qui était présen­tée comme une étape tran­si­toire vers le régime nor­mal du droit de la con­cur­rence, bien loin de s’al­léger au fur et à mesure du développe­ment de la com­péti­tion, ne fait que se com­plex­i­fi­er, se ram­i­fi­er, se raf­fin­er…, se ren­forcer pour tout dire, puisque chaque nou­velle règle du jeu néces­site inéluctable­ment d’être com­plétée par un nou­v­el ensem­ble de règles qui sont seules à même de garan­tir le bon fonc­tion­nement de la pre­mière règle…

Que le respect d’oblig­a­tions ex ante, imposées par le régu­la­teur, ne met pas à l’abri de pour­suites au titre du droit de la con­cur­rence ex post, et que si ce dernier pro­hibe l’abus de posi­tion dom­i­nante, et non la posi­tion dom­i­nante en elle-même, l’opéra­teur his­torique ” jouit ” en la matière d’une pré­somp­tion générale d’abus…

Que les hauss­es de tar­ifs sont mal venues de qui a la charge du ser­vice uni­versel et doit à ce titre fournir un ser­vice de qual­ité à un prix abor­d­able à l’ensem­ble des citoyens. Que, d’un autre côté, les baiss­es de tar­ifs sont inop­por­tunes si, moyen­nant cer­taines hypothès­es qui ne pour­ront jamais être véri­fiées puisque l’ex­péri­ence réelle en sera empêchée, elles risquent de provo­quer ce que l’on appelle un “effet de ciseaux”, c’est-à-dire de con­cur­rencer un tant soit peu vigoureuse­ment les offres des autres opéra­teurs, les ” nou­veaux entrants “…

Que les seg­ments élé­men­taires d’ac­tiv­ité étant très nom­breux dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions, et puisqu’il faut laiss­er une place à tout opéra­teur qui déclare vouloir con­cur­rencer l’opéra­teur his­torique sur tel ou tel de ces seg­ments par­ti­c­uliers, le méti­er d’un opéra­teur glob­al comme France Télé­com se retrou­ve de fait découpé en un grand nom­bre d’ac­tiv­ités, régulées de manière séparée, avec pour seul dénom­i­na­teur com­mun la qua­si-inter­dic­tion faite à l’opéra­teur glob­al de faire béné­fici­er le client final des syn­er­gies qu’il est seul sus­cep­ti­ble de dégager, que ce soit en ter­mes de struc­tures d’of­fres (cou­plages) ou plus encore de prix…

Que la com­plex­ité crois­sante de la régu­la­tion, asso­ciée à celle de la tech­nolo­gie qui car­ac­térise le secteur, con­duit à la paralysie des mar­ke­teurs et à la prise de pou­voir par une nou­velle race d’ex­perts : les “tech­ni­co-régle­menteurs”, qui dis­posent d’une sorte de droit de veto dans l’en­tre­prise (“ça ne passera pas” !) et sont les seuls à même de lire, com­pren­dre et traduire des déci­sions du régu­la­teur dont cer­taines font plus de 60 pages…

Que pour lever les ultimes réti­cences des nou­veaux entrants à se lancer dans une activ­ité qui sup­pose que l’on prenne le risque d’in­ve­stir, l’opéra­teur his­torique peut être con­duit à offrir à ses con­cur­rents l’usage, pour un tarif sym­bol­ique, qua­si gra­tu­it, de la prin­ci­pale de ses ressources, la paire de cuiv­re du réseau local…

Que lorsqu’il existe un fichi­er de 33 mil­lions de clients qui sont fac­turés très régulière­ment pour l’abon­nement télé­phonique, il serait dom­mage pour les opéra­teurs con­cur­rents de ne pas en prof­iter pour ajouter à la fac­ture de l’opéra­teur his­torique leurs pro­pres presta­tions, sans que leur nom appa­raisse, et en béné­fi­ciant d’une garantie de paiement, même en cas de con­tentieux avec les clients finals…

Que lorsqu’on est nou­v­el entrant et que l’on sup­porte des coûts de struc­ture réduits, sans com­mune mesure avec ceux d’un opéra­teur instal­lé, qui dis­pose entre autres d’un cen­tre de recherch­es recon­nu mon­di­ale­ment, une manière de faire du chiffre d’af­faires con­siste à obtenir que l’opéra­teur his­torique soit con­traint de vous ven­dre en gros un de ses ser­vices, y com­pris un des ser­vices dévelop­pés dans son cen­tre de recherch­es, à un tarif suff­isam­ment bas pour pou­voir le reven­dre au client final moins cher que lui, tout en dégageant une marge…

Que la con­cur­rence ne peut avoir pour seul effet que le départ de clients — jusqu’alors mal infor­més, for­cé­ment — de l’opéra­teur his­torique vers un de ses con­cur­rents, et que si l’in­verse devait advenir, ce serait évidem­ment le signe, au mieux d’un défaut de con­cur­rence, et plus prob­a­ble­ment d’une con­cur­rence déloyale de la part de l’opéra­teur historique…

Des règles pas toujours évidentes

On a beau­coup appris, à France Télé­com. Et on en a tiré quelques enseignements.

Tout d’abord, que la con­cur­rence n’est pas chose naturelle dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions, activ­ité de réseaux par essence. La con­cur­rence doit être ” for­cée ” : il lui faut, pour exis­ter, une régle­men­ta­tion spé­ci­fique, forte­ment asymétrique, et un régu­la­teur vig­i­lant et inter­ven­tion­niste. N’é­tant guère ” naturelles “, les règles de la con­cur­rence sec­to­rielle ne vont pas tou­jours de soi, et il est inévitable que l’on se trompe par­fois. Le régu­la­teur peut se tromper, ou tout du moins tâton­ner quelque peu avant de trou­ver le mécan­isme qui va con­duire à l’équili­bre qu’il recherche.

Et l’opéra­teur his­torique peut se tromper, lui aus­si. Au quo­ti­di­en, tout d’abord.

Il faut que chaque mar­ke­teur ait le réflexe et la dis­ci­pline d’ex­am­in­er si telle inno­va­tion, qui répond aux attentes des clients, et doit per­me­t­tre à France Télé­com, et par­fois même au-delà à tout le secteur, de se dévelop­per et de pro­gress­er, ne risque pas d’être con­sid­érée comme anti­con­cur­ren­tielle à un titre ou à un autre. Mal­gré des débats internes nom­breux, la ” vérité ” est loin d’ap­pa­raître évi­dente en ces matières. Des choix sont faits, qui par­fois se révè­lent erronés.

Il faut que chaque vendeur, à qui il est demandé d’at­tein­dre des objec­tifs com­mer­ci­aux ambitieux tout en con­tin­u­ant à hon­or­er la mis­sion de ser­vice pub­lic qui est con­fiée à France Télé­com et qu’at­tend au demeu­rant la grande majorité de ses clients, soit atten­tif à respecter scrupuleuse­ment, non pas les règles — il y en a peu -, mais bien plutôt les atti­tudes pre­scrites par le droit de la con­cur­rence. Il peut arriv­er qu’un huissier man­daté par un con­cur­rent con­state ici ou là une petite entorse.

Mais l’opéra­teur his­torique peut se tromper égale­ment sur le plan stratégique.

A‑t-il intérêt à faire porter tel ser­vice ou telle offre par sa fil­iale de télé­phonie mobile, ou par sa fil­iale Inter­net, ou encore par la mai­son mère (en charge de la télé­phonie fixe) ? Au-delà de ces ques­tions clas­siques, un opéra­teur his­torique doit en plus pren­dre en con­sid­éra­tion la dimen­sion régle­men­taire et con­cur­ren­tielle car ses impli­ca­tions peu­vent être très dif­férentes. Quelle place doit-il occu­per sur le marché inter­mé­di­aire, c’est-à-dire le marché des offres de gros qui per­me­t­tent à ses con­cur­rents de lui pren­dre des parts de marché sur le marché de détail ? Ces ques­tions sont extrême­ment com­plex­es et le fait que la mécanique con­cur­ren­tielle n’obéit pas, ici, à des lois naturelles, ne fait que leur adjoin­dre une incon­nue majeure.

La “bonne” et la “mauvaise” concurrence

De l’ex­péri­ence de ces cinq années de con­cur­rence com­plète, on a égale­ment tiré l’en­seigne­ment que la “bonne” con­cur­rence, c’est-à-dire la con­cur­rence qui béné­fi­cie durable­ment aux clients finals, est celle qui s’in­stalle entre des opéra­teurs “du méti­er”. Et ce méti­er con­siste fon­da­men­tale­ment à offrir au client “l’ac­cès” au monde des com­mu­ni­ca­tions électroniques.

C’est l’ac­cès qui est pri­mor­dial ici, le reste — les com­mu­ni­ca­tions — en découle.

Un opéra­teur qui four­nit l’ac­cès a un com­porte­ment sain : il cherche à dévelop­per l’usage que peut faire son client de son accès au monde des com­mu­ni­ca­tions élec­tron­iques en pro­mou­vant tous les ser­vices, car tous les ser­vices lui rap­por­tent, directe­ment ou indi­recte­ment (ain­si le mécan­isme des ter­mi­naisons d’ap­pel qui intéresse l’opéra­teur au traf­ic arrivée). Ce mod­èle con­duit à une con­cur­rence entre des opéra­teurs qui, tout en cher­chant cha­cun à aug­menter ses pro­pres parts de marché, ont tous intérêt à faire croître le même marché, à l’in­star des con­struc­teurs auto­mo­biles qui œuvrent tous à la crois­sance du marché auto­mo­bile dans son ensem­ble : c’est le cas, pour les télé­com­mu­ni­ca­tions, des mobiles.

Par con­tre une con­cur­rence qui con­siste à ouvrir, plus ou moins arti­fi­cielle­ment, des espaces entre dif­férents seg­ments du réseau ou des ser­vices pour per­me­t­tre à une myr­i­ade de four­nisseurs de ser­vices de prospér­er sur cha­cune des sous-activ­ités élé­men­taires, emporte tous ses acteurs dans une spi­rale de destruc­tion de la valeur, dont l’opéra­teur his­torique est la pre­mière vic­time, tout en étant con­traint d’en être égale­ment un acteur. Un tel mod­èle peut sem­bler prof­itable à court terme aux clients finals : il se traduit en effet par une guerre des prix dont ils sont les béné­fi­ci­aires. Mais force est de con­stater qu’il tue à moyen terme toute inno­va­tion — en dehors des seules inno­va­tions “mar­ket­ing” — et décourage l’investissement.

Cette ques­tion du mod­èle de con­cur­rence peut être illus­trée par le cas du haut débit. La tech­nolo­gie dite “ADSL” (Asym­met­ric Dig­i­tal Sub­scriber Line) per­met de trans­met­tre sur la paire de cuiv­re util­isée pour le télé­phone des infor­ma­tions numériques à haut débit (typ­ique­ment 512 kbits/seconde). Elle sup­pose la mise en place d’équipements spé­ci­fiques (les “DSLAM” : Dig­i­tal Sub­scriber Line Access Mul­ti­plex­er) dans les répar­ti­teurs où se con­cen­trent les lignes d’abon­nés. Le traf­ic haut débit est ensuite véhiculé à tra­vers un réseau numérique jusqu’aux plates-formes des four­nisseurs de ser­vices correspondants.

Aujour­d’hui, cette tech­nolo­gie est util­isée pour offrir au client final un accès haut débit à l’In­ter­net. Pour per­me­t­tre la con­cur­rence sur ce ser­vice d’ac­cès haut débit à Inter­net, France Télé­com a été con­trainte d’éla­bor­er de mul­ti­ples offres de gros : la paire de cuiv­re nue (ce que l’on appelle le dégroupage total) ; les fréquences hautes de la paire de cuiv­re (ce que l’on appelle le dégroupage par­tiel) ; la ligne d’abon­né équipée de sa carte DSLAM ; la ligne d’abon­né équipée de sa carte DSLAM et le trans­port des don­nées cor­re­spon­dantes sur le réseau numérique. Les four­nisseurs d’ac­cès à Inter­net (les FAI) et les opéra­teurs font leur marché dans cet éven­tail d’of­fres unique en Europe. Le régu­la­teur veille, pour sa part, à ce que tout acteur se posi­tion­nant sur tel seg­ment puisse con­cur­rencer France Télé­com sur le marché des offres qui se situent immé­di­ate­ment en aval. La com­plex­ité des équa­tions — ou plutôt des inéqua­tions — à véri­fi­er est telle à présent qu’il faut compter de six à neuf mois si l’on veut en chang­er quelques paramètres.

Et on n’a encore rien vu. Car l’au­dio­vi­suel ne fait qu’ar­riv­er sur le haut débit. Les pre­mières expéri­ences de vidéo sur ligne télé­phonique démar­rent. De nou­veaux acteurs vont appa­raître : les four­nisseurs de con­tenus audio­vi­suels et les bou­quets de chaînes. Leurs ser­vices cohab­iteront avec ceux des four­nisseurs d’ac­cès à Inter­net, sur la même paire de cuiv­re et à tra­vers le même équipement DSLAM.
Com­ment le mod­èle actuel pour­ra-t-il faire fonc­tion­ner tout cela ? Com­ment répar­tir le coût de la ligne et du réseau entre l’In­ter­net et la vidéo ? et qui va décider de cette répar­ti­tion ? le régu­la­teur ? À qui “appar­tien­dra” le client final : au four­nisseur d’ac­cès à Inter­net ? au bou­quet de chaînes ? à l’opéra­teur de télécommunications ?

Peut-être fau­dra-t-il aller vers un mod­èle dans lequel le client n’au­ra qu’un four­nisseur d’ac­cès haut débit, qui lui offrira la pos­si­bil­ité de con­som­mer ensuite, en s’adres­sant à dif­férents prestataires, de l’In­ter­net ou de la vidéo. C’est ce four­nisseur d’un accès glob­al haut débit qui défini­ra sa pro­pre poli­tique de répar­ti­tion des coûts de l’ac­cès entre l’In­ter­net et la vidéo. Et la con­cur­rence jouera, d’un côté entre opéra­teurs d’ac­cès (l’opéra­teur his­torique et les “dégroupeurs”), et d’un autre côté entre four­nisseurs de ser­vices (Inter­net et vidéo).

Une nouvelle loi

L’ex­péri­ence de la con­cur­rence dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions acquise depuis plus de cinq ans va pou­voir être mise prochaine­ment à prof­it. En effet, pour la troisième fois en qua­torze ans, le Par­lement va être sol­lic­ité pour redéfinir le cadre lég­is­latif régis­sant les télé­com­mu­ni­ca­tions, con­for­mé­ment aux déci­sions pris­es au niveau com­mu­nau­taire : de nou­velles direc­tives européennes qui définis­sent un nou­veau cadre régle­men­taire doivent être trans­posées dans la loi nationale cette année.

Quel est l’ob­jec­tif fon­da­men­tal que le lég­is­la­teur doit avoir à l’e­sprit en rédi­geant ce nou­veau cor­pus réglementaire ?

La loi de 1996 avait aboli tout mono­pole dans le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions. Il n’y a donc pas de nou­velle étape à franchir dans l’abo­li­tion de quel­con­ques ” droits exclusifs “, sans par­ler de ” monopoles “.

La loi de 1996 avait été conçue, il faut le rap­pel­er, pour per­me­t­tre le pas­sage du mono­pole à la con­cur­rence. Ce pas­sage ayant été réus­si, elle doit main­tenant faire place à une lég­is­la­tion assur­ant en régime per­ma­nent le fonc­tion­nement har­monieux d’un secteur pleine­ment ouvert, secteur qui garde cepen­dant un cer­tain nom­bre de spé­ci­ficités jus­ti­fi­ant une régle­men­ta­tion sec­to­rielle appro­priée. Il sera tou­jours néces­saire d’as­sur­er l’in­ter­con­nex­ion et l’in­ter­fonc­tion­nement des réseaux, de ren­dre acces­si­bles à tous cer­tains ser­vices jugés essen­tiels, d’op­ti­miser la ges­tion de cer­taines ressources rares, de prévenir cer­tains risques de com­porte­ments anti­con­cur­ren­tiels, etc.

Et puis, l’en­vi­ron­nement a changé. Pro­fondé­ment. La bulle finan­cière de l’In­ter­net et des télé­com­mu­ni­ca­tions s’est for­mée… et a éclaté. Le secteur est encore sous le choc. L’en­jeu de la nou­velle loi est de créer les con­di­tions de la con­va­les­cence puis du retour à la pleine san­té pour tous les acteurs, y com­pris celui qui joue le rôle d’opéra­teur his­torique, dont on a décou­vert que la capac­ité à absorber tous les à‑coups d’une part, et de servir de réserves de ressources pour ses con­cur­rents d’autre part, n’é­tait pas sans limites.

La loi de 1996 avait pour final­ité la ” libéral­i­sa­tion ” des télé­com­mu­ni­ca­tions, c’est-à-dire l’ou­ver­ture à la con­cur­rence. Il fal­lait empêch­er l’an­cien mono­pole de s’op­pos­er à l’ar­rivée des nou­veaux entrants.

La loi de 2003 doit avoir pour final­ité de ” libér­er ” toutes les forces du marché, notam­ment d’innovation.

Le pre­mier acteur de ce marché, France Télé­com, doit à présent recou­vr­er sa lib­erté de mou­ve­ment pour jouer son rôle de loco­mo­tive au béné­fice de la crois­sance de tout le secteur.

La régu­la­tion doit bien enten­du veiller à ne pas laiss­er se recon­stituer des monopoles ; mais, à cette con­di­tion près, elle doit avoir pour préoc­cu­pa­tion prin­ci­pale de laiss­er agir le marché.

Le risque majeur est de caress­er la chimère que toutes les ques­tions peu­vent ou doivent être résolues par la régu­la­tion : c’est alors à une économie admin­istrée et non à un marché dynamique que l’on abouti­rait. Ce n’est pas ce dont le secteur des télé­com­mu­ni­ca­tions a besoin.

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