Remise du rapport Hémar-Daher sur la compétitivité des chaînes logistiques en France

Pourquoi il est indispensable d’intégrer la logistique dans les politiques publiques

Dossier : LogistiqueMagazine N°772 Février 2022
Par Anne-Marie IDRAC

Si la per­for­mance du secteur majeur qu’est la logis­tique dépend avant tout des acteurs économiques, sa prise en compte dans la poli­tique gou­verne­men­tale n’en est pas moins indis­pens­able pour lui don­ner les meilleures con­di­tions de développe­ment. C’est un enjeu dimen­sion­nant pour la France.

La logis­tique, c’est en France 10 % du PIB et 1,8 mil­lion d’emplois. Au-delà de ces chiffres, il y a peu d’activités aus­si présentes dans la vie quo­ti­di­enne des entre­pris­es et des citoyens. Sans mobil­ité des marchan­dis­es, la vie s’arrête, faute d’approvisionnement des mag­a­sins, des écoles, des hôpi­taux, des usines et des arti­sans, et finale­ment des citoyens-con­som­ma­teurs : si les con­fine­ments ont pu immo­bilis­er les per­son­nes, les marchan­dis­es, elles, ne se télé­por­tent pas ! Des chaînes logis­tiques économique­ment et écologique­ment per­for­mantes sont néces­saires aus­si pour la mise en œuvre de nom­breuses poli­tiques publiques : en amont et en aval des (re)localisations indus­trielles, pour l’économie cir­cu­laire et les cir­cuits courts, l’insertion de la France dans le com­merce inter­na­tion­al et notre attrac­tiv­ité, ou encore la qual­ité de la vie sur tous les territoires.

Pour aller encore plus loin dans l’efficacité des organ­i­sa­tions logis­tiques, nous devons con­solid­er une vision glob­ale publique-privée artic­u­lant d’une part les stocks et les flux, d’autre part l’international, le nation­al et le local – de la com­péti­tiv­ité de nos ports et aéro­ports à la qual­ité des dessertes rurales. Longtemps oublié des poli­tiques publiques, ce secteur com­mence enfin à être pris en con­sid­éra­tion. Nous devons encore accélérer.


REPÈRES

Lancée début jan­vi­er 2020 sous la prési­dence d’Anne-Marie Idrac, anci­enne min­istre, France Logis­tique rassem­ble pour la pre­mière fois les acteurs privés de toute la chaîne logis­tique. Sa rai­son d’être : porter une vision glob­ale des chaînes logis­tiques qui en fait l’interlocuteur de référence des pou­voirs publics sur les sujets trans­vers­es afin de faire de la fil­ière trans­port et logis­tique française l’une des plus attrac­tives à l’échelle européenne. Son objec­tif : val­oris­er la fil­ière et con­tribuer à l’amélioration de sa com­péti­tiv­ité en France au ser­vice des per­for­mances économiques et écologiques de notre économie, pour l’emploi dans tous les ter­ri­toires. Ses mis­sions : incar­n­er les acteurs et pro­mou­voir la fil­ière, con­stru­ire avec les acteurs privés et publics la réponse aux enjeux de demain, soutenir le dynamisme d’une fil­ière inno­vante dans un envi­ron­nement con­cur­ren­tiel européen rude. 


La logistique, un angle mort historique des politiques publiques

Force est de con­stater que la logis­tique n’est his­torique­ment pas util­isée en France par les pou­voirs publics comme levi­er impor­tant de développe­ment. D’autres pays ont fait les choix de l’intégrer davan­tage dans leurs choix stratégiques : c’est bien sûr le cas de la Chine avec les Routes de la soie ; la puis­sance indus­trielle de l’Allemagne est large­ment fondée sur l’importation de com­posants et l’export de pro­duits finis, via des chaînes très per­for­mantes de déplace­ment des marchan­dis­es ; quant aux Pays-Bas, la logis­tique est struc­turante de l’économie, en par­ti­c­uli­er autour des ports, et a été inté­grée dans leurs neuf top sec­tors.

Est-ce parce que la palette ou le col­is ne votent pas ? Ou parce que les acteurs logis­tiques sont si effi­caces qu’il n’y a pas d’enjeu pour les pou­voirs publics, qui ont salué leur rôle pen­dant la crise san­i­taire ? Ou encore parce que les com­pé­tences insti­tu­tion­nelles ne sont pas très claires, et la trans­ver­sal­ité des enjeux dif­fi­cile à appréhender ?…

“La logistique, c’est en France 10 % du PIB et 1,8 millions d’emplois.”

Les actions logis­tiques relèvent très large­ment de rela­tions com­mer­ciales privées. Elles font inter­venir des don­neurs d’ordre (indus­triels, com­merçants, con­som­ma­teurs fin­aux), des pro­fes­sion­nels logis­tiques (trans­porteurs, logis­ti­ciens) ou des four­nisseurs de solu­tions (con­struc­teurs de véhicules, d’entrepôts, de robots ou de logi­ciels) dans des logiques essen­tielle­ment de marché.

Il n’est donc évidem­ment pas ques­tion que les acteurs publics réalisent ni même organ­isent eux-mêmes les ser­vices logis­tiques, comme ils le font pour la mobil­ité des voyageurs – hormis pour leurs pro­pres appro­vi­sion­nements (can­tines, hôpi­taux…). Il n’en reste pas moins qu’une plus grande impli­ca­tion des acteurs publics devrait don­ner à l’ensemble des acteurs de la sup­ply chain des con­di­tions d’exercice leur per­me­t­tant d’organiser encore mieux les opéra­tions, pour une logis­tique tou­jours plus effi­cace et plus verte – ce qui va de pair.

De multiples leviers publics

Les acteurs publics dis­posent pour ce faire de plusieurs leviers. Pre­mier levi­er : l’animation d’écosystèmes per­met, comme cela est le cas chez nos prin­ci­paux con­cur­rents, la mise en rela­tion des acteurs, qu’ils soient publics ou privés, et la con­struc­tion de pro­jets partagés. Si chaque mail­lon de la sup­ply chain est déjà large­ment opti­misé, les dia­logues et inter­con­nex­ions (physiques ou de don­nées) lais­sent encore trop à désir­er pour répon­dre à la com­plex­ité des besoins et aux enjeux du développe­ment durable.

Autre levi­er : la régle­men­ta­tion et la fis­cal­ité doivent assur­er des con­di­tions équita­bles, notam­ment avec nos pays voisins con­cur­rents, qu’il s’agisse de l’implantation des entre­pôts, des règles envi­ron­nemen­tales ou des con­di­tions de tra­vail des con­duc­teurs, par déf­i­ni­tion mobiles entre pays. À cet égard, on ne souligne pas assez que beau­coup des ser­vices logis­tiques sont délo­cal­is­ables, qu’il s’agisse du lieu de stock­age ou du trans­port routi­er – qui est réal­isé, sur les grandes dis­tances, à plus de 92 % par des opéra­teurs étrangers.

“Le financement des infrastructures est le principal domaine nécessitant des apports d’argent public.”

Ou encore : le finance­ment des infra­struc­tures est le prin­ci­pal domaine néces­si­tant des apports d’argent pub­lic. Les pri­or­ités en la matière sont l’amélioration de la desserte mul­ti­modale de l’hin­ter­land des ports français, la mod­erni­sa­tion du réseau flu­vial, la régénéra­tion du réseau fer­rovi­aire, l’installation des plate­formes mul­ti­modales ou les sys­tèmes d’approvisionnement en car­bu­rants de sub­sti­tu­tion au diesel fos­sile. Et encore : le sou­tien à l’innovation pour accélér­er en par­ti­c­uli­er les tran­si­tions numérique et énergé­tique et amélior­er notre com­péti­tiv­ité, et à la for­ma­tion compte tenu des besoins quan­ti­tat­ifs et qual­i­tat­ifs qui se font jour sur le marché du tra­vail. Et enfin l’aménagement du ter­ri­toire, sur lequel je reviendrai.

Remise du rapport commandé par le Gouvernement sur la logistique urbaine durable.
Le 21 octo­bre 2021, Anne-Marie Idrac, prési­dente de France Logis­tique, accom­pa­g­née des deux autres mis­sion­nés, Anne-Marie Jean, vice-prési­dente de l’Eurométropole de Stras­bourg, et Jean-Jacques Bolzan, adjoint au maire de Toulouse, a remis aux min­istres chargés de l’Industrie, Agnès Pan­nier-Runach­er, et des Trans­ports, Jean-Bap­tiste Djeb­bari (E2020), le rap­port com­mandé par le gou­verne­ment sur la logis­tique urbaine durable.

Une articulation public-privé efficace

Depuis début 2020, acteurs publics et privés ont entre­pris de tra­vailler con­join­te­ment au redresse­ment. Sur le fonde­ment du rap­port remis fin 2019 par Éric Hémar (PDG du logis­ti­cien ID Logis­tics) et Patrick Daher (prési­dent du groupe indus­tri­a­lo-logis­tique Daher) à Édouard Philippe, alors Pre­mier min­istre, un pilotage inter­min­istériel opéra­tionnel s’est mis en place sous la gou­ver­nance de la direc­tion générale des infra­struc­tures, des trans­ports et de la mer (DGITM) et de la direc­tion générale des entre­pris­es (DGE). De son côté, le secteur privé s’est organ­isé pour porter d’une seule voix les pro­jets et deman­des de la fil­ière, via l’association France Logis­tique, créée début 2020, que je préside. 

Deux comités inter­min­istériels de la logis­tique (Cilog) se sont tenus en décem­bre 2020 et octo­bre 2021. Ils affir­ment une vision trans­verse de la com­péti­tiv­ité logis­tique, au ser­vice des per­for­mances économiques, écologiques et sociales de l’économie et du ter­ri­toire français. À chaque Cilog, le gou­verne­ment détaille des mesures pré­cis­es rel­e­vant générale­ment d’un tra­vail inter­min­istériel et d’une coopéra­tion publique-privée : tran­si­tion énergé­tique du trans­port routi­er, mul­ti­modal­ité, logis­tique urbaine, amélio­ra­tion de l’efficacité por­tu­aire, implan­ta­tion écologique des stocks… 

Cette méthode a fait la preuve de son effi­cac­ité. Ces travaux doivent impéra­tive­ment se pour­suiv­re dans les années à venir selon trois axes : une artic­u­la­tion encore plus forte avec les poli­tiques de pro­duc­tion et d’innovation (plan France 2030 par exem­ple), des décli­naisons locales appro­fondies (niveaux région­al et inter­com­mu­nal) et une mobil­i­sa­tion plus vive du monde académique et de la recherche – le tout dans un dia­logue pub­lic-privé encore vivifié. 

L’importance du foncier et de l’aménagement du territoire

La relo­cal­i­sa­tion et la résilience indus­trielles aug­mentent les besoins en lieux de stock­age : c’est actuelle­ment le pre­mier fac­teur d’augmentation de la demande en sur­faces et vol­umes d’entrepôts. Le e‑commerce, en déplaçant la pré­pa­ra­tion de com­mande du mag­a­sin vers l’entrepôt, engen­dre lui aus­si des besoins accrus en fonci­er logistique.

Par ailleurs, un bon mail­lage des implan­ta­tions logis­tiques per­met la mas­si­fi­ca­tion et la mutu­al­i­sa­tion des flux, ce qui est favor­able aux modes lourds (fleuve, rail), ain­si que l’optimisation du rem­plis­sage et des cir­cu­la­tions des camions. Pour­tant, deux ten­dances actuelles ten­dent à pénalis­er l’efficacité d’ensemble des chaînes : pour des raisons d’image, de rentabil­ité ou de com­plex­ités admin­is­tra­tives, on voit s’éloigner les stocks vers l’étranger ou loin des lieux de con­som­ma­tion finale, ce qui con­duit à allonger les dis­tances par­cou­rues par les camions. Faute de mutu­al­i­sa­tions dans des lieux appro­priés, on voit aus­si aug­menter les tournées urbaines en véhicules plus petits venant encom­br­er l’espace pub­lic et la con­som­ma­tion glob­ale d’énergie. Dans les deux cas, c’est écologique­ment et économique­ment peu efficace.

“Un rapport sur la logistique urbaine durable a été rendu au gouvernement le 21 octobre 2021.”

C’est pourquoi les doc­u­ments d’urbanisme (Srad­det, sché­mas régionaux d’aménagement, de développe­ment durable et d’égalité des ter­ri­toires au niveau région­al, PLUi, plan local d’urbanisme inter­com­mu­nal au niveau du bloc com­mu­nal) devraient inté­gr­er les local­i­sa­tions logis­tiques. Avec pour objec­tif de favoris­er le rap­proche­ment des stocks logis­tiques des cen­tres, de pré­cis­er leurs bonnes local­i­sa­tions fines et de faciliter la den­si­fi­ca­tion de ces implan­ta­tions (hau­teur, lim­i­ta­tion du mitage, util­i­sa­tion des frich­es per­ti­nentes), pour économiser les mètres car­rés, de plus en plus pré­cieux. Une meilleure plan­i­fi­ca­tion ter­ri­to­ri­ale de la logis­tique accom­pa­g­n­erait aus­si favor­able­ment le développe­ment d’entrepôts de plus en plus écologiques : lim­i­ta­tion de l’artificialisation des sols, bio­di­ver­sité, neu­tral­ité carbone. 

La nécessaire déclinaison locale

La prise de con­science locale des enjeux logis­tiques est encore bal­bu­tiante. Elle résume sou­vent la logis­tique à l’une de ses com­posantes, en fonc­tion de l’actualité des ter­ri­toires, et est sou­vent mar­quée par la per­cep­tion des exter­nal­ités néga­tives de ces activ­ités (encom­bre­ments, pol­lu­tions, mau­vais partages des espaces…). La diver­sité des besoins, flux et organ­i­sa­tions, les con­di­tions de l’optimisation économique et écologique des chaînes d’approvisionnement restent mal connues.

La coor­di­na­tion entre les poli­tiques de développe­ment économique, d’aménagement, de lutte con­tre les pol­lu­tions et de sat­is­fac­tion glob­ale des citoyens-con­som­ma­teurs est mal assurée. Glob­ale­ment, si le rôle pre­mier des acteurs privés de la logis­tique est de sat­is­faire leurs clients, ils ne deman­dent qu’à met­tre leurs com­pé­tences au ser­vice des poli­tiques locales. Ils adaptent les solu­tions aux spé­ci­ficités des ter­ri­toires : den­sité de pop­u­la­tion, local­i­sa­tion des entre­pris­es et com­merces, présence de nœuds inter­modaux, rôle des ports … Ils accom­pa­g­nent les col­lec­tiv­ités pour dévelop­per des organ­i­sa­tions inno­vantes, répon­dant à des niveaux ambitieux de qual­ité de vie, tout en inté­grant les réal­ités tech­niques et économiques de métiers forte­ment concurrentiels.

“Certaines agglomérations se sont aussi lancées dans la réalisation de schémas de politique logistique intégrant tous les enjeux.”

Le rap­port sur la logis­tique urbaine durable, que j’ai ren­du au gou­verne­ment le 21 octo­bre 2021 avec deux élus locaux, Anne-Marie Jean (Stras­bourg) et Jean-Jacques Bolzan (Toulouse), souligne l’importance de com­bin­er bonne gou­ver­nance, poli­tiques de cir­cu­la­tion et de sta­tion­nement, urban­isme et partage des don­nées. Il s’est traduit notam­ment par la bonne nou­velle d’une impli­ca­tion du Gart (groupe­ment des autorités respon­s­ables de trans­port) pour une logis­tique urbaine plus durable.

C’est aus­si l’objectif du pro­gramme CEE InTer­LUD (inno­va­tions ter­ri­to­ri­ales et logis­tique urbaine durable) coporté par des acteurs privés et publics et visant la mise en œuvre de chartes de logis­tique urbaine durable dans 50 inter­com­mu­nal­ités. La général­i­sa­tion des ZFE (zones à faibles émis­sions) pour­rait accélér­er ces pris­es de con­science. Même si la loi sur les ZFE prévoit un encadrement des seuls véhicules de moins de 3,5 t, la majorité des inter­com­mu­nal­ités envis­age d’inclure aus­si les poids lourds dans les restric­tions à venir.

L’article dédié à la tran­si­tion énergé­tique du camion détaille les con­traintes et dif­férentes solu­tions, encore bal­bu­tiantes pour cer­taines, pour con­ver­tir pro­gres­sive­ment les flottes à des éner­gies de sub­sti­tu­tion au diesel. Plus large­ment, sur le fonde­ment de la loi cli­mat et résilience, il est prévu d’organiser des con­férences régionales logis­tiques per­me­t­tant d’apprécier les besoins, atouts et con­traintes de toutes les par­ties prenantes, en vue de partager des visions de stratégie logis­tique. Cer­taines aggloméra­tions se sont aus­si lancées dans la réal­i­sa­tion de sché­mas de poli­tique logis­tique inté­grant tous les enjeux.

L’importance du cadre européen

Les règles con­cer­nant les émis­sions des véhicules et les réseaux d’alimentation en énergie relèvent, entre autres sujets, de déci­sions européennes. 2022 sera à cet égard une année très impor­tante, dans le cadre du pro­jet glob­al Fit for 55. La loy­auté de la con­cur­rence notam­ment routière sur la base du « paquet mobil­ité » de juil­let 2020 est égale­ment majeure pour notre sou­veraineté logis­tique. Je suis per­suadée que la France peut et doit mieux utilis­er la logis­tique comme levi­er de per­for­mances économiques et écologiques.

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