L’OFTA a quinze ans

Dossier : Libres ProposMagazine N°533 Mars 1998Par :
Par Marc DUPUIS (53)

1 – L’OFTA : contexte et objectifs

Un pro­blème impor­tant et nou­veau auquel la France devait faire face en 1982 était la nou­velle concur­rence que cer­tains pays, et en par­ti­cu­lier le Japon, appor­taient à son indus­trie. Il appa­rais­sait donc inté­res­sant de créer un ins­tru­ment qui per­mette à notre indus­trie d’é­va­luer le plus rapi­de­ment pos­sible les tech­no­lo­gies émer­gentes, de façon à être pré­sente au bon moment dans les bons secteurs.

Nanotechnologies
Nano­tech­no­lo­gies : des­sin d’un petit bon­homme fait de 28 molé­cules de monoxyde de car­bone adsor­bées sur une sur­face de pla­tine et dépla­cées avec la pointe d’un micro­scope à effet tun­nel. (Image com­mu­ni­quée par Donald Eigler, IBM Alma­den, à Chris­tian Joa­chim, CEMES, CNRS, coor­di­na­teur du Groupe “ Nano­tech­no­lo­gies et micro­ma­chines ”, et repro­duite dans ARAGO 12, 1992.)

La même néces­si­té d’une éva­lua­tion rapide sub­siste aujourd’­hui, c’est-à-dire quinze ans plus tard. À la concur­rence qui, en 1982, était appor­tée essen­tiel­le­ment par le Japon, se sont ajou­tées celle créée par les États-Unis, qui, après la fin de la guerre froide, ont mis l’ac­cent sur les appli­ca­tions civiles des tech­niques avan­cées, ain­si que celle appor­tée par d’autres pays qui ont sub­stan­tiel­le­ment éle­vé leur niveau tech­no­lo­gique et indus­triel durant ces quinze der­nières années. D’autre part, au pro­blème de la concur­rence s’est ajou­té le pro­blème connexe du chô­mage, qui n’a ces­sé de deve­nir de plus en plus aigu. Dans ces condi­tions, dis­po­ser d’ins­tru­ments d’a­na­lyse de haut niveau pour la sélec­tion des domaines tech­no­lo­giques nou­veaux où il faut être pré­sent à temps, appa­raît de plus en plus indis­pen­sable à tout pays qui veut gar­der sa place dans la com­pé­ti­tion mon­diale. La mise en œuvre de l’Ob­ser­va­toire fran­çais des tech­niques avan­cées (OFTA) repose donc sur la convic­tion que la pros­pé­ri­té éco­no­mique et le trai­te­ment du pro­blème du chô­mage reposent pour une large part sur la maî­trise et la mise en œuvre des tech­no­lo­gies les plus avan­cées dans tous les domaines de l’ac­ti­vi­té indus­trielle et des services.

L’ac­ti­vi­té de l’OF­TA réside dans l’or­ga­ni­sa­tion de groupes de tra­vail por­tant sur des thèmes asso­ciant étroi­te­ment la science et la tech­no­lo­gie et jugés sus­cep­tibles de prendre une impor­tance stra­té­gique. Cer­tains sont émer­gents, d’autres sont de nou­veaux déve­lop­pe­ments dans des domaines déjà anciens. La mis­sion de chaque groupe est, en pre­mier lieu, de répondre au mieux à la ques­tion de savoir si le thème est véri­ta­ble­ment por­teur ou non, ou encore si l’é­chéance à laquelle il est sus­cep­tible de le deve­nir est proche ou, au contraire, ne risque pas d’être beau­coup plus loin­taine qu’il ne paraît a prio­ri. En effet, cer­taines avan­cées font par­fois l’ob­jet d’une publi­ci­té média­tique exces­sive et il est tout aus­si impor­tant d’être pré­sent à temps dans un domaine por­teur que d’é­vi­ter d’in­ves­tir dans une voie qui s’a­vère rapi­de­ment être une impasse.

L’é­va­lua­tion du domaine consi­dé­ré repose sur une ana­lyse appro­fon­die de l’é­tat de l’art, des appli­ca­tions pos­sibles et des condi­tions d’ap­pli­ca­tion, ain­si que des enjeux de toute nature. Cette ana­lyse doit débou­cher fina­le­ment sur des pro­po­si­tions et recom­man­da­tions quant aux orien­ta­tions à prendre et actions à entre­prendre en matière de recherche, déve­lop­pe­ment, indus­tria­li­sa­tion et for­ma­tion. En un mot, il s’a­git pour le groupe de répondre à la ques­tion : » Que faire ? » et, dans cette optique, il lui appar­tient de défi­nir sa propre pro­blé­ma­tique. L’OFTA n’est donc pas un sémi­naire au sens aca­dé­mique du mot, même si cer­tains résul­tats de recherche peuvent y être annon­cés, ni un sys­tème de for­ma­tion conti­nue : tous les membres d’un groupe sont com­pé­tents sur le sujet.

2 – Les groupes de travail

Chaque groupe est limi­té à une ving­taine de spé­cia­listes pour des rai­sons d’ef­fi­ca­ci­té, et sa com­po­si­tion doit reflé­ter un équi­libre entre les acteurs prin­ci­paux de la com­mu­nau­té scien­ti­fique et tech­no­lo­gique fran­çaise, c’est-à-dire l’ad­mi­nis­tra­tion, l’u­ni­ver­si­té et les grandes écoles, les orga­nismes natio­naux de recherche et déve­lop­pe­ment et l’in­dus­trie. Les groupes sont for­més sur invi­ta­tion : les spé­cia­listes qui sont invi­tés le sont en rai­son de leur com­pé­tence et du dyna­misme, dans le domaine concer­né, des orga­nismes aux­quels ils appar­tiennent. Il est enten­du que ces orga­nismes sont impli­qués par le fait d’être repré­sen­tés dans les groupes. Dans cet esprit, les indus­tries dési­gnent sou­vent elles-mêmes leurs repré­sen­tants. Il convient d’a­jou­ter qu’un groupe n’est lan­cé que s’il est pos­sible de trou­ver une repré­sen­ta­tion suf­fi­sam­ment impor­tante de l’in­dus­trie et des orga­nismes natio­naux de recherche et développement.

Chaque groupe est conduit par un » coor­di­na­teur « , qui est tou­jours une per­son­na­li­té recon­nue pour sa com­pé­tence dans le domaine étu­dié et qui a des rela­tions étroites aus­si bien avec le monde aca­dé­mique qu’a­vec l’industrie.

Les tra­vaux durent deux ans. Une durée infé­rieure condui­rait à une ana­lyse super­fi­cielle, une durée supé­rieure à une cer­taine rou­tine. Le rythme est d’une réunion toutes les six semaines, ce qui conduit au total à une quin­zaine de réunions, compte tenu des arrêts dus aux vacances d’é­té. Le rythme ne sau­rait être plus ten­du, car les membres des groupes ont tous des res­pon­sa­bi­li­tés dans leurs orga­nismes d’ap­par­te­nance. S’il était moins rapide, la dyna­mique des tra­vaux bais­se­rait d’in­ten­si­té. Après chaque réunion, un rap­port cir­cons­tan­cié est rédi­gé par un rap­por­teur dési­gné à cet effet au début des tra­vaux. Sa dif­fu­sion est limi­tée aux membres per­ma­nents du groupe et la col­lec­tion de ces rap­ports, qui repré­sente au bout de deux ans plu­sieurs cen­taines de pages, consti­tue un ins­tru­ment de tra­vail consé­quent. À la fin des tra­vaux, un rap­port de syn­thèse est rédi­gé et entre dans une série qui a été appe­lée ARAGO. Celle-ci a été dif­fu­sée par Mas­son à par­tir du volume 5 jus­qu’au volume 17 et l’est main­te­nant par Lavoi­sier, depuis le volume 18. Au cours des tra­vaux, de nom­breux inter­ve­nants sont invi­tés en audi­tion, non seule­ment fran­çais, mais aus­si issus d’autres pays euro­péens ; cer­tains sont amé­ri­cains ou japonais.

Chaque volume de la série ARAGO est en fait un livre dont la lon­gueur varie main­te­nant entre 300 et 400 pages. Il n’est pas la com­pi­la­tion des rap­ports de réunion. Il com­prend d’une part les conclu­sions et recom­man­da­tions du groupe, et d’autre part un état de l’art appro­fon­di. Il faut noter que l’ob­jec­tif pre­mier d’un groupe n’est pas d’é­crire un livre. Les pre­miers béné­fi­ciaires des tra­vaux sont les membres du groupe par leur pré­sence aux réunions et leur par­ti­ci­pa­tion aux dis­cus­sions : l’OF­TA repose sur l’i­dée que la confron­ta­tion des points de vue d’une ving­taine de spé­cia­listes très com­pé­tents sur un sujet génère une valeur ajou­tée. Il appar­tient ensuite à cha­cun des membres du groupe d’en faire béné­fi­cier son orga­nisme d’ap­par­te­nance. Mais la rédac­tion d’un rap­port de syn­thèse est impor­tante de plu­sieurs points de vue : elle struc­ture la réflexion, per­met de faire pas­ser cer­tains mes­sages auprès des res­pon­sables de la com­mu­nau­té scien­ti­fique et tech­nique et donne, lors de la for­ma­tion de nou­veaux groupes, une idée pré­cise du niveau et du style des tra­vaux de l’OFTA.

Chaque volume de la série ARAGO est pré­sen­té au cours d’une » Jour­née de l’OF­TA « . Cette Jour­née, pré­cé­dée la veille d’un petit déjeu­ner spé­cia­le­ment orga­ni­sé pour la presse, est l’oc­ca­sion, par l’in­ter­mé­diaire d’une grande table ronde réunis­sant des res­pon­sables issus du monde aca­dé­mique, de l’ad­mi­nis­tra­tion, des orga­nismes natio­naux de recherche et déve­lop­pe­ment et de l’in­dus­trie, d’or­ga­ni­ser un débat sur les conclu­sions et recom­man­da­tions. La for­ma­tion d’un groupe pre­nant de six mois à un an, et la rédac­tion du rap­port de syn­thèse six mois, la mise en œuvre d’un groupe de l’OF­TA est une opé­ra­tion de trois à quatre ans. Après la » Jour­née de l’OF­TA « , le groupe est dissous.

Le finan­ce­ment des tra­vaux d’un groupe de l’OF­TA est assu­ré par les orga­nismes qui y sont repré­sen­tés : il n’y a pas de coti­sa­tion annuelle régu­lière, mais seule­ment une par­ti­ci­pa­tion finan­cière ponc­tuelle, cor­res­pon­dant à une par­ti­ci­pa­tion à un groupe déterminé.

3 – Les thèmes étudiés

Actuel­le­ment, quatre groupes fonc­tionnent simul­ta­né­ment, ce qui signi­fie que chaque année deux groupes pré­sentent le résul­tat de leurs tra­vaux, tan­dis que deux nou­veaux groupes sont formés.

Lors du choix des thèmes, le plus grand soin est pris de ne pas faire redon­dance avec d’autres ini­tia­tives, prises ailleurs. D’autre part, ne sont jamais rete­nus des thèmes de nature exclu­si­ve­ment fon­da­men­tale, qui sont du res­sort du CNRS ou de l’IN­SERM, ou qui ont un carac­tère trans­ver­sal, pour les­quels le Conseil pour les appli­ca­tions de l’A­ca­dé­mie des sciences (CADAS) est tout par­ti­cu­liè­re­ment com­pé­tent, ou encore ceux où des inter­ve­nants majeurs existent et ont voca­tion à les trai­ter, tels que la DGA, le CEA, EDF, GDF, le CNES ou le CNET.

24 groupes ont été créés à ce jour. 20 d’entre eux ont pré­sen­té leurs rap­ports de syn­thèse : la liste des volumes cor­res­pon­dants de la série ARAGO est don­née dans le tableau 1. Quatre groupes sont actuel­le­ment en cours de fonc­tion­ne­ment : 2 ont été créés en 1996 et 2 en 1997. Leur liste est don­née dans le tableau 2.

Tableau 1
Série ARAGO : rap­ports de syn­thèse des groupes de tra­vail de l’OFTA
ARAGO 1
ARAGO 2
ARAGO 3
ARAGO 4
ARAGO 5
ARAGO 6
ARAGO 7
ARAGO 8
ARAGO 9
ARAGO 10
ARAGO 11
ARAGO 12
ARAGO 13
ARAGO 14
ARAGO 15
ARAGO 16
ARAGO 17
ARAGO 18
ARAGO 19
ARAGO 20
La concep­tion géné­ra­li­sée (décembre 1985)
Les appli­ca­tions indus­trielles de la micro­gra­vi­té (mars 1986)
L’i­ma­ge­rie médi­cale (juin 1986)
La haute inté­gra­tion en élec­tro­nique (mars 1987)
Opto­élec­tro­nique et réseaux de com­mu­ni­ca­tions (mars 1988)
Les maté­riaux méta­stables (octobre 1988)
L’élec­tro­nique molé­cu­laire (décembre 1988)
Sys­tèmes experts et conduite de pro­ces­sus (octobre 1989)
Indus­trial appli­ca­tions of mate­rial pro­ces­sing in space – A Euro­pean approach (mars 1990)
Appli­ca­tions de la supra­con­duc­ti­vi­té (juin 1990)
Les réseaux de neu­rones (mars 1991)
Nano­tech­no­lo­gies et micro­ma­chines (novembre 1992)
Opto­élec­tro­nique molé­cu­laire (avril 1993)
Logique floue (février 1994)
Infor­ma­tique tolé­rante aux fautes (mars 1994)
Maté­riaux poly­mères – Enjeux et pers­pec­tives (juin 1995)
Maté­riaux hybrides (juin 1996)
Nou­velles inter­faces homme-machine (décembre 1996)
Ordi­na­teurs et cal­cul paral­lèles (avril 1997)
Appli­ca­tion des tech­niques for­melles au logi­ciel (juin 1997)
Tableau 2
Groupes de tra­vail de l’OF­TA en cours de tra­vaux au 1er jan­vier 1998
  • Pro­blèmes inverses (mai 1996 -)
  • Micro­sys­tèmes (octobre 1996 -)
  • Bio­mi­mé­tisme et maté­riaux (mai 1997 -)
  • Logi­ciel et réseaux de com­mu­ni­ca­tions (octobre 1997 -)


Les thèmes rete­nus peuvent être clas­sés autour de quatre pôles : l’in­for­ma­tique et les télé­com­mu­ni­ca­tions (com­po­sants et logi­ciel), les maté­riaux, les bio­tech­no­lo­gies et la mise en œuvre des sys­tèmes. Tou­te­fois, cette clas­si­fi­ca­tion n’est pas unique et il existe des thèmes étu­diés qui peuvent être clas­sés dans plu­sieurs pôles. Ces pôles appa­raissent natu­rel­le­ment dans la mesure où les thèmes choi­sis asso­cient étroi­te­ment la science et la tech­no­lo­gie, la recherche fon­da­men­tale et le développement.

Les thèmes étu­diés ont été choi­sis parce qu’ils appa­rais­saient sus­cep­tibles d’être ce que l’on pour­rait appe­ler des thèmes stra­té­giques ou encore des thèmes « sen­sibles » du domaine civil, com­man­dant le déve­lop­pe­ment indus­triel et éco­no­mique, et qu’il est essen­tiel pour tout pays déve­lop­pé de s’y inté­res­ser de très près et d’y consa­crer les efforts qui s’im­posent. Ils ont, en par­ti­cu­lier, une nature géné­rique qui contri­bue à leur impor­tance poten­tielle, du fait de leurs appli­ca­tions pos­sibles dans de nom­breuses industries.

On note­ra que cer­tains thèmes étu­diés n’ont pas connu le déve­lop­pe­ment que l’on pou­vait pen­ser : mais il ne faut pas oublier qu’ils ont été choi­sis à une époque où, pré­ci­sé­ment, la ques­tion de leur impor­tance réelle se posait. C’est le cas, par exemple, de l’é­la­bo­ra­tion des maté­riaux dans l’es­pace, thème qui a été abor­dé en 1983. De même, cer­tains thèmes sont aujourd’­hui bana­li­sés : là encore, ils ne l’é­taient pas à l’é­poque où ils ont été retenus.

L’on remar­que­ra le titre d’A­RA­GO 9 » Indus­trial appli­ca­tions of mate­rial pro­ces­sing in space – A Euro­pean approach « . Il est en anglais parce qu’il cor­res­pond à une ten­ta­tive faite en 1987 de créer des groupes de com­po­si­tion élar­gie à d’autres pays euro­péens. L’i­ni­tia­tive de 1983, limi­tée à la France et dont avait été issu ARAGO 2 » Les appli­ca­tions indus­trielles de la micro­gra­vi­té « , a été reprise au niveau de l’Eu­rope. Le fonc­tion­ne­ment de ce groupe, dont cer­tains membres per­ma­nents étaient alle­mands, sué­dois et ita­liens, a été tout à fait satis­fai­sant : il est vrai que ce sujet s’y prê­tait, compte tenu du contexte euro­péen dans lequel le coût de sa mise en œuvre l’ins­cri­vait néces­sai­re­ment. Néan­moins l’or­ga­ni­sa­tion d’un groupe de com­po­si­tion euro­péenne est beau­coup plus com­pli­quée, pour de mul­tiples rai­sons, que celle d’un groupe de com­po­si­tion fran­çaise, et l’ex­pé­rience n’a pas été renou­ve­lée. La solu­tion consis­tant à invi­ter en audi­tion des spé­cia­listes issus de pays autres que la France a été pré­fé­rée. Il convient d’a­jou­ter que l’in­ter­na­tio­na­li­sa­tion des acti­vi­tés de recherche et déve­lop­pe­ment a pro­gres­sé depuis le début des années 1980. Il en résulte que, depuis plu­sieurs années, cer­taines com­pa­gnies étran­gères, amé­ri­caines ou autres, ayant des filiales en France, ont par­ti­ci­pé ou par­ti­cipent à des groupes de l’OFTA.

4 – Bilan de quinze années de fonctionnement

Depuis la fon­da­tion de l’OF­TA, plus de 500 spé­cia­listes ont par­ti­ci­pé aux groupes de tra­vail, tan­dis que près de 300 inter­ve­nants exté­rieurs ont été enten­dus en audi­tion. Ain­si un réseau signi­fi­ca­tif d’ex­perts s’est-il créé peu à peu autour de l’OF­TA. Quelle a été la part, dans ce réseau, de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne ? Le nombre de cama­rades ayant par­ti­ci­pé ou par­ti­ci­pant à un groupe de tra­vail s’est éle­vé à 50. Quatre d’entre eux ont conduit un groupe en tant que » coor­di­na­teur » : il s’a­git de Jean-Claude Wan­ner (50), (ARAGO 1 – La concep­tion géné­ra­li­sée) ; Jacques Tou­le­monde (45), (ARAGO 8 – Sys­tèmes experts et conduite de pro­ces­sus) ; Joseph Zyss (69), (ARAGO 13 – Opto­élec­tro­nique molé­cu­laire) et Michel Gon­dran (65), (ARAGO 20 – Appli­ca­tion des tech­niques for­melles au logiciel).

Par­mi les socié­tés ayant par­ti­ci­pé ou par­ti­ci­pant à un groupe de l’OF­TA, très peu sont des PME : celles-ci sont sou­vent occu­pées avant tout par le court terme, ou estiment ne pas avoir le per­son­nel néces­saire pour assis­ter aux réunions ni les fonds suf­fi­sants pour appor­ter une contri­bu­tion aux frais de fonctionnement.

En revanche, la qua­si-tota­li­té des grands orga­nismes natio­naux et la majeure par­tie des grandes socié­tés indus­trielles ont par­ti­ci­pé à plu­sieurs groupes de l’OFTA.

Cette fidé­li­té est la preuve de l’in­té­rêt du sys­tème. Si celui-ci n’é­tait pas réel, l’OF­TA aurait dis­pa­ru depuis long­temps faute de conti­nuer à trou­ver des orga­nismes qui soient prêts à par­ti­ci­per à ses groupes de tra­vail et à en finan­cer le fonc­tion­ne­ment : quinze ans est une période suf­fi­sam­ment longue pour que l’in­té­rêt du sys­tème ait pu être mesu­ré avec exac­ti­tude et soit recon­nu. De plus, si de nom­breux orga­nismes et socié­tés finan­ciè­re­ment puis­sants par­ti­cipent aux groupes de tra­vail, aucun d’entre eux, public ou pri­vé, n’ap­porte un sou­tien finan­cier majeur : la charge est uni­for­mé­ment répar­tie, avec une simple modu­la­tion sui­vant la taille de l’or­ga­nisme par­ti­ci­pant. En consé­quence, l’OF­TA est indé­pen­dant de qui que ce soit et la réflexion n’est sou­mise à aucune contrainte ou pres­sion : c’est un aspect du sys­tème qui est très apprécié.

Quels sont les fac­teurs qui ont assu­ré la péren­ni­té de l’OF­TA, sans orga­nisme finan­ciè­re­ment puis­sant sur lequel s’appuyer ?

En pre­mier lieu sans doute, il faut citer le niveau scien­ti­fique de la réflexion, main­te­nu aus­si éle­vé que pos­sible, qui per­met de s’as­su­rer le concours des meilleurs spé­cia­listes (la taille des groupes étant limi­tée, cela ne signi­fie pas que tous les spé­cia­listes dont le niveau jus­ti­fie­rait l’in­vi­ta­tion soient néces­sai­re­ment pré­sents dans les groupes). D’autre part, la réflexion est menée dans une optique d’ap­pli­ca­tion concrète : cet aspect per­met de s’as­su­rer la par­ti­ci­pa­tion des indus­triels les plus dyna­miques et des grands orga­nismes natio­naux de recherche et déve­lop­pe­ment. En troi­sième lieu, il faut men­tion­ner le fait que la for­ma­tion d’un groupe, qui, ain­si que nous l’a­vons déjà dit, dure de six mois à un an, est étu­diée avec le plus grand soin : le groupe, for­mé sur invi­ta­tion, est homo­gène en niveau ; un noyau ini­tial existe, fait de membres qui se connaissent, s’ap­pré­cient et se font confiance ; il induit dès le départ une atmo­sphère pro­pice à des échanges fructueux.

Même si l’OF­TA est conçu en pre­mier lieu comme un ins­tru­ment de concer­ta­tion, de sélec­tion, d’o­rien­ta­tion, et d’aide à la déci­sion par la mise à dis­po­si­tion d’élé­ments d’a­na­lyse raf­fi­nés, il peut aus­si être per­çu comme un outil de veille tech­no­lo­gique, dont la spé­ci­fi­ci­té est une mise en com­mun des infor­ma­tions asso­ciée à un exa­men cri­tique appro­fon­di de leur conte­nu par les experts mêmes du domaine. C’est un autre aspect du sys­tème qui est éga­le­ment appré­cié par cer­tains membres, qui estiment de plus que la veille est assu­rée par l’OF­TA à un moindre coût que par d’autres méthodes. D’autres appré­cient le temps de vie du groupe, suf­fi­sam­ment long, et le rythme des réunions, suf­fi­sam­ment rapide, pour pou­voir nouer des rela­tions appro­fon­dies et enclen­cher des coopé­ra­tions. Enfin, la com­po­si­tion des groupes, ren­due aus­si plu­ri­dis­ci­pli­naire et plu­ri­pro­fes­sion­nelle que pos­sible sui­vant la nature des thèmes, per­met des échanges fruc­tueux entre des domaines de spé­cia­li­té et des sec­teurs d’ap­pli­ca­tion dif­fé­rents : ces échanges peuvent conduire, sur une tech­no­lo­gie mise en œuvre dans plu­sieurs branches indus­trielles, à réa­li­ser des éco­no­mies dans une branche, en pre­nant connais­sance des erreurs faites et, plus géné­ra­le­ment, de l’ex­pé­rience acquise dans une autre.

5 – La place de la France dans les technologies avancées

Quels ensei­gne­ments peut-on tirer sur la place tenue par la France dans les tech­no­lo­gies avan­cées, à par­tir de l’ex­pé­rience acquise avec le fonc­tion­ne­ment de l’OF­TA pen­dant quinze ans ?

Les réa­li­sa­tions de notre pays et les suc­cès bien connus qu’il a rem­por­tés dans cer­tains sec­teurs tech­no­lo­giques, ain­si que plu­sieurs dis­tinc­tions reçues dans les sciences fon­da­men­tales, ne doivent pas pour autant nous conduire à un opti­misme exces­sif pour l’avenir.

Calcul parallèle : lignes de frottement obtenues par calcul Navier-Stokes sur avion Airbus
Cal­cul paral­lèle : lignes de frot­te­ment obte­nues par cal­cul Navier-Stokes sur avion Air­bus com­plet avec un maillage de 3 500 000 noeuds, réa­li­sé par Aero­spa­tiale sur Cray J90 à 16 pro­ces­seurs. (Image com­mu­ni­quée par Chris­tine Bon­net, Aero­spa­tiale, membre du Groupe “ Ordi­na­teurs et cal­cul paral­lèles ”, et repro­duite dans Ara­go 19 , 1997.)

En effet, il a été dit pré­cé­dem­ment que deux nou­veaux groupes sont créés par an. L’ex­pé­rience montre que pour être sûr de lan­cer annuel­le­ment deux groupes, il est néces­saire d’en mettre en chan­tier trois ou quatre. La rai­son en est que pour cer­tains thèmes émer­gents, qui font l’ob­jet de beau­coup d’at­ten­tion aux États-Unis, au Japon et même en Grande-Bre­tagne ou en Alle­magne, le pro­ces­sus de for­ma­tion n’a­bou­tit pas faute de pou­voir réunir une ving­taine de spé­cia­listes de niveau éle­vé, avec un équi­libre entre les prin­ci­paux acteurs de la com­mu­nau­té scien­ti­fique et tech­no­lo­gique française.

Certes, peut-on dire que pour tous les thèmes pris en consi­dé­ra­tion, il s’est avé­ré exis­ter en France, aus­si bien dans l’u­ni­ver­si­té et les grandes écoles, que dans les grands orga­nismes natio­naux de recherche et déve­lop­pe­ment et l’in­dus­trie, des cher­cheurs et des ingé­nieurs, des labo­ra­toires et des firmes dont le niveau n’a­vait rien à envier au niveau exis­tant dans les pays étran­gers les plus avan­cés. Le pro­blème est que pour cer­tains thèmes, la com­mu­nau­té qu’ils forment est d’un volume insuf­fi­sant. L’on pour­ra objec­ter que la dif­fi­cul­té de for­mer un groupe sur un thème résulte peut-être d’une mau­vaise connais­sance de la part de l’OF­TA des acteurs exis­tants. Cette objec­tion ne tient pas, car s’il est pos­sible, au départ, de trou­ver cer­tains spé­cia­listes issus du monde uni­ver­si­taire et de l’in­dus­trie qui sont inté­res­sés, ceux-ci, même en petit nombre, ont néces­sai­re­ment une connais­sance appro­fon­die du domaine et de sa situa­tion en France, et sont, lors de la for­ma­tion du groupe, en posi­tion de dres­ser une liste qua­si exhaus­tive des membres poten­tiels : c’est cette liste dont la briè­ve­té est pré­oc­cu­pante ; ce n’est pas le nombre de réponses fina­le­ment posi­tives à la pro­po­si­tion de l’OF­TA, mais le vivier ini­tial qui est limité.

D’une manière plus géné­rale, le constat auquel conduit le fonc­tion­ne­ment de l’OF­TA sur une quin­zaine d’an­nées est le sui­vant : si l’on défi­nit la com­mu­nau­té scien­ti­fique, tech­no­lo­gique et indus­trielle fran­çaise qui s’in­té­resse réel­le­ment aux tech­no­lo­gies les plus avan­cées, et en par­ti­cu­lier à ce que nous avons appe­lé » les tech­no­lo­gies sen­sibles « , par le fait qu’elle mobi­lise les hommes et les moyens néces­saires soit pour les déve­lop­per, soit, en ce qui concerne les uti­li­sa­teurs, pour les éva­luer, les maî­tri­ser, les adap­ter, éven­tuel­le­ment les amé­lio­rer, et enfin les mettre en œuvre le plus rapi­de­ment pos­sible, on peut dire que cette com­mu­nau­té est d’une taille beau­coup plus réduite qu’il n’y paraît. Cette taille appa­raît insuf­fi­sante si, en vue de faire la com­pa­rai­son avec d’autres pays, on la rap­porte au pro­duit natio­nal brut ou encore à la popu­la­tion. Pour l’in­dus­trie, le nombre de firmes que l’on peut y comp­ter est, en pro­por­tion, trop faible. Pour l’u­ni­ver­si­té et les grands orga­nismes de recherche fon­da­men­tale, la ques­tion se pose de savoir si un nombre suf­fi­sant de cher­cheurs tra­vaillent dans le sec­teur que le CNRS appelle les sciences pour l’in­gé­nieur, les­quelles sont une com­po­sante majeure des tech­no­lo­gies stra­té­giques ou » sensibles « .

La maî­trise de ces tech­no­lo­gies est cepen­dant essen­tielle pour tout pays qui veut main­te­nir son rang dans le monde où nous vivons. Dans l’es­prit de ser­vice propre à l’É­cole et à la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne, l’OF­TA s’ef­force d’ap­por­ter une contri­bu­tion à leur déve­lop­pe­ment dans notre pays.

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