L’OFTA a quinze ans

Dossier : Libres ProposMagazine N°533 Mars 1998Par :
Par Marc DUPUIS (53)

1 — L’OFTA : contexte et objectifs

Un prob­lème impor­tant et nou­veau auquel la France devait faire face en 1982 était la nou­velle con­cur­rence que cer­tains pays, et en par­ti­c­uli­er le Japon, appor­taient à son indus­trie. Il appa­rais­sait donc intéres­sant de créer un instru­ment qui per­me­tte à notre indus­trie d’é­val­uer le plus rapi­de­ment pos­si­ble les tech­nolo­gies émer­gentes, de façon à être présente au bon moment dans les bons secteurs.

Nanotechnologies
Nan­otech­nolo­gies : dessin d’un petit bon­homme fait de 28 molécules de monoxyde de car­bone adsor­bées sur une sur­face de pla­tine et déplacées avec la pointe d’un micro­scope à effet tun­nel. (Image com­mu­niquée par Don­ald Eigler, IBM Almaden, à Chris­t­ian Joachim, CEMES, CNRS, coor­di­na­teur du Groupe “ Nan­otech­nolo­gies et micro­ma­chines ”, et repro­duite dans ARAGO 12, 1992.)

La même néces­sité d’une éval­u­a­tion rapi­de sub­siste aujour­d’hui, c’est-à-dire quinze ans plus tard. À la con­cur­rence qui, en 1982, était apportée essen­tielle­ment par le Japon, se sont ajoutées celle créée par les États-Unis, qui, après la fin de la guerre froide, ont mis l’ac­cent sur les appli­ca­tions civiles des tech­niques avancées, ain­si que celle apportée par d’autres pays qui ont sub­stantielle­ment élevé leur niveau tech­nologique et indus­triel durant ces quinze dernières années. D’autre part, au prob­lème de la con­cur­rence s’est ajouté le prob­lème con­nexe du chô­mage, qui n’a cessé de devenir de plus en plus aigu. Dans ces con­di­tions, dis­pos­er d’in­stru­ments d’analyse de haut niveau pour la sélec­tion des domaines tech­nologiques nou­veaux où il faut être présent à temps, appa­raît de plus en plus indis­pens­able à tout pays qui veut garder sa place dans la com­péti­tion mon­di­ale. La mise en œuvre de l’Ob­ser­va­toire français des tech­niques avancées (OFTA) repose donc sur la con­vic­tion que la prospérité économique et le traite­ment du prob­lème du chô­mage reposent pour une large part sur la maîtrise et la mise en œuvre des tech­nolo­gies les plus avancées dans tous les domaines de l’ac­tiv­ité indus­trielle et des services.

L’ac­tiv­ité de l’OF­TA réside dans l’or­gan­i­sa­tion de groupes de tra­vail por­tant sur des thèmes asso­ciant étroite­ment la sci­ence et la tech­nolo­gie et jugés sus­cep­ti­bles de pren­dre une impor­tance stratégique. Cer­tains sont émer­gents, d’autres sont de nou­veaux développe­ments dans des domaines déjà anciens. La mis­sion de chaque groupe est, en pre­mier lieu, de répon­dre au mieux à la ques­tion de savoir si le thème est véri­ta­ble­ment por­teur ou non, ou encore si l’échéance à laque­lle il est sus­cep­ti­ble de le devenir est proche ou, au con­traire, ne risque pas d’être beau­coup plus loin­taine qu’il ne paraît a pri­ori. En effet, cer­taines avancées font par­fois l’ob­jet d’une pub­lic­ité médi­a­tique exces­sive et il est tout aus­si impor­tant d’être présent à temps dans un domaine por­teur que d’éviter d’in­ve­stir dans une voie qui s’avère rapi­de­ment être une impasse.

L’é­val­u­a­tion du domaine con­sid­éré repose sur une analyse appro­fondie de l’é­tat de l’art, des appli­ca­tions pos­si­bles et des con­di­tions d’ap­pli­ca­tion, ain­si que des enjeux de toute nature. Cette analyse doit débouch­er finale­ment sur des propo­si­tions et recom­man­da­tions quant aux ori­en­ta­tions à pren­dre et actions à entre­pren­dre en matière de recherche, développe­ment, indus­tri­al­i­sa­tion et for­ma­tion. En un mot, il s’ag­it pour le groupe de répon­dre à la ques­tion : ” Que faire ? ” et, dans cette optique, il lui appar­tient de définir sa pro­pre prob­lé­ma­tique. L’OFTA n’est donc pas un sémi­naire au sens académique du mot, même si cer­tains résul­tats de recherche peu­vent y être annon­cés, ni un sys­tème de for­ma­tion con­tin­ue : tous les mem­bres d’un groupe sont com­pé­tents sur le sujet.

2 — Les groupes de travail

Chaque groupe est lim­ité à une ving­taine de spé­cial­istes pour des raisons d’ef­fi­cac­ité, et sa com­po­si­tion doit refléter un équili­bre entre les acteurs prin­ci­paux de la com­mu­nauté sci­en­tifique et tech­nologique française, c’est-à-dire l’ad­min­is­tra­tion, l’u­ni­ver­sité et les grandes écoles, les organ­ismes nationaux de recherche et développe­ment et l’in­dus­trie. Les groupes sont for­més sur invi­ta­tion : les spé­cial­istes qui sont invités le sont en rai­son de leur com­pé­tence et du dynamisme, dans le domaine con­cerné, des organ­ismes aux­quels ils appar­ti­en­nent. Il est enten­du que ces organ­ismes sont impliqués par le fait d’être représen­tés dans les groupes. Dans cet esprit, les indus­tries désig­nent sou­vent elles-mêmes leurs représen­tants. Il con­vient d’a­jouter qu’un groupe n’est lancé que s’il est pos­si­ble de trou­ver une représen­ta­tion suff­isam­ment impor­tante de l’in­dus­trie et des organ­ismes nationaux de recherche et développement.

Chaque groupe est con­duit par un ” coor­di­na­teur “, qui est tou­jours une per­son­nal­ité recon­nue pour sa com­pé­tence dans le domaine étudié et qui a des rela­tions étroites aus­si bien avec le monde académique qu’avec l’industrie.

Les travaux durent deux ans. Une durée inférieure con­duirait à une analyse super­fi­cielle, une durée supérieure à une cer­taine rou­tine. Le rythme est d’une réu­nion toutes les six semaines, ce qui con­duit au total à une quin­zaine de réu­nions, compte tenu des arrêts dus aux vacances d’été. Le rythme ne saurait être plus ten­du, car les mem­bres des groupes ont tous des respon­s­abil­ités dans leurs organ­ismes d’ap­par­te­nance. S’il était moins rapi­de, la dynamique des travaux bais­serait d’in­ten­sité. Après chaque réu­nion, un rap­port cir­con­stan­cié est rédigé par un rap­por­teur désigné à cet effet au début des travaux. Sa dif­fu­sion est lim­itée aux mem­bres per­ma­nents du groupe et la col­lec­tion de ces rap­ports, qui représente au bout de deux ans plusieurs cen­taines de pages, con­stitue un instru­ment de tra­vail con­séquent. À la fin des travaux, un rap­port de syn­thèse est rédigé et entre dans une série qui a été appelée ARAGO. Celle-ci a été dif­fusée par Mas­son à par­tir du vol­ume 5 jusqu’au vol­ume 17 et l’est main­tenant par Lavoisi­er, depuis le vol­ume 18. Au cours des travaux, de nom­breux inter­venants sont invités en audi­tion, non seule­ment français, mais aus­si issus d’autres pays européens ; cer­tains sont améri­cains ou japonais.

Chaque vol­ume de la série ARAGO est en fait un livre dont la longueur varie main­tenant entre 300 et 400 pages. Il n’est pas la com­pi­la­tion des rap­ports de réu­nion. Il com­prend d’une part les con­clu­sions et recom­man­da­tions du groupe, et d’autre part un état de l’art appro­fon­di. Il faut not­er que l’ob­jec­tif pre­mier d’un groupe n’est pas d’écrire un livre. Les pre­miers béné­fi­ci­aires des travaux sont les mem­bres du groupe par leur présence aux réu­nions et leur par­tic­i­pa­tion aux dis­cus­sions : l’OF­TA repose sur l’idée que la con­fronta­tion des points de vue d’une ving­taine de spé­cial­istes très com­pé­tents sur un sujet génère une valeur ajoutée. Il appar­tient ensuite à cha­cun des mem­bres du groupe d’en faire béné­fici­er son organ­isme d’ap­par­te­nance. Mais la rédac­tion d’un rap­port de syn­thèse est impor­tante de plusieurs points de vue : elle struc­ture la réflex­ion, per­met de faire pass­er cer­tains mes­sages auprès des respon­s­ables de la com­mu­nauté sci­en­tifique et tech­nique et donne, lors de la for­ma­tion de nou­veaux groupes, une idée pré­cise du niveau et du style des travaux de l’OFTA.

Chaque vol­ume de la série ARAGO est présen­té au cours d’une ” Journée de l’OF­TA “. Cette Journée, précédée la veille d’un petit déje­uner spé­ciale­ment organ­isé pour la presse, est l’oc­ca­sion, par l’in­ter­mé­di­aire d’une grande table ronde réu­nis­sant des respon­s­ables issus du monde académique, de l’ad­min­is­tra­tion, des organ­ismes nationaux de recherche et développe­ment et de l’in­dus­trie, d’or­gan­is­er un débat sur les con­clu­sions et recom­man­da­tions. La for­ma­tion d’un groupe prenant de six mois à un an, et la rédac­tion du rap­port de syn­thèse six mois, la mise en œuvre d’un groupe de l’OF­TA est une opéra­tion de trois à qua­tre ans. Après la ” Journée de l’OF­TA “, le groupe est dissous.

Le finance­ment des travaux d’un groupe de l’OF­TA est assuré par les organ­ismes qui y sont représen­tés : il n’y a pas de coti­sa­tion annuelle régulière, mais seule­ment une par­tic­i­pa­tion finan­cière ponctuelle, cor­re­spon­dant à une par­tic­i­pa­tion à un groupe déterminé.

3 — Les thèmes étudiés

Actuelle­ment, qua­tre groupes fonc­tion­nent simul­tané­ment, ce qui sig­ni­fie que chaque année deux groupes présen­tent le résul­tat de leurs travaux, tan­dis que deux nou­veaux groupes sont formés.

Lors du choix des thèmes, le plus grand soin est pris de ne pas faire redon­dance avec d’autres ini­tia­tives, pris­es ailleurs. D’autre part, ne sont jamais retenus des thèmes de nature exclu­sive­ment fon­da­men­tale, qui sont du ressort du CNRS ou de l’IN­SERM, ou qui ont un car­ac­tère trans­ver­sal, pour lesquels le Con­seil pour les appli­ca­tions de l’A­cadémie des sci­ences (CADAS) est tout par­ti­c­ulière­ment com­pé­tent, ou encore ceux où des inter­venants majeurs exis­tent et ont voca­tion à les traiter, tels que la DGA, le CEA, EDF, GDF, le CNES ou le CNET.

24 groupes ont été créés à ce jour. 20 d’en­tre eux ont présen­té leurs rap­ports de syn­thèse : la liste des vol­umes cor­re­spon­dants de la série ARAGO est don­née dans le tableau 1. Qua­tre groupes sont actuelle­ment en cours de fonc­tion­nement : 2 ont été créés en 1996 et 2 en 1997. Leur liste est don­née dans le tableau 2.

Tableau 1
Série ARAGO : rap­ports de syn­thèse des groupes de tra­vail de l’OFTA
ARAGO 1
ARAGO 2
ARAGO 3
ARAGO 4
ARAGO 5
ARAGO 6
ARAGO 7
ARAGO 8
ARAGO 9
ARAGO 10
ARAGO 11
ARAGO 12
ARAGO 13
ARAGO 14
ARAGO 15
ARAGO 16
ARAGO 17
ARAGO 18
ARAGO 19
ARAGO 20
La con­cep­tion général­isée (décem­bre 1985)
Les appli­ca­tions indus­trielles de la micro­grav­ité (mars 1986)
L’im­agerie médi­cale (juin 1986)
La haute inté­gra­tion en élec­tron­ique (mars 1987)
Optoélec­tron­ique et réseaux de com­mu­ni­ca­tions (mars 1988)
Les matéri­aux métasta­bles (octo­bre 1988)
L’élec­tron­ique molécu­laire (décem­bre 1988)
Sys­tèmes experts et con­duite de proces­sus (octo­bre 1989)
Indus­tri­al appli­ca­tions of mate­r­i­al pro­cess­ing in space — A Euro­pean approach (mars 1990)
Appli­ca­tions de la supra­con­duc­tiv­ité (juin 1990)
Les réseaux de neu­rones (mars 1991)
Nan­otech­nolo­gies et micro­ma­chines (novem­bre 1992)
Optoélec­tron­ique molécu­laire (avril 1993)
Logique floue (févri­er 1994)
Infor­ma­tique tolérante aux fautes (mars 1994)
Matéri­aux polymères — Enjeux et per­spec­tives (juin 1995)
Matéri­aux hybrides (juin 1996)
Nou­velles inter­faces homme-machine (décem­bre 1996)
Ordi­na­teurs et cal­cul par­al­lèles (avril 1997)
Appli­ca­tion des tech­niques formelles au logi­ciel (juin 1997)
Tableau 2
Groupes de tra­vail de l’OF­TA en cours de travaux au 1er jan­vi­er 1998
  • Prob­lèmes invers­es (mai 1996 -)
  • Microsys­tèmes (octo­bre 1996 -)
  • Bio­mimétisme et matéri­aux (mai 1997 -)
  • Logi­ciel et réseaux de com­mu­ni­ca­tions (octo­bre 1997 -)


Les thèmes retenus peu­vent être classés autour de qua­tre pôles : l’in­for­ma­tique et les télé­com­mu­ni­ca­tions (com­posants et logi­ciel), les matéri­aux, les biotech­nolo­gies et la mise en œuvre des sys­tèmes. Toute­fois, cette clas­si­fi­ca­tion n’est pas unique et il existe des thèmes étudiés qui peu­vent être classés dans plusieurs pôles. Ces pôles appa­rais­sent naturelle­ment dans la mesure où les thèmes choi­sis asso­cient étroite­ment la sci­ence et la tech­nolo­gie, la recherche fon­da­men­tale et le développement.

Les thèmes étudiés ont été choi­sis parce qu’ils appa­rais­saient sus­cep­ti­bles d’être ce que l’on pour­rait appel­er des thèmes stratégiques ou encore des thèmes “sen­si­bles” du domaine civ­il, com­man­dant le développe­ment indus­triel et économique, et qu’il est essen­tiel pour tout pays dévelop­pé de s’y intéress­er de très près et d’y con­sacr­er les efforts qui s’im­posent. Ils ont, en par­ti­c­uli­er, une nature générique qui con­tribue à leur impor­tance poten­tielle, du fait de leurs appli­ca­tions pos­si­bles dans de nom­breuses industries.

On notera que cer­tains thèmes étudiés n’ont pas con­nu le développe­ment que l’on pou­vait penser : mais il ne faut pas oubli­er qu’ils ont été choi­sis à une époque où, pré­cisé­ment, la ques­tion de leur impor­tance réelle se posait. C’est le cas, par exem­ple, de l’élab­o­ra­tion des matéri­aux dans l’e­space, thème qui a été abor­dé en 1983. De même, cer­tains thèmes sont aujour­d’hui banal­isés : là encore, ils ne l’é­taient pas à l’époque où ils ont été retenus.

L’on remar­quera le titre d’ARA­GO 9 ” Indus­tri­al appli­ca­tions of mate­r­i­al pro­cess­ing in space — A Euro­pean approach “. Il est en anglais parce qu’il cor­re­spond à une ten­ta­tive faite en 1987 de créer des groupes de com­po­si­tion élargie à d’autres pays européens. L’ini­tia­tive de 1983, lim­itée à la France et dont avait été issu ARAGO 2 ” Les appli­ca­tions indus­trielles de la micro­grav­ité “, a été reprise au niveau de l’Eu­rope. Le fonc­tion­nement de ce groupe, dont cer­tains mem­bres per­ma­nents étaient alle­mands, sué­dois et ital­iens, a été tout à fait sat­is­faisant : il est vrai que ce sujet s’y prê­tait, compte tenu du con­texte européen dans lequel le coût de sa mise en œuvre l’in­scrivait néces­saire­ment. Néan­moins l’or­gan­i­sa­tion d’un groupe de com­po­si­tion européenne est beau­coup plus com­pliquée, pour de mul­ti­ples raisons, que celle d’un groupe de com­po­si­tion française, et l’ex­péri­ence n’a pas été renou­velée. La solu­tion con­sis­tant à inviter en audi­tion des spé­cial­istes issus de pays autres que la France a été préférée. Il con­vient d’a­jouter que l’in­ter­na­tion­al­i­sa­tion des activ­ités de recherche et développe­ment a pro­gressé depuis le début des années 1980. Il en résulte que, depuis plusieurs années, cer­taines com­pag­nies étrangères, améri­caines ou autres, ayant des fil­iales en France, ont par­ticipé ou par­ticipent à des groupes de l’OFTA.

4 — Bilan de quinze années de fonctionnement

Depuis la fon­da­tion de l’OF­TA, plus de 500 spé­cial­istes ont par­ticipé aux groupes de tra­vail, tan­dis que près de 300 inter­venants extérieurs ont été enten­dus en audi­tion. Ain­si un réseau sig­ni­fi­catif d’ex­perts s’est-il créé peu à peu autour de l’OF­TA. Quelle a été la part, dans ce réseau, de la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne ? Le nom­bre de cama­rades ayant par­ticipé ou par­tic­i­pant à un groupe de tra­vail s’est élevé à 50. Qua­tre d’en­tre eux ont con­duit un groupe en tant que ” coor­di­na­teur ” : il s’ag­it de Jean-Claude Wan­ner (50), (ARAGO 1 — La con­cep­tion général­isée) ; Jacques Toule­monde (45), (ARAGO 8 — Sys­tèmes experts et con­duite de proces­sus) ; Joseph Zyss (69), (ARAGO 13 — Optoélec­tron­ique molécu­laire) et Michel Gondran (65), (ARAGO 20 — Appli­ca­tion des tech­niques formelles au logiciel).

Par­mi les sociétés ayant par­ticipé ou par­tic­i­pant à un groupe de l’OF­TA, très peu sont des PME : celles-ci sont sou­vent occupées avant tout par le court terme, ou esti­ment ne pas avoir le per­son­nel néces­saire pour assis­ter aux réu­nions ni les fonds suff­isants pour apporter une con­tri­bu­tion aux frais de fonctionnement.

En revanche, la qua­si-total­ité des grands organ­ismes nationaux et la majeure par­tie des grandes sociétés indus­trielles ont par­ticipé à plusieurs groupes de l’OFTA.

Cette fidél­ité est la preuve de l’in­térêt du sys­tème. Si celui-ci n’é­tait pas réel, l’OF­TA aurait dis­paru depuis longtemps faute de con­tin­uer à trou­ver des organ­ismes qui soient prêts à par­ticiper à ses groupes de tra­vail et à en financer le fonc­tion­nement : quinze ans est une péri­ode suff­isam­ment longue pour que l’in­térêt du sys­tème ait pu être mesuré avec exac­ti­tude et soit recon­nu. De plus, si de nom­breux organ­ismes et sociétés finan­cière­ment puis­sants par­ticipent aux groupes de tra­vail, aucun d’en­tre eux, pub­lic ou privé, n’ap­porte un sou­tien financier majeur : la charge est uni­for­mé­ment répar­tie, avec une sim­ple mod­u­la­tion suiv­ant la taille de l’or­gan­isme par­tic­i­pant. En con­séquence, l’OF­TA est indépen­dant de qui que ce soit et la réflex­ion n’est soumise à aucune con­trainte ou pres­sion : c’est un aspect du sys­tème qui est très apprécié.

Quels sont les fac­teurs qui ont assuré la péren­nité de l’OF­TA, sans organ­isme finan­cière­ment puis­sant sur lequel s’appuyer ?

En pre­mier lieu sans doute, il faut citer le niveau sci­en­tifique de la réflex­ion, main­tenu aus­si élevé que pos­si­ble, qui per­met de s’as­sur­er le con­cours des meilleurs spé­cial­istes (la taille des groupes étant lim­itée, cela ne sig­ni­fie pas que tous les spé­cial­istes dont le niveau jus­ti­fierait l’in­vi­ta­tion soient néces­saire­ment présents dans les groupes). D’autre part, la réflex­ion est menée dans une optique d’ap­pli­ca­tion con­crète : cet aspect per­met de s’as­sur­er la par­tic­i­pa­tion des indus­triels les plus dynamiques et des grands organ­ismes nationaux de recherche et développe­ment. En troisième lieu, il faut men­tion­ner le fait que la for­ma­tion d’un groupe, qui, ain­si que nous l’avons déjà dit, dure de six mois à un an, est étudiée avec le plus grand soin : le groupe, for­mé sur invi­ta­tion, est homogène en niveau ; un noy­au ini­tial existe, fait de mem­bres qui se con­nais­sent, s’ap­pré­cient et se font con­fi­ance ; il induit dès le départ une atmo­sphère prop­ice à des échanges fructueux.

Même si l’OF­TA est conçu en pre­mier lieu comme un instru­ment de con­cer­ta­tion, de sélec­tion, d’ori­en­ta­tion, et d’aide à la déci­sion par la mise à dis­po­si­tion d’élé­ments d’analyse raf­finés, il peut aus­si être perçu comme un out­il de veille tech­nologique, dont la spé­ci­ficité est une mise en com­mun des infor­ma­tions asso­ciée à un exa­m­en cri­tique appro­fon­di de leur con­tenu par les experts mêmes du domaine. C’est un autre aspect du sys­tème qui est égale­ment appré­cié par cer­tains mem­bres, qui esti­ment de plus que la veille est assurée par l’OF­TA à un moin­dre coût que par d’autres méth­odes. D’autres appré­cient le temps de vie du groupe, suff­isam­ment long, et le rythme des réu­nions, suff­isam­ment rapi­de, pour pou­voir nouer des rela­tions appro­fondies et enclencher des coopéra­tions. Enfin, la com­po­si­tion des groupes, ren­due aus­si pluridis­ci­plinaire et pluripro­fes­sion­nelle que pos­si­ble suiv­ant la nature des thèmes, per­met des échanges fructueux entre des domaines de spé­cial­ité et des secteurs d’ap­pli­ca­tion dif­férents : ces échanges peu­vent con­duire, sur une tech­nolo­gie mise en œuvre dans plusieurs branch­es indus­trielles, à réalis­er des économies dans une branche, en prenant con­nais­sance des erreurs faites et, plus générale­ment, de l’ex­péri­ence acquise dans une autre.

5 — La place de la France dans les technologies avancées

Quels enseigne­ments peut-on tir­er sur la place tenue par la France dans les tech­nolo­gies avancées, à par­tir de l’ex­péri­ence acquise avec le fonc­tion­nement de l’OF­TA pen­dant quinze ans ?

Les réal­i­sa­tions de notre pays et les suc­cès bien con­nus qu’il a rem­portés dans cer­tains secteurs tech­nologiques, ain­si que plusieurs dis­tinc­tions reçues dans les sci­ences fon­da­men­tales, ne doivent pas pour autant nous con­duire à un opti­misme exces­sif pour l’avenir.

Calcul parallèle : lignes de frottement obtenues par calcul Navier-Stokes sur avion Airbus
Cal­cul par­al­lèle : lignes de frot­te­ment obtenues par cal­cul Navier-Stokes sur avion Air­bus com­plet avec un mail­lage de 3 500 000 noeuds, réal­isé par Aerospa­tiale sur Cray J90 à 16 processeurs. (Image com­mu­niquée par Chris­tine Bon­net, Aerospa­tiale, mem­bre du Groupe “ Ordi­na­teurs et cal­cul par­al­lèles ”, et repro­duite dans Ara­go 19 , 1997.)

En effet, il a été dit précédem­ment que deux nou­veaux groupes sont créés par an. L’ex­péri­ence mon­tre que pour être sûr de lancer annuelle­ment deux groupes, il est néces­saire d’en met­tre en chantier trois ou qua­tre. La rai­son en est que pour cer­tains thèmes émer­gents, qui font l’ob­jet de beau­coup d’at­ten­tion aux États-Unis, au Japon et même en Grande-Bre­tagne ou en Alle­magne, le proces­sus de for­ma­tion n’aboutit pas faute de pou­voir réu­nir une ving­taine de spé­cial­istes de niveau élevé, avec un équili­bre entre les prin­ci­paux acteurs de la com­mu­nauté sci­en­tifique et tech­nologique française.

Certes, peut-on dire que pour tous les thèmes pris en con­sid­éra­tion, il s’est avéré exis­ter en France, aus­si bien dans l’u­ni­ver­sité et les grandes écoles, que dans les grands organ­ismes nationaux de recherche et développe­ment et l’in­dus­trie, des chercheurs et des ingénieurs, des lab­o­ra­toires et des firmes dont le niveau n’avait rien à envi­er au niveau exis­tant dans les pays étrangers les plus avancés. Le prob­lème est que pour cer­tains thèmes, la com­mu­nauté qu’ils for­ment est d’un vol­ume insuff­isant. L’on pour­ra objecter que la dif­fi­culté de for­mer un groupe sur un thème résulte peut-être d’une mau­vaise con­nais­sance de la part de l’OF­TA des acteurs exis­tants. Cette objec­tion ne tient pas, car s’il est pos­si­ble, au départ, de trou­ver cer­tains spé­cial­istes issus du monde uni­ver­si­taire et de l’in­dus­trie qui sont intéressés, ceux-ci, même en petit nom­bre, ont néces­saire­ment une con­nais­sance appro­fondie du domaine et de sa sit­u­a­tion en France, et sont, lors de la for­ma­tion du groupe, en posi­tion de dress­er une liste qua­si exhaus­tive des mem­bres poten­tiels : c’est cette liste dont la brièveté est préoc­cu­pante ; ce n’est pas le nom­bre de répons­es finale­ment pos­i­tives à la propo­si­tion de l’OF­TA, mais le vivi­er ini­tial qui est limité.

D’une manière plus générale, le con­stat auquel con­duit le fonc­tion­nement de l’OF­TA sur une quin­zaine d’an­nées est le suiv­ant : si l’on définit la com­mu­nauté sci­en­tifique, tech­nologique et indus­trielle française qui s’in­téresse réelle­ment aux tech­nolo­gies les plus avancées, et en par­ti­c­uli­er à ce que nous avons appelé ” les tech­nolo­gies sen­si­bles “, par le fait qu’elle mobilise les hommes et les moyens néces­saires soit pour les dévelop­per, soit, en ce qui con­cerne les util­isa­teurs, pour les éval­uer, les maîtris­er, les adapter, éventuelle­ment les amélior­er, et enfin les met­tre en œuvre le plus rapi­de­ment pos­si­ble, on peut dire que cette com­mu­nauté est d’une taille beau­coup plus réduite qu’il n’y paraît. Cette taille appa­raît insuff­isante si, en vue de faire la com­para­i­son avec d’autres pays, on la rap­porte au pro­duit nation­al brut ou encore à la pop­u­la­tion. Pour l’in­dus­trie, le nom­bre de firmes que l’on peut y compter est, en pro­por­tion, trop faible. Pour l’u­ni­ver­sité et les grands organ­ismes de recherche fon­da­men­tale, la ques­tion se pose de savoir si un nom­bre suff­isant de chercheurs tra­vail­lent dans le secteur que le CNRS appelle les sci­ences pour l’ingénieur, lesquelles sont une com­posante majeure des tech­nolo­gies stratégiques ou ” sensibles “.

La maîtrise de ces tech­nolo­gies est cepen­dant essen­tielle pour tout pays qui veut main­tenir son rang dans le monde où nous vivons. Dans l’e­sprit de ser­vice pro­pre à l’É­cole et à la com­mu­nauté poly­tech­ni­ci­enne, l’OF­TA s’ef­force d’ap­porter une con­tri­bu­tion à leur développe­ment dans notre pays.

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