Renaissance mondiale du nucléaire : quelles places pour la Russie ? — Première partie

Dossier : ExpressionsMagazine N°623 Mars 2007
Par Laurent STRICKER
Par Jacques LECLERCQ (63)

Une réflex­ion sur l’é­tat et les per­spec­tives de l’in­dus­trie nucléaire civile russe a été lancée par EDF il y a env­i­ron deux ans. L’achève­ment de ce tra­vail au print­emps 2005 a coïn­cidé avec ce qu’il faut bien appel­er un « retourne­ment » du con­texte du nucléaire, même si cer­tains précurseurs étaient déjà nota­bles, prin­ci­pale­ment en Chine et aux États-Unis.

Cet arti­cle sur le nucléaire civ­il russe com­porte cinq par­ties : après un rap­pel de la démarche suiv­ie, on trac­era un scé­nario « plau­si­ble » claire­ment situé dans un con­texte de renais­sance du nucléaire. La troisième par­tie com­mence par quelques rap­pels sur la Russie, suiv­is par les car­ac­téris­tiques du sys­tème élec­trique, la qua­trième par­tie est rel­a­tive à l’or­gan­i­sa­tion de l’in­dus­trie nucléaire civile russe. La cinquième et dernière par­tie est con­sacrée aux pro­grammes de développe­ment décidés ou envisageables.

L’organisation et les objectifs de la démarche

Il y a deux ans, la Revue générale nucléaire (RGN) avait bien voulu pub­li­er un arti­cle cosigné de notre part inti­t­ulé « Les per­for­mances com­parées des parcs nucléaires en exploita­tion des États-Unis et d’Élec­tric­ité de France » (année 2004, n° 5, octo­bre-novem­bre, pages 12 à 20).

Nous indiquions, en con­clu­sion générale de cette com­para­i­son, que des enseigne­ments pou­vaient être tirés de l’ex­péri­ence accu­mulée aux États-Unis depuis dix ans, à la fois de manière prag­ma­tique, mais égale­ment pour une réflex­ion dénom­mée Ini­tia­tive nucléaire 2015 (IN15) visant, pour EDF, à pré­par­er et met­tre en œuvre les évo­lu­tions dans le domaine nucléaire per­me­t­tant de faire face aux enjeux de demain.

Par­al­lèle­ment, afin de com­pléter les travaux ci-dessus cen­trés sur l’amélio­ra­tion de la per­for­mance du parc français, il est apparu utile de faire le point sur l’é­tat et les per­spec­tives de l’in­dus­trie nucléaire civile de quelques autres grands pays, au pre­mier rang desquels la Russie, qui, il y a dix-huit mois à peine, était moins sous les pro­jecteurs que la Chine ou les États-Unis par exemple.

Ce pro­jet d’une durée d’une année a été con­duit par une équipe com­por­tant des représen­tants des divers­es direc­tions con­cernées, la coor­di­na­tion étant assurée par JAL Consulting.

Il a don­né lieu à de nom­breux con­tacts avec plusieurs respon­s­ables du Com­mis­sari­at à l’én­ergie atom­ique et d’Are­va ain­si qu’à deux mis­sions d’une semaine cha­cune (octo­bre 2004 et févri­er 2005), con­duites par Jal­co en liai­son avec MHB SA (Mme Marie-Hélène Berard) spé­cial­iste des ques­tions économiques et finan­cières pour les pays de l’Est. Ces mis­sions ont per­mis de ren­con­tr­er, à Moscou et à Saint-Péters­bourg, les dirigeants et des respon­s­ables de niveau élevé, de pra­tique­ment toutes les organ­i­sa­tions et entre­pris­es engagées dans la pro­duc­tion d’élec­tric­ité nucléaire (une ving­taine au total) ain­si que les représen­tants des entre­pris­es français­es et, bien sûr, de l’am­bas­sade de France.

Ces travaux ont per­mis en pre­mier lieu d’ac­tu­alis­er et de com­pléter les con­nais­sances acquis­es sur l’in­dus­trie russe ; ils devraient con­tribuer, comme on le ver­ra dans la suite de cet arti­cle, à la réflex­ion sur les évo­lu­tions de posi­tion­nement envis­age­ables, compte tenu des impul­sions vigoureuses définies et engagées par S. Kiriyenko, chef de Rosatom, l’a­gence chargée du nucléaire civ­il et mil­i­taire, depuis sa nom­i­na­tion en novem­bre 2005.

La « renaissance nucléaire »

Le retournement du contexte du nucléaire

Il y a moins de deux ans, de nom­breuses inter­ro­ga­tions sur la per­ti­nence de la pro­duc­tion d’élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire étaient large­ment émis­es en France, en Europe et dans le monde, y com­pris par les grandes insti­tu­tions inter­na­tionales en charge des ques­tions énergé­tiques. Depuis cette date, le con­texte énergé­tique a été mar­qué par trois évo­lu­tions majeures :

• tout d’abord, les prix des com­bustibles fos­siles : pét­role, gaz et dans une moin­dre mesure char­bon ont con­nu une hausse impor­tante. Le niveau élevé des prix appa­raît désor­mais durable, même avec des fluc­tu­a­tions sig­ni­fica­tives vraisem­blables ; de nom­breuses études prospec­tives s’ac­cor­dant sur le fait que l’én­ergie est dev­enue struc­turelle­ment un bien rare, met­tant au pre­mier plan la ques­tion de la sécu­rité d’approvisionnement ;
• ensuite, les enjeux du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et la néces­sité de la lutte con­tre l’ef­fet de serre se sont encore affir­més au tra­vers des dis­cus­sions inter-États sur la suite du pro­to­cole de Kyoto et par le démar­rage en Europe, depuis début 2005, d’un marché de Per­mis d’émis­sions négo­cia­bles, qui con­duit désor­mais les opéra­teurs indus­triels à inté­gr­er le coût du CO2 dans leurs arbi­trages économiques aux dif­férents hori­zons de temps ;
• enfin, de façon assez générale y com­pris en Europe où on sort du suréquipement, la con­struc­tion de nou­velles cen­trales de pro­duc­tion d’élec­tric­ité a été annon­cée et engagée par plusieurs com­pag­nies d’élec­tric­ité, don­nant ain­si le sig­nal de la reprise des investisse­ments pour faire face aux prochains déclasse­ments de cen­trales obsolètes, essen­tielle­ment au char­bon, et à la crois­sance de la demande d’élec­tric­ité (au moins 80 % en moyenne au niveau mon­di­al d’i­ci à 2030).

Ces trois déter­mi­nants (prix des com­bustibles, quo­tas de CO2 et besoins de nou­velles capac­ités de pro­duc­tion) sont à l’o­rig­ine de la forte hausse du prix de l’élec­tric­ité en Europe.

On peut donc par­ler, du fait de per­spec­tives appa­rais­sant durable­ment favor­ables aux kWh nucléaires, d’un véri­ta­ble retourne­ment vis-à-vis de l’én­ergie nucléaire qui s’est traduit au plan mon­di­al par de nom­breuses ini­tia­tives que l’on résumera ci-dessous et que l’on replac­era ensuite dans un « scé­nario plau­si­ble » à l’hori­zon 2030.

Les principales initiatives

Pour l’essen­tiel, si l’on excepte quelques déci­sions mar­quantes comme celles pris­es en France et en Fin­lande de con­stru­ire un EPR, le réac­teur fran­co-alle­mand de 3e généra­tion d’Are­va, si l’on excepte égale­ment la pour­suite des con­struc­tions en cours (il y a env­i­ron trente réac­teurs en con­struc­tion ou en voie d’achève­ment dont une ving­taine en Asie et trois en Russie), il s’ag­it prin­ci­pale­ment soit d’in­ten­tions favor­ables soit de pré­par­er les con­di­tions effec­tives d’une relance des engage­ments dont on ver­ra plus loin qu’au total ils pour­raient con­duire à la mise en ser­vice de plus de 300 GW d’i­ci 2030 faisant pass­er la capac­ité nette totale de 370 GW à 520 GW (370 — 150 + 300).

Sans être exhaus­tif, on peut con­sid­ér­er que les grandes impul­sions provi­en­nent actuelle­ment des États-Unis, de la Chine, de l’Inde et de la Russie bien sûr ; l’Eu­rope de l’Ouest ain­si que l’Eu­rope cen­trale et ori­en­tale appa­rais­sant à ce jour moins dynamiques même si des actions pos­i­tives sont engagées par cer­tains pays, au pre­mier plan desquels le Royaume-Uni.

Avec l’Ener­gy Pol­i­cy Act d’août 2005, les États-Unis ont claire­ment mar­qué leur volon­té d’établir des con­di­tions favor­ables aux investisse­ments nucléaires tant sur la sim­pli­fi­ca­tion des procé­dures et garanties que l’étab­lisse­ment d’inci­ta­tions financières.

L’in­dus­trie de son côté, soit en direct par les util­i­ties, soit par la con­struc­tion de groupe­ments comme NuS­tart (9 élec­triciens US, EDF, Gen­er­al Elec­tric et West­ing­house) ou de joint ven­tures comme Unistar (Con­stel­la­tion et Are­va), met au point d’assez nom­breux pro­jets (12 com­pag­nies ont déclaré des pro­jets AP 1000, ESBWR et EPR pour une puis­sance de l’or­dre de 30 GW). La mise en ser­vice de 45 GW à l’hori­zon 2030 per­me­t­trait de main­tenir la pro­por­tion de 20 % d’élec­tric­ité d’o­rig­ine nucléaire.

L’an­nonce, début 2006, par l’ad­min­is­tra­tion US de GNEP (Glob­al Nuclear Ener­gy Part­ner­ship) com­plète le dis­posi­tif en définis­sant une stratégie nucléaire à objec­tifs mul­ti­ples dont l’ob­jet est la mise en place d’un sys­tème inter­na­tion­al per­me­t­tant le déploiement, dans des con­di­tions poli­tique­ment accept­a­bles (notam­ment vis-à-vis de la non-pro­liféra­tion), d’un parc nucléaire impor­tant au niveau mon­di­al ; en pra­tique, GNEP mar­que une inflex­ion majeure de la poli­tique US qui envis­age doré­na­vant de met­tre en œuvre une poli­tique de retraite­ment des com­bustibles usés en sus du stock­age de longue durée.

Depuis plusieurs années, la Chine a affiché de grandes ambi­tions et s’or­gan­ise pour maîtris­er totale­ment la fil­ière nucléaire ; les puis­sances actuelles (instal­lées et en cours de con­struc­tion) sont rel­a­tive­ment mod­estes (moins de 2 % du parc élec­trique total égal à 508 GW), mais compte tenu de la crois­sance de l’é­conomie et de celle de la demande d’élec­tric­ité, l’ensem­ble des mis­es en ser­vice pour­rait attein­dre 60 GW d’i­ci à 2030.

La place impor­tante que pour­rait pren­dre l’Inde est apparue plus récem­ment avec les dis­cus­sions en cours au plus haut niveau entre les autorités indi­ennes et améri­caines qui pour­raient débouch­er sur des coopéra­tions inter­na­tionales sans entraves.

Là aus­si, les besoins en énergie élec­trique sont con­sid­érables et l’Inde envis­age au moins 30 GW de nucléaire dans son mix élec­trique à l’hori­zon 2030, ce qui est très impor­tant au regard des 3,4 GW de capac­ités installées.

Depuis l’ar­rivée de S. Kiriyenko à la tête de Rosatom, l’a­gence fédérale russe en charge des activ­ités nucléaires civile et mil­i­taire, la Russie mon­tre claire­ment qu’elle entend dévelop­per la pro­duc­tion d’élec­tric­ité nucléaire en Russie même et jouer un rôle impor­tant à l’ex­por­ta­tion. Dans le même temps, la Russie lançait une ini­tia­tive sur la créa­tion de cen­tres inter­na­tionaux de four­ni­ture, de ser­vices du cycle du com­bustible nucléaire.

Les ordres de grandeur indiqués à l’hori­zon 2030 (de 30 à 45 GW) doivent être mis en regard de la puis­sance instal­lée de 23 GW. Cet arti­cle a pour objet de rap­pel­er, vu par des obser­va­teurs extérieurs, le con­texte et l’or­gan­i­sa­tion fon­dant de telles pris­es de posi­tion et dis­cus­sions qui, à notre sens, seront déter­mi­nantes pour les années futures.

Un « scénario plausible » de + 300 GW au niveau mondial à l’horizon 2030

Les développe­ments suiv­ants ont pour objet de pré­cis­er les ordres de grandeur et de les met­tre en per­spec­tive dans des domaines d’in­vestisse­ment où les temps néces­saires pour la déci­sion et l’exé­cu­tion sont sou­vent supérieurs à dix ans. Ils ont égale­ment pour objet de met­tre en évi­dence les enjeux aux­quels les pays de l’Eu­rope géo­graphique (zone inclu­ant l’Ukraine et la Turquie) auront à faire face d’i­ci à 2030.


Capac­ités nucléaires de l’Eu­rope et de la Russie (carte 1)

Rap­pelons tout d’abord que les chiffres de puis­sance nucléaire se situent dans des con­textes large­ment éclairés par de nom­breux doc­u­ments de référence sur les per­spec­tives énergé­tiques à l’hori­zon 2030 émis par des organ­i­sa­tions recon­nues ; sans être exhaus­tif, citons les travaux de l’AIE (World Ener­gy Out­look), de la Com­mis­sion européenne (Livre vert), du DOE des USA (Annu­al Ener­gy Out­look) ou encore les études faites par des organ­i­sa­tions pro­fes­sion­nelles recon­nues comme le WNA (World Nuclear Association).

En syn­thèse, une pro­jec­tion moyenne fait appa­raître que les besoins mon­di­aux en capac­ités de pro­duc­tion élec­trique pour­raient s’élever à + 4 800 GW (deux tiers de nou­velles capac­ités, un tiers de renou­velle­ment) faisant pass­er la puis­sance totale mon­di­ale instal­lée de 3 400 GW en 1999 à 6 600 GW en 2030. Le scé­nario envis­agé de + 300 GW pour le nucléaire recou­vre un accroisse­ment de capac­ité de + 150 GW et le renou­velle­ment des déclasse­ments estimé à + 150 GW même en ten­ant compte des aug­men­ta­tions de durée de vie décidées ou envisageables.

Un tel scé­nario ferait pass­er le nucléaire de + 370 GW soit 11 % de la puis­sance instal­lée à 520 GW, donc avec une part rel­a­tive réduite à 7 %. Dans le nou­veau con­texte décrit précédem­ment, ce scé­nario à + 300 GW en 2030 paraît plau­si­ble et devrait per­me­t­tre de pré­par­er les déci­sions indus­trielles appro­priées.

Zone géo­graphique par zone géo­graphique, le total des prin­ci­pales ini­tia­tives rap­pelées ci-dessus s’élève à + 165 GW (États-Unis 45 GW ; Chine 60 GW ; Inde 30 GW ; Russie 30 GW de manière pru­dente). D’autres déci­sions seront pris­es que l’on peut estimer vraisem­blables à hau­teur de 30 GW pour le Japon et la Corée du Sud et 15 GW pour le reste du Monde (hors les pays de l’Eu­rope « géo­graphique » ce qui con­duit à un total de 210 GW).

S’agis­sant des pays de l’Eu­rope « géo­graphique » (cf. carte n° 1), cou­vrant essen­tielle­ment l’U­nion européenne, l’Ukraine et la Turquie, avec une puis­sance instal­lée de 150 GW, peut-on estimer que 90 GW seront mis en ser­vice d’i­ci 2030 ?

Ce point est loin d’être acquis, même au niveau des principes dans plusieurs pays de l’Eu­rope des Quinze ; cela dit, si l’on con­sid­ère les déclasse­ments inévita­bles à cet hori­zon et estimés à près de 700 GW et les capac­ités nou­velles de l’or­dre de 570 GW pour faire face à une demande crois­sante d’élec­tric­ité de plus de 50 %, un tel vol­ume qui représente moins de 10 % des puis­sances à met­tre en œuvre sera prob­a­ble­ment décidé tôt ou tard qu’on peut répar­tir égale­ment entre l’Eu­rope des Quinze (45 GW) et le Grand Est (45 GW), dénom­i­na­tion pro­posée pour les autres pays de l’Eu­rope géo­graphique qui utilisent à l’heure actuelle essen­tielle­ment des réac­teurs de con­cep­tion russe (ou seraient sus­cep­ti­bles d’en utiliser).

Au total, 300 GW sur la péri­ode, cela représente en moyenne 23 GW par an entre 2012 et 2025 ; 2012 est la date à laque­lle les con­struc­tions auront pu démar­rer à un rythme soutenu et 2025 représente la dernière année d’en­gage­ment de travaux pour des mis­es en ser­vice en 2030 (durée de réal­i­sa­tion estimée à cinq ans).

C’est env­i­ron ce qui a été mis en ser­vice entre 1970 et 1985 : il s’ag­it donc, pour cette « sec­onde vague », d’un ensem­ble de pro­grammes ambitieux, mais réal­is­ables (une ving­taine de tranch­es par an), aux­quels de nom­breux acteurs indus­triels, dont la Russie, com­men­cent à se pré­par­er activement.

Quelques rappels sur la Russie et les caractéristiques du système électrique

La Fédéra­tion de Russie est un « très grand pays » au dou­ble sens des dimen­sions et des capac­ités économiques et poli­tiques. Cette qua­si-évi­dence n’ex­clut pas de grandes dis­par­ités, ni même des points faibles, mais dans le domaine du nucléaire, elle fonde la volon­té des dirigeants à main­tenir, dévelop­per et garder le con­trôle de l’ensem­ble du « com­plexe nucléaire » avec ses com­posantes civile et mil­i­taire, base incon­testable de la recon­nais­sance de la Russie en tant que grande puis­sance. Nous revien­drons ultérieure­ment sur les con­séquences pra­tiques de cette attitude.


Parc nucléaire russe

Au plan des dimen­sions, rap­pelons que la Fédéra­tion de Russie est le plus grand pays du monde : 17 mil­lions de km2 (32 fois la France) soit 1/8 de la sur­face ter­restre de la planète ; 11 fuse­aux horaires ; une pop­u­la­tion totale de 143 mil­lions d’habitants.

C’est un pays très hétérogène où toute don­née présente de con­sid­érables écarts ; ain­si, on peut not­er un fac­teur 4 entre les coûts de pro­duc­tion élec­trique, de l’or­dre de 11,5 USD/MWh pour Kostro­ma à l’Ouest, env­i­ron 45 USD/MWh sur la côte Est. Ces aspects doivent être rel­a­tivisés pour l’élec­tric­ité nucléaire dont les réac­teurs sont surtout à l’ouest de l’Our­al, même si les ressources minières et les instal­la­tions du cycle du com­bustible se trou­vent essen­tielle­ment en Sibérie.

Au plan économique, les indi­ca­teurs doivent être util­isés avec pru­dence : en par­ité de pou­voir d’achat (ppa) qui per­met des com­para­isons au niveau mon­di­al sur une même base, le PIB de la Russie s’élève, pour 2005, en dol­lars 2002 à 1 427 mil­liards de dol­lars (source Rex­e­code), un peu moins que la France avec 1 799 mil­liards de dol­lars (pour une pop­u­la­tion de 61 mil­lions d’habitants).

Les taux de crois­sance sont tou­jours élevés : esti­ma­tion de 6,4 % pour l’an­née 2005. Le niveau de pro­duc­tion d’a­vant la crise de 1998 a été dépassé et d’une manière générale tous les indi­ca­teurs sont revenus à des niveaux supérieurs à ceux des dernières meilleures années du régime sovié­tique. Ter­mi­nons ce bref rap­pel indi­quant que la dette extérieure publique a été récem­ment effacée et que le bud­get est en excédent.

Ain­si, la Russie con­tin­ue de bien se porter et les impor­tants excé­dents de la bal­ance com­mer­ciale, essen­tielle­ment dus aux activ­ités pétrolières et gaz­ières (le nucléaire est égale­ment un con­tribu­teur posi­tif pour plus de 3 mil­liards de dol­lars) y con­tribuent large­ment. De nom­breuses réformes ont été engagées notam­ment dans le domaine de la fis­cal­ité, domaine où les change­ments ont été les plus pro­fonds ; d’autres réformes sont engagées au plan desquelles on men­tion­nera le secteur ban­caire (trop nom­breuses petites ban­ques), le sys­tème judi­ci­aire et la réduc­tion des procé­dures bureaucratiques.

Deux points noirs sont fréquem­ment relevés. En pre­mier lieu la démo­gra­phie, plus que préoc­cu­pante : l’e­spérance de vie con­tin­ue de dimin­uer et s’établit à 58,9 ans pour les hommes. Avec des taux de natal­ité bas et un taux de mor­tal­ité élevé, la pop­u­la­tion de la Fédéra­tion de Russie pour­rait décroître à 125 mil­lions d’habi­tants en 2030 et, selon un rap­port de l’ONU, à 112 mil­lions en 2050, le même niveau que le Japon.

En sec­ond lieu, il faut soulign­er qu’une grande par­tie de la pop­u­la­tion est encore en dessous du seuil de pau­vreté, là aus­si avec de grandes dis­par­ités entre les régions, les villes et les cam­pagnes, les salaires men­su­els moyens étant com­pris entre 30 et 400 dollars.

Les caractéristiques du secteur électrique

Les deux acteurs prin­ci­paux du secteur élec­trique sont le sys­tème élec­trique unifié RAO EES (dite RAO) et l’ex­ploitant nucléaire, Rosen­er­gatom (REA) qui dépend de Rosatom. RAO dans sa struc­ture actuelle est un hold­ing d’É­tat qui en con­trôle majori­taire­ment le cap­i­tal et gère l’ensem­ble des activ­ités non nucléaires, du trans­port et de la dis­tri­b­u­tion. Des réformes de struc­tures sig­ni­fica­tives sont en pro­jet qui con­cer­nent à la fois RAO et la struc­tura­tion du marché.


Mix élec­trique (Russie)

La con­som­ma­tion élec­trique en 2005 a atteint 945 TWh au-delà des prévi­sions et la con­som­ma­tion pour les huit pre­miers mois de 2006 s’est établie à + 5,5 %. On observera que le ratio de con­som­ma­tion par habi­tant pour le secteur indus­triel du fait de ses activ­ités d’in­dus­trie lourde avec 4 150 kWh/hab. se situe à des niveaux très élevés (supérieurs à celui des USA) alors qu’il est encore à des niveaux très bas pour le secteur rési­den­tiel et ter­ti­aire (Exposé de S. Kiriyenko au WNA du 7 sep­tem­bre 2006 à Londres).

La crois­sance atten­due des activ­ités indus­trielles com­binée avec un « rat­tra­page » des secteurs non indus­triels con­duit à prévoir pour les années à venir un développe­ment impor­tant des con­som­ma­tions élec­triques (dou­ble­ment au moins d’i­ci 2030 selon les autorités russ­es, objec­tif qui pour­ra paraître élevé à des obser­va­teurs occidentaux).

En ce qui con­cerne le mix élec­trique, comme on peut le voir sur le graphique n° 1, il est très dif­férent du mix français où la part du nucléaire atteint 78 % et celle de l’hy­draulique 12 %.

En 2005, le nucléaire russe avec 23,2 GW de puis­sance instal­lée pour un total de 227 GW représente 16 % de la pro­duc­tion, soit env­i­ron 150 TWh (cf. carte n° 2). La part du gaz (le pét­role ne représente que 3 %) est très élevée ; en valeur absolue cette part ne peut qu’aug­menter au détri­ment d’autres usages, comme l’ex­por­ta­tion sauf à recourir à des CCG (cycles com­binés gaz) de bien meilleur ren­de­ment et, bien sûr, à accroître la part du nucléaire.

Pour le futur, la Russie a donc à faire face à un des chal­lenges impor­tants con­duisant à faire évoluer son mix et à met­tre en ser­vice d’i­ci 2030 des puis­sances estimées (280 GW) pour répon­dre tant à l’ac­croisse­ment de con­som­ma­tion (220 GW) qu’aux déclasse­ments, estimés à + 60 GW (c’est sans doute un minimum).

Sur ces bases, si l’on retient une pro­duc­tion nucléaire de 25 %, soit 400 TWh, cela con­duit à une capac­ité totale instal­lée d’en­v­i­ron 60 GW (7 TWh/GW) et donc, compte tenu des déclasse­ments inévita­bles à cet hori­zon, à la mise en ser­vice d’au moins 45 GW. Une hypothèse basse avec + 50 % d’aug­men­ta­tion de la con­som­ma­tion et 22 % de part nucléaire con­duit à une pro­duc­tion de 330 TWh et un parc instal­lé d’en­v­i­ron 45 GW. Cela sup­pose qu’au moins 30 GW soient mis en ser­vice d’i­ci 2030, cor­re­spon­dant à des engage­ments de travaux de 2 GW/an entre 2010 et 2025. C’est l’hy­pothèse retenue dans le scé­nario dit plau­si­ble qui représente déjà un for­mi­da­ble challenge.

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