La leçon des champions cachés allemands

Dossier : ExpressionsMagazine N°687 Septembre 2013
Par Hermann SIMON
Par Stéphan GUINCHARD (94)

Selon l’Office fédéral des sta­tis­tiques alle­mand (chiffres 2011), les mon­tants des expor­ta­tions par habi­tant per­me­t­tent à l’Allemagne de se dis­tinguer très net­te­ment de tous les autres pays, avec près de 18 000 dol­lars par habitant.

La France (9 500) se place à un niveau com­pa­ra­ble à celui d’autres pays comme le Roy­aume-Uni (7 600) et l’Italie (8 600), mais seule­ment à la moitié de l’Allemagne.

La part modeste des grands groupes

Les grands groupes sont-ils der­rière ces écarts de per­for­mance à l’exportation ?

Le classe­ment For­tune Glob­al 500 (les cinq cents plus gross­es entre­pris­es du monde) mon­tre que les grands groupes ne con­tribuent que par­tielle­ment à la per­for­mance d’un pays en ter­mes d’exportations. Ce point clé est mis en lumière par la com­para­i­son de la France et de l’Allemagne.

La dif­férence cru­ciale est le rôle des entre­pris­es moyennes

Avec 31 grands groupes, la France compte plus de sociétés dans le For­tune Glob­al 500 (don­nées 2013) que l’Allemagne (29). Ces 31 groupes français réalisent un chiffre d’affaires cumulé de 2 037 mil­liards de dol­lars, du même ordre de grandeur que celui de leurs équiv­a­lents alle­mands (2 072 mil­liards). De sur­croît, en France, une grande part de ces cham­pi­ons nationaux sont des cham­pi­ons mon­di­aux : LVMH dans le luxe, Are­va dans la tech­nolo­gie nucléaire, Miche­lin dans le pneu­ma­tique, L’Oréal dans la cos­mé­tique, pour ne citer que quelques exemples.

La faib­lesse rel­a­tive des expor­ta­tions français­es ne provient donc pas de ses grandes entreprises.

La Chine et l’Allemagne, très bien placées en ter­mes d’exportations, se dis­tinguent par le rôle des entre­pris­es moyennes : 68 % des expor­ta­tions chi­nois­es sont réal­isées par des entre­pris­es de moins de 2 000 employés ; 70 % des expor­ta­tions alle­man­des provi­en­nent des entre­pris­es dites du Mit­tel­stand.

Les cham­pi­ons cachés
Les « cham­pi­ons cachés » sont des lead­ers de marché à l’échelle mon­di­ale, défi­nis selon trois critères : ils se pla­cent dans le top 3 mon­di­al ou sont numéro un sur leur con­ti­nent ; ils réalisent moins de 3 mil­liards d’euros de chiffre d’affaires ; ils sont rel­a­tive­ment mal con­nus du grand pub­lic. Nous avons iden­ti­fié 2 794 de ces entre­pris­es dans le monde, dont 1307 sont d’origine alle­mande. En France, nous comp­tons seule­ment 135 cham­pi­ons cachés. Les pays ger­manophones (Alle­magne, Autriche, Lux­em­bourg, Suisse) se dis­tinguent claire­ment, avec 14 à 16 cham­pi­ons cachés par mil­lion d’habitants, alors que la France arrive à 1,9.

Les clés de la compétitivité

Pourquoi les entre­pris­es de taille moyenne alle­man­des ont-elles autant de suc­cès ? Les élé­ments clés de leur com­péti­tiv­ité sont la puis­sance d’innovation, la capac­ité de pro­duc­tion, l’évolution du coût uni­taire du tra­vail et une présence mondiale.

Ambi­tion et focalisation
À titre d’exemple, Chemet­all, actuelle­ment en tête des métaux spé­ci­aux comme le lithi­um et le cési­um, a pour objec­tif de devenir le leader mon­di­al en tech­nolo­gie et mar­ket­ing. En forte crois­sance depuis 1995, Ener­con est un acteur clé dans l’éolien, Brose dans les sys­tèmes de portes pour les voitures, Leoni dans les sys­tèmes de câbles et Cronimet dans le recy­clage des métaux. L’entreprise Uhlmann explique sa stratégie de focal­i­sa­tion : « Nous n’avons tou­jours eu qu’un seul client et, à l’avenir, nous n’aurons tou­jours qu’un seul client : l’industrie phar­ma­ceu­tique. Nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons bien. » Flexi, qui pro­duit des laiss­es sou­ples pour les chiens, déclare : « Nous ne faisons qu’une seule chose, mais nous la faisons mieux que tous les autres. »

Selon l’Office européen des brevets (chiffres 2010), l’Allemagne a déposé 154 brevets par mil­lion d’habitants ; la France, 69 ; l’Italie, 37 et le Roy­aume-Uni, 29. Encore récem­ment, l’Allemagne était cri­tiquée pour sa dépen­dance aux activ­ités indus­trielles traditionnelles.

C’est aujourd’hui une clé de son suc­cès à l’exportation et de l’excédent de sa bal­ance com­mer­ciale. L’augmentation glob­ale du coût uni­taire du tra­vail s’est établie à 6,3% sur les neuf dernières années.

En France, ce coût a pro­gressé de 26 % (21,7 % en moyenne en Europe).

D’autres fac­teurs, au-delà du coût uni­taire du tra­vail, con­tribuent à la per­for­mance actuelle de l’Allemagne : le sys­tème d’apprentissage, die Lehre, unique au monde ; la mar­que made in Ger­many ; la maîtrise des langues étrangères (56% des Alle­mands par­lent anglais con­tre seule­ment 36 % des Français) ; une plus grande ouver­ture vers l’international.

Les stratégies

Les 1 307 entre­pris­es alle­man­des de taille moyenne con­sid­érées comme cham­pi­ons cachés ont créé un mil­lion de nou­veaux emplois sur les dix dernières années. Elles crois­sent de 10 % par an. Leurs straté­gies se dis­tinguent par un lead­er­ship fort avec des objec­tifs très ambitieux ; des com­pé­tences internes dont l’innovation et des employés très per­for­mants ; des com­pé­tences externes autour de la focal­i­sa­tion sur un marché étroit et la prox­im­ité avec les clients.

La proximité du client

Her­mann Simon et Stéphan Guin­chard sont les auteurs de l’ouvrage Les cham­pi­ons cachés du XXIe siè­cle : Straté­gies à succès.
Le livre : les champions cachés du XXIe siècle
Pré­face de Yvon Gat­taz, pub­lié aux Édi­tions Economica.

La plus grande force des cham­pi­ons cachés est leur prox­im­ité avec leurs clients. En moyenne, plus d’un tiers des employés ont des con­tacts réguliers avec leurs clients. L’entreprise Grohmann Engi­neer­ing, pro­duc­teur de sys­tèmes d’assemblage pour la microélec­tron­ique, explique :

« Mon marché, c’est le top 30 des clients dans le monde ; ce sont les moteurs de notre per­for­mance ; ils ne sont jamais sat­is­faits et exi­gent tou­jours plus. »

Les prix pra­tiqués sont de 10% à 20% plus élevés que la moyenne de leur marché. Les cham­pi­ons cachés évi­tent les guer­res de prix ; ils préfèrent se bat­tre sur le ter­rain de la performance.

Pour un changement culturel

La France dis­pose de quelques cham­pi­ons cachés très per­for­mants. Citons Babo­lat, pour ses cordages de raque­tte, Bénéteau pour ses voiliers, Clex­tral dans la tech­nolo­gie d’extrusion, Rossig­nol Tech­nolo­gies pour ses tiges de com­mande de freinage ou Radi­all pour ses connecteurs.

Ces entre­pris­es parvi­en­nent à domin­er par­faite­ment leur marché à l’échelle européenne ou mon­di­ale, tout en étant local­isées en France, avec un out­il de pro­duc­tion et des cen­tres de recherche situés en France. Citons Laporte Ball-trap, qui exporte vers la Chine ses équipements de tir au pigeon. Mais ces entre­pris­es restent bien trop rares.

La France doit pro­mou­voir et ren­forcer ses entre­pris­es de taille moyenne. Elle doit moins compter sur ses grands groupes. Se con­tenter de réduire les coûts ne suf­fi­ra pas à ren­dre les entre­pris­es français­es plus com­péti­tives. Il faut un pro­fond change­ment cul­turel au sein de la société française.

Les com­pé­tences
Chez un cham­pi­on caché, il y a tou­jours plus de tra­vail que de bras pour le réalis­er. Être en sous-effec­tif est un très fort levi­er de pro­duc­tiv­ité. La cul­ture d’entreprise est axée sur une forte per­for­mance, un niveau de qual­i­fi­ca­tion élevé et un faible turnover, de l’ordre de 2,7 %. La moyenne en Alle­magne est de 7,3 %. La France est bien au-dessus, à 11 %. Aux États- Unis, presque un tiers des employés quit­tent leur entre­prise tous les ans, en empor­tant leur savoir-faire avec eux.
70% des cham­pi­ons cachés sont des entre­pris­es familiales.
Leurs dirigeants affichent une forte iden­ti­fi­ca­tion à leur entre­prise et à sa mis­sion. Le style de lead­er­ship est ambiva­lent : autori­taire sur les principes mais par­tic­i­patif et sou­ple quant aux détails.

Commentaire

Ajouter un commentaire

robert ave­zourépondre
1 octobre 2013 à 12 h 02 min

Cha­peau pour cette com­para­i­son Alle­magne — France
Excel­lent arti­cle. Il faut un “pro­fond change­ment cul­turel dans la société française …”. Sous-enten­du, pour pou­voir espér­er remon­ter la pente, je sup­pose, et ne plus se laiss­er dis­tancer par l’Alle­magne. Je suis très sur­pris qu’un arti­cle de cette qual­ité ne reçoive aucun com­men­taire. Les auteurs devraient le dédi­cac­er à notre Min­istre du com­merce extérieur, Nicole Bricq !!

Répondre