L’œuvre de Léon Paul Leroy (35) en France et à l’étranger

Dossier : ExpressionsMagazine N°567 Septembre 2001
Par Jacques BOURDILLON (45)

Léon paul leroy nous a quit­tés le 28 jan­vi­er 2001. En lui, nous avons per­du un grand bâtis­seur. Après une courte car­rière dans l’ad­min­is­tra­tion des Ponts et Chaussées, notam­ment au ser­vice de la nav­i­ga­tion du Nord-Pas-de-Calais, il entra à la Caisse des Dépôts et Consigna­tions, avec le rang de directeur, suc­ces­sive­ment sous l’au­torité de François Bloch-Laîné, puis de Mau­rice Pérouse.

Prési­dent de la Société cen­trale pour l’Équipement du Ter­ri­toire (Scet), sec­ondé à ce titre par François Par­fait (42), il fut pen­dant plus de trente ans créa­teur et ani­ma­teur de nom­breuses sociétés d’é­conomie mixtes, autant d’outils qu’il sut met­tre au ser­vice de l’in­térêt général, dans les domaines les plus var­iés : villes nou­velles, marchés d’in­térêt nation­al, com­pag­nies d’amé­nage­ment, autoroutes à péage, trans­ports col­lec­tifs, etc.

Il con­tribua puis­sam­ment à la relance du loge­ment social en France après la Sec­onde Guerre mon­di­ale comme prési­dent de la Société immo­bil­ière de la Caisse des Dépôts (Scic), sec­ondé à ce titre par Michel Sail­lard (48).

Son rôle, tout aus­si émi­nent, dans l’in­ter­na­tion­al est beau­coup moins con­nu… L’ob­jet de cet arti­cle est d’ap­porter un témoignage à ce seul sujet.

À la fin des années cinquante, la France avait entre­pris à la fois out­re la mod­erni­sa­tion de ses départe­ments et ter­ri­toires d’outre-mer, la décoloni­sa­tion de son ancien empire, dans le cadre d’une ambitieuse poli­tique de coopéra­tion. Dans le même temps, l’Eu­rope, les Nations unies, la Banque mon­di­ale met­taient des crédits con­sid­érables au ser­vice du développe­ment des pays du tiers-monde. Léon Paul Leroy ne pou­vait être à l’é­cart de cette entre­prise : man­daté par François Bloch Laîné, il déci­da de créer la Scet Coopéra­tion (dev­enue par la suite Scet inter­na­tion­al). Cette fil­iale dont j’ai eu l’hon­neur d’être le prési­dent après Marc Mau­gars et avant René Lenoir s’est effor­cée de men­er avec rigueur dans les pays les plus divers, dans les domaines les plus var­iés une vraie poli­tique de coopéra­tion. Léon Paul Leroy voulait que Scet inter­na­tion­al soit à la fois la Scet et la Scic (et, dis­ait il, bien d’autres choses encore !) dans les Dom-Tom et dans le vaste monde.

Léon Paul Leroy avait com­pris l’im­por­tance de l’ur­ban­i­sa­tion dans ces pays jusqu’à présent à dom­i­nante rurale, et récem­ment devenus indépen­dants : au lieu de men­er un com­bat dés­espéré pour le main­tien du paysan sur une terre qu’il voulait quit­ter, mieux valait s’oc­cu­per d’or­gan­is­er les villes et notam­ment les cap­i­tales, en les ren­dant plus belles et plus attrayantes. Jean Mil­li­er (38), min­istre d’Houphouët Boigny, Mau­rice Can­cel­loni (42), directeur des Travaux publics à Mada­gas­car l’en­cour­agèrent à inter­venir dans ce domaine. Léon Paul Leroy sut pro­pos­er le choix des meilleurs archi­tectes de l’époque (je pense à Mau­rice Nova­ri­na, Michel Écochard, Auguste Arsac (43), Michel Weil…) pour éla­bor­er des plans d’ur­ban­isme, con­cevoir grands édi­fices publics (palais prési­den­tiels, uni­ver­sités, hôpi­taux, etc.), et les pro­grammes de loge­ments. Il était par­ti­c­ulière­ment fier d’être inter­venu dès l’o­rig­ine en Mau­ri­tanie et d’avoir pris la respon­s­abil­ité de la con­struc­tion de Nouak­chott. Beau­coup de grandes villes ont béné­fi­cié de son sou­tien dynamique et dés­in­téressé : je cit­erai Pointe-à-Pitre, Papeete, Tunis, Abid­jan, Tana­narive, Yaoundé, Dakar, Agadir, Akjou­jt (et, dans une moin­dre mesure Fort-de-France, Bamako et Niamey).

Il avait con­science d’un énorme besoin des pays en développe­ment dans le domaine des trans­ports : il lui sem­blait urgent de combler ce hand­i­cap : Scet inter­na­tion­al fut priée de se dot­er des moyens néces­saires pour y par­venir. Les résul­tats ont été à la hau­teur des ambi­tions dans tous les domaines : ports, Arzew en Algérie, aéro­ports, Faa en Polynésie et Kléi­ate au Liban, autoroutes syri­ennes et irani­ennes, route d’El­bor­ma en Algérie, pont de Mossou en Côte-d’Ivoire…

Au-delà des villes et des trans­ports il s’in­quié­tait de besoins insat­is­faits dans bien d’autres domaines : tous ces pays avaient aus­si besoin d’amé­nage­ment du ter­ri­toire, de développe­ment indus­triel, agri­cole et touris­tique. Il nous pous­sa à met­tre en place à Scet inter­na­tion­al un staff tech­nique très diver­si­fié, com­prenant notam­ment hydrogéo­logues, agronomes, vétéri­naires, pédo­logues, forestiers, ingénieurs du génie rur­al, etc. Cette poli­tique nous a ren­dus capa­bles d’in­ter­venir (études et réal­i­sa­tions) dans ces domaines nom­breux et variés.

Pour illus­tr­er ce pro­pos, je vais me livr­er à une énuméra­tion un peu longue et pour­tant incom­plète : études régionales au Maroc, en Iran, en Ara­bie (Kho­ras­san, Loukkos, Haouz, Doukkalas, Souss, région cen­trale d’Ara­bie), pro­jets d’ir­ri­ga­tions au Brésil (Poly­gone de la sécher­esse), au Maroc, en Tunisie, en Libye, créa­tion de pold­ers au Tchad (Bol), bar­rages en Iran et au Maroc (Mechra Klil­la, Jiroft, Minab, Torogh, Kardeh, Fer­rizi), sucre en Côte-d’Ivoire et en Guade­loupe (Marie-Galante et Boro­tou-Koro), riz au Camer­oun et à Mada­gas­car (Sem­ry, lac Alao­tra), pois­son (pis­ci­cul­ture en Tunisie, pêche au thon au Séné­gal et en Mau­ri­tanie), matéri­aux de con­struc­tion (cimenterie de Mal­baza au Niger), télévi­sion (Mai­son de la télévi­sion de Riyad), com­merce (Marché d’in­térêt nation­al de Buenos-Aires…).

Léon Paul Leroy avait su créer autour de son pro­jet un véri­ta­ble réseau inter­na­tion­al. Nous étions quelques-uns autour de lui pour ani­mer ce réseau : je pense à Louis Tis­sot, François Val­iron (43), Marc Mau­gars, Philippe Mar­chat et quelques autres. Il avait noué des liens ami­caux per­son­nels avec les prési­dents Tsir­anana, Sen­g­hor, Ahid­jo, Houphouët-Boigny, et aus­si avec les prin­ci­paux min­istres : je pense à Amir Abbas Hov­ey­da, et à Safi Asfia en Iran, à Reda Guédi­ra au Maroc. Très occupé à Paris, il n’hési­tait pas à boule­vers­er son emploi du temps pour aller à l’é­tranger quand c’é­tait néces­saire (con­naître les hommes, mieux coller au ter­rain). Et je ne pour­rai citer les innom­brables voy­ages dans lesquels il m’a entraîné : à Wash­ing­ton (Banque mon­di­ale), à Brux­elles (FED), à Rome (FAO), à New York (Fonds spé­cial des Nations unies), en Iran, au Liban, en Côte-d’Ivoire, au Cameroun…

Le Maroc des années soix­ante était en quelque sorte une plaque tour­nante de la coopéra­tion avec le Maghreb. L’Al­gérie n’é­tait pas encore indépen­dante. Smaïl Mahrough et Abdal­lah Khod­ja, futurs min­istres algériens, étaient hébergés par l’ad­min­is­tra­tion maro­caine où il était facile de les ren­con­tr­er. André Giraud (44), alors patron de l’In­sti­tut français du pét­role, avait con­va­in­cu Léon Paul Leroy de créer une fil­iale com­mune, Géotech­nip, des­tinée à dévelop­per la pho­to-inter­pré­ta­tion dans les pays du tiers-monde, et le Maroc appa­rais­sait alors comme sus­cep­ti­ble de béné­fici­er des ser­vices de ce nou­v­el out­il, (le pro­jet ne fut pas couron­né de suc­cès). Le BRGM (Bureau de recherch­es géologiques et minières) souhaitait que soit étudiée l’é­vac­u­a­tion par un port maro­cain du min­erai de Gara Dje­bilet, l’é­tude fut menée à son terme (mais, le pro­jet fut hélas con­damné en rai­son de la rapi­de détéri­o­ra­tion des rela­tions algéro-marocaines).

La Scet Coopéra­tion s’est très vite imposée comme le pre­mier bureau d’é­tudes du Maroc post­colo­nial. À la demande du doc­teur Mohammed Ben­hi­ma (dont il fut le pre­mier haut-com­mis­saire à la recon­struc­tion d’A­gadir, avant de devenir min­istre des Travaux publics), la Scet Coopéra­tion instal­la une ” Mis­sion d’as­sis­tance ” qui fonc­tion­na pen­dant des années. Le min­istère de l’A­gri­cul­ture lui deman­da de créer un groupe de tra­vail chargé de vul­garis­er les résul­tats de la recherche : ce groupe devint l’émet­teur de nom­breuses pub­li­ca­tions unanime­ment appré­ciées. Mais son prin­ci­pal client fut de très loin l’Of­fice nation­al des irri­ga­tions qui lui con­fia de nom­breuses études régionales, des pro­jets de mise en valeur et la super­vi­sion des travaux du bar­rage de Mechra Klil­la sur la Moulouya. Pour toutes ces raisons, de nom­breux vis­i­teurs afflu­aient à Rabat… Léon Paul Leroy nous les adres­sait sys­té­ma­tique­ment… je me bornerai à évo­quer les escales de Louis Armand, de François Bloch-Laîné et de Georges Plescoff…

Pour ter­min­er, je voudrais décrire suc­cincte­ment une petite opéra­tion d’amé­nage­ment région­al au Camer­oun : la révolte des Bamilékés était ter­minée, le prési­dent Ahid­jo désir­ait rel­oger dans un ter­ri­toire vierge les pop­u­la­tions déplacées du fait de la guerre civile. Ce ter­ri­toire exis­tait à con­di­tion de créer une nou­velle route entre l’ag­gloméra­tion de Yabassi et celle de Bafang et d’im­planter des vil­lages le long de cette route. Encore fal­lait-il dot­er ces nou­veaux vil­lages d’un poten­tiel agri­cole adap­té. La Scet Coopéra­tion fit une étude de l’amé­nage­ment, la route fut con­stru­ite par le Génie camer­ounais et les nou­veaux vil­lages furent instal­lés dans des délais records. Cet amé­nage­ment réus­si était la fierté de Léon Paul Leroy.

Il restera dans notre sou­venir comme un grand bâtis­seur, et aus­si comme un homme d’ou­ver­ture con­va­in­cu qu’il faut œuvr­er pour con­stru­ire l’Eu­rope et mieux con­naître le monde. 

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