L’investissement local

Dossier : Les collectivités localesMagazine N°543 Mars 1999
Par Jean-Paul ALDUY (62)

Il existe différentes catégories d’investissements

Ce préam­bule étant fait, il y a dif­férentes caté­gories d’in­vestisse­ments, que le maire n’abor­dera pas de la même manière.

Cer­tains investisse­ments génèrent immé­di­ate­ment d’énormes frais de fonc­tion­nement. Ain­si, une piscine coûte très rapi­de­ment 3 à 4 mil­lions de francs par an de frais de fonc­tion­nement pour une ville comme Per­pig­nan, ce qui peut se traduire par une aug­men­ta­tion d’un point de fis­cal­ité. Un cen­tre social, c’est d’abord 2 à 3 mil­lions de francs pour la réal­i­sa­tion du bâti­ment, puis 700 000 à 1 mil­lion de francs de frais de salaires pour la rémunéra­tion d’un per­son­nel de qual­ité, pour lequel il con­vient en out­re d’as­sur­er une for­ma­tion continue.

Il y a une deux­ième caté­gorie d’in­vestisse­ments qui peu­vent se définir comme des investisse­ments incon­tourn­ables, même s’ils sont par­fois dif­férés, et qui cor­re­spon­dent à la ges­tion de l’en­vi­ron­nement au sens large, à l’amé­nage­ment du ter­ri­toire : la sécu­rité civile, les travaux hydrauliques, la défense des eaux, les transports…

De tels investisse­ments sont sus­cep­ti­bles de génér­er d’im­por­tants frais de fonc­tion­nement, comme les trans­ports par exem­ple, d’autres en revanche seront peu coû­teux en la matière.

Enfin, il y a une troisième caté­gorie d’in­vestisse­ments, qui, à l’in­verse des précé­dentes, est pro­duc­tive de revenus, de taxe pro­fes­sion­nelle notam­ment s’il s’ag­it de créer des zones d’ac­tiv­ités économiques, mais aus­si de fonci­er bâti s’il s’ag­it de zones d’habi­tat inclu­ant des pro­grammes de fab­ri­ca­tions de lotissements.

L’impact de l’investissement

L’im­pact de ces dif­férentes caté­gories d’in­vestisse­ments sur les frais de fonc­tion­nement est donc très dif­férent et, par con­séquent, il est néces­saire de raison­ner à par­tir de cet impact. En effet, la col­lec­tiv­ité ne vend pas, ou à titre mar­gin­al, ses ser­vices. Certes, par le prix du bil­let en matière de trans­port ou par la rede­vance en matière d’or­dures ménagères, cer­tains ser­vices sont rémunérés et engen­drent des recettes directe­ment liées à la pro­duc­tion du ser­vice mais la plu­part du temps ce sont les impôts qui vont per­me­t­tre de faire face aux dépens­es de fonc­tion­nement. Ce sché­ma est très dif­férent de celui d’une entre­prise où celle-ci va décider d’un investisse­ment et définir le temps de retour sur investisse­ment ou l’im­pact de l’in­vestisse­ment dans une stratégie de produit.

Ain­si, lorsqu’un maire a une stratégie d’in­vestisse­ments, il étudie d’abord les investisse­ments oblig­a­toires, compte tenu des normes par exem­ple, ou de son pro­pre con­texte géo­graphique. Puis, il y a les investisse­ments coû­teux en fonc­tion­nement, liés notam­ment à une poli­tique sociale, cul­turelle ou sportive, qui per­me­t­tent une réelle stratégie en fonc­tion d’une ligne poli­tique préal­able­ment définie. Enfin, existe la caté­gorie d’in­vestisse­ments liés à la poli­tique d’ur­ban­isme, de développe­ment économique ou d’habi­tat, qui sont sus­cep­ti­bles de pro­duire un cer­tain retour sur investisse­ment notam­ment par l’im­pôt qui en résultera.

En ce qui con­cerne les mis­es aux normes par exem­ple, l’avenir est red­outable. La lég­is­la­tion est insta­ble et sans plan­i­fi­ca­tion pos­si­ble. Ain­si, il est demandé aux élus de démolir et de recon­stru­ire les groupes sco­laires (qua­tre à Per­pig­nan, soit 100 mil­lions de francs à plan­i­fi­er sur trois ou qua­tre ans, un point de fis­cal­ité égale 4,5 mil­lions de francs). Mais il faut égale­ment faire face aux normes sur l’air soit 2 à 3 mil­lions de francs par an de frais de fonc­tion­nement, aux usines d’inc­inéra­tion, les redev­ables de la taxe d’or­dures ménagères n’en com­pren­nent pas l’in­fla­tion (de l’or­dre de 10 à 15 % par an), aux ter­rains de sport (20 à 30 mil­lions de francs de mise aux normes), à l’eau (change­ment des canal­i­sa­tions en plomb).

Il serait néces­saire sur ce sujet qu’une étude d’im­pact budgé­taire soit effec­tuée et qu’elle puisse ensuite faire l’ob­jet de négo­ci­a­tions entre le pou­voir lég­is­latif, qui définit et impose ces normes, et les asso­ci­a­tions de maires. Dans le domaine de l’en­tre­prise, il y a des comités par­i­taires et lorsque les normes de tra­vail sont mod­i­fiées, il y a négo­ci­a­tion avec les syn­di­cats. Un tel proces­sus devrait être dupliqué pour les col­lec­tiv­ités locales car la mod­i­fi­ca­tion des normes de ser­vices publics a un impact énorme sur le bud­get des col­lec­tiv­ités locales et cela n’est jamais évalué.

L’impôt

La ville qui décide d’in­ve­stir devra sans cesse tenir compte des coûts induits de fonc­tion­nement et donc de l’im­pact sur les impôts. La col­lec­tiv­ité doit avoir con­stam­ment le souci de l’évo­lu­tion de la pres­sion fis­cale de ses contribuables.

À l’heure actuelle, cette réper­cus­sion sur la fis­cal­ité locale, compte tenu de l’ensem­ble des charges des indi­vidus comme des entre­pris­es, est le prin­ci­pal obsta­cle à l’in­vestisse­ment. L’im­pôt local est l’im­pôt qui a le plus forte­ment aug­men­té cette dernière décen­nie ; il est donc évi­dent aujour­d’hui qu’une déci­sion d’in­vestisse­ment devra en pre­mier lieu en analyser la réper­cus­sion sur la fis­cal­ité locale. L’in­vestisse­ment implique une rela­tion qui peut se décrire comme une rela­tion investissement/fonctionnement, fonctionnement/impôt.

Sans aucun doute le temps n’est plus à l’éd­i­fi­ca­tion des cathé­drales, il est au con­traire à la mise en œuvre de plans d’in­vestisse­ments réfléchis, de con­ser­va­tion et de restau­ra­tion de l’ac­quis, de recom­po­si­tion sociale, des quartiers urbains notamment.

L’emprunt

En matière d’in­vestisse­ment, décider de ne pas avoir recours à l’im­pôt est décider d’avoir recours à l’emprunt. Là encore, la stratégie est dif­férente de celle de l’en­tre­prise. À l’heure actuelle, les col­lec­tiv­ités locales ont ten­dance à vouloir aut­o­fi­nancer leurs investisse­ments. L’aut­o­fi­nance­ment est la marge de manœu­vre finan­cière qui reste après le paiement des dépens­es de fonc­tion­nement et la per­cep­tion des recettes. En fait, à l’ex­cep­tion de quelques rares cas sou­vent cités, la plu­part des com­munes font appel à l’emprunt.

La grande nova­tion de ces dernières années pour les col­lec­tiv­ités locales c’est sans doute une ges­tion de la dette à moyen terme beau­coup plus pré­cise qu’au­par­a­vant et surtout une intéres­sante sta­bil­ité moné­taire. En effet, désor­mais, le niveau des taux d’in­térêt, joint à la sta­bil­ité moné­taire qu’in­tro­duit l’eu­ro et à la sup­pres­sion du risque de change, mod­i­fie com­plète­ment l’ap­préhen­sion du problème.

Il est évidem­ment néces­saire de ral­longer la durée des emprunts grâce à cette sta­bil­ité de la zone euro. Par ailleurs, des taux d’in­térêt his­torique­ment bas per­me­t­tent de gér­er la dette de manière rad­i­cale­ment dif­férente de la ges­tion précédente.

La pertinence du territoire

Enfin, dernière remar­que, et cela est pro­pre à la France, celle-ci en est encore à la péri­ode de ” l’ado­les­cence ” de la décen­tral­i­sa­tion et elle doit con­serv­er son acquis démoc­ra­tique. Or, mal­heureuse­ment, les ter­ri­toires com­mu­naux ne sont pas per­ti­nents la plu­part du temps en matière de ges­tion économique des ressources publiques.

Par con­séquent, lorsque les maires investis­sent, ils doivent être atten­tifs à met­tre en place des mécan­ismes de déci­sion inter­com­mu­nale de façon à s’as­sur­er de la plus grande effi­cac­ité pos­si­ble du choix de l’in­vestisse­ment et de per­me­t­tre des économies d’échelle en s’ef­forçant de met­tre en adéqua­tion les recettes et les dépens­es au ser­vice d’une pop­u­la­tion élargie. Ain­si, il n’est pas for­cé­ment néces­saire de mul­ti­pli­er les investisse­ments mais il est préférable, parce que plus effi­cace et plus économique des deniers publics, de priv­ilégi­er des équipements en réseau. La per­ti­nence du ter­ri­toire par rap­port à l’in­vestisse­ment est un prob­lème cru­cial, qui, glob­ale­ment, reste encore à résoudre.

Bus à gaz, Nice.
Bus à gaz, Nice. © SEMIACS

Les équipements de cen­tral­ité sont un bon exem­ple d’une néces­saire réflex­ion sur la per­ti­nence des ter­ri­toires parce que les villes cen­tre sont forte­ment pénal­isées quant à la charge de l’in­vestisse­ment. Les charges que représen­tent les con­ser­va­toires, les opéras, les écoles nationales des beaux-arts, les palais des con­grès, etc., sont extrême­ment lour­des, de l’or­dre de 1 000 à 3 000 francs par an et par habi­tant (l’As­so­ci­a­tion des maires des grandes villes a mon­tré que la moyenne de la charge afférente aux équipements de cen­tral­ité est de 2 000 francs par an et par habi­tant). Il y a donc un prob­lème de redéf­i­ni­tion de la carte de l’in­ter­com­mu­nal­ité française, le retard en la matière est énorme et il n’est pas sûr que l’on se donne les moyens de le résoudre.

En effet, actuelle­ment, le volon­tari­at en matière d’in­ter­com­mu­nal­ité trou­ve ses lim­ites. Les ter­ri­toires inter­com­mu­naux sont sou­vent issus d’assem­blage poli­tique plus que de véri­ta­bles sché­mas directeurs d’une inter­com­mu­nal­ité de pro­jet con­stru­ite autour de ter­ri­toires per­ti­nents. La carte de l’in­ter­com­mu­nal­ité est rarement cohérente par rap­port au bassin d’emploi ou à l’e­space physique sus­cep­ti­ble de gér­er économique­ment des services.

L’ex­em­ple de Per­pig­nan est intéres­sant parce qu’emblématique des prob­lèmes des villes cen­tre. Per­pig­nan est une ville de 110 000 habi­tants, qui a des fonc­tions de ville cen­tre très lour­des. La com­mu­nauté de com­munes, de créa­tion récente, compte cinq com­munes et une pop­u­la­tion d’en­v­i­ron 140 000 habi­tants. Les trans­ferts de com­pé­tences se sont effec­tués très pro­gres­sive­ment. Les élus ont choisi la voie de la taxe pro­fes­sion­nelle unique, il y a donc tout un appren­tis­sage de tra­vail en com­mun d’au­tant plus dif­fi­cile que la ville cen­tre fait face à qua­tre villes de 5 000 à 7 000 habi­tants, qui n’ont pas les mêmes cul­tures de ges­tion. Cepen­dant, un engage­ment a été pris de trans­fér­er pro­gres­sive­ment tous les investisse­ments relat­ifs à l’ac­tiv­ité économique.

Par ailleurs, l’ab­sence de mécan­isme démoc­ra­tique de ges­tion de ces ter­ri­toires est une source de dif­fi­culté pour les électeurs, qui élisent des maires sans pou­voir réel sur des investisse­ments struc­turant et mod­i­fi­ant leur ter­ri­toire. Le pou­voir d’in­vestisse­ment est alors trans­féré à des organ­ismes de sec­ond rang alors que la pop­u­la­tion élit un maire, qui se retrou­ve sans pou­voir. Il fau­dra inévitable­ment, à un moment don­né, que les instances inter­com­mu­nales de déci­sion retrou­vent une vraie légitim­ité démocratique.

À Per­pig­nan, imag­i­nons dans cinq ou dix ans une com­mu­nauté de com­munes qui pren­dra des déci­sions sur qua­tre cinquièmes des investisse­ments alors que les délégués com­mu­nau­taires qui siè­gent ne sont pas con­nus car ils n’ont jamais été dans un débat démoc­ra­tique. Cela ne sera pas viable sur le long terme et le développe­ment de l’in­ter­com­mu­nal­ité devra régler ce débat.

Des nouvelles interrogations sur la fiscalité locale

En out­re, il y a cer­taine­ment des mesures qui auront des con­séquences impor­tantes sur les investisse­ments com­mu­naux. En fonc­tion d’un sché­ma sim­ple ” l’habi­tat coûte, l’ac­tiv­ité rap­porte “, la sup­pres­sion de la part salar­i­ale de la taxe pro­fes­sion­nelle va ten­dre à l’in­verse. Inté­grée à terme dans la dota­tion glob­ale de fonc­tion­nement, c’est-à-dire dans une masse d’ar­gent répar­tie pro­por­tion­nelle­ment à la pop­u­la­tion, cela sera l’habi­tat qui rap­portera et l’ac­tiv­ité qui coûtera. Il est dif­fi­cile de savoir com­bi­en de temps les maires met­tront pour com­pren­dre cette inver­sion et la traduire dans leur pro­gramme d’in­vestisse­ments et dans leur gestion.

Il y a là une dépos­ses­sion de respon­s­abil­ité pour les col­lec­tiv­ités locales, dans leur ges­tion et dans l’élab­o­ra­tion de leur poli­tique d’in­vestisse­ment à l’é­gard de leur fis­cal­ité au prof­it d’une redis­tri­b­u­tion par l’É­tat de l’essen­tiel de leurs ressources. La taxe pro­fes­sion­nelle, qui représente près de 40 % des ressources fis­cales, est cer­taine­ment con­damnée à dis­paraître et l’on se dirige vers des déci­sions qui con­cerneront 2 ou 3 % seule­ment des recettes. Il sera donc néces­saire de gér­er cette nou­velle donne en matière d’investissement.

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