Sébastien Payen et Thibaut Scholasch, dirigeants de Fruition Sciences

L’intelligence artificielle au service de la viticulture

Dossier : TrajectoiresMagazine N°736 Juin 2018
Par Sébastien PAYEN (98)
Par Hervé KABLA (84)

Société fran­co-améri­caine, Fruition sci­ences pro­pose d’ex­ploiter des don­nées col­lec­tées via l’im­plan­ta­tion d’ob­jets con­nec­tés sur le vig­no­ble pour opti­miser la pro­duc­tion du raisin (qual­ité et ren­de­ment) ain­si que l’emploi des ressources (eau, intrants). 

Que permet Fruition Sciences ?

Fruition Sci­ences est une entre­prise fran­co-améri­caine qui aide les pro­fes­sion­nels du monde viti­cole à opti­miser la pro­duc­tion du raisin (qual­ité et ren­de­ment) ain­si que les ressources (eau, intrants). 

Le pro­duit de Fruition est une plate­forme web d’« intel­li­gence vigne » qui per­met de visu­alis­er à tout instant l’état phys­i­ologique de la vigne pour pren­dre des déci­sions comme l’irrigation, la fer­til­i­sa­tion, ou la vendange. 

L’investissement par hectare est extrême­ment vari­able : cela va de quelques euros à quelques cen­taines en fonc­tion des pro­duits. Sur le pro­duit irri­ga­tion, par exem­ple, nous avons mesuré une économie d’eau de 30 à 50 %. Cette économie d’eau est accom­pa­g­née d’une aug­men­ta­tion de la qual­ité du vin et aus­si d’une pro­tec­tion des rendements. 

L’application per­met égale­ment d’économiser du temps, mais nous n’avons pas encore mesuré combien. 

Comment est née l’idée ?

J’ai ren­con­tré Thibaut Scholasch en Cal­i­fornie en 2006. À l’époque, il amorçait une thèse en viti­cul­ture car il obser­vait un besoin pour les domaines viti­coles cal­i­forniens de mieux irriguer pour mieux pilot­er la qual­ité de la récolte. J’étais alors dans ma dernière année de thèse à UC Berkeley. 

Ensem­ble, nous avons conçu l’idée d’une appli­ca­tion web pour col­lecter en temps réel des don­nées sur les vignes et aider les vignerons à mieux irriguer. 

Quel est le parcours des fondateurs ?

Je suis le prési­dent. Après l’X, j’ai obtenu un PhD en ingénierie mécanique de l’université de Cal­i­fornie à Berke­ley et un cer­ti­fi­cat en ges­tion des tech­nolo­gies de Haas Busi­ness School. 

Thibaut Scholasch est vice-prési­dent R&D, ingénieur agronome, et tit­u­laire d’un doc­tor­at en viti­cul­ture à SupA­gro, Mont­pel­li­er, ses recherch­es ont porté sur les vari­a­tions du statut hydrique de la vigne sous des cli­mats arides et ses con­séquences sur la maturité. 

Avant son doc­tor­at, Thibaut tra­vail­lait comme œno­logue pour divers­es entre­pris­es à tra­vers le monde. 

Qui sont les concurrents ?

Il y a dif­férents types d’acteurs dans le domaine de la viti­cul­ture con­nec­tée. Les com­péti­teurs pro­posent des logi­ciels de traça­bil­ité et des ERPs, ou des out­ils d’aide à la déci­sion sur des prob­lé­ma­tiques spé­ci­fiques, comme le traite­ment phy­tosan­i­taire ou l’irrigation.

Aucune société n’offre une approche aus­si sci­en­tifique et inté­grée pour sécuris­er et soutenir la prise de déci­sion dans la con­duite de la vigne. Fruition Sci­ences est unique grâce à la com­bi­nai­son de tech­nolo­gies de l’information et de con­nais­sances expertes en viticulture. 

Quelles ont été les étapes clés depuis la création ?

Capteur de flux de sève dans un vignobleFruition Sci­ences a été créée en décem­bre 2007 en Cal­i­fornie. His­torique­ment ses activ­ités de Napa ont débuté par une solu­tion des­tinée à opti­miser l’irrigation essen­tielle­ment. En 2009, avec l’obtention d’une sub­ven­tion Oseo, nous avons ini­tié une activ­ité de recherche et développe­ment à Montpellier. 

En 2012, je me suis instal­lé en Occ­i­tanie pour accélér­er le développe­ment tech­nique de l’application et amorcer le développe­ment en France. En 2017, nous avons réal­isé un chiffre d’affaires de 2 mil­lions d’euros env­i­ron, avec une ving­taine d’employés et une activ­ité répar­tie entre la France et la Cal­i­fornie principalement. 

Quelles révolutions guettent le secteur viticole ?

La révo­lu­tion qui guette le secteur viti­cole, et qui est déjà en cours, c’est l’usage des objets con­nec­tés. Ces cap­teurs peu onéreux per­me­t­tent de résoudre un des prob­lèmes de la cap­ta­tion de don­nées dans le vig­no­ble : la vari­abil­ité spatiale. 

Il est donc main­tenant pos­si­ble de met­tre autant de cap­teurs que souhaités, et d’obtenir cette infor­ma­tion en temps réel. Cela per­met d’adapter le proces­sus déci­sion­nel immé­di­ate­ment sans atten­dre le bilan de fin de saison. 

La mesure cli­ma­tique sera par­ti­c­ulière­ment touchée par cette révo­lu­tion. En effet, les don­nées sont col­lec­tées grâce à des cap­teurs con­nec­tés qui vont être cou­plés à des mod­èles cli­ma­tiques pour fournir une don­née météo à des réso­lu­tions spa­tiales fines (200 mètres ou moins) et donc presque à la parcelle. 

Ce genre de ser­vice existe déjà puisque Fruition Sci­ences, asso­ciée à la société Weath­er Mea­sures, com­mer­cialise depuis 2018 ce type d’offre. La météo à la par­celle est un enjeu impor­tant en viti­cul­ture car elle per­me­t­tra sans doute de dimin­uer la quan­tité d’intrants util­isés et d’améliorer qual­ité et rendement. 

Quels bouleversements apporte l’exploitation massive de données ?

La viti­cul­ture mod­erne est basée sur plusieurs cen­taines d’années d’expérimentations faites sur les grands ter­roirs français et européens. En out­re, les grands cen­tres de recherche mon­di­aux ont apporté beau­coup d’innovations dans le secteur des évo­lu­tions var­ié­tales notam­ment depuis la grande cat­a­stro­phe du phylloxéra. 

Les enjeux du change­ment cli­ma­tique ont aus­si mon­tré que les pra­tiques doivent s’adapter et les cen­tres de recherche ont dévelop­pé des vig­no­bles expéri­men­taux pour se pré­par­er aux défis de demain. Mais les vig­no­bles expéri­men­taux sont loin de représen­ter l’énorme diver­sité qui existe dans la viti­cul­ture mondiale. 

C’est pour cette rai­son que l’arrivée mas­sive de don­nées provenant des vig­no­bles va totale­ment chang­er la donne. La grande quan­tité de don­nées per­me­t­tra de créer des mod­èles non plus pure­ment mécan­istes, mais des croise­ments entre les data sci­ences et une com­préhen­sion experte des mécan­ismes phys­i­ologiques qui régis­sent les vignes et leurs fruits. 

Ces nou­veaux mod­èles seront con­stru­its pour appren­dre au fur et à mesure et per­me­t­tront donc d’accélérer l’adaptation des vig­no­bles aux change­ments climatiques. 

Cette approche convient-elle à toutes les tailles d’exploitations ?

C’est la beauté de la mise en com­mun des don­nées. Ce genre d’approche per­me­t­tra aux petits vignerons de béné­fici­er de l’accumulation de con­nais­sances sur tous les ter­roirs du monde. En out­re, il ne s’agit pas d’uniformiser la façon de faire du vin ou son goût, au con­traire ! Cette approche per­met de remet­tre le ter­roir et la plante au cen­tre du débat et ain­si d’en extraire la quintessence. 

En révélant les car­ac­téris­tiques uniques, il devient pos­si­ble de mieux respecter les spé­ci­ficités locales pour main­tenir et ren­forcer l’originalité des con­di­tions de pro­duc­tion de chaque région. 

Et à l’international ?

L’ADN de Fruition Sci­ences est inter­na­tion­al depuis sa créa­tion. Nous sommes con­va­in­cus que la com­préhen­sion de ter­roirs comme la val­lée de Napa est cru­ciale pour notre développe­ment et notre capac­ité à apporter des solu­tions per­ti­nentes en France. 

Ain­si, les sécher­ess­es à répéti­tion vues en Cal­i­fornie pré­fig­urent ce qui va se pass­er dans le bassin méditer­ranéen et donc la con­nais­sance issue de la don­née col­lec­tée en Cal­i­fornie nous per­me­t­tra d’aider le vig­no­ble français. 

L’agriculture du futur passera-t-elle par l’intelligence artificielle ?

C’est pos­si­ble mais, en tout cas en viti­cul­ture, nous en sommes encore loin. Notre objec­tif à Fruition Sci­ences est plutôt de remet­tre la vigne au cen­tre du débat et d’exploiter au mieux les mécan­ismes phys­i­ologiques incroy­able­ment effi­caces des plantes. 

Il s’agit donc de créer l’« intel­li­gence vigne » de demain pour accom­pa­g­n­er le proces­sus de déci­sion des femmes et des hommes sur le terrain !

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