Train atterrissage avec pneus Michelin

L’innovation ouverte est morte, vivent les organisations ouvertes !

Dossier : Open innovationMagazine N°722 Février 2017
Par Albert MEIGE

Pour Albert MEIGE l’in­no­va­tion ouverte est déjà une étape inté­grée dans les entre­pris­es, c’est pourquoi il passe déjà à l’é­tape suiv­ante, celle de l’or­gan­i­sa­tion ouverte. Ensuite s’en­chaîne les élé­ments d’un futur plus radieux pour tous, la fin du tra­vail que nous con­nais­sons avec la mobil­i­sa­tion des tal­ents à la demande pour chaque projet.

Comme tou­jours, quelques entre­pris­es pio­nnières inven­tent de nou­velles pra­tiques man­agéri­ales pour s’adapter à leur envi­ron­nement – pour sur­vivre. Ces pra­tiques sont ensuite dif­fusées, notam­ment par les grands cab­i­nets de con­seil aux autres entre­pris­es. Enfin, ces pra­tiques sont théorisées par des pro­fesseurs bril­lants du monde académique, parachevant la dif­fu­sion de ces pratiques. 

Il y a quinze ans, le terme open inno­va­tion – inno­va­tion ouverte – était pro­posé par le pro­fesseur Hen­ry Ches­brough, de Berke­ley, pour décrire un ensem­ble de pra­tiques inven­tées par quelques entre­pris­es améri­caines vingt ans avant. 

En 2017, où en sommes-nous quant à l’innovation ouverte ? Mode ? Réal­ité ? Tau­tolo­gie ? Germe d’autres évolutions ? 

REPÈRES

Selon Henry Chesbrough : « L’innovation ouverte prétend que le futur appartient à ceux qui seront les meilleurs pour intégrer le meilleur de leurs idées et capacités internes avec le meilleur des idées et capacités de l’extérieur.
Concevoir et orchestrer un réseau global de capacités est la base d’un futur plus radieux pour nous tous. »
 
Henry Chesbrough à Berkeley
 

INNOVATION OUVERTE : CONDITION SINE QUA NON POUR SURVIVRE

Depuis une quin­zaine d’années, les chaînes de valeur ont été com­plète­ment recon­fig­urées à une vitesse ful­gu­rante. Or, dans un monde extrême­ment mou­vant, l’organisation tra­di­tion­nelle des entre­pris­es n’est plus adaptée. 

Non seule­ment l’innovation ouverte est la réponse dar­wini­enne à un change­ment rapi­de de l’environnement, mais elle est le germe de boule­verse­ments bien plus pro­fonds des organisations. 

“ L’open innovation est le germe de bouleversements profonds des organisations ”

Trois ten­dances dis­rup­tives bous­cu­lent nos entre­pris­es. Tout d’abord, on assiste à une infla­tion expo­nen­tielle du vol­ume des con­nais­sances. Cette année, la quan­tité de pub­li­ca­tions sci­en­tifiques dans le monde dépassera les 5 mil­lions et le nom­bre de brevets avoisin­era le million. 

Ces con­nais­sances sont par ailleurs de plus en plus frag­men­tées : elles sont générées par des entités dont la taille moyenne diminue. 

Ensuite, le rythme auquel un nou­veau pro­duit devient une com­mod­ité s’accélère. En quelques années, le délai de con­cep­tion d’un avion est passé de dix à sept ans. Pour con­tin­uer à se dif­férenci­er, préserv­er leurs marges et con­serv­er leurs clients, la ten­dance est d’associer aux pro­duits des services. 

LES FONDS D’INVESTISSEMENT COMME ENTREPRISES OUVERTES

Certains fonds d’investissement figurent assez bien cette entreprise du futur : chacune des start-ups qui composent leur portefeuille est autonome et relativement fragile mais, au niveau macroscopique, l’ensemble est robuste et progresse symbiotiquement dans une perspective stratégique globale.

Miche­lin, sur son seg­ment pro­fes­sion­nel, ne vend plus des pneus, mais des kilo­mètres d’atterrissage. Cette ten­dance à la « ser­vi­ci­sa­tion » se généralise à tous les secteurs industriels. 

Enfin, la numéri­sa­tion pré­cip­ite la recon­fig­u­ra­tion des chaînes de valeur tra­di­tion­nelles. Il y a quinze ans, l’industrie de la musique était com­plète­ment trans­for­mée par un acteur du numérique, Apple. Aujourd’hui, il s’agit du trans­port, du loge­ment, de la banque, de l’assurance, etc. ; des secteurs essen­tielle­ment B2C – c’est la pre­mière vague. 

Mais la sec­onde vague arrive : les mêmes straté­gies dites « de plate­forme » sont en train de voir le jour dans les secteurs B2B indus­triels. GE est en train de déploy­er la même stratégie qu’Apple avec l’AppStore, mais pour des appli­ca­tions industrielles. 

Con­séquence directe de ces trois ten­dances : pour tir­er par­ti de con­nais­sances exogènes pour innover plus vite dans un con­texte numérique, l’open inno­va­tion appa­raît comme un impératif absolu. Et comme un pléonasme. En effet, com­ment l’innovation pour­rait-elle ne pas être ouverte ? En réal­ité, c’est même d’organisation ouverte qu’il faudrait parler. 

DE L’INNOVATION OUVERTE À L’ORGANISATION OUVERTE

Pour innover mieux, plus et plus vite, toute l’organisation doit chang­er. De spa­tiale – aller chercher l’expertise là où elle se trou­ve –, la fron­tière devient tem­porelle : faire per­dur­er cette capac­ité. C’est pourquoi toutes les grandes entre­pris­es, han­tées par le spec­tre Kodak, se deman­dent com­ment attein­dre l’agilité d’une start-up mal­gré leurs dizaines ou cen­taines de mil­liers de collaborateurs. 


Miche­lin ne vend plus de pneus, mais des kilo­mètres d’atterrissage. © ALEXANDRE / FOTOLIA.COM

La réponse est une nou­velle forme d’organisation. Une entre­prise ouverte et décen­tral­isée, dynamique et numérisée. Les précurseurs en sont déjà visibles. 

Tout d’abord, les précurseurs sont vis­i­bles locale­ment au sein d’entreprises tra­di­tion­nelles, sou­vent par le biais de nou­veaux venus dans l’organigramme – le directeur inno­va­tion, le directeur de la trans­for­ma­tion numérique, etc. Mais aus­si par de nou­veaux out­ils – incu­ba­teurs, accéléra­teurs, inno­va­tion labs, etc. 

Autant d’initiatives locales dont l’objectif, au fond, est d’injecter de l’agilité au sein de l’entreprise.

Ensuite, ces précurseurs sont aus­si vis­i­bles à l’échelle d’entreprises dans leur glob­al­ité. Des entre­pris­es dans lesquelles le sys­tème pyra­mi­dal, jugé inef­fi­cace dans un con­texte mou­vant, est aban­don­né. Cer­taines entre­pris­es dites « libérées » témoignent avec suc­cès de ce type d’organisation.

LES START-UPS CHANGENT LE MONDE DES ORGANISATIONS

Par­al­lèle­ment, de nom­breuses start-ups innovent dans le domaine du recrute­ment, des ressources humaines et de l’organisation afin de répon­dre à ce nou­veau besoin de flex­i­bil­ité des entre­pris­es. Des start-ups vision­naires imag­i­nent déjà les entre­pris­es décen­tral­isées de demain, dont la gou­ver­nance s’appuiera sur la blockchain. 

D’autres start-ups se posi­tion­nent tout le long de la chaîne de valeur du recrute­ment : l’identification, la qual­i­fi­ca­tion, la con­trac­tu­al­i­sa­tion, la rémunéra­tion, etc. Grâce au numérique, toutes les sources d’inefficience de cette chaîne sont réduites. 

Nous entrons dans un monde dans lequel le numérique per­met d’identifier, de qual­i­fi­er et de mobilis­er des tal­ents à la demande. Même de créer des équipes mul­ti­dis­ci­plinaires à la demande. Le temps d’un pro­jet. C’est Uber, mais pour les métiers de l’entreprise.

EN MARCHE VERS UN NOUVEL ORDRE ?

Ain­si, le numérique est à la fois une des ten­dances dis­rup­tives qui bous­cu­lent nos entre­pris­es, mais aus­si l’outil qui per­met la muta­tion de celles-ci, l’ouverture et la décen­tral­i­sa­tion – pour survivre. 

“ C’est la fin de l’entreprise née de la révolution industrielle ”

Un phar­makon de l’agilité. C’est la fin du tra­vail que nous con­nais­sons. La fin du salari­at. La fin de l’entreprise née de la révo­lu­tion indus­trielle. C’est inévitable. Il est vain de chercher à frein­er cette transformation. 

Bien au con­traire, il est temps que nos hommes et nos femmes poli­tiques se met­tent en marche pour accom­pa­g­n­er nos entre­pris­es, afin que cette révo­lu­tion ne soit pas syn­onyme de régres­sion sociale, mais bien de progrès. 

En 2033, je ne travaille plus… je transfère.
 

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