L’information dans notre vie

Dossier : Arts, Lettres et SciencesMagazine N°579 Novembre 2002Par : Philippe BÉATRIX (54)Rédacteur : Gérard de LIGNY (43)Editeur : Puteaux – Édition ERGA – 2002 - 8, square Léon Blum. 92800 Puteaux. Tél. : 01.47.75.30.82

L’auteur a eu un choc en lisant dans Le Monde du 27 juin 2001 une décla­ra­tion de Chris­tian Pier­ret : “ Le Net est la chair et le sang de la République. ”

Ayant réflé­chi depuis long­temps au pro­ces­sus qui conduit de l’information à la com­pé­tence et à la bonne conduite de nos affaires, il a jugé utile, sans inten­tion polé­mique, de tirer au clair les pos­si­bi­li­tés des nou­veaux moyens d’information et la limite des pro­fits qu’on peut en attendre.

Son livre met d’abord un peu d’ordre dans la diver­si­té des types d’informations, en dis­tin­guant prio­ri­tai­re­ment celles qui relèvent du “ codi­fiable ” et du “ quan­ti­fiable ” et celles qui ont un conte­nu plus mou, plus défor­mable, avec en plus très sou­vent une cer­taine dose d’affectivité.

Les pre­mières ont été magis­tra­le­ment ser­vies par les nou­velles tech­no­lo­gies, mal­gré quelques graves dif­fi­cul­tés de com­pac­tage et de synthèse.

Les deuxièmes ont pro­fi­té encore plus que les pre­mières de l’explosion des capa­ci­tés de trans­mis­sion, mais peuvent souf­frir de graves lacunes à l’émission et plus encore à la réception.

L’auteur nous fait prendre conscience que la “ théo­rie de l’information ”, fruit des tra­vaux de Shan­non et de ses suc­ces­seurs, ne traite que de la trans­mis­sion de l’information. Mal­gré ses résul­tats remar­quables, elle n’empêche pas les émet­teurs d’avoir des inten­tions, très diverses et non affi­chées, quant à la cible qu’ils visent et à l’effet qu’ils veulent pro­duire sur les récep­teurs : soit les docu­men­ter objec­ti­ve­ment, soit leur plaire, soit les inquié­ter, soit les convaincre…

Ces inten­tions ne réagissent pas seule­ment sur la forme (lan­gage) et le conte­nu de l’information, mais sur le volume de sa dif­fu­sion (qui est la clé du bour­rage de crâne).

De son côté, le récep­teur atten­tif ne se contente pas de voir des taches lumi­neuses ni d’entendre des sons iso­lés. À moins qu’il ne s’arrête à l’émotion ins­tan­ta­née pro­vo­quée par ces taches et ces sons, il doit les per­ce­voir, les loca­li­ser dans son champ de connais­sances déjà acquises et les mémo­ri­ser. Le cer­veau humain ne réa­lise ces opé­ra­tions qu’à la vitesse d’une dizaine de “ shan­nons ” (uni­té d’information) par seconde. Cette vitesse est à com­pa­rer au débit des moyens actuels de la trans­mis­sion qui est 1 000 fois à 10 000 fois plus éle­vé et ne consti­tue donc pas le goulet.

Certes l’avantage des grands débits reste consi­dé­rable, car ils per­mettent d’accroître énor­mé­ment la diver­si­té des infor­ma­tions acces­sibles et l’étendue du champ de recherche du récepteur.

Mal­heu­reu­se­ment, autant le récep­teur pas­sif – ne cher­chant que l’émotion fugi­tive – est com­blé par la fécon­di­té des émet­teurs “ push ”, autant le récep­teur actif, qui veut tirer (pull) une infor­ma­tion pré­cise de la masse d’informations emma­ga­si­nées, est mal aidé dans sa recherche ; soit parce que le maga­sin n’est pas ran­gé en fonc­tion de ses besoins, soit parce que les moteurs de recherche sont rudi­men­taires. Or, en nous décri­vant les per­for­mances limi­tées de “ l’intelligence arti­fi­cielle ” et la non-ren­ta­bi­li­té des sys­tèmes experts sur mesure, l’auteur nous fait com­prendre que la recherche docu­men­taire exi­ge­ra encore long­temps l’intervention de cer­veaux humains agiles à rebon­dir d’un sou­ve­nir sur un autre, sans refu­ser pour autant l’aide du “ Net ”.

Dans les der­niers cha­pitres de son livre, l’auteur nous parle des effets pra­tiques d’une infor­ma­tion abon­dante – même cor­rec­te­ment digé­rée – sur la conduite de notre vie. Sur ce cha­pitre, il est très élo­quent : rien que des com­pli­ments pour l’information opé­ra­tion­nelle des entre­prises ain­si que pour l’information régle­men­taire, juri­dique, normative.

Encore que la faci­li­té de les enri­chir donne envie à l’émetteur de les com­plexi­fier de plus en plus (la décla­ra­tion d’impôt sur le reve­nu, com­pa­rée d’une décen­nie à l’autre en est une belle illus­tra­tion). Nous ris­quons donc un jour l’étouffement.

Ce jour est déjà arri­vé pour les infor­ma­tions à conte­nu mou et défor­mable béné­fi­ciant d’un dif­fu­seur “ push ” vigou­reux. Dif­fi­cile, pour le récep­teur sans défense d’y dis­tin­guer le vrai du faux, ou la place du “ non-dit ”.

L’impact de cette infor­ma­tion est géné­ra­le­ment pro­por­tion­nel à la puis­sance de son haut-par­leur ; et les contra­dic­tions appor­tées par la diver­si­té des émet­teurs conduisent au scep­ti­cisme plus qu’à la vérité.

L’auteur pro­pose alors au récep­teur quelques remèdes de bon sens aux risques de sub­mer­sion ou d’intimidation. Il est moins confiant sur la façon d’endiguer la com­plexi­té des règle­ments et des orga­ni­sa­tions : car depuis des siècles le com­plexe a tou­jours vain­cu le simple.

L’ouvrage se ter­mine par quelques pages savou­reuses sur les graves défor­ma­tions dont ont souf­fert les infor­ma­tions éco­no­miques, telles que l’indice de pro­duc­ti­vi­té, le PIB, le taux d’inflation, où le Net – il faut le recon­naître – n’a aucune responsabilité.

Voi­là donc un ouvrage qui, sans pro­phé­tie ni polé­mique, faci­lite la com­pré­hen­sion d’une évo­lu­tion socio­tech­nique entou­rée d’un cer­tain flou et d’un excès de lyrisme. Sa pré­sen­ta­tion est un peu aus­tère, avec quelques pages assez tech­niques qui ne visent pas tout à fait le même lec­to­rat que les pages ter­mi­nales – plus conformes au titre L’information dans notre vie. Mais le style est clair, le voca­bu­laire pré­cis, et le lec­teur est bien payé du petit effort qui lui a été demandé.

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