L’Inde et la Chine s’engagent face au réchauffement climatique

Dossier : La transition énergétiqueMagazine N°689 Novembre 2013
Par Jean-Pascal TRANIÉ (79)

La crois­sance en Inde et en Chine han­di­cape lour­de­ment le décou­plage des émis­sions car­bone et de l’économie. Pour autant, ces deux pays adoptent des poli­tiques volon­ta­ristes car les enjeux ne manquent pas :
enjeux envi­ron­ne­men­taux avec la pol­lu­tion et ses impacts sur la san­té des populations,

La crois­sance en Inde et en Chine han­di­cape lour­de­ment le décou­plage des émis­sions car­bone et de l’économie. Pour autant, ces deux pays adoptent des poli­tiques volon­ta­ristes car les enjeux ne manquent pas :
enjeux envi­ron­ne­men­taux avec la pol­lu­tion et ses impacts sur la san­té des populations,
enjeux éco­no­miques avec la construc­tion d’une indé­pen­dance natio­nale, mais aus­si la construc­tion de filières indus­trielles d’avenir dans les éner­gies renou­ve­lables, le nucléaire ou le véhi­cule électrique,
enjeux sociaux et poli­tiques avec des citoyens de plus en plus mobilisés.

La Chine est le plus grand inves­tis­seur mon­dial dans les éner­gies vertes

La Chine est d’ores et déjà le plus grand inves­tis­seur mon­dial dans les éner­gies vertes, et un labo­ra­toire à grande échelle pour appli­quer les solu­tions les plus inno­vantes en matière de ges­tion rai­son­née de la consom­ma­tion, dans le domaine des trans­ports, du bâti­ment, de la ville.

L’Inde a pris des posi­tions impor­tantes dans l’éolien, et encou­rage la pro­duc­tion d’énergie, notam­ment solaire, pour rééqui­li­brer sa balance commerciale.

REPÈRES
Dès 2020, l’Inde et la Chine repré­sen­te­ront 30% de la demande mon­diale d’énergie pri­maire, avec une consom­ma­tion mul­ti­pliée par 2,5 en vingt ans. L’impact est encore plus fort dans le sec­teur élec­trique avec une consom­ma­tion mul­ti­pliée par 6 en Chine et 3,5 en Inde. Sous une telle contrainte, le char­bon dont ces deux pays sont res­pec­ti­ve­ment le pre­mier et le troi­sième pro­duc­teur mon­dial reste le com­bus­tible de réfé­rence à moyen terme, pesant ain­si lour­de­ment sur l’augmentation des émis­sions de CO2 dans le monde.

INDE : UN DÉFICIT ÉNERGÉTIQUE CHRONIQUE

Des coupures de courant

L’impact du défi­cit éner­gé­tique de 9 % (en volume) à l’échelle natio­nale est ampli­fié loca­le­ment par des dis­pa­ri­tés entre États et entre types de consommateurs.

Tou­jours au charbon
La filière du char­bon repré­sen­te­ra, selon l’AIE, encore 51% du mix éner­gé­tique indien en 2035 (contre 53 % aujourd’hui), mal­gré le sou­tien appor­té à l’hydroélectricité, à l’énergie nucléaire (l’embargo ayant été levé en 2008) et aux éner­gies renouvelables.

Sur une grande par­tie du ter­ri­toire, les consom­ma­teurs indus­triels sont confron­tés à des cou­pures de cou­rant qui repré­sentent jusqu’à 50% de leur consom­ma­tion journalière.

En juillet 2012, un black-out mas­sif a plon­gé dans le noir tout le nord du pays (600 mil­lions de per­sonnes) pen­dant deux jours, en rai­son du non-res­pect des limites de ponc­tion sur le réseau et de retraits mas­sifs et simul­ta­nés. Cette situa­tion semble devoir per­du­rer alors que les besoins du pays conti­nuent de croître : le gou­ver­ne­ment indien estime devoir ajou­ter 90 GW de puis­sance élec­trique ins­tal­lée au cours du 12e Plan quin­quen­nal (2011−2015) afin d’y pourvoir.

Le solaire, alternative au diesel

Le mar­ché du solaire indien a récem­ment pris son essor, avec une capa­ci­té ins­tal­lée pas­sant de moins de 20 MW à plus de 1 000 MW au cours des deux der­nières années. Les tarifs de rachat des appels d’offres récents sont com­pa­rables aux tarifs d’électricité réseau mar­gi­naux que paient aujourd’hui les clients indus­triels ou com­mer­ciaux de cer­tains États indiens.

En pre­nant en compte la baisse pro­gres­sive des prix de l’électricité solaire (5 % à 7 % par an) et la hausse conti­nue de l’électricité conven­tion­nelle (hausse esti­mée entre 4% et 5% par an), on constate que l’Inde pour­rait atteindre la « pari­té réseau » à l’horizon de deux à trois ans. Cette pari­té est du reste déjà effec­tive au niveau de la pro­duc­tion d’électricité hors réseau, qui repré­sente un sec­teur impor­tant en Inde.

Afin de pal­lier les cou­pures d’électricité régu­lières, la plu­part des indus­triels et des entre­prises com­mer­ciales font appel à des géné­ra­teurs die­sels plu­sieurs heures par jour. Les alter­na­tives solaires deviennent de plus en plus attractives.

L’Inde vient d’engager une réforme dras­tique des sub­ven­tions pétrolières

Dans un contexte de défi­cit fis­cal impor­tant (autour de 5%), le gou­ver­ne­ment vient d’engager une réforme dras­tique des sub­ven­tions pétro­lières, qui repré­sentent le plus gros poste de dépenses du bud­get de l’État avec un mon­tant de 11,4 mil­liards de dol­lars en 2011–2012. Le prix du die­sel à la pompe a aug­men­té de 26 % en un an pour atteindre 0,96 dol­lar en juillet. En dépit de ces hausses les pétro­liers perdent encore envi­ron 8,1 rou­pies par litre sur le die­sel, soit 0,13 dol­lar, et la ten­dance haus­sière devrait se poursuivre.

Dans ce contexte, le mar­ché du solaire hors réseau (rem­pla­ce­ment die­sel et pose sur les toi­tures pour usage cap­tif) repré­sente un poten­tiel de pro­duc­tion de 6 000 MW (dont 2 000 MW pour le seul « rem­pla­ce­ment die­sel ») alors que le poten­tiel total du mar­ché solaire en Inde est esti­mé à 12 500 MW d’ici 2016–2017.

Un réseau vétuste

L’Inde pos­sède des leviers d’amélioration consi­dé­rables dans la ges­tion et la consom­ma­tion de son éner­gie. En moyenne 30 % de l’électricité géné­rée se perd dans un réseau élec­trique vétuste et dégra­dé (contre 11% en moyenne dans les pays de l’OCDE). Les sec­teurs de l’industrie et du bâti­ment repré­sentent cha­cun plus de 30 % de la consom­ma­tion d’énergie totale du pays.

Dans le sec­teur immo­bi­lier, les deux tiers des bâti­ments qui exis­te­ront en Inde en 2030 n’ont pas encore été construits, ce qui per­met d’anticiper la mise en place de solu­tions d’efficacité éner­gé­tique qui pour­raient repré­sen­ter un gain de 42 mil­liards de dol­lars d’ici 2020.

CHINE : UN OGRE ÉNERGÉTIQUE

En 2006, la Chine est deve­nue le pre­mier émet­teur d’émission car­bone. La part du char­bon dans la pro­duc­tion élec­trique est res­tée stable à 75 % au cours de la décen­nie pas­sée, mal­gré le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables. La pol­lu­tion a un coût éco­no­mique esti­mé à 64 mil­liards par an par l’OCDE, mais aus­si un coût social et poli­tique : la moi­tié des mani­fes­ta­tions en Chine portent aujourd’hui sur des reven­di­ca­tions de nature environnementale.

Une pollution alarmante

Après l’eau (un tiers des rejets indus­triels et deux tiers des eaux usées domes­tiques sont direc­te­ment ver­sés dans les cours d’eau), la pol­lu­tion de l’air est la plus alar­mante en Chine, consé­quence de la crois­sance indus­trielle et de l’urbanisation effré­née, avec un parc auto­mo­bile qui devrait atteindre 200 mil­lions de véhi­cules à la fin de la décen­nie contre 100 mil­lions aujourd’hui. Selon l’OMS, cette pol­lu­tion de l’air cause plus de 300 000 décès pré­ma­tu­rés par an.

Un plan quinquennal

L’in­ten­si­té énergétique
L’in­ten­si­té éner­gé­tique est une mesure de l’ef­fi­ca­ci­té éner­gé­tique d’une éco­no­mie. Elle est cal­cu­lée comme le rap­port de la consom­ma­tion d’éner­gie au pro­duit inté­rieur brut.

Le nou­veau Plan quin­quen­nal éner­gé­tique chi­nois, publié en jan­vier 2013, confirme les objec­tifs de réduc­tion de l’intensité éner­gé­tique et des émis­sions de CO2 déjà adop­tés en 2011, avec une consom­ma­tion d’énergie de 4 mil­liards de tonnes équi­valent char­bon (Gtec) en 2015, soit à peine plus que les 3,25 Gtec de 2010. Pour atteindre cet objec­tif, non contrai­gnant, il lui fau­dra limi­ter la hausse de la consom­ma­tion éner­gé­tique dans une crois­sance supé­rieure à 7 %. Ses indi­ca­teurs sur cinq ans (2010−1015) sont la réduc­tion de l’intensité éner­gé­tique de 16%; la réduc­tion des émis­sions de CO2 par uni­té de PIB de 17%; l’augmentation des éner­gies non fos­siles dans la consom­ma­tion d’énergie pri­maire (de 8,6% à 11,4 %).

Pour la pre­mière fois, un double contrôle por­tant sur la consom­ma­tion totale d’énergie et sur « l’intensité éner­gé­tique » est mis en oeuvre au niveau local, avec un sui­vi des résul­tats et des actions correctives.

Solaire et éthanol

Une place non négli­geable est accor­dée aux éner­gies non fos­siles. L’hydraulique reste un axe majeur avec des pro­jets dans la filia­tion du monu­men­tal bar­rage des Trois-Gorges, d’une capa­ci­té de 22 500 MW, en pleine acti­vi­té depuis 2009, et 40 % des réac­teurs nucléaires en construc­tion dans le monde sont en Chine (28 sur 69, source AIEA).

L’éolien et le solaire consti­tuent l’accroissement le plus signi­fi­ca­tif en termes rela­tifs dans le Plan quin­quen­nal. La capa­ci­té de pro­duc­tion d’énergie éolienne devrait tri­pler pour atteindre 100 GW en 2015, avec un pro­blème de connexion au réseau très sub­stan­tiel, les capa­ci­tés rac­cor­dées ne repré­sen­tant que 13 GW l’année dernière.

Le solaire vise 21 GW contre seule­ment 1 GW en 2010, dont une méga­cen­trale de 100 MW dans la ville de Dun­huang, en cours de construction.

Vers l’éthanol cellulosique
La Chine est le qua­trième pro­duc­teur mon­dial de bioé­tha­nol, et vise avec son « pro­gramme pour le déve­lop­pe­ment à moyen et long terme de l’énergie renou­ve­lable », ini­tié en 2007, une pro­duc­tion de 10 mil­lions de tonnes de bioé­tha­nol et 2 mil­lions de tonnes de bio­die­sel d’ici 2020, avec pour objec­tif de rem­pla­cer 15% de sa consom­ma­tion totale de gasoil.
Alors que la Chine est deve­nue net impor­ta­teur de maïs, blé et riz en 2011, le gou­ver­ne­ment cherche à réorien­ter la recherche et la pro­duc­tion vers l’éthanol de deuxième géné­ra­tion, notam­ment l’éthanol cel­lu­lo­sique (pro­duc­tion à par­tir de rési­dus agri­coles, fores­tiers, ou à par­tir de plantes non comestibles).

Des solutions locales

Mais les Chi­nois n’ont pas atten­du le Plan pour s’équiper, et plus de 10 % des ménages uti­lisent déjà des chauffe-eau solaires, avec 150 mil­lions de mètres car­rés cou­verts en 2010, ce qui repré­sen­tait la moi­tié de la capa­ci­té mondiale.

Des solu­tions locales se déve­loppent comme l’utilisation du gaz natu­rel com­pres­sé à 200 bars pro­ve­nant du gri­sou des mines de la région de Xian pour faire fonc­tion­ner les bus et les taxis, avec un impor­tant poten­tiel de déve­lop­pe­ment, la Chine n’ayant que la sixième flotte mon­diale en la matière.

Une croissance moins carbonée

La Chine, l’Inde, le Bré­sil et l’Afrique du Sud ont accep­té en décembre 2011, à Dur­ban, de tra­vailler sur un trai­té inter­na­tio­nal qui limi­te­rait éga­le­ment les émis­sions car­bone des éco­no­mies émer­gentes. Ce trai­té pour­rait voir le jour en 2015 et prendre effet en 2020.

La pol­lu­tion de l’air cause plus de 300 000 décès pré­ma­tu­rés par an

L’Inde annonce la mise en place d’une com­mis­sion d’études pour défi­nir une poli­tique de réduc­tion de ses émis­sions dans le cadre d’un tel traité.

La Chine est sur le point de lan­cer son pre­mier mar­ché car­bone pilote dans la ville de Shenz­hen, qui devra être pro­chai­ne­ment sui­vie par Pékin, Shan­ghai, Tian­jin et Chong­qing, puis par les pro­vinces de Guang­dong et Hubei, avant de peut-être faire place à un mar­ché natio­nal à par­tir de 2015.

Même si ces évo­lu­tions peuvent sem­bler trop lentes au vu des enjeux, elles marquent un véri­table tour­nant dans la posi­tion de ces deux grandes éco­no­mies à l’égard du chan­ge­ment climatique.

Mais il est peu pro­bable que ces actions soient enga­gées sans contre­par­tie, et les pays de l’OCDE doivent s’attendre à appor­ter une contri­bu­tion accrue à l’effort com­mun, de la réduc­tion des droits de douane sur les cel­lules pho­to­vol­taïques au rachat de cré­dits car­bone issus de pro­jets en Inde et en Chine.

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