L’immigration clandestine en France : mécanismes et conséquences

Dossier : La démographie déséquilibréeMagazine N°639 Novembre 2008
Par François-Noël BUFFET

Du rap­port séna­to­r­i­al, il faut retenir quelques points essentiels.

Tout d’abord, la désagréable sur­prise de con­stater une grande indi­gence des sta­tis­tiques offi­cielles. Les esti­ma­tions du min­istère de l’In­térieur sont très floues et vont de 200 000 à plus de 400 000 clan­des­tins pour la seule France mét­ro­pol­i­taine. Ensuite, plutôt que de par­ler d’im­mi­gra­tion clan­des­tine, il con­viendrait de par­ler d’im­mi­gra­tion ” irrégulière ” : on entre de manière légale, avec par exem­ple un visa touris­tique, puis l’on reste au-delà du délai légal en se faisant remar­quer le moins pos­si­ble ou bien en faisant une demande d’asile. En troisième lieu, il faut faire une dis­tinc­tion majeure entre la sit­u­a­tion de la métro­pole et celle des départe­ments et ter­ri­toires d’outre-mer.

Enquête séna­to­ri­ale
En novem­bre 2005, le Sénat a mis sur pied une com­mis­sion d’enquête de 22 par­lemen­taires sur l’immigration clandestine.
Son prési­dent était Georges Othily, séna­teur de la Guyane, et son rap­por­teur l’auteur du présent article.
La com­mis­sion a organ­isé soix­ante-quinze audi­tions offi­cielles d’associations, d’universitaires, de psy­cho­logues, de juristes spé­cial­istes du droit du tra­vail, etc.
Elle a vis­ité sur place des cen­tres de regroupe­ment et des bidonvilles à Lyon, à Mar­seille, en région parisi­enne, à l’aéroport de Rois­sy. Elle s’est ren­due en Guyane, à la Guade­loupe et Saint-Mar­tin, sur les îles de May­otte, la Réu­nion et Grande Comore, nous avons même envoyé une mis­sion de col­lecte de ren­seigne­ments en Roumanie…
Le rap­port d’enquête a été pub­lié en avril 2006.

Si en métro­pole la pro­por­tion des clan­des­tins atteignait celle de l’outre-mer, ceux-ci y seraient 18 mil­lions ! Les ” clan­des­tins ” sont 19 000 à Saint-Lau­rent-du-Maroni, à la fron­tière ouest de la Guyane, sur une pop­u­la­tion totale de 35 000 habitants.

19 000 clan­des­tins sur 35 000 habi­tants à Saint Lau­rent du Maroni

Ils sont 4 500 dans le vil­lage de Mamoudia dans l’île de May­otte. Les clan­des­tins de la Guade­loupe et de Saint-Mar­tin sont bien sou­vent des Haï­tiens fuyant la mis­ère, tout comme à May­otte, les Comoriens de Grande Comore et d’An­jouan. Les clan­des­tins de Guyane sont essen­tielle­ment des Suri­namiens, dont le pays a subi une longue guerre civile, il leur suf­fit de franchir le Maroni, il y a aus­si dans ce départe­ment quelques Brésiliens cher­chant l’or ou le caoutchouc dans les pro­fondeurs de la forêt et vivant en groupes par­ti­c­ulière­ment violents.

Bien enten­du nous sommes con­scients que la mis­ère des clan­des­tins est le prob­lème prin­ci­pal et que dévelop­per ou ” codévelop­per ” les pays de départ serait la meilleure solu­tion. Les méth­odes util­isées jusqu’i­ci, en par­ti­c­uli­er l’aide finan­cière d’É­tat à État, n’ont pas, de loin, don­né les résul­tats espérés. Trop de fonds dis­parais­sent dans la cor­rup­tion. Désor­mais les ambas­sadeurs de France sont chargés de recon­naître les pro­jets sérieux et de gér­er les fonds de l’aide. 

Des méthodes et des filières bien rodées

Quelles méth­odes les clan­des­tins utilisent-ils pour amélior­er leurs chances et essay­er de légalis­er leur situation ?

La pre­mière action est de détru­ire sys­té­ma­tique­ment tous les papiers offi­ciels les con­cer­nant : il ne faut pas qu’ils puis­sent être iden­ti­fiés. Ajoutons‑y la très courante fraude doc­u­men­taire, les mater­nités sur le ter­ri­toire français, les mariages de com­plai­sance et les fauss­es recon­nais­sances de paternité.

Des deman­des d’asile en diminution :
57 000 en 2004 puis 52 000 en 2005 et env­i­ron 35 000 en 2006 (pour la France mét­ro­pol­i­taine). Ces deman­des provi­en­nent de plus en plus sou­vent d’Eu­ropéens de l’Est. Les taux d’ac­cep­ta­tion sont de l’or­dre du tiers.

Bien enten­du un cer­tain nom­bre de légen­des sont col­portées par les passeurs qui y ont intérêt. Ils ten­tent de con­va­in­cre les can­di­dats au départ en leur dis­ant qu’ils auront automa­tique­ment la nation­al­ité française si leur enfant naît sur le ter­ri­toire français. Ce n’est pas vrai bien sûr, seul l’en­fant aura cette nation­al­ité, sur sa demande, à l’âge de dix-huit ans.

Pré­cisons que les passeurs des Comores deman­dent 150 à 200 euros pour un pas­sage et utilisent des bar­ques rapi­des à moteur pou­vant embar­quer jusqu’à trente clan­des­tins. Bien enten­du les ten­ta­tives de pas­sage ont en général lieu de nuit et les passeurs n’hési­tent pas à jeter leurs pas­sagers à la mer s’ils esti­ment que le risque d’un con­trôle est trop élevé.

Une sit­u­a­tion kafkaïenne que le gou­verne­ment s’est effor­cé de corriger

Com­ment réagis­sent les autorités français­es ? En organ­isant un recense­ment et en réduisant les droits cou­tu­miers d’une part, et en aug­men­tant les con­trôles et les moyens de la Marine nationale (radars) ain­si que la recon­duite immé­di­ate des clan­des­tins pris sur le fait. D’ailleurs ceux-ci n’es­saient pas, en général, d’u­tilis­er des moyens juridiques pour retarder leur expul­sion, ils la pren­nent avec fatal­isme, se dis­ant qu’ils réus­siront la prochaine fois.

En métro­pole, la méth­ode la plus courante est le visa de tourisme val­able trois mois, puis l’on reste en se fon­dant dans la masse ou en faisant une demande d’asile à l’OF­PRA (Office français pour les réfugiés et les apa­trides). Le récépis­sé de la demande vous donne le droit de rester jusqu’à la déci­sion de l’Of­fice à votre sujet, ce qui pre­nait couram­ment trois ans… plus tous les recours admin­is­trat­ifs ! Pré­cisons que pen­dant ce temps vous n’aviez pas le droit de pos­tuler à un emploi, mais au bout de dix ans vous obte­niez une régu­lar­i­sa­tion de droit. C’é­tait une sit­u­a­tion kafkaïenne que le gou­verne­ment s’est effor­cé de cor­riger en aug­men­tant les ressources de l’OF­PRA. Désor­mais la plu­part des dossiers sont traités en moins d’un an.

La troisième fil­ière est le tra­vail clan­des­tin. Les fil­ières, en par­ti­c­uli­er chi­nois­es, sont très bien organ­isées. Le clan­des­tin a un voy­age entière­ment pré­paré, avec des con­tacts suc­ces­sifs bien prévenus, un loge­ment d’ar­rivée qui l’at­tend et un tra­vail dans ses com­pé­tences. Ces clan­des­tins tra­vail­lent surtout dans le bâti­ment, la restau­ra­tion, la domes­tic­ité, mais aus­si dans la pros­ti­tu­tion, y com­pris la pros­ti­tu­tion des jeunes garçons, pros­ti­tu­tion floris­sante à Mar­seille avec des jeunes gens venus d’Afrique du Nord.

Un problème général et européen qui appelle de nouvelles approches

Les mesures de con­trôles mis­es en oeu­vre sont nom­breuses (voir encadré), mais toutes n’ont pas l’ef­fet atten­du. Ain­si l’aide au retour volon­taire n’a que peu de suc­cès : 2 000 seule­ment en 2006. Par con­tre il y a du pro­grès dans la répres­sion con­tre les passeurs (1 400 arresta­tions en 2003 et 3 200 en 2006) et con­tre les employeurs de tra­vail au noir (1 300 actions en 2003 et 2 000 en 2006).

Des mesures de con­trôle renforcées
Pour faire face à la sit­u­a­tion les pou­voirs des maires ont été aug­men­tés, la réten­tion admin­is­tra­tive est passée de douze jours à trente-deux jours (Angleterre : trois mois), et l’on envis­age la général­i­sa­tion des con­trôles pour 2008. Il y a eu env­i­ron 36 000 refoule­ments à l’en­trée sur le ter­ri­toire (ou juste avant) en 2006 — dont la moitié out­re-mer — et les recon­duc­tions effec­tive­ment effec­tuées dans le pays d’o­rig­ine sont passées de 10 000 en 2002 à 24 000 en 2006 pour la seule métro­pole. D’autres mesures ont été pris­es. À la demande d’en­trée pour des raisons de san­té et pour se faire soign­er, on oppose désor­mais un refus si les soins néces­saires exis­tent dans le pays de départ. La loi sur le regroupe­ment famil­ial exige désor­mais que le père qui accueille soit monogame et ait des ressources et un loge­ment con­séquents. On organ­ise aus­si des con­trats d’ac­cueil et d’in­té­gra­tion avec un stage appro­prié, enfin les mariages de com­plai­sance sont ren­dus plus dif­fi­ciles, plus con­trôlés et moins attrac­t­ifs (délais de nat­u­ral­i­sa­tion allongés, etc.).

Un point faible est l’ab­sence de con­trôle des sor­ties du ter­ri­toire nation­al, comme cela se fait sys­té­ma­tique­ment aux États-Unis. Il faut y réfléchir. Il n’y a pra­tique­ment pas non plus de croise­ment des fichiers, l’É­d­u­ca­tion nationale ne donne rien et le min­istère de la San­té peu de ren­seigne­ments ; il y a tout de même des pro­grès du côté de l’Insee.

Bien enten­du le prob­lème des clan­des­tins est un prob­lème européen général. La ” régu­lar­i­sa­tion Jospin ” de 300 000 clan­des­tins en 1998 a créé un ” appel d’air ” pour beau­coup de nou­veaux clan­des­tins dont une grande par­tie était déjà instal­lée dans d’autres pays d’Europe.

Les récentes régu­lar­i­sa­tions mas­sives en Espagne et en Ital­ie ont eu des effets ana­logues. L’île de Malte, aux pris­es avec une sit­u­a­tion dif­fi­cile, demande avec rai­son une har­mon­i­sa­tion des poli­tiques européennes, une général­i­sa­tion et une amélio­ra­tion des moyens de con­trôle avec bien davan­tage d’échanges de renseignements.

Le débat actuel porte aus­si sur l’im­mi­gra­tion subie ou choisie. Je pense qu’il est impor­tant de dire bien haut ce que l’on veut, et pour cela de com­mencer par le savoir ! Bien enten­du des con­trats pré­cis dans le bâti­ment, la restau­ra­tion et pour les saison­niers en agri­cul­ture seront d’un effet très béné­fique. Le cas des étu­di­ants est par­ti­c­ulière­ment décisif. Les étu­di­ants ayant ter­miné leurs études sont très néces­saires à leur pays d’o­rig­ine et il n’est pas con­cev­able qu’ils restent au chô­mage en Europe pen­dant des mois et des mois. Pour ter­min­er sur un point posi­tif je dirai que nous dévelop­pons un sys­tème de crédit-développe­ment pour per­me­t­tre aux étu­di­ants étrangers les plus per­for­mants d’être par­ti­c­ulière­ment utiles à leur pays.

Le débat actuel porte sur l’immigration subie ou choisie

Les prob­lèmes de l’im­mi­gra­tion, et en par­ti­c­uli­er ceux de l’im­mi­gra­tion clan­des­tine, ont pris une dimen­sion nationale et sont par­ti­c­ulière­ment préoc­cu­pants dans la France d’outre-mer. Heureuse­ment le laiss­er-aller qui avait cours naguère, et qui était très préju­di­cia­ble aux clan­des­tins eux-mêmes, aban­don­nés aux exploiteurs de tra­vail au noir et aux marchands de som­meil, ce laiss­er-aller a pris fin et vous avez pu voir le nom­bre con­sid­érable des mesures de toutes sortes que nous avons prises.

Certes, tout ceci n’est qu’un début et le com­bat pour une plus grande dig­nité de l’im­mi­gra­tion sera de longue durée, mais la par­tie est bien engagée, elle peut et doit être gagnée.

Cet arti­cle est extrait d’un exposé présen­té au groupe X‑Dé­mo­gra­phie-économie-pop­u­la­tion.

Quelques ques­tions
 
Faut-il en arriv­er à réduire les droits soci­aux pour dimin­uer l’at­trait de l’immigration ?
En fait les irréguliers n’ont aucun droit social, mais il y a des fraudes de toutes sortes.
 
Est-il vrai­ment utile de con­trôler aus­si les sor­ties comme le font les Américains ?
Bien sûr. Des ren­seigne­ments nom­breux, impor­tants et fiables per­me­t­tent de con­trôler et d’amélior­er beau­coup nos con­nais­sances sta­tis­tiques et donc de diriger beau­coup mieux aides, préven­tions et répres­sions. De plus cela per­me­t­tra une bien meilleure har­mon­i­sa­tion européenne.
 
Que devi­en­nent la Cou­ver­ture mal­adie uni­verselle et l’aide médi­cale d’État ?
Elles explosent, c’est un grave souci. Nous sommes très généreux et nous en arrivons à dépass­er nos moyens.
 
Pour éviter le tra­vail au noir dans le BTP, ne vaudrait-il pas mieux y aug­menter les salaires afin de pou­voir embauch­er des Français ?
Mais les salaires y sont déjà élevés. En fait ces travaux deman­dent une grande qual­i­fi­ca­tion que peu de Français se sont don­né la peine d’obtenir.
 
Quelle con­nais­sance avons-nous des flux financiers sous-jacents ?
D’une manière générale, nous man­quons d’é­val­u­a­tions des coûts et cela fausse com­plète­ment nos juge­ments. Nous nous éton­nons de voir les éboueurs de Lyon tra­vailler au noir pen­dant les après-midis, de voir un sur­veil­lant d’in­ter­nat vivre dans un bidonville mais avec la télé et Inter­net. Il est finale­ment logique de voir des étu­di­ants être en même temps pro­fesseurs de math­é­ma­tiques. Les flux financiers envoyés dans leurs pays d’o­rig­ine par les tra­vailleurs immi­grés sont en forte hausse, et cela est sûre­ment bien plus utile à ces pays que l’aide inter­na­tionale dilapidée dans la corruption.
 
Com­ment expli­quer la mau­vaise fia­bil­ité des sta­tis­tiques françaises ?
Trop de préjugés idéologiques ont con­tribué à les fauss­er, il est temps de revenir à de saines mesures sci­en­tifiques sans com­plex­es ni tabous.

Commentaire

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sara laarous­sirépondre
4 juin 2010 à 20 h 41 min

les caus­es de ce phénomèn
Pour le migrant, l’im­mi­gra­tion peut avoir une ou plusieurs raisons :
• pro­fes­sion­nelle (mis­sion de longue durée à l’é­tranger) et études ;
• poli­tique (réfugié poli­tique fuyant les persécutions) ;
• sécu­ri­taire, notam­ment en cas de guerre dans le pays d’origine ;
• économique (habi­tant de pays pau­vres cher­chant un meilleur niveau de vie dans les pays rich­es, éventuelle­ment temporairement) ;
• per­son­nelle (volon­té de s’in­staller dans un pays par goût, par exem­ple si l’on se recon­naît dans ses valeurs) ;
• famil­iale (rejoin­dre le con­joint, l’en­fant déjà installé).
• fis­cale (l’in­stal­la­tion dans un pays offrant un niveau d’im­po­si­tion moins élevé)
Pour les États, l’im­mi­gra­tion peut per­me­t­tre de faire face à un déficit des nais­sances ou encore assur­er une quan­tité ou qual­ité de main-d’œu­vre suff­isante. Toute­fois, l’immigration illé­gale va au-delà des souhaits des pays d’accueil. Aujour­d’hui, les flux de migra­tions sont ori­en­tés aus­si bien des pays en développe­ment vers les pays dévelop­pés que d’un pays dévelop­pé vers un autre. Les plus forts taux de tra­vailleurs immi­grés dans la pop­u­la­tion active se retrou­vent dans les pays du Golfe Per­sique : 90 % aux Émi­rats arabes unis, 86 % au Qatar, 82 % au Koweït. Un migrant peut ne pas être en règle au regard de la lég­is­la­tion sur l’im­mi­gra­tion en vigueur dans le pays de destination.
& pour­tant le racisme & la xéno­pho­bie don­nent une autre vue sur le côté sen­ti­men­tal des immigrants

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