Lier l’analyse de l’entreprise à sa stratégie

Dossier : ExpressionsMagazine N°670 Décembre 2011
Par Hervé BERNAILLE (73)
Par Jean-Louis BERNARD

Dès 1950, la stratégie d’entreprise appa­raît comme une dis­ci­pline à part entière ; plusieurs écoles s’affirment : selon l’école de la con­cep­tion, il existe une stratégie opti­male pour une entre­prise à un moment don­né. L’école de la plan­i­fi­ca­tion pré­conise un proces­sus de plan­i­fi­ca­tion rigoureux pour déter­min­er cette stratégie opti­male de manière qua­si scientifique.

Les notions de valeur, vision, mis­sion, méti­er sont mis­es en avant

Les prin­ci­paux out­ils de pré­con­i­sa­tions stratégiques sont alors les célèbres matri­ces qui croisent l’intérêt du seg­ment de marché visé avec les atouts de l’entreprise sur ce segment.

Pour la matrice du BCG, l’attrait du marché est assim­ilé à sa crois­sance ; les atouts de l’entreprise sont représen­tés par sa part de marché. D’autres matri­ces plus sophis­tiquées appa­rais­sent ensuite : Mc Kin­sey, BCG 2, ADL.

Instabilité et globalisation

Dans les années qua­tre-vingt les entre­pris­es doivent adapter leurs straté­gies. En effet, l’abaissement des droits de douane, le développe­ment des TIC et la baisse du coût des trans­ports con­duisent à une con­cur­rence exac­er­bée qui favorise un envi­ron­nement insta­ble où l’innovation et la dif­féren­ci­a­tion des pro­duits et ser­vices pren­nent une place prépondérante. La plan­i­fi­ca­tion et les procé­dures même com­plex­es ne peu­vent pas prévoir les dis­con­ti­nu­ités et informer la direc­tion sur les sig­naux de men­aces ou d’opportunités.

SWOTLes matri­ces util­isées en matière de stratégie reposent le plus sou­vent sur une analyse SWOT (Strengths, Weak­ness­es, Oppor­tu­ni­ties and Threats) des forces et des faib­less­es de l’entreprise ain­si que des oppor­tu­nités et des men­aces de l’environnement de l’entreprise. Mod­éli­sa­tion stratégique
Dans un envi­ron­nement sta­ble de con­som­ma­tion de masse (où les économies d’échelle étaient pos­si­bles), un marché attrac­t­if était un marché en forte crois­sance. Pour y être per­for­mant, il fal­lait avant tout une part de marché impor­tante. Il était donc pos­si­ble de con­stru­ire des out­ils per­me­t­tant de mod­élis­er les con­séquences de déci­sions stratégiques.

Nouvelles approches

C’est alors que Michael Porter (école du posi­tion­nement) pré­conise dans son livre-clé, Choix stratégiques et con­cur­rence, de met­tre en place des actions offen­sives ou défen­sives pour créer une posi­tion défend­able sur un seg­ment de marché afin de faire face avec suc­cès à la concurrence.

Stratégie et management
Avec l’école entre­pre­neuri­ale il n’y a plus d’une part une stratégie à con­stru­ire de manière sci­en­tifique et d’autre part un man­age­ment per­for­mant con­sis­tant à la met­tre en place ; les deux notions de stratégie et de man­age­ment inter­réagis­sent. Si cer­taines déci­sions restent claire­ment du ressort de la direc­tion générale (la vision, les valeurs, le des­sein de l’entreprise), l’aspect bot­tom-up est réha­bil­ité face au top-down.

Si les ressources et com­pé­tences de l’entreprise per­me­t­tent d’atteindre ces posi­tions, les chances de dis­pos­er d’un avan­tage con­cur­ren­tiel sur les con­cur­rents sont accrues. L’école des ressources et com­pé­tences répond à cette prob­lé­ma­tique. Dans ce con­texte, les notions de valeur, vision, mis­sion, méti­er sont mis­es en avant. Ce sont les guides généraux qui per­me­t­tent de se libér­er des con­traintes de la plan­i­fi­ca­tion et facili­tent ain­si une adap­ta­tion per­ma­nente en s’appuyant sur des avan­tages com­péti­tifs durables.

C’est alors que se des­sine la dis­tinc­tion entre stratégie con­stru­ite et stratégie émer­gente : faut-il théoris­er son avan­tage con­cur­ren­tiel ou laiss­er par­ler son intu­ition pour capter les « sig­naux faibles » et s’adapter en per­ma­nence ? Pour y répon­dre, les sci­ences cog­ni­tives, en met­tant en avant la moti­va­tion du chef d’entreprise et des salariés, favorisent l’émergence de l’école entre­pre­neuri­ale. Celle-ci pré­conise d’inculquer un état d’esprit d’entrepreneur, pour le chef d’entreprise, mais aus­si chez les salariés.

Une mise en œuvre décentralisée

La mise en œuvre de la stratégie-plan­i­fi­ca­tion est décen­tral­isée en suiv­ant la ligne hiérar­chique. Cha­cun des acteurs, respon­s­able d’une par­tie du déploiement stratégique, dis­pose d’un doc­u­ment chiffré con­stru­it à par­tir d’une compt­abil­ité ana­ly­tique sim­pli­fiée où les charges sont répar­ties sur les sec­tions et les pro­duits. Le suivi s’effectue à par­tir de ce doc­u­ment. Dans le cadre de la stratégie-posi­tion­nement, le développe­ment de l’environnement con­cur­ren­tiel a des con­séquences sur l’organisation interne des entre­pris­es. On passe d’une struc­ture hiérar­chique et com­par­ti­men­tée en cen­tres de respon­s­abil­ité à une ges­tion trans­ver­sale des proces­sus illus­trée en par­ti­c­uli­er par la notion de « chaîne de valeur » dévelop­pée par Michael Porter.

Nou­velle compt­abil­ité analytique
Pour inté­gr­er la notion de chaîne de valeur, la compt­abil­ité s’enrichit d’une compt­abil­ité basée sur les activ­ités ou compt­abil­ité ABC (Activ­i­ty Based Cost­ing). La mise en œuvre de la stratégie s’opère à tra­vers une organ­i­sa­tion trans­ver­sale (et non plus hiérar­chique). Le suivi s’effectue à tra­vers le Tableau de bord prospec­tif (TBP).

Aus­si bien pour la stratégie-plan­i­fi­ca­tion que pour la stratégie-posi­tion­nement, le suivi de la per­for­mance s’effectue à tra­vers des tableaux de bord stan­dards qui sont des out­ils exclu­sive­ment financiers et d’origine compt­able, tournés vers le con­trôle de la per­for­mance passée et non reliés à la stratégie. À par­tir de 1992, la Bal­anced Score­card ou TBP, dévelop­pé par Nor­ton et Kaplan, répond à cette objection.

En effet, il se présente comme un ensem­ble d’indicateurs directe­ment reliés à la stratégie de l’entreprise et offrant à ses util­isa­teurs l’opportunité de pilot­er tous les déter­mi­nants de la performance.

Analyse à court terme

L’analyse finan­cière et la stratégie ont évolué en par­al­lèle mais sans véri­ta­bles liens. Au cours de l’histoire de la stratégie, les entre­pris­es poussées par la con­cur­rence ont priv­ilégié le moyen terme en s’appuyant sur l’analyse stratégique, leur compt­abil­ité ana­ly­tique et de nou­veaux out­ils tel le TBP. Elles ont ain­si inté­gré la con­cur­rence dans leur approche stratégique, mod­i­fié leur organ­i­sa­tion (de hiérar­chique à trans­ver­sale) et dévelop­pé des tableaux de bord plus adap­tés à cette nou­velle donne en met­tant en place le TBP.

Les ban­ques ont don­né la pri­or­ité au court terme faute de pou­voir appréhen­der le futur

Au cours de l’histoire finan­cière, les ban­ques ont util­isé des out­ils d’analyse des entre­pris­es en suiv­ant les normes compt­a­bles (au détri­ment de la valeur économique), en don­nant la pri­or­ité au court terme (faute de pou­voir appréhen­der le futur) et en nég­ligeant le plus sou­vent les aspects stratégiques de l’entreprise.

Réalisme et fiabilité

Pour une meilleure appré­ci­a­tion des per­spec­tives et des risques de l’entreprise, il nous sem­ble impor­tant que les parte­naires financiers intè­grent, dans leur analyse des entre­pris­es, les aspects stratégiques. En effet, cette inté­gra­tion présente deux avan­tages. Tout d’abord celui d’approcher de plus près la réal­ité économique, comme l’illustre, par exem­ple, la prise en compte des dépens­es engagées pour main­tenir la compétitivité.

Posi­tion concurrentielle
On peut con­sid­ér­er que les dépens­es engagées par une entre­prise pour main­tenir sa posi­tion con­cur­ren­tielle lui per­me­t­tent de pour­suiv­re son développe­ment selon un trend prévis­i­ble et peu risqué. Toute dépense supérieure à ce seuil (pour ten­ter d’augmenter sa posi­tion con­cur­ren­tielle) doit être isolée pour ne pas fauss­er l’appréciation du résul­tat d’exploitation et donc être reclassée en charges excep­tion­nelles. Toute dépense inférieure à ce seuil a pour effet d’améliorer à court terme le résul­tat d’exploitation de l’entreprise mais dégrade la posi­tion con­cur­ren­tielle de l’entreprise. Les impacts à moyen terme d’une telle sit­u­a­tion doivent être éval­ués pour appréci­er les risques de détéri­o­ra­tion de la sit­u­a­tion de l’entreprise.

Le sec­ond avan­tage est d’établir des prévi­sions plus fiables selon un proces­sus en trois étapes : établir des prévi­sions à par­tir de la base actuelle de résul­tat con­nu, en prenant en compte les évo­lu­tions prévues de l’environnement et en inté­grant des élé­ments d’exploitation déjà acquis ; puis inté­gr­er dans les prévi­sions les impacts (posi­tifs ou négat­ifs) des déci­sions stratégiques déjà pris­es ; enfin inté­gr­er les coûts et les béné­fices résul­tant des actions stratégiques prévues en retenant un ou plusieurs scénarios.

Ces démarch­es per­me­t­tent de mieux appréhen­der le poten­tiel de l’entreprise et des risques qu’elle prend (ou qu’elle subit).

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