Pour une industrie conquérante, laissez agir les hommes d’entreprise

Dossier : ExpressionsMagazine N°678 Octobre 2012
Par Jean-Pierre GÉRARD (60)

En France, nous par­lons de rentabil­ité par rap­port au chiffre d’affaires. Mais, pour les investis­seurs, la vraie rentabil­ité est celle des cap­i­taux investis. Or toute l’information économique ne par­le que de rentabil­ité par rap­port au chiffre d’affaires ou à la valeur ajoutée. Un exem­ple sim­ple per­met de com­pren­dre la différence.

Rentabiliser les capitaux investis

Gag­nants et perdants
Le taux de prof­it assure une nou­velle répar­ti­tion finan­cière entre investis­seurs, et unique­ment entre investis­seurs. Cer­tains s’appauvrissent et d’autres s’enrichissent. Mal­heureuse­ment, si l’on par­le beau­coup de ceux qui s’enrichissent, on ne par­le jamais de ceux qui perdent.

Si l’on prend trois entre­pris­es, l’une dans le com­merce, l’autre dans l’industrie clas­sique, et la troisième forte­ment cap­i­tal­is­tique (comme la SNCF), on peut avoir la même rentabil­ité par rap­port au chiffre d’affaires, mais dans le pre­mier cas avoir une rentabil­ité extrême­ment élevée, et dans les deux derniers des rentabil­ités détesta­bles. Selon ce critère, la France est très mal placée par rap­port à tous les pays dont on vante l’efficacité indus­trielle et où la rentabil­ité des cap­i­taux investis est de l’ordre des deux tiers.

Ain­si, aux États-Unis, la rentabil­ité moyenne des entre­pris­es indus­trielles (par rap­port aux cap­i­taux investis) est de 12 % à 14 %, alors qu’en France elle se situe plutôt aux alen­tours de 7 % à 8%.

Les suc­cès payent les échecs, ni plus, ni moins

Les entre­pris­es indus­trielles lan­cent en per­ma­nence de nou­veaux pro­jets. On ne sait pas a pri­ori si tous les pro­jets seront des suc­cès, et qui dit pro­jet dit oblig­a­toire­ment aus­si risque d’échec.

Il est avéré que le taux de prof­it moyen des entre­pris­es est rigoureuse­ment égal au taux d’intérêt réel sans risque mul­ti­plié par l’inverse du taux de suc­cès des pro­jets. En d’autres ter­mes, mais ceci est d’une banal­ité affligeante, les suc­cès payent les échecs, ni plus, ni moins.

Rentabilité et renouvellement

Chaque année, une entre­prise renou­velle au moins 20% de son activ­ité (pro­duits et ser­vices dif­férents) en s’appuyant sur des pro­jets lancés dans les années qui précèdent.

Avec, pour les suc­cès, un taux moyen de prof­it trop faible, le nom­bre de pro­jets qui pour­ront être lancés sera plus faible. La France, avec un taux moyen de 8 %, ne peut pas se per­me­t­tre de con­naître plus d’un échec pour deux suc­cès, alors que les États-Unis, l’Allemagne, la Chine, etc., peu­vent assumer entre 50 % et 60 % d’échecs.

En clas­sant les pro­jets sur une échelle de 0 à 20, les Français ne peu­vent trou­ver de finance­ments que pour ceux qui seraient cotés à par­tir de 15 et au-dessus. En revanche, dans tous les autres pays cités, il est pos­si­ble de financer des pro­jets qui seraient notés de 10 à 20.

Plus on descend dans la nota­tion, plus le nom­bre de pro­jets est impor­tant, mais plus le risque d’échec est élevé. Ain­si, si l’on prend tous les pro­jets notés de 10 à 20, on peut en avoir 300 ou 400, par­mi lesquels se trou­veront les 100 notés de 15 à 20. Avec un taux d’échec d’un tiers sur ces 100 pro­jets, on aura 66 réus­sites. Ces 66 réus­sites, au taux moyen de prof­it de l’ordre de 7 % à 8 %, financeront les 34 échecs. Mais si l’on veut lancer 300 pro­jets, le taux d’échec sera de 50 % à 60 %. Les 150 échecs devront être financés par les 150 suc­cès. Le taux moyen de prof­it des entre­pris­es qui auront réus­si doit être beau­coup plus important.

C’est effec­tive­ment bien ce que l’on con­state : en Alle­magne, aux États-Unis, en Chine les taux moyens de prof­it per­me­t­tent de pay­er tous les échecs.

Les suc­cès créent des emplois
Ce con­stat mérite deux précisions.
D’une part, un pays équili­bre tou­jours le paiement de ses suc­cès et de ses échecs.
Plus les suc­cès seront rémunérés, plus nom­breux pour­ront être les pro­jets. D’autre part, 95% des nou­veaux pro­jets sont lancés dans les entre­pris­es exis­tantes, et c’est là que la prise de risque doit être favorisée.
Col­ber­tisme néfaste
Jacques Mar­seille rap­pelait que Col­bert, vis­i­tant les drapiers de Rouen, leur demandait ce qu’il pou­vait faire pour eux. « Surtout ne faites rien, lais­sez-nous travailler ! »
Col­bert ne les écou­ta pas et l’Angleterre eut sur toute cette péri­ode une crois­sance économique dou­ble de celle de la France.

Trois handicaps

Depuis plus de quar­ante ans, on par­le tou­jours des mêmes prob­lèmes. Mais n’ont-ils pas comme seule orig­ine l’incapacité de nos entre­pris­es à assur­er le finance­ment de pris­es de risque plus impor­tantes et d’échecs vraisem­blables ? J’en cit­erai trois : l’insuffisance des fonds pro­pres ; la recherche et le développe­ment ; le com­merce extérieur.

L’insuffisance des fonds propres

Si l’industrie dégage une rentabil­ité par rap­port aux cap­i­taux investis insuff­isante, les investis­seurs sont oblig­és de dop­er, par un effet de levi­er, la rentabil­ité économique d’une rentabil­ité finan­cière. Or, si les rentabil­ités économiques sont de 12% à 13 %, la ten­ta­tion d’avoir recours à l’effet de levi­er sera large­ment affaiblie.

Emprunter auprès des ban­ques men­ace en per­ma­nence notre indépen­dance. Par ailleurs, les résul­tats obtenus avec des rentabil­ités économiques de 12 % à 13 % iraient directe­ment en fonds pro­pres des entre­pris­es ou en dis­tri­b­u­tion de div­i­den­des qui seront réinvestis.

L’insuffisance de la recherche

Européani­sa­tion
Tout pro­jet de con­quête ou de développe­ment sur un autre marché est plus risqué que sur le marché intérieur. En prenant une échelle de risque de 0 à 20, les pro­jets qui, en France, seraient cotés de 15 à 20 seraient au mieux cotés entre 7 et 8 en Chine et en Inde, à 10 env­i­ron au Brésil et en Amérique du Sud, et entre 12 et 14 aux États-Unis.
La cota­tion sur l’Europe est équiv­a­lente, ou peu s’en faut, à celle de la France.
Cette approche explique pourquoi ce qu’on appelle l’internationalisation de l’industrie n’est en fait que son européanisation

La recherche et le développe­ment sont par déf­i­ni­tion des activ­ités plus risquées que les activ­ités habituelles de l’entreprise. Dès lors, les prob­a­bil­ités de réus­site y sont beau­coup plus faibles. Si l’on classe les pro­jets de recherche sur une échelle de 0 à 20 en fonc­tion de la prob­a­bil­ité de leurs suc­cès, une entre­prise française ne pour­ra envis­ager de financer que des pro­jets com­pris entre 18 et 20. Les entre­pris­es alle­man­des, chi­nois­es, améri­caines, cana­di­ennes peu­vent accepter le risque de financer des pro­jets dont la nota­tion de suc­cès serait com­prise entre 16 et 20.

Déjà, dans des domaines nou­veaux, quel que soit le pays, le nom­bre de pro­jets lancés dans le cadre de la recherche dimin­ue. Mais cer­tains pays comme la France pour­raient être moins audacieux.

L’insuffisance du commerce extérieur

Tout comme la R&D, la recherche de débouchés extérieurs est une aven­ture risquée. Toutes les entre­pris­es du Club des n° 1 mon­di­aux français à l’exportation ont con­nu des échecs à l’international, avant de pou­voir un jour prof­iter de l’ouverture de marchés loin­tains. Il suf­fit d’interroger ceux qui ont investi en Chine, au Brésil, et même aux États-Unis, pour com­pren­dre com­bi­en de temps et com­bi­en d’échecs il a fal­lu pour se dévelop­per, même dans un marché con­sid­éré comme rel­a­tive­ment proche comme le marché américain.

Supprimer les aides et alléger les charges

Lais­sons la France tra­vailler en paix et réin­ve­stir le fruit du tra­vail des entrepreneurs

Quel chef d’entreprise n’a pas été exas­péré par les admin­is­tra­tions qui dis­ent : « Faites plus de recherche, exportez plus, on va vous aider », avec des crédits qui sont accordés par des organ­ismes qui exi­gent des dossiers dont le coût dépasse sou­vent le niveau de l’aide. On a mis en place toute une struc­ture de con­trôle, parce qu’il s’agit d’argent pub­lic. Pour­tant, avant d’être pub­lic, cet argent venait des activ­ités que l’on veut aider.

Alors, sup­p­ri­mons les aides, sup­p­ri­mons les admin­is­tra­tions cor­re­spon­dantes, allé­geons les coûts des entre­pris­es – et comme par mir­a­cle l’activité se redressera, les pro­jets devien­dront plus conquérants.

Lais­sons la France tra­vailler en paix et réin­ve­stir le fruit du tra­vail des entre­pre­neurs. C’est sans doute le meilleur place­ment que la nation puisse faire.

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