L’IA et le marketing

L’IA et le marketing : pourquoi les marques attirent (enfin) les ingénieurs

Dossier : Marketing digitalMagazine N°746 Juin 2019
Par Guillaume de ROQUEMAUREL (2003)

Les métiers du mar­ket­ing, naguère essen­tielle­ment basés sur l’émotif et le psy­chologique, se con­ver­tis­sent à l’approche sci­en­tifique des don­nées. L’intelligence arti­fi­cielle est aujourd’hui le catal­y­seur prin­ci­pal de cette conversion.

Depuis quelques années déjà, les direc­tions mar­ket­ing ont pris con­science des enjeux liés à l’exploitation sci­en­tifique des don­nées. Trois effets se sont con­jugués pour faire pass­er le mar­ket­ing d’un méti­er de l’émotion à un méti­er de la méthode.

Le pre­mier, c’est le pas­sage de la com­mu­ni­ca­tion de masse de l’après-guerre, qui util­i­sait des médias puis­sants (TV, radio et presse) mais génériques, à une com­mu­ni­ca­tion per­son­nal­isée jusqu’à l’individu, ren­due pos­si­ble par l’essor d’Internet.

Le sec­ond est à trou­ver dans l’origine de ces nou­veaux médias qui, con­traire­ment à leurs aînés, sont issus d’entreprises tech­nologiques – les GAFAM (Google, Ama­zon, Face­book, Apple et Microsoft) essen­tielle­ment com­posées d’ingénieurs. Leur fréquen­ta­tion assidue par les annon­ceurs ces dernières années les a ren­dus d’autant plus sen­si­bles à l’apport des sci­ences dans la créa­tion de marques.

Le dernier, plus récent, c’est le pro­grès de l’informatique dans l’analyse et l’exploitation indus­trielle des don­nées. C’est l’émergence du cloud com­put­ing (à nou­veau avec Ama­zon, Microsoft et Google en pointe) et les tech­nolo­gies de machine learn­ing et d’intelligence arti­fi­cielle. Des don­nées plus nom­breuses et facile­ment exploita­bles en temps réel ont ren­du pos­si­ble la con­struc­tion de straté­gies mar­ket­ing adap­ta­tives, rationnelles, scientifiques !

Ces dernières années ont mon­tré un ent­hou­si­asme sans faille pour ces inno­va­tions : mul­ti­pli­ca­tion d’annonces fra­cas­santes, de tests, de MVP (Min­i­mum Viable Prod­uct), de PoC (Proof of Con­cept) ou autres ini­tia­tives des­tinées à gag­n­er en expéri­ence sur le poten­tiel busi­ness de ces nou­velles méth­odes et tech­nolo­gies. Cette effer­ves­cence est désor­mais assez large­ment passée et la plu­part des acteurs ont atteint une forme de matu­rité qui les con­duit à regarder plus froide­ment l’impact financier de cette trans­for­ma­tion. C’est une nou­velle phase qui s’ouvre, celle de l’IA inté­grée au cœur même des proces­sus mar­ket­ing de l’entreprise.


REPÈRES

À l’horizon 2020, 50 % de la dépense pub­lic­i­taire dans le monde sera faite sur les nou­veaux sup­ports numériques, selon Dentsu Aegis. Ama­zon à elle seule dis­pose de plus de cent data cen­ters répar­tis sur tous les continents.


Petit tour d’horizon des applications scientifiques dans le marketing…, qui marchent !

Si le mar­ket­ing n’a pas une déf­i­ni­tion com­plète­ment stan­dard­is­ée dans les dif­férentes entre­pris­es, nous retien­drons ici qua­tre grandes fonc­tions : la con­nais­sance client (qui sont-ils ? quelles sont leurs aspi­ra­tions et com­ment les influ­encer ?), la pub­lic­ité (où et com­ment leur expos­er les pro­duits et les valeurs de la mar­que ?), l’expérience client (com­ment les con­va­in­cre d’acheter ?) et enfin la fidéli­sa­tion (au-delà de l’achat, quelles méth­odes pour entretenir la flamme ?).

Connaissance client

Pour beau­coup de mar­ques, la con­nais­sance client est encore un enjeu com­plexe. Tra­di­tion­nelle­ment, les dis­trib­u­teurs (Car­refour, Fnac…) ont gardé la main sur cet aspect, et les mar­ques dépensent une énergie con­sid­érable pour combler ce trou via des pan­els con­som­ma­teurs ou en finançant des études sta­tis­tiques fondées sur des sondages.

Là encore, les GAFA ont acquis une longueur d’avance con­sid­érable (accédez à vos paramètres Google pour voir s’il a recon­nu votre genre, votre âge ou vos intérêts. L’expérience est trou­blante !). La bonne nou­velle pour les annon­ceurs, c’est que cette don­née est facile­ment accessible.

Il s’agit ensuite de con­fron­ter ces pro­fils aux réac­tions – à l’échelle indi­vidu­elle donc – devant un mes­sage pub­lic­i­taire ou un cat­a­logue sur Inter­net. Vous obtenez assez aisé­ment les pro­fils qui sem­blent les plus intéressés par la mar­que et ses pro­duits. Le gain est immé­di­at, une fois l’algorithme mis en place, il fait économiser aux annon­ceurs les cen­taines de mil­liers d’euros autre­fois dépen­sés en études.

“À chaque instant,
des milliers de campagnes publicitaires sont réalisées sur Internet”

Publicité

Les dépens­es pub­lic­i­taires représen­tent plus d’un quart du bud­get d’un départe­ment mar­ket­ing selon Gart­ner (CMO Spend Sur­vey 2018–2019). L’optimisation de cette dépense est donc cri­tique pour la per­for­mance économique des entre­pris­es. Il est d’ailleurs con­venu d’affirmer qu’une moitié de cet argent est dépen­sée en pure perte…, mais sans pou­voir savoir laque­lle ! Grâce aux don­nées, il est désor­mais pos­si­ble, sinon de trou­ver 50 % d’économies, du moins de déter­min­er plus facile­ment la per­for­mance de chaque dépense publicitaire.

Ici la mécanique s’inspire des métiers de la finance. À chaque instant, des mil­liers de cam­pagnes pub­lic­i­taires sont réal­isées sur Inter­net (par exem­ple, pour acheter des mots-clés comme « voiture », « voiture neuve », « SUV », etc., sur Google). À chaque instant égale­ment, il est pos­si­ble de con­naître la per­for­mance de chaque cam­pagne : com­bi­en de per­son­nes ont cliqué sur la pub­lic­ité ? Com­bi­en de temps elles sont restées sur le site ?

Il est rigoureuse­ment impos­si­ble pour un être humain de sur­veiller en temps réel ces cam­pagnes (à l’image des marchés financiers sur lesquels des mil­lions de titres sont échangés chaque sec­onde). Les annon­ceurs font donc con­fi­ance à des algo­rithmes pour aug­menter le bud­get d’une cam­pagne, en couper une autre, chang­er le mes­sage ou l’image asso­ciée à telle autre, etc. À iso-bud­get, BCG estime qu’environ 10 % d’incrément de vente peut être réal­isé en analysant de façon sys­té­ma­tique et rigoureuse les per­for­mances des cam­pagnes (How BCG’s Data-Dri­ven Mar­ket­ing Approach is Dri­ving Growth for Lead­ing Mar­keters).

Cet enjeu va au-delà des métiers du mar­ket­ing : McK­in­sey a récem­ment estimé que 15 % des pro­fes­sions pour­raient être automa­tisées entière­ment d’ici 2030. Un grand nom­bre de tâch­es sont encore manuelles : créa­tion du plan média, con­fig­u­ra­tion des cam­pagnes, mis­es à jour, opti­mi­sa­tion, report­ing auprès de l’annonceur des performances.

Les deux effets com­binés représen­tent des enjeux en mil­lions d’euros pour la plu­part des annonceurs.

“Sur les nouvelles interfaces d’achat, tout reste à inventer”

Expérience client

Une fois l’appétit du con­som­ma­teur éveil­lé, il reste à le « con­ver­tir », lui faire réalis­er l’acte d’achat qui jus­ti­fie tous ces efforts. Là encore les algo­rithmes jouent un rôle prépondérant.

À bien des égards, le numérique et le e‑commerce n’ont pas beau­coup mod­i­fié nos habi­tudes de con­som­ma­tion. Un site marc­hand n’est pas si dif­férent d’un mag­a­sin physique, avec ses rayons linéaires, ses pro­duits appétis­sants, ses prix sou­vent barrés.

Mais d’autres méth­odes d’interactions ten­dent à s’imposer. C’est le cas des nou­velles enceintes intel­li­gentes (Google Home ou Ama­zon Alexa par exem­ple). Sur ces nou­velles inter­faces d’achat, tout reste à inven­ter. Un exem­ple avancé est celui de Mono­prix. Pour rem­plac­er le fameux post-it que cha­cun appose tra­di­tion­nelle­ment sur son réfrigéra­teur, l’enseigne a créé une appli­ca­tion vocale per­me­t­tant de con­stru­ire cette liste grâce à la voix.

Naturelle­ment, ce sont des algo­rithmes d’IA qui per­me­t­tent de recon­naître, au sein d’une phrase, les pro­duits qu’il con­vien­dra d’ajouter au post-it virtuel. Mais l’expérience va au-delà, et l’interface est dotée d’intelligence : par exem­ple, elle recon­naî­tra la recette que vous sem­blez vouloir réalis­er et vous pro­posera les ingré­di­ents man­quants (de la lev­ure si vous avez demandé des œufs, de la farine et du choco­lat). Elle saura aus­si repér­er vos habi­tudes de con­som­ma­tion et vous indi­quer qu’il manque sans doute ce pack d’eau gazeuse que vous avez l’habitude d’ajouter à votre liste de courses !

L’IA et le marketing

Fidélisation

Une fois le prospect trans­for­mé en client, il faut s’assurer de sa fidél­ité ! Dans l’univers des télé­coms ou de l’assurance par exem­ple, un des points de fric­tion le plus sou­vent cité sont les cen­tres d’appels (call cen­ters). C’est sou­vent le dernier recours avant de per­dre un client et un très impor­tant cen­tre de coûts pour ces mar­ques. De nom­breuses appli­ca­tions util­isant l’IA sont dévelop­pées dans ce domaine. Un exem­ple, réal­isé chez un opéra­teur français, con­cerne les argu­ments déployés par les télé­con­seillers. Aujourd’hui, la plu­part de ces argu­ments sont étab­lis à l’avance et inté­grés dans un script que le télé­con­seiller doit suiv­re scrupuleuse­ment. L’inconvénient majeur est que, lors d’une con­ver­sa­tion avec un client, par exem­ple mécon­tent, il est impos­si­ble de dérouler l’ensemble des argu­ments pour le con­va­in­cre de rester.

Aus­si, cet opéra­teur a‑t-il créé le con­seiller aug­men­té. Au lieu de suiv­re un script stan­dard pour l’ensemble des clients, le con­seiller aug­men­té va dérouler un argu­men­taire qui dépend de la con­nais­sance que l’opérateur a de cet indi­vidu par­ti­c­uli­er (cf. le para­graphe ci-dessus) et du déroule­ment de la con­ver­sa­tion. En analysant en temps réel la nature des échanges avec le client, le script s’adapte et va par exem­ple déblo­quer une pro­mo­tion excep­tion­nelle à ce client à forte valeur et par­ti­c­ulière­ment véhément.

Les algo­rithmes per­me­t­tant de recon­naître la voix ayant fait des pro­grès par­ti­c­ulière­ment spec­tac­u­laires ces dernières années, de nom­breuses économies sont à atten­dre dans le domaine des cen­tres d’appels.


L’IA au service de la productivité des agences publicitaires

Au-delà de la dépense pub­lic­i­taire, près de 25 % du bud­get d’un annon­ceur est con­sacré aux agences qui opèrent ces cam­pagnes. Et ici égale­ment, l’IA per­met des gains de pro­duc­tiv­ité con­sid­érables : il est estimé qu’entre 15 % et 20 % du temps passé par les agences pour­rait être automatisé.


Avec l’IA, la cote des directeurs marketing remonte !

Dans le domaine du mar­ket­ing, les out­ils issus de l’IA sont désor­mais répan­dus, con­nus et pour une par­tie maîtrisés. La phase d’industrialisation com­mence et l’impact économique pour­ra être observé dans les prochaines années. Une con­séquence intéres­sante de cette pré­coc­ité est l’effet induit sur le rôle et la posi­tion des directeurs mar­ket­ing (CMO) dans les organ­i­sa­tions. His­torique­ment, cette fonc­tion n’avait pas la meilleure cote (seuls 8 % des CEO nom­més aux USA ont fait leurs class­es dans des fonc­tions mar­ket­ing). Aujourd’hui les CMO sont à la pointe de l’innovation et de l’industrialisation de l’IA, et naturelle­ment d’autres mem­bres des comités de direc­tion cherchent à s’inspirer des méth­odes ini­tiées par le mar­ket­ing. Au-delà de la maîtrise des process et des tech­nolo­gies de l’IA, ce sont aus­si les don­nées sur lesquelles les mar­ke­teurs ont la main qui intéressent les autres métiers. Opti­mi­sa­tion de la pro­duc­tion, chaîne logis­tique, ressources humaines, ils se tour­nent vers leur col­lègue du mar­ket­ing pour amélior­er leurs process en util­isant l’IA. Pas si mal pour un méti­er de créatifs !


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