L’EUROPE ET L’EMPLOI APRÈS AMSTERDAM (première partie)

Dossier : ExpressionsMagazine N°530 Décembre 1997Par Pierre MAILLET (43)

L’op­po­si­tion ne por­tait pas sur l’im­por­tance du prob­lème de l’emploi en Europe ; celle-ci est unanime­ment recon­nue depuis main­tenant plusieurs années et les doc­u­ments ou réu­nions poli­tiques qui s’y sont intéressé au niveau européen sont nom­breux ; rap­pelons en par­ti­c­uli­er le Livre blanc de la Com­mis­sion, Crois­sance, com­péti­tiv­ité, emploi de 19931 ou le texte du som­met de Dublin en avril 1996, don­nant man­dat à la Con­férence inter­gou­verne­men­tale (la CIG) chargée ini­tiale­ment de pré­par­er l’adap­ta­tion des insti­tu­tions, de s’oc­cu­per aus­si du thème de l’emploi.

Alors, où résidait le désac­cord ? Il por­tait essen­tielle­ment sur le diag­nos­tic des sources du chô­mage, avec, en résumé, l’op­po­si­tion entre ceux qui affir­ment que le cœur du prob­lème est lié à des spé­ci­ficités nationales et ne peut trou­ver une réponse que dans des actions nationales, pour la plu­part assez dif­féren­ciées, et ceux qui esti­ment qu’une stratégie com­mu­nau­taire, assur­ant une coor­di­na­tion des poli­tiques nationales, peut con­stituer un apport décisif pour ren­forcer l’ef­fi­cac­ité de ces dernières.

La dis­cus­sion, on le sent, fait ressur­gir l’op­po­si­tion clas­sique sur le degré souhaitable d’in­ter­ven­tion com­mu­nau­taire et le partage des com­pé­tences entre l’U­nion et les pays mem­bres (avec référence plus ou moins explicite à l’ar­ti­cle 3 B du traité de Maas­tricht par­lant de sub­sidiar­ité)2. Mais elle va plus loin et remet sur le devant de la scène deux débats, l’un sur la com­pat­i­bil­ité et la hiérar­chie des objec­tifs (notam­ment entre sta­bil­ité des prix et emploi), l’autre sur le dosage entre le rôle du marché et celui de la poli­tique économique ; con­crète­ment, ces deux débats se sont cristallisés autour du pacte de stabilité.

Comme tou­jours, le texte adop­té résulte d’un com­pro­mis, dont l’ex­pres­sion formelle est loin de refléter un com­plet accord sur le fond et promet donc une pour­suite des débats. Aus­si n’est-il pas inutile de revenir un peu sur le cœur des oppo­si­tions, c’est le but de ce pre­mier arti­cle, qui rap­pellera d’abord les visions con­trastées sur les sources du chô­mage et la panoplie des thérapeu­tiques envis­age­ables, en insis­tant sur la diver­sité des points de vue entre spé­cial­istes, qui est à l’o­rig­ine des vigoureux débats actuels. Sur la base de cette présen­ta­tion, un sec­ond arti­cle cern­era le rôle pos­si­ble de l’Eu­rope dans la lutte con­tre le chô­mage et se ter­min­era par une appré­ci­a­tion — inévitable­ment sub­jec­tive — sur le texte adop­té à Ams­ter­dam et les con­clu­sions du Con­seil européen de novem­bre 19973.

I. Le diagnostic — Sources du chômage et mécanismes d’ajustement

a) Les sources du chômage

À tout moment, le chô­mage est le résul­tat du non-respect de deux égal­ités globales :

— égal­ité entre le nom­bre total d’emplois demandés et le nom­bre total de postes de tra­vail offerts (qui ne peut dépass­er le nom­bre de postes de tra­vail matérielle­ment exis­tants, mais peut lui être inférieur si les entre­pris­es ne tour­nent pas à leur pleine capacité),
— égal­ité entre la demande glob­ale et l’of­fre poten­tielle glob­ale de biens et de services.

Mais une telle vision glob­ale des choses est insuff­isante et il est fon­da­men­tal de tenir compte de la qual­ité de deux adéqua­tions entre des structures : 

— adéqua­tion entre les struc­tures par qual­i­fi­ca­tion de la pop­u­la­tion active et des postes de tra­vail offerts,
— adéqua­tion entre les struc­tures par biens et ser­vices de la demande glob­ale et de l’of­fre globale.

Les deux égal­ités glob­ales et les deux adéqua­tions doivent être assurées à tout moment et pour cela il faut que les évo­lu­tions les favorisent en per­ma­nence, ou qu’elles les rétab­lis­sent si on s’en est écarté.

Il faut en effet tenir compte d’un car­ac­tère essen­tiel des économies mod­ernes, l’inéluctabil­ité d’a­juste­ments en per­ma­nence : l’ap­pari­tion de nou­velles tech­niques (exploita­tion des nou­velles con­nais­sances procurées par la recherche), la mod­i­fi­ca­tion de la struc­ture de la demande (interne et externe) provo­quée par l’ap­pari­tion de nou­veaux pro­duits et l’évo­lu­tion des goûts (notam­ment entre généra­tions), l’ap­pari­tion de nou­veaux con­cur­rents sur l’ensem­ble de la planète, les mod­i­fi­ca­tions du cadre insti­tu­tion­nel (nation­al et inter­na­tion­al) oblig­ent le sys­tème pro­duc­tif à se trans­former inces­sam­ment, tant sec­to­rielle­ment qu’en ce qui con­cerne les tech­niques de pro­duc­tion (et donc la nature des emplois offerts).

C’est donc dans une vision dynamique qu’il faut regarder les prob­lèmes de l’emploi : dire (comme on le fait sou­vent) que l’o­rig­ine du chô­mage est prin­ci­pale­ment de nature struc­turelle veut dire qu’on estime que les inadéqua­tions entre les struc­tures sont encore plus impor­tantes que les iné­gal­ités glob­ales et qu’elles ne se résor­bent pas parce que les mécan­ismes d’a­juste­ment fonc­tion­nent mal. Alors com­ment se présen­tent ceux-ci ?

b) Les mécanismes d’ajustement

Le proces­sus d’a­juste­ment, tant entre quan­tités glob­ales qu’en­tre struc­tures con­cer­nant la force de tra­vail (struc­ture par qual­i­fi­ca­tion) et l’of­fre et la demande de biens et ser­vices, fait jouer un nom­bre impor­tant de mécan­ismes qui fonc­tion­nent simul­tané­ment, les uns macro et les autres microéconomiques.

1) Les aspects macroéconomiques

Macroé­conomique­ment, trois vari­ables tien­nent une place cru­ciale, l’une pure­ment interne, le taux d’ac­tiv­ité, l’autre semi-externe, le taux de change, la troisième, psy­chologique, la confiance.

a) Le niveau d’activité globale de l’économie

Qu’il y ait une rela­tion pos­i­tive entre le niveau (ou la crois­sance) du PIB et le niveau (ou la crois­sance) de l’emploi est générale­ment admis, mais la valeur de l’élas­tic­ité est sujette à beau­coup de débats, tour­nant autour du thème de “la crois­sance (plus ou moins) riche en emplois”. Cette richesse en emplois dépend tant des modal­ités de la poli­tique macroé­conomique de stim­u­la­tion de la crois­sance que de cer­taines car­ac­téris­tiques struc­turelles de l’é­conomie (struc­tures sec­to­rielles, dynamisme innovateur).

La poli­tique macroé­conomique interne peut se préoc­cu­per, soit directe­ment du taux d’ac­tiv­ité et de l’emploi, soit directe­ment d’autres grands objec­tifs, avec un effet sec­ond sur l’emploi.

L’ef­fet direct sur le taux d’ac­tiv­ité est visé essen­tielle­ment par la poli­tique budgé­taire, selon le sché­ma clas­sique du mul­ti­pli­ca­teur. Le recours à une telle poli­tique n’est évidem­ment con­cev­able que si le secteur pro­duc­tif dis­pose de réserves de capac­ités physiques de pro­duc­tion, mais deux autres élé­ments vien­nent aus­si le limiter.

Il s’ag­it d’abord de “l’ef­fet de fuite”, exp­ri­mant que la hausse de la demande sus­cite des impor­ta­tions, plus qu’un accroisse­ment de la pro­duc­tion nationale ; l’am­pleur de cet effet dépend de la struc­ture de l’ap­pareil pro­duc­tif et l’ef­fet nation­al d’une stratégie budgé­taire de stim­u­la­tion dépend de la poli­tique menée par les prin­ci­paux parte­naires com­mer­ci­aux (qui, pour les pays mem­bres de l’U­nion, sont essen­tielle­ment les autres mem­bres de celle-ci).

Il s’ag­it d’autre part des con­séquences de l’aug­men­ta­tion du déficit pub­lic, qui entraîne une aug­men­ta­tion de la dette publique ; au-dessus d’un cer­tain niveau de déficit, on s’embarque dans un proces­sus cumu­latif et le proces­sus n’est pas durable ; de plus joue “l’ef­fet d’évic­tion”, les emprunts publics venant pren­dre la place des emprunts des entre­pris­es sur le marché des cap­i­taux ; c’est une des moti­va­tions des critères de con­ver­gence du traité de Maas­tricht, dans une économie européenne où il y a un seul marché des cap­i­taux et où les emprunts publics d’un pays peu­vent venir restrein­dre (ou ren­dre plus coû­teux) le finance­ment privé dans les autres pays.

Pour chaque pays, la marge de jeu budgé­taire nationale est ain­si sérieuse­ment lim­itée, et donc aus­si son action sur l’emploi ; mais une démarche com­mu­nau­taire est sus­cep­ti­ble d’at­ténuer cette con­trainte.

La poli­tique macroé­conomique peut aus­si être mise au ser­vice d’un autre grand objec­tif, la sta­bil­ité des prix. Celle-ci est procurée, soit par une action directe sur la source même de l’in­fla­tion, soit par une action indi­recte de corse­tage moné­taire. La pre­mière méth­ode con­siste à obtenir un accord social pour respecter cer­taines règles ; entre parte­naires soci­aux pour que la hausse des rémunéra­tions salar­i­ales soit en har­monie avec celle de la pro­duc­tiv­ité moyenne du tra­vail dans toute l’é­conomie (théorie de l’in­fla­tion par les coûts), accep­ta­tion politi­co-sociale par l’ensem­ble du corps social du pays de la répar­ti­tion des revenus (théorie soci­ologique de l’in­fla­tion, con­sid­érée comme le moyen de résor­ber, à court terme, les ten­sions sur cette répar­ti­tion entre caté­gories sociales). La sec­onde méth­ode, indi­recte, con­siste à pra­ti­quer un corse­tage moné­taire glob­al, en appli­ca­tion de l’idée générale de la théorie quan­ti­ta­tive de la monnaie.

Lorsque la pre­mière méth­ode fonc­tionne, parce que les parte­naires soci­aux acceptent de pra­ti­quer ces com­porte­ments con­certés (die Konz­ertierte Aktion alle­mande) et parce que l’ensem­ble de la pop­u­la­tion fait pass­er la recherche de la sta­bil­ité générale des prix avant les reven­di­ca­tions caté­gorielles, la sec­onde méth­ode reste en réserve, en quelque sorte à titre d’élé­ment de dis­sua­sion s’il y a déra­page, par exem­ple du fait d’un choc extérieur (tel que la hausse du prix du pét­role ou la réu­ni­fi­ca­tion alle­mande) ; telle fut bien la réal­ité alle­mande pen­dant des années.

Si par con­tre la pre­mière méth­ode ne fonc­tionne pas (ou pas suff­isam­ment), il faut recourir à la sec­onde, qui peut se révéler effi­cace pour lut­ter con­tre l’in­fla­tion, mais peut aus­si avoir un effet per­vers sur l’emploi, par la hausse cor­réla­tive du taux d’in­térêt (effet direct de la poli­tique monétaire).

b) Le taux de change

L’autre vari­able glob­ale est le taux de change, car c’est lui qui quan­ti­fie l’in­ter­face entre l’é­conomie nationale et l’é­conomie du reste du monde. Il influ­ence à court terme l’am­pleur des expor­ta­tions et des impor­ta­tions (et donc le taux d’u­til­i­sa­tion de cer­taines capac­ités de pro­duc­tion exis­tantes), à moyen terme l’am­pleur des avan­tages com­para­t­ifs et donc l’évo­lu­tion des spé­cial­i­sa­tions, des local­i­sa­tions et des investisse­ments directs étrangers ou à l’é­tranger et de ce fait la nature et l’am­pleur des emplois créés ou détruits.

Pour ori­en­ter per­tinem­ment les spé­cial­i­sa­tions (et donc favoris­er la com­péti­tiv­ité et l’emploi), il faudrait que le taux de change reflète cor­recte­ment les “fon­da­men­taux” (car­ac­téris­tiques com­par­a­tives des économies con­cernées). Avec la libéral­i­sa­tion de plus en plus poussée des mou­ve­ments de cap­i­taux et la facil­ité tech­nique accrue de ceux-ci, les taux de change sont de plus en plus influ­encés par des mou­ve­ments “spécu­lat­ifs” de très court terme, visant pré­cisé­ment à mod­i­fi­er ces taux de façon auto-réal­isatrice pour l’ob­ten­tion de gains immé­di­ats, ce qui n’est pas favor­able à l’emploi. La créa­tion d’une mon­naie européenne pour­ra con­tribuer à réduire ces insta­bil­ités pour chaque pays membre.

c) La confiance

Une troisième vari­able, que les sta­tis­ti­ciens regar­dent avec per­plex­ité, car ils ne savent guère com­ment la repér­er, exerce en fait un rôle décisif dans le fonc­tion­nement de l’é­conomie et sur le niveau de l’emploi, il s’ag­it de la con­fi­ance sur les per­spec­tives économiques futures. Il est bien con­nu qu’elle favorise en effet l’in­vestisse­ment, et que dans le partage de l’in­vestisse­ment entre ses deux com­posantes, celle visant à ampli­fi­er les capac­ités (et donc l’emploi) est rel­a­tive­ment favorisée tan­dis qu’en sit­u­a­tion d’in­cer­ti­tude, les investisse­ments de pro­duc­tiv­ité, en pre­mière étape destruc­teurs d’emplois, sont priv­ilégiés ; enfin, l’en­tre­pre­neur hésite beau­coup moins à embauch­er pour une longue durée et à engager des dépens­es pour for­mer sa main-d’œuvre.

La con­fi­ance est un phénomène large­ment col­lec­tif. Dans une économie de marché, la puis­sance publique peut con­tribuer à la ren­forcer en adop­tant une poli­tique jugée adap­tée par “les marchés” (en fait le marché financier), c’est-à-dire un ensem­ble lim­ité d’opéra­teurs et d’ex­perts dont l’opin­ion, dif­fusée par les médias, est adop­tée par l’ensem­ble — ou la majorité — des opéra­teurs économiques. Lorsque l’opin­ion des marchés rejoint spon­tané­ment celle de la puis­sance publique sur la hiérar­chie des grands objec­tifs et le choix des meilleurs instru­ments pour les attein­dre, la con­fi­ance peut en être très favorisée.

Si par con­tre il y a diver­gence, soit sur la hiérar­chie des objec­tifs, soit sur le choix des moyens, l’ob­ten­tion d’un com­pro­mis réduisant l’in­cer­ti­tude pour les acteurs peut devenir très déli­cate : la con­cil­i­a­tion des deux mécan­ismes de choix, le mécan­isme de nature poli­tique, à base, dans nos démoc­ra­ties, de majorité par­lemen­taire, et le mécan­isme de nature économique, à base de décen­tral­i­sa­tion des déci­sions et d’ex­pres­sion des préférences sur les marchés, est un des grands défis posés à l’or­gan­i­sa­tion de nos sociétés (et pas seule­ment en France).

Enfin, de plus en plus, les marchés ne sont plus nationaux, mais devi­en­nent pluri­na­tionaux (marché européen), voire sou­vent plané­taires, avec une assez forte homogénéité de leur opin­ion ; s’il n’y a pas en face une homogénéité de vues des puis­sances publiques (les insti­tu­tions com­mu­nau­taires, le G7), il pour­ra y avoir, soit méfi­ance des marchés, soit dom­i­na­tion de ceux-ci, dans tous les cas créa­tion de prob­lèmes, d’où l’im­por­tance d’une union poli­tique européenne.

2) Aspects microéconomiques — Le marché du travail

Cette expres­sion fort générale de marché du tra­vail recou­vre en fait l’ensem­ble des procé­dures par lesquelles se con­fron­tent la demande et l’of­fre d’emplois et se déter­mi­nent en défini­tive le nom­bre de per­son­nes qui ont un emploi ain­si que les con­di­tions — salaire et durée notam­ment — du con­trat de tra­vail qui engage les deux parties.

Dans la for­mu­la­tion de la théorie la plus sim­ple, appa­rais­sent, sur un marché unique, une demande et une offre d’un type d’emploi unique, l’équili­bre étant obtenu pour un cer­tain niveau de salaire. La réal­ité est en fait beau­coup plus com­plexe ; d’une part entre pays jouent de nom­breux élé­ments de dif­féren­ci­a­tion, (règles admin­is­tra­tives, habi­tudes soci­ologiques, com­porte­ment des entre­pris­es pour leur ges­tion des ressources humaines), d’autre part le salaire est à la fois un élé­ment de coût et un élé­ment de revenu : toute mod­i­fi­ca­tion du niveau général des salaires a un effet macroé­conomique sur la demande de biens et ser­vices (et donc sur l’emploi).

Deux vari­ables, le coût de la main-d’œu­vre et la qual­i­fi­ca­tion de celle-ci, jouent un rôle clé dans les ajuste­ments entre la struc­ture de la pop­u­la­tion active par qual­i­fi­ca­tion, la struc­ture des salaires par qual­i­fi­ca­tion, la struc­ture des qual­i­fi­ca­tions req­ui­s­es pour rem­plir les postes de tra­vail exis­tants (qui dépend tant de la tech­nolo­gie que des ori­en­ta­tions de la pro­duc­tion). Ces trois struc­tures peu­vent se déformer, mais à des vitesses dif­férentes. On doit donc dis­tinguer un ajuste­ment de court terme et un ajuste­ment de moyen long terme.

La réponse aux évo­lu­tions inces­santes de l’en­vi­ron­nement économique et des con­di­tions du marché (demande et offre con­cur­rente) exige que les mod­i­fi­ca­tions des ori­en­ta­tions de pro­duc­tion (et sou­vent aus­si des tech­niques), à la lim­ite du vol­ume même de pro­duc­tion de l’en­tre­prise puis­sent s’opér­er vite ; c’est sou­vent une con­di­tion de survie.

Il faut alors que les mod­i­fi­ca­tions de la main-d’œu­vre (en postes de tra­vail, en local­i­sa­tion, par­fois en quan­tité) puis­sent s’opér­er dans les mêmes con­di­tions de rapid­ité : c’est le thème de la flex­i­bil­ité, qui prend une impor­tance crois­sante dans des économies de plus en plus ouvertes sur un monde en évo­lu­tion tou­jours plus rapi­de ; toute­fois si, dans une vision stricte­ment économique, cette flex­i­bil­ité appa­raît déci­sive, elle a par con­tre des réper­cus­sions sociales dont il faut se souci­er, par des mesures d’ac­com­pa­g­ne­ment adap­tées ; le défi actuel est de répon­dre à cette exi­gence de car­ac­tère social moins par des régle­men­ta­tions con­traig­nantes qui rigid­i­fient le tis­su économique que par des mesures inci­ta­tives au reclasse­ment et à la for­ma­tion réadap­ta­tive, et atténu­a­tri­ces des divers obsta­cles au réem­ploi (infor­ma­tion, aides au déplace­ment), qui ren­for­cent la sou­p­lesse des adap­ta­tions tout en les ren­dant supportables.

À plus long terme, l’ex­i­gence porte évidem­ment sur plus de for­ma­tion. For­ma­tion adap­tée, mais à quoi dans un envi­ron­nement tech­nologique très mou­vant ? C’est le thème de la pré­pa­ra­tion dès son jeune âge de l’in­di­vidu à l’adap­ta­tion tout au long de sa vie et de la for­ma­tion continue.

3) Quatre grands sujets de débats et une contrainte

Avant d’ex­ploiter la présen­ta­tion générale qui précède pour cern­er les thérapeu­tiques pos­si­bles, il est néces­saire d’évo­quer qua­tre ter­rains d’op­po­si­tion observés dans tous les débats con­crets et de rap­pel­er une con­trainte inéluctable.

Une pre­mière diver­gence de vues, au moins sous-jacente, porte sur l’évo­lu­tion des besoins. Il paraît cer­tain que nos économies vont con­tin­uer, pen­dant plusieurs années, à con­naître une hausse appré­cia­ble de la pro­duc­tiv­ité du tra­vail, mais la répar­ti­tion des fruits de cette hausse peut se faire plus ou moins iné­gale­ment entre une aug­men­ta­tion de la pro­duc­tion disponible pour la con­som­ma­tion et une réduc­tion du vol­ume des heures de travail.

Même si les deux sem­blent souhaita­bles, une ques­tion clé est alors la suiv­ante : sommes-nous au voisi­nage d’une sat­u­ra­tion de la demande (et des besoins, au niveau nation­al et inter­na­tion­al) ou faut-il con­tin­uer à répon­dre sub­stantielle­ment à une aug­men­ta­tion de celle-ci (la demande solv­able pou­vant d’ailleurs dépen­dre de la répar­ti­tion des revenus, sujet large­ment tabou, aus­si bien à l’in­térieur de chaque pays qu’à l’éch­e­lon inter­na­tion­al) ? La réponse à cette ques­tion com­mande évidem­ment l’ap­pré­ci­a­tion du vol­ume de tra­vail (nom­bre de per­son­nes x nom­bre d’heures) néces­saire dans l’ensem­ble de l’é­conomie, mais est loin d’être unanime, tant entre pays que dans cha­cun d’eux.

En liai­son avec cette pre­mière ques­tion se situe la préoc­cu­pa­tion, rel­a­tive­ment nou­velle, d’avoir un “développe­ment durable” sur le long terme. Les réflex­ions sur ce thème amè­nent générale­ment à la con­clu­sion que le mode de développe­ment (et de con­som­ma­tion) des pays dévelop­pés n’est pas général­is­able à l’ensem­ble de la planète et que ces pays doivent alors don­ner l’ex­em­ple d’une adap­ta­tion de leur mode de vie. Dans un monde économique­ment de plus en plus ouvert, une telle inflex­ion ne peut être le fait d’un seul pays, mais la dif­fi­culté de par­venir à un accord, même mod­este, est encore apparu à Den­ver en juin dernier ; l’op­po­si­tion paraît plus mar­quée entre les bor­ds de l’At­lan­tique qu’à l’in­térieur de l’Europe.

La troisième grande diver­gence, de nature tout à fait dif­férente, con­cerne le degré de com­pat­i­bil­ité entre sta­bil­ité des prix et emploi. Cette ques­tion est au cœur de vigoureuses oppo­si­tions dans les débats actuels sur la poli­tique économique.

Les uns font observ­er que la sta­bil­ité des prix joue un rôle fon­da­men­tal pour assur­er l’ef­fi­cac­ité et le dynamisme de l’é­conomie : réduisant l’in­cer­ti­tude sur le futur, elle favorise l’in­vestisse­ment ; per­me­t­tant aux opéra­teurs économiques de mieux appréci­er la défor­ma­tion des prix relat­ifs autour d’une moyenne sta­ble, elle ori­ente dans les bonnes direc­tions les défor­ma­tions de l’ap­pareil pro­duc­tif (pro­duc­tions et tech­niques) ; le résul­tat glob­al sur l’emploi doit être posi­tif, du moins en ten­dance et à moyen terme. Ils en con­clu­ent que la poli­tique économique doit priv­ilégi­er la recherche de la sta­bil­ité des prix et exi­gent a pri­ori une grande sagesse dans l’u­til­i­sa­tion de divers instru­ments — notam­ment budgé­taire — qui pour­raient avoir des effets inflationnistes.

De plus, ils esti­ment générale­ment que lorsqu’on se rap­proche du plein emploi, appa­rais­sent dans l’é­conomie des ten­sions infla­tion­nistes, notam­ment parce qu’il est dif­fi­cile de main­tenir le taux de hausse des salaires en har­monie avec le taux de hausse de la pro­duc­tiv­ité moyenne de l’é­conomie ; c’est la théorie du NAIRU définis­sant le taux de chô­mage en dessous duquel il ne faudrait pas descen­dre si on veut main­tenir la sta­bil­ité des prix (taux pour lequel les experts artic­u­lent actuelle­ment un chiffre de 4 à 5 % pour les pays de l’OCDE). Cette vision est notam­ment exprimée par les ban­ques cen­trales, divers milieux financiers, une par­tie des économistes.

À l’in­verse, d’autres (théoriciens et prati­ciens) font observ­er que l’évo­lu­tion économique se fait rarement de façon régulière, que l’é­conomie est soumise à des chocs plus ou moins imprévus (d’o­rig­ine externe ou interne), qu’il faut éviter que les ajuste­ments se fassent essen­tielle­ment sur les niveaux d’ac­tiv­ité — et donc d’emploi -, et donc qu’il faut envis­ager, chaque fois que cela peut appa­raître effi­cace, de recourir à une poli­tique de régu­la­tion con­jonc­turelle, en pou­vant accepter à la lim­ite, mais de façon tem­po­raire, un léger déra­page du niveau général des prix.

Enfin, on s’in­ter­roge sur l’im­pact que peut avoir sur l’emploi l’ou­ver­ture crois­sante des rela­tions com­mer­ciales inter­na­tionales. On se demande notam­ment si la con­cur­rence des pays dits à bas salaires ne vient pas réduire chez nous les emplois à faible qual­i­fi­ca­tion, ampli­fi­ant le chô­mage des tra­vailleurs peu qual­i­fiés. Là aus­si, les opin­ions sont partagées ; les uns sont par­ti­c­ulière­ment impres­sion­nés par l’am­pleur et la bru­tal­ité des restruc­tura­tions qu’ont con­nues cer­tains secteurs sous l’in­flu­ence de la con­cur­rence des tigres asi­a­tiques (et se deman­dent si le même phénomène ne peut pas se repro­duire pour des secteurs de tech­nolo­gie plus avancée), d’autres font remar­quer que l’im­pact direct est en défini­tive mod­ique du fait que com­parée au PIB, l’am­pleur des échanges com­mer­ci­aux des pays mem­bres de l’U­nion avec les pays non européens est faible (10 % au total et 5 % avec des pays en développe­ment), d’autres enfin évo­quent une influ­ence plus sub­tile sur les modes mêmes de ges­tion de nos entre­pris­es ; le débat est loin d’être tranché.

La contrainte de la couverture budgétaire

Il s’ag­it là d’une évi­dence, cepen­dant sou­vent oubliée. Beau­coup de mesures se voulant favor­ables à l’emploi recourent à un finance­ment à par­tir des bud­gets publics (État ou col­lec­tiv­ités locales). Ces dépens­es doivent évidem­ment être financées et une appré­ci­a­tion cor­recte de l’im­pact des mesures en ques­tion ne peut se faire qu’en pré­cisant soigneuse­ment les modal­ités de cou­ver­ture des dépens­es cor­re­spon­dantes (fis­cal­ité, sup­pres­sion d’autres dépens­es, déficit sup­plé­men­taire et emprunt) et en ten­ant compte de leur impact sur le fonc­tion­nement de l’é­conomie et, par ric­o­chet, sur l’emploi. Remar­que d’élé­men­taire bon sens, et cepen­dant la lec­ture de nom­breux arti­cles mon­tre que cette con­sid­éra­tion est sou­vent allé­gre­ment passée sous silence, faute d’une vision syn­thé­tique du fonc­tion­nement de l’économie.

II. Les thérapeutiques mises en œuvre ou envisagées

Face à la var­iété des élé­ments qui influ­en­cent le vol­ume de l’emploi, les ten­ta­tives de lutte con­tre le chô­mage peu­vent recourir à une vaste palette d’ac­tions, dont la mise en œuvre simul­tanée devrait être soigneuse­ment organ­isée. L’en­cadré, page 39, les présente de façon sys­té­ma­tique, autour de cinq points d’im­pact prin­ci­paux, la pop­u­la­tion (aspects quan­ti­tatif et qual­i­tatif), la demande de biens et ser­vices, la tech­nique, les capac­ités physiques de pro­duc­tion (et les postes de tra­vail), le marché du travail.

Face à la mul­ti­plic­ité des élé­ments qui influ­ent sur l’emploi et des actions aux­quelles on peut envis­ager de recourir pour amélior­er celui-ci, il faut choisir, tant le diag­nos­tic expli­catif du chô­mage con­staté que le con­tenu essen­tiel de la poli­tique choisie pour y remédi­er. Plusieurs choix sont pos­si­bles (et s’ob­ser­vent), qui dif­fèrent d’abord par une cer­taine philoso­phie de base.

Beau­coup d’analy­ses met­tent pri­or­i­taire­ment l’ac­cent sur les dys­fonc­tion­nements des mécan­ismes économiques et les mal­adress­es des poli­tiques économiques. On détecte des imper­fec­tions de fonc­tion­nement (on par­lera par exem­ple de rigid­ités exces­sives, liées tant à des régle­men­ta­tions inop­por­tunes qu’à une cir­cu­la­tion insuff­isante de l’in­for­ma­tion, de niveaux de rémunéra­tion inadap­tés, de mau­vaise adap­ta­tion de l’of­fre à l’évo­lu­tion de la demande) ; on attire égale­ment l’at­ten­tion sur les effets néfastes de cer­taines mesures de poli­tiques macroé­conomiques (notam­ment l’ef­fet dépres­sif sur l’in­vestisse­ment — et, par voie de con­séquence sur la créa­tion de postes de tra­vail — de cer­taines poli­tiques menées dans les années qui ont suivi la crise du pét­role de 1973). La thérapeu­tique pro­posée com­prend alors notam­ment d’une part des amélio­ra­tions du marché du tra­vail, d’autre part cer­taines mesures macroé­conomiques. Suiv­ant les cas, on priv­ilégie plutôt les unes ou les autres, mais on reste dans une vision rel­a­tive­ment clas­sique du fonc­tion­nement de l’é­conomie et de la société.

D’autres analy­ses par­lent de crise de société et/ou de réforme de la société. Ain­si cer­taines esti­ment que le type de crois­sance que les pays dévelop­pés ont con­nu pen­dant près d’un demi-siè­cle a fait ses preuves, mais est main­tenant révolu et que, au min­i­mum, les liens entre crois­sance et emploi seront dans le futur très dif­férents de ce qu’ils ont été dans le passé, voire même que le rétab­lisse­ment d’une crois­sance forte n’est pas souhaitable : la pre­mière affir­ma­tion s’ap­puie sur des obser­va­tions tech­niques (telles que l’ap­pari­tion de la société de com­mu­ni­ca­tion), la sec­onde découle plus d’une cer­taine vision éthique de la vie et du fonc­tion­nement de la société.

D’autres auteurs attachent une grande impor­tance à l’idée que le tra­vail aurait pro­fondé­ment changé de nature et que le con­cept clas­sique d’emploi serait com­plète­ment à repenser ; toutes les analy­ses clas­siques seraient alors dev­enues grave­ment inadap­tées et l’or­gan­i­sa­tion sociale elle-même serait à redéfinir4. En pro­longe­ment de cette idée appa­rais­sent les débats sur les rôles respec­tifs de l’é­conomie marchande et de l’é­conomie non marchande (avec soit des emplois publics, soit des activ­ités assurées par des asso­ci­a­tions). Ces vues sont par­ti­c­ulière­ment dévelop­pées en France, mais se mul­ti­plient dans d’autres pays européens, avec d’ailleurs des expres­sions fort var­iées. Crise de société, oblig­eant donc à repenser pro­fondé­ment le fonc­tion­nement de celle-ci (et notam­ment les mécan­ismes économiques et l’or­gan­i­sa­tion sociale).

Les deux visions sont pro­fondé­ment dif­férentes, et leurs pro­tag­o­nistes éprou­vent cer­taines dif­fi­cultés à dia­loguer. Et cepen­dant, le dia­logue est indis­pens­able, car il est vraisem­blable que cha­cune des par­ties attire l’at­ten­tion sur des aspects impor­tants de la vie actuelle et de son évo­lu­tion, qu’il faut pren­dre en compte si on veut met­tre en œuvre des thérapeu­tiques applic­a­bles et efficaces.

Con­crète­ment l’amélio­ra­tion de l’emploi en Europe peut ain­si être recher­chée en pro­gres­sant sur trois pistes :

  • un assou­plisse­ment du fonc­tion­nement du marché du tra­vail, de façon à faciliter les adap­ta­tions du sys­tème pro­duc­tif, néces­saires pour répon­dre à l’évo­lu­tion de la demande, européenne et mon­di­ale, à l’évo­lu­tion de la con­cur­rence extérieure, enfin à l’évo­lu­tion des tech­niques disponibles. Seule cette adap­ta­tion per­ma­nente per­met de ren­dre l’é­conomie européenne com­péti­tive, de soutenir un développe­ment durable et de favoris­er le plein emploi. Mais, par l’ac­céléra­tion des adap­ta­tions qu’elle per­met, cette flex­i­bil­ité peut entraîn­er des coûts soci­aux, qu’il faut met­tre en bal­ance avec les avan­tages escomp­tés et surtout qu’il faut se préoc­cu­per de cor­riger par des actions adéquates ;
  • une mod­i­fi­ca­tion du con­texte macroé­conomique, en vue de provo­quer une stim­u­la­tion de la demande glob­ale et d’at­ténuer l’actuel cli­mat d’in­cer­ti­tude qui inhibe les investisse­ments et les créa­tions d’emplois ; il s’ag­it de redonner con­fi­ance en la per­spec­tive d’une crois­sance durable des débouchés ;
  • des trans­for­ma­tions de car­ac­tère socié­tal, con­cer­nant le rôle du tra­vail comme fac­teur d’in­ser­tion dans la société, la prise en compte des préoc­cu­pa­tions envi­ron­nemen­tales, les rôles relat­ifs du marc­hand et du non-marc­hand dans l’é­conomie, l’am­pleur et l’or­gan­i­sa­tion de l’É­tat-prov­i­dence, la durée du tra­vail (heb­do­madaire, annuelle, sur toute la vie), la répar­ti­tion des revenus, les rela­tions avec le reste du monde, en d’autres ter­mes le type de cap­i­tal­isme pour l’Eu­rope de demain.


Les trois pistes ne sont pas antin­o­miques et il n’y a pas lieu d’en choisir une à l’ex­clu­sion des deux autres. Le ren­force­ment de la con­fi­ance (piste 2) mèn­era d’au­tant plus et mieux à l’embauche (objec­tif visé) que les ajuste­ments du secteur pro­duc­tif seront plus faciles tech­nique­ment (piste 1) et seront mieux accep­tés par l’ensem­ble de la pop­u­la­tion si on répond à ses aspi­ra­tions dif­fus­es (piste 3). Les trois pistes doivent donc être explorées simul­tané­ment5.

Pour être effi­cace cette explo­ration doit être le fait simul­tané de trois grandes familles d’ac­teurs, les entre­pris­es (et les milieux pro­fes­sion­nels), les tra­vailleurs (et les syn­di­cats), la puis­sance publique (gou­verne­ment et Par­lement), aux­quelles cer­tains ajoutent la “société civile” (le monde asso­ci­atif). L’ef­fi­cac­ité requiert que tous ces acteurs jouent leur par­ti­tion de façon cohérente, ce qui con­fère un rôle décisif au dia­logue préal­able et à la négociation.

Et l’europe ?

L’ou­ver­ture économique crois­sante sur l’ex­térieur des pays européens a sub­stantielle­ment ren­for­cé les inter­dépen­dances entre économies et réduit la marge de jeu de chaque pays agis­sant isolé­ment ; mais une coor­di­na­tion entre parte­naires peut redonner de l’ef­fi­cac­ité à de nom­breuses mesures. Toute­fois, la coor­di­na­tion sup­pose une har­monie des visions, qui est loin d’être assurée ; quant aux modal­ités con­crètes de l’ac­tion, elles doivent être adap­tées aux réal­ités soci­ologiques et poli­tiques de chaque pays. Il y a donc besoin d’une stratégie européenne pour s’at­ta­quer au prob­lème de l’emploi, mais celle-ci devra recourir à la fois, et de façon cohérente, à des actions com­mu­nau­taires et à des actions nationales ; le con­tenu des pre­mières — et les pos­si­bil­ités entrou­vertes par le traité d’Am­s­ter­dam — seront exam­inées dans un prochain article.

Les actions ou idées pro­posées pour lut­ter con­tre le chômage

Les propo­si­tions d’ac­tions con­tre le chô­mage se mul­ti­plient depuis quelques années, mais ce foi­son­nement de sug­ges­tions con­crètes reflète en fait un nom­bre lim­ité de pistes.

Les actions con­cer­nant la pop­u­la­tion (totale et active) se regroupent autour de qua­tre idées :

  • mod­i­fi­er l’évo­lu­tion de la pop­u­la­tion totale ; à l’ex­cep­tion des mou­ve­ments migra­toires, l’ef­fet ne peut être qu’à assez long terme (mais c’est une rai­son sup­plé­men­taire pour s’en préoc­cu­per tout de suite),
  • mod­i­fi­er l’in­ten­sité du désir d’emploi (taux d’ac­tiv­ité par classe d’âge et par sexe) ; on essaie de jouer sur le flou relatif de cette inten­sité, soit par des mesures régle­men­taires (telles que l’âge de la retraite), soit par une cer­taine mod­i­fi­ca­tion des con­di­tions de vie (crèch­es, aides famil­iales, etc.),
  • mod­i­fi­er la qual­i­fi­ca­tion de la main-d’œu­vre, par toutes les actions de for­ma­tion (ini­tiale et continue),
  • mod­i­fi­er, à la baisse, la durée du tra­vail (heb­do­madaire, annuelle, sur la durée de vie), avec l’e­spoir de com­penser celle-ci par une aug­men­ta­tion du nom­bre de per­son­nes au travail.


Sur la demande de biens et ser­vices, les actions peu­vent chercher à affecter soit le vol­ume glob­al, soit la struc­ture par produit :

  • pour la demande glob­ale, trois pistes sont envis­agées : l’une agit par la stim­u­la­tion de la demande publique (avec éventuelle­ment aug­men­ta­tion du déficit budgé­taire), l’autre par une mod­i­fi­ca­tion de la répar­ti­tion des revenus ; dans les deux cas, il s’ag­it prin­ci­pale­ment de réduire l’é­pargne “oisive” et de relever la con­som­ma­tion. La troisième piste s’in­téresse au com­merce extérieur : on cherche à stim­uler les expor­ta­tions et réduire les impor­ta­tions par un ren­force­ment de la com­péti­tiv­ité vis-à-vis de l’ex­térieur, par une mod­i­fi­ca­tion de l’or­gan­i­sa­tion des échanges extérieurs, par un ajuste­ment du taux de change ;
  • pour la demande par pro­duit, la pre­mière idée est que cer­taines activ­ités sont plus faciles à relancer que d’autres (forte élas­tic­ité par rap­port au revenu) et qu’elles ont des effets d’en­traîne­ment par­ti­c­ulière­ment élevés (jeu du tableau entrées-sor­ties). Une sec­onde idée est d’es­say­er de ren­dre solv­able (et donc com­pat­i­ble avec l’é­conomie de marché) une nou­velle demande pour de nom­breux ser­vices (les “nou­veaux emplois”).


En ce qui con­cerne la tech­nique, trois canaux sont privilégiés :

  • l’un con­cerne les pro­duits : on cherche à con­cevoir, puis à met­tre sur le marché de nou­veaux pro­duits, répon­dant à une nou­velle demande (interne ou extérieure),
  • l’autre con­cerne les procédés : d’une part l’amélio­ra­tion de ceux-ci devrait, en amélio­rant la com­péti­tiv­ité, aug­menter les débouchés ; l’ef­fet sur l’emploi est à la fois négatif — hausse de pro­duc­tiv­ité — et posi­tif — hausse d’ac­tiv­ité — ; d’autre part, on pour­rait a pri­ori songer à pro­mou­voir des tech­niques plus inten­sives en tra­vail (ce qui ren­verserait le sens actuel de l’évolution),
  • enfin, on sug­gère par­fois de ten­ter de maîtris­er l’évo­lu­tion tech­nologique, en menant des actions coor­don­nées à la fois sur la recherche et l’innovation.


C’est sur les capac­ités de pro­duc­tion (en vol­ume et en nature) que les actions pro­posées ou menées sont les plus var­iées. Trois pistes sont ain­si suivies :

  • l’une con­cerne la créa­tion d’en­tre­pris­es ou l’ex­ten­sion de celles-ci (créa­tion de nou­veaux étab­lisse­ments). On cherche à la favoris­er, soit par une sim­pli­fi­ca­tion de règles admin­is­tra­tives, soit par une aide à l’in­vestisse­ment (réduc­tion du coût du cap­i­tal), soit par des aides spé­ci­fiques aux nou­velles embauches ;
  • l’autre con­cerne le choix des tech­niques, en favorisant celles qui sont créa­tri­ces d’emplois. On jouera alors sur les coûts com­parés du cap­i­tal et du tra­vail, en réduisant ce dernier, soit de façon générale, soit plus spé­ci­fique­ment pour les qual­i­fi­ca­tions les moins poussées (cf. infra) ;
  • enfin, on peut ten­ter de mod­i­fi­er les com­porte­ments d’a­juste­ment des entre­pris­es, en les inci­tant à réduire le recours à la solu­tion de facil­ité de réduc­tion de l’emploi et au con­traire à chercher à élargir leur gamme d’ac­tiv­ités en s’en­gageant dans de nou­veaux créneaux.


Enfin le marché du tra­vail, lieu essen­tiel d’a­juste­ment, fait l’ob­jet de nom­breuses suggestions :

  • sim­pli­fi­ca­tion des inter­ven­tions publiques sur le marché du tra­vail, pour les ren­dre plus intel­li­gi­bles et plus efficaces ;
  • mod­i­fi­ca­tion du cadre lég­is­latif ou régle­men­taire, pour ren­dre plus faciles les ajuste­ments des entre­pris­es (notion de flex­i­bil­ité), mais aus­si pour mod­i­fi­er la durée du travail ;
  • amélio­ra­tion de l’in­for­ma­tion sur les emplois, tant à court terme (type Agences pour l’emploi) qu’à moyen terme (études prospec­tives sur les besoins futurs de main-d’œuvre) ;
  • mod­i­fi­ca­tion du coût du tra­vail : réduc­tion des coti­sa­tions sociales soit pour toute la main-d’œu­vre, soit seule­ment pour des groupes cibles (en par­ti­c­uli­er les faibles qual­i­fi­ca­tions) et fis­cal­i­sa­tion cor­re­spon­dante *, remise en cause (totale ou par­tielle) de la notion de salaire min­i­mum garan­ti, remise en cause de l’État-providence ;
  • stim­u­la­tion, par un finance­ment pub­lic, de cer­tains emplois tem­po­raires (travaux d’u­til­ité col­lec­tive, con­trats de qual­i­fi­ca­tion, etc.) ;
  • réforme des sys­tèmes d’al­lo­ca­tion chô­mage (et presta­tions annex­es) pour inciter les chômeurs à rechercher plus active­ment un emploi ou pren­dre part à des pro­grammes de réinsertion ;
  • favoris­er la mobil­ité du tra­vail (entre entre­pris­es, entre bassins d’emploi).

_____________________________________
* En réduisant non les salaires, mais les charges con­nex­es ; cf. notam­ment les propo­si­tions bien con­nues syn­thétisées dans l’ar­ti­cle de Jacques Dreze et Edmond Mal­in­vaud, Crois­sance et emploi, Euro­pean econ­o­my, n° 1, 1994.

______________________________________
1. Com­mis­sion des Com­mu­nautés européennes. Crois­sance, com­péti­tiv­ité, emploi. Les défis et les pistes pour entr­er dans le XXIe siè­cle, Brux­elles 1993.
2. Art. 3 B (Traité sur l’U­nion européenne du 7 févri­er 1992, titre II, art. G, B, 5) — La Com­mu­nauté agit dans les lim­ites des com­pé­tences qui lui sont con­férées et des objec­tifs qui lui sont assignés par le présent traité. Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa com­pé­tence exclu­sive, la Com­mu­nauté n’in­ter­vient, con­for­mé­ment au principe de sub­sidiar­ité, que si et dans la mesure où les objec­tifs de l’ac­tion envis­agée ne peu­vent pas être réal­isés de manière suff­isante par les États mem­bres et peu­vent donc, en rai­son des dimen­sions ou des effets de l’ac­tion envis­agée, être mieux réal­isés au niveau com­mu­nau­taire. L’ac­tion de la Com­mu­nauté n’ex­cède pas ce qui est néces­saire pour attein­dre les objec­tifs du présent traité.
3. Cet arti­cle et le suiv­ant utilisent large­ment le con­tenu de l’ou­vrage col­lec­tif pub­lié sous la direc­tion de Pierre Mail­let et Wim Kösters Une Europe plus favor­able à l’emploi : un pro­gramme volon­tariste. Coll. Prospec­tive européenne, L’Har­mat­tan, oct. 1996 (Cf. page 72).
4. “L’in­vestisse­ment immatériel (édu­ca­tion et recherche) con­stitue un act­if com­plé­men­taire essen­tiel à la future crois­sance et à la com­péti­tiv­ité dans la société de l’in­for­ma­tion plané­taire émer­gente”. Con­stru­ire la société européenne de l’in­for­ma­tion pour tous. Com­mis­sion européenne 1997.
5. Cer­tains lecteurs pour­ront s’é­ton­ner que cette présen­ta­tion ne men­tionne pas explicite­ment les mul­ti­ples actions, de car­ac­tère plutôt ponctuel, menées notam­ment par des asso­ci­a­tions var­iées. Sans qu’il soit nulle­ment dans notre idée de nég­liger ces actions très sym­pa­thiques, il faut bien en mar­quer trois lim­ites. D’une part, plusieurs requièrent des sub­ven­tions publiques : c’est alors un moyen par­mi d’autres d’u­tilis­er la dépense publique, qui se fait au détri­ment d’autres affec­ta­tions de celle-ci (inévitable­ment lim­itée), elles aus­si poten­tielle­ment créa­tri­ces d’emplois : il s’ag­it alors d’un sim­ple déplace­ment. Il en va de même lorsque les actions visent à don­ner des emplois à une caté­gorie spé­ci­fique de per­son­nes (par exem­ple les habi­tants d’une ville), cela se faisant sou­vent au détri­ment d’autres deman­deurs d’emplois, sans qu’il y ait véri­ta­ble­ment créa­tion nette d’emplois à l’éch­e­lon région­al ou nation­al. Enfin, il faut pren­dre con­science de la portée quan­ti­ta­tive lim­itée de ces idées ou de ces actions : si chaque action crée 100 emplois par an (c’est l’or­dre de grandeur annon­cé) et si 500 actions sont ain­si menées (soit 5 par départe­ment moyen ou 2 par ville de 100 000 habi­tants), cela con­cerne 50 000 emplois par an, soit 1,5 % du chô­mage total, ramenant celui-ci de 12 % à 11,8 % de la “pop­u­la­tion active” : on n’est nulle­ment à la hau­teur du prob­lème. On trou­ve de nom­breuses sit­u­a­tions de ce genre dans les idées pro­posées dans divers arti­cles parus dans plusieurs numéros de La Jaune et la Rouge, qui peu­vent ain­si con­stituer des con­tri­bu­tions intéres­santes, mais net­te­ment insuff­isantes, à la lutte con­tre le chômage.

Poster un commentaire