Statue de Louis BLANC

1848–1852, la République introuvable

Dossier : ExpressionsMagazine N°553 Mars 2000Par Gérard PILÉ (41)

Cette nou­velle série d’ar­ticles fait suite à celle récem­ment consa­crée (le der­nier en novembre 1999) au thème inépui­sable de la liber­té de l’homme face à son des­tin, à tra­vers le regard por­té sur notre siècle par deux témoins, deux grands écri­vains quê­teurs d’ab­so­lu : Ber­na­nos et Camus.

Fer­mons ces pages sur un aver­tis­se­ment du pro­fes­seur Louis Leprince-Rin­guet, à pro­pos des temps pré­sents et à venir :

La course effré­née dans laquelle nous sommes enga­gés rend tout juge­ment en pers­pec­tive mal­ai­sé sinon impos­sible. Je me bor­ne­rai seule­ment à consta­ter qu’une soif de spi­ri­tua­li­té et de conver­gence entre la matière et l’es­prit anime mal­gré tout notre socié­té sous l’emprise de la tech­nique. Sans l’es­prit, notre monde aus­si sophis­ti­qué, aus­si per­fec­tion­né soit-il, risque fort de se dés­équi­li­brer, de se détruire mal­gré l’ef­fort admi­rable, le pro­di­gieux poten­tiel de tra­vail, de génie d’in­ven­tion, de per­sé­vé­rance des hommes.

Pré­ci­sons en pre­mier lieu l’es­prit ani­mant ce retour à l’his­toire, tel qu’il est sug­gé­ré à tra­vers les deux cita­tions en exergue.

Notre his­toire natio­nale est la recons­ti­tu­tion de notre lignée : la vôtre, la mienne, c’est-à-dire la prise de conscience du che­mi­ne­ment ayant conduit à la situa­tion cultu­relle, poli­tique, socioé­co­no­mique… qui est col­lec­ti­ve­ment celle de la France d’au­jourd’­hui. Elle est une manière de mieux se connaître soi-même, de se rendre libre vis-à-vis d’un héri­tage reçu sous béné­fice d’in­ven­taire. Pour le reste, hors de notre pou­voir, nous pou­vons du moins en juger dans l’es­poir de voir chan­ger les choses.

Ne déva­luons donc pas l’his­toire sous le pré­texte qu’elle est insé­pa­rable de l’his­to­rien, gar­dons-nous d’a­jou­ter » hélas ! » mais plu­tôt » tant mieux » sinon que serait-elle d’autre qu’un cime­tière sans âme du pas­sé, dan­ger qui n’est peut-être pas sans la mena­cer à l’heure actuelle.

Fai­sons déjà le constat banal et regret­table du peu de consi­dé­ra­tion que lui témoignent les jeunes géné­ra­tions, en phase avec des pro­grammes d’en­sei­gne­ment qui ne cessent de s’a­min­cir et se frag­men­ter en sorte (à titre d’exemple) que l’his­toire de notre siècle devient peu com­pré­hen­sible et signi­fiante, si on la coupe de celle du XIXe siècle en bonne voie d’ou­bli pro­fond (véri­fi­ca­tion facile et… consternante).

Il est vrai que la France en cette fin de siècle n’a plus grand-chose de com­mun avec celle de son début par suite de mul­tiples rup­tures, notam­ment de son aire ori­gi­nelle (un rural qui se meurt, un urbain qui explose), du pay­sage socioé­co­no­mique et des inter­dé­pen­dances de toutes sortes (construc­tion euro­péenne, mon­dia­li­sa­tion des mar­chés, etc.).

Pour incon­tes­tables que soient ces faits, ils n’au­to­risent pas à conclure à la fin immi­nente de notre his­toire natio­nale, jus­ti­fiant a for­tio­ri et par avance sa dépréciation.

En effet, en dépit de craintes sou­vent expri­mées, la dis­so­lu­tion des enti­tés natio­nales ou des États au sein de l’U­nion euro­péenne n’est pas pour demain. Cette der­nière n’a d’autres pos­si­bi­li­tés d’exis­ter pour long­temps que dans le cadre de nations asso­ciées, ne se pri­vant pas pour autant de leurs identités.

La com­pa­ti­bi­li­té entre uni­té et diver­si­té sup­pose sur­tout que soient admises et défi­nies sans équi­voque les » subsidiarités « .

Aus­si para­doxal que cela puisse paraître, l’é­vo­lu­tion en cours est appe­lée à avoir des effets posi­tifs sur le rôle des his­to­riens et l’in­té­rêt de leurs travaux.

Il ne s’a­git pas tel­le­ment des trans­for­ma­tions pro­fondes en cours (là comme ailleurs), des méthodes, des capa­ci­tés d’ex­ploi­ta­tion des » maté­riaux his­to­riques « , mais sur­tout d’ac­com­plir l’ef­fort néces­saire de confron­ta­tion en vue d’une lec­ture plus consen­suelle de l’his­toire, au moins au niveau européen.

Il y a certes des limites impré­cises à sa trans­pa­rence par rap­port à une pré­sup­po­sée véri­té his­to­rique, voire même plu­sieurs réponses pos­sibles à une ques­tion don­née, mais il existe aus­si des seuils en deçà des­quels la conci­lia­tion est impos­sible comme le révèle très vite le moindre tra­vail com­pa­ra­tif entre les ver­sions de mêmes évé­ne­ments com­mu­né­ment admises chez des nations voi­sines : ce qui est légi­time d’un côté ne l’est pas de l’autre, l’a­gres­seur y devient l’a­gres­sé, etc.

En d’autres termes, il y a matière à réexa­men de ques­tions entre his­to­riens de bonne volon­té, en vue d’as­sai­nir les mémoires natio­nales, les débar­ras­ser, dans toute la mesure du pos­sible, des sco­ries accu­mu­lées dans le pas­sé par des pas­sions natio­nales incontrôlées.

Ce qui, soit dit inci­dem­ment, est un tra­vail de longue haleine, tant le pas­sé his­to­rique reste pré­sent, au-delà des appa­rences, dans l’i­ma­gi­naire de chaque peuple.

On a ten­dance à oublier aujourd’­hui que l’his­toire reste un champ d’ob­ser­va­tion incom­pa­rable des com­por­te­ments humains, les­quels relèvent plu­tôt du prin­cipe d’i­ner­tie si on les com­pare à l’ex­tra­or­di­naire dyna­mique du pro­grès scien­ti­fique et technique.

Elle garde par là valeur d’en­sei­gne­ment sur les fac­teurs d’ordre humain géné­ra­teurs de ten­sions et conflits, sur les dérives met­tant la paix en dan­ger, les ten­ta­tions » impé­ria­listes » des plus forts, les bons et mau­vais remèdes aux crises… Elle est aus­si une leçon d’hu­mi­li­té pour les poli­tiques por­tés à la suf­fi­sance, à l’illu­sion quant à leurs capa­ci­tés à éva­luer les situa­tions, à y faire face…

En un mot l’his­toire est à la base de la poli­to­lo­gie et on peut s’é­ton­ner et déplo­rer qu’elle soit trop sou­vent mal connue et com­prise par ceux qui accèdent aux res­pon­sa­bi­li­tés du pouvoir.

Lais­sons là cette brève apo­lo­gie de l’his­toire pour pré­ci­ser le thème abor­dé dans cette article : l’é­phé­mère IIe Répu­blique si riche d’en­sei­gne­ments par sa briè­ve­té même.L’année 1848 est dans notre propre his­toire et celle de l’Eu­rope une date char­nière ; non seule­ment elle met un point final à la vieille monar­chie fran­çaise (laquelle doute elle-même de sa sur­vie et n’en prend pas les moyens) mais elle ébranle de proche en proche le vieil ordre euro­péen, pré­lude à de proches bou­le­ver­se­ments à l’o­ri­gine des grands conflits futurs (objets d’ar­ticles ultérieurs).

La révo­lu­tion fran­çaise de 1848, abou­tis­se­ment dif­fé­ré de la pré­cé­dente (celle de juillet 1830), était en fait pré­fi­gu­rée dans l’es­prit d’un grand nombre de nos com­pa­triotes res­tés frus­trés et impa­tients de » remettre ça « .

Cette phase sou­ter­raine, cette » réa­li­té des men­ta­li­tés « , fait l’ob­jet d’une pre­mière partie.Une fois pas­sée la phase aiguë de la Révo­lu­tion, c’est-à-dire le » retour à l’ordre » après les jour­nées san­glantes de juin 1848, se pré­pare un évé­ne­ment a prio­ri inat­ten­du et lourd de consé­quences : l’é­lec­tion le 10 décembre 1848 à la pré­si­dence de la nou­velle Répu­blique du prince Napo­léon à la faveur du sou­tien inté­res­sé appor­té par le groupe poli­tique alors domi­nant, » le par­ti de l’Ordre » de Thiers.

Maître de l’As­sem­blée après les légis­la­tives du 13 mai 1849, ce par­ti, par une accu­mu­la­tion de mal­adresses, va créer le cli­mat favo­rable au coup d’É­tat du 2 décembre 1851, pré­lude à l’a­vè­ne­ment du Second Empire pro­cla­mé un an plus tard.

Le dérou­le­ment de cette phase d’es­ca­mo­tage d’une IIe Répu­blique, en réa­li­té » introu­vable « , est trai­té en seconde partie.

PREMIÈRE PARTIE

LA REVOLUTION EN MARCHE

Au len­de­main de la révo­lu­tion de juillet 1830 et durant dix-huit ans de monar­chie orléa­niste, jamais la France ne fut aus­si dif­fi­cile à gouverner.

Edgar Qui­net a bien ren­du compte du sen­ti­ment géné­ral en disant : La Révo­lu­tion a ren­du son épée en 1815, on a cru qu’elle allait la reprendre en 1830.

Les hommes qui avaient fait cette Révo­lu­tion vou­laient l’ac­tion, le mou­ve­ment au-dedans et au-dehors écri­ra plus tard J. Bainville.

Le mal­en­ten­du était donc total au départ avec le nou­veau roi qui, bon connais­seur de l’Eu­rope, savait le dan­ger imma­nent d’une nou­velle coa­li­tion des Alliés.

L’his­toire de cette période n’est qu’une longue suite d’é­meutes, d’in­sur­rec­tions, de com­plots, d’at­ten­tats, géné­ra­teurs d’une ten­sion inté­rieure per­ma­nente que le roi et ses ministres suc­ces­sifs ne sur­ent jamais modé­rer, sinon apai­ser, par des ini­tia­tives appro­priées à l’é­tat des esprits, avant que l’hor­loge de la monar­chie n’ait son­né tous ses coups.

Louis-Phi­lippe d’Or­léans, tout dési­gné par ses états de ser­vice dans les armées révo­lu­tion­naires (à Val­my et Jem­mapes) pour récon­ci­lier la monar­chie avec les trois cou­leurs rame­nées par les » Trois Glo­rieuses « , allait se trou­ver en face d’au­tant d’ad­ver­saires réso­lus à sa perte : le bleu des répu­bli­cains, le blanc des légi­ti­mistes, le rouge des socialistes.

Exa­mi­nons de plus près ces oppo­sants irréductibles.

Les pre­miers, les plus dan­ge­reux pour le régime par leur mili­tan­tisme, sont nom­breux par­mi les pro­fes­sions libé­rales, les jour­na­listes, les écri­vains, les cadres tech­niques et scien­ti­fiques (Ara­go, Ampère…) gagnés aux idées saint-simo­niennes. Ils exècrent un régime qui leur semble une paro­die de démo­cra­tie, notam­ment par les res­tric­tions dra­co­niennes appor­tées au droit de vote, son peu de zèle à déve­lop­per l’ins­truc­tion publique, son mal­thu­sia­nisme éco­no­mique. Leur lea­der après 1830 est Gode­froy Cavai­gnac1 (1801−1845) lequel ne dis­si­mule guère ses dis­po­si­tions d’es­prit : Le roi ne vivra qu’aus­si long­temps que nous le vou­drons. Fon­da­teur de la clan­des­tine Socié­té des droits de l’homme, il est incar­cé­ré à la suite de l’in­sur­rec­tion de 1834, réus­sit à s’é­va­der, à gagner l’An­gle­terre, revient en France en 1841 et pré­side alors cette société.

Les seconds haïssent les orléa­nistes, pour leur avoir confis­qué le pou­voir et répri­mé sans ména­ge­ment leurs conspi­ra­tions (comme celle de la duchesse de Ber­ry). Leur atti­tude sera par la suite celle du mépris irré­den­tiste et glacé.

Les der­niers enfin, ini­tia­le­ment proches des répu­bli­cains au sein des socié­tés secrètes, s’en éloignent esti­mant une répu­blique » bour­geoise » impropre à satis­faire leurs aspi­ra­tions. Exas­pé­rés par l’im­mo­bi­lisme social du régime, ils ne pensent qu’à la révo­lu­tion, seul moyen, pensent-ils, d’ins­tau­rer une véri­table démo­cra­tie sociale. Leurs lea­ders, contraints à opé­rer dans l’ombre, deve­nus célèbres par les pour­suites, les pro­cès et les condam­na­tions pro­non­cées contre eux, sont surtout :

  • Blan­qui, le doc­tri­naire de la vio­lence (A 1).
  • Bar­bès, » Le Bayard de la démo­cra­tie  » au dire de Prou­dhon, se pré­sente sous un jour dif­fé­rent ; cha­leu­reux et patriote, la France est pour lui la patrie de l’é­ga­li­té, de Jeanne d’Arc… et du socia­lisme. Ce pro­phète de la révo­lu­tion frappe sur­tout l’o­pi­nion (notam­ment à son pro­cès) par l’a­gres­si­vi­té de ses décla­ra­tions, mais aus­si le pathos du dis­cours (A 1).
  • Contras­tant avec ces der­niers Louis Blanc est le repré­sen­tant le plus mar­quant de la voie paci­fique du socia­lisme. L’op­po­sant au régime se fait connaître avec une remar­quable His­toire de dix ans parue en 1841 (et plus tard, comme Miche­let, une His­toire de la Révo­lu­tion fran­çaise). Théo­ri­cien du socia­lisme, il dif­fuse ses idées dès 1839 dans une bro­chure, L’Or­ga­ni­sa­tion du tra­vail, prô­nant la créa­tion d’a­te­liers sociaux, de coopé­ra­tives ouvrières de pro­duc­tion, concur­ren­tielles du sec­teur pri­vé, le condam­nant ain­si à plus ou moins long terme.


Trait carac­té­ris­tique de l’at­mo­sphère de vio­lence régnante, le régi­cide est dans l’air, » à la mode » presque. Louis-Phi­lippe échap­pe­ra à 8 atten­tats. Le plus meur­trier (celui de la machine infer­nale de Fies­chi : 24 canons de fusils mon­tés en bat­te­rie, dans l’embrasure d’une fenêtre au 50, bou­le­vard du Temple) fait 40 morts dans le cor­tège royal et par­mi eux le maré­chal Mortier.

Dans les socié­tés secrètes, on se plaît à » char­bon­ner » sur le mur la sil­houette du roi et on s’exerce à tirer des­sus. Les conspi­ra­teurs ont même leur égé­rie : Laure Grou­ville2.

Ajou­tons deux autres traits significatifs.

Si le culte du sou­ve­nir impé­rial habi­le­ment culti­vé sur les conseils de Thiers répond à l’at­tente du public, il n’a pas les effets escomp­tés pour rendre plus popu­laire le roi, sou­li­gnant plu­tôt par contraste le carac­tère terne de sa per­sonne et de son règne (A 2).

Entre le roi bour­geois et l’é­lite lit­té­raire ou artis­tique de son temps, l’une des plus remar­quables de notre his­toire, il n’y a guère d’af­fi­ni­té : tout ce qui écrit, rime, peint, com­pose et même invente (la liste en est longue) sus­cite très peu d’in­té­rêt de sa part (sans doute n’a-t-il jamais écou­té Ber­lioz). Com­ment s’é­ton­ner dans ces condi­tions de la tié­deur, voire du rejet envers la per­sonne du roi mani­fes­tés par ce milieu bouillonnant.

Nous nous pro­po­sons main­te­nant d’a­bor­der plus au fond trois ques­tions prin­ci­pales, trois plaies ouvertes lais­sées sans soins dont les effets conju­gués vont balayer le régime avant de peser par la suite sur le cours de notre histoire.

PROPOS DE LEADERS SOCIALISTES


Louis Blanc par Del­homme, place Monge à Paris.
Ce bronze a été fon­du lors de la guerre 1939–1945.
© ROGER-VIOLLET

Parmi les pro­pos indi­gnés ou désa­bu­sés dénon­çant les condi­tions de vie inhu­maines du pro­lé­ta­riat urbain et ses funestes consé­quences, on n’a que l’embarras du choix. En voi­ci quelques exemples. De Louis Blanc (dans l’Introduction à L’Organisation du tra­vail).

  • “ Pour chaque indi­gent qui pâlit de faim, il y a un riche qui pâlit de peur.”
  • “ Une nation dans laquelle une classe est oppri­mée res­semble à un homme qui a une bles­sure à la jambe : la jambe malade inter­dit tout exer­cice à la jambe saine. ”
  • “ Lorsqu’un homme qui demande à vivre en ser­vant la socié­té en est fata­le­ment réduit à l’attaquer sous peine de mou­rir, il se trouve dans son appa­rente agres­sion en état de légi­time défense et la socié­té qui le frappe ne le juge pas, elle l’assassine. ”
  • “ Ce qui effraie le plus dans les par­tis ce n’est pas ce qu’ils disent, c’est ce qu’ils négligent ou refusent de dire. ”


De Vic­tor Consi­dé­rant (X 1826) qui suc­cède à Fou­rier en 1837.

  • “ La libre concur­rence, c’est-à-dire la libre concur­rence anar­chique et sans orga­ni­sa­tion, a donc cet inhu­main, cet exé­crable carac­tère qu’elle est par­tout et tou­jours dépré­cia­tive du salaire… ”
  • “ Notre régime indus­triel est un véri­table enfer, il réa­lise sur une échelle immense les concep­tions les plus cruelles des mythes de l’Antiquité… ”
  • “ Faire tra­vailler les machines pour les capi­ta­listes et pour le peuple et non plus pour les capi­ta­listes contre le peuple… ”


De pré­fé­rence à Blan­qui et Bar­bès, citons encore plu­tôt Prou­dhon, sans doute le plus lucide des théo­ri­ciens du socia­lisme de son temps, lequel per­çoit la dimen­sion uni­ver­selle du pro­blème, sans illu­sion sur la capa­ci­té poli­tique des masses et des lea­ders socia­listes à accom­plir la révo­lu­tion prolétarienne.

  • “ Les com­mu­nistes sont avec moi, bien que je ne sois pas com­mu­niste et je suis avec eux parce que, sans qu’ils le sachent, ils ne sont pas plus com­mu­nistes que moi. ” (Car­nets 2.8.1845)
  • “ Une révo­lu­tion vrai­ment orga­nique, pro­duit de la vie uni­ver­selle, bien qu’elle ait ses mes­sa­gers et ses exé­cu­teurs, n’est vrai­ment l’œuvre de per­sonne.” (De la capa­ci­té poli­tique de la classe ouvrière)
  • “ Si la révo­lu­tion popu­laire, satis­faite de faire l’agitation dans ses ate­liers, de har­ce­ler le bour­geois et de se signa­ler dans des élec­tions inutiles, reste indif­fé­rente sur les prin­cipes de l’économie poli­tique qui sont ceux de la révo­lu­tion, il faut qu’elle le sache, elle ment à ses devoirs et elle sera un jour flé­trie devant la postérité. ”
  • “ La Nation fran­çaise, quoique fron­deuse et remuante, curieuse de nou­veau­tés, inca­pable d’une dis­ci­pline exacte, riche en esprits inven­tifs et en carac­tères entre­pre­nants n’en est pas moins au fond et prise en masse le repré­sen­tant en toute chose du juste milieu et de la sta­bi­li­té. ” (Post-scrip­tum Confes­sion d’un révo­lu­tion­naire)
  • “ Tous, tant que nous vivons, dévots et scep­tiques, roya­listes et répu­bli­cains, en tant que nous rai­son­nons d’après les idées reçues et les inté­rêts éta­blis, nous sommes conser­va­teurs. En tant que nous obéis­sons à nos ins­tincts secrets, aux forces occultes qui nous pressent, aux dési­rs d’amélioration géné­rale que les cir­cons­tances nous sug­gèrent, nous sommes révolutionnaires. ”

(Conve­nons que cela n’est pas mal jugé.)

La question sociale en France

Les ponc­tions meur­trières d’hommes valides entraî­nées par les guerres du Pre­mier Empire avaient raré­fié la main-d’œuvre. La paix reve­nue, la reprise éco­no­mique, la len­teur du mou­ve­ment d’in­dus­tria­li­sa­tion n’a­vaient pas été à la mesure de l’af­flux accru de main-d’œuvre rurale en quête d’emploi dans les villes, en sorte que la condi­tion ouvrière qui n’é­tait déjà pas fameuse était deve­nue fran­che­ment mau­vaise et la révo­lu­tion de 1830 n’a­vait pas arran­gé les choses, bien au contraire. Confron­té à une agi­ta­tion qui ne s’a­pai­sait pas, Casi­mir Per­ier avait don­né le ton en 1831 à la tri­bune de l’As­sem­blée : Il faut que les ouvriers sachent bien qu’il n’y a de remède à leurs maux que dans la patience et la résignation.

Décla­ra­tion qui n’é­tait pas de nature, il va sans dire, à cal­mer les inté­res­sés. On a peine à ima­gi­ner de nos jours l’en­fer quo­ti­dien vécu par une popu­la­tion ouvrière consti­tuée en majo­ri­té de manœuvres sans qua­li­fi­ca­tion (les ouvriers qua­li­fiés dans la métal­lur­gie, l’im­pri­me­rie, le bâti­ment… vivent un peu moins mal). Elle vit entas­sée dans des locaux insa­lubres ou des caves dans des condi­tions de pro­mis­cui­té et d’hy­giène épou­van­tables : mal­nu­tri­tion et rachi­tisme, alcoo­lisme, tuber­cu­lose, épi­dé­mies la ravagent et la déciment rédui­sant à trente ans la durée moyenne de vie au lieu de qua­rante-cinq à cin­quante ans pour le reste de la population.

Un rap­port célèbre (celui du doc­teur Vil­ler­mé) nous révèle que, dans l’in­dus­trie tex­tile du Nord, l’ou­vrier tra­vaille treize heures par jour pour un salaire de 2 F (le kilo de pain vaut 30 cen­times), la femme 1 F, l’en­fant 0,5 F. Ces salaires, non pro­té­gés en cas de crise, baissent, c’est alors la misère abso­lue. Que de dom­mages irré­ver­sibles cau­sés à la san­té phy­sique et morale de la nation ! Il s’en­suit, par exemple, que 60 à 90 % des jeunes ouvriers sont recon­nus inaptes au ser­vice mili­taire tan­dis que l’on dénombre en 1840 pas moins de 130 000 enfants abandonnés.

Les classes pos­sé­dantes – élec­to­rat cen­si­taire et petite bour­geoi­sie – n’é­prouvent pas dans l’en­semble mau­vaise conscience d’une situa­tion, vécue sous le cou­vert de la léga­li­té (« Loi sou­ve­raine » si chère aux rous­seauistes) fût-elle inique comme la fameuse loi Le Cha­pe­lier de 1791 que l’on s’est bien gar­dé d’a­bro­ger sous tous les régimes qui se sont suc­cé­dé depuis lors : quel autre usage que révo­lu­tion­naire en ferait la classe ouvrière si le droit de coa­li­tion lui était recon­nu ? (Rap­pe­lons qu’elle devra attendre 1901 pour l’ob­te­nir, quant au droit de grève il n’en était pas ques­tion a for­tio­ri et il revien­dra à Napo­léon III de l’ac­cor­der, plus ou moins à ses dépens d’ailleurs.)

L’in­ter­ven­tion­nisme offi­ciel se borne en 1841 à inter­dire l’emploi des enfants de moins de 8 ans et à limi­ter à douze heures par jour celui d’en­fants de 12 à 16 ans. Or cette mesure va res­ter lettre morte, car on se refuse dans le même temps à créer une ins­pec­tion du tra­vail (au témoi­gnage de Frey­ci­net dans ses mémoires).

Il ne fau­drait cepen­dant pas croire qu’il y ait dans la socié­té fran­çaise de cette époque une com­pli­ci­té géné­rale à exploi­ter toute cette misère à son seul profit.

Certes l’É­glise catho­lique atta­chée à la bien­veillance du pou­voir à son égard, mais dont le cré­dit et la pré­sence auprès des masses ouvrières sont en chute libre, entend res­ter poli­ti­que­ment neutre, assu­mer au mieux ses tâches cari­ta­tives même si l’am­pleur des besoins la dépasse. Des voix ne s’é­lèvent pas moins en son sein pour dénon­cer avec véhé­mence la tra­hi­son de la parole évan­gé­lique, à com­men­cer par La Men­nais grou­pant autour du jour­nal L’A­ve­nir la jeu­nesse libé­rale catholique.

Vous dites que vous aimez et beau­coup de vos frères manquent de pain pour sou­te­nir leur vie, de vête­ments pour cou­vrir leurs membres nus…, tan­dis que vous avez toutes choses en abon­dance… Et il y a un grand nombre de malades qui lan­guissent faute de secours sur leur pauvre couche, des mal­heu­reux qui pleurent…, des petits enfants qui s’en vont tran­sis de froid de porte à porte…

Qui­conque le pou­vant ne sou­lage pas son frère qui soufre est l’en­ne­mi de son frère, qui­conque le pou­vant ne le nour­rit pas est un meur­trier… (Paroles d’un croyant, 1834, cha­pitre XIV)

On sait les foudres que lui attire son chris­tia­nisme socia­li­sant mais d’autres prennent la suite comme son ami Lacor­daire qui, sou­mis aux injonc­tions pon­ti­fi­cales, fait sen­sa­tion par ses prêches de carême en 1835 et 1836 à Notre-Dame. D’ac­tifs jour­naux et mou­ve­ments catho­liques ouverts au « social » voient par ailleurs le jour telle la socié­té Saint-Vincent-de-Paul fon­dée par Fré­dé­ric Oza­nam et qui compte 10 000 membres en 1848.

Des avancées sociales en Grande-Bretagne

On peut certes faire valoir que les condi­tions de vie et de tra­vail sont à peine meilleures dans les agglo­mé­ra­tions indus­trielles des pays voi­sins, par exemple en Rhé­na­nie, dans les mines anglaises, à Man­ches­ter… En revanche, la prise de conscience du pro­blème social sous ses dif­fé­rents aspects y est moins tar­dive et un puis­sant mou­ve­ment de réformes est enga­gé bien avant 1848 chez nos prag­ma­tiques voi­sins d’outre-Manche par des lois sur les usines, les mines, l’hygiène.

La légis­la­tion des fameuses trade unions, plus ou moins clan­des­tines jus­qu’a­lors, est adop­tée en 1824 tan­dis qu’en 1829 le cabi­net de Robert Peel crée au sein du Home Office (le minis­tère de l’In­té­rieur) une police spé­cia­li­sée du tra­vail dont les effec­tifs allaient croître rapi­de­ment à la suite de l’a­dop­tion en 1833 d’une légis­la­tion stricte sur le tra­vail des enfants et des jeunes ouvriers au-des­sous de 18 ans. Dans l’in­dus­trie tex­tile, le tra­vail des femmes est limi­té à dix heures jour­na­lières, tan­dis que la « semaine anglaise » voit le jour en 1850.

Cette évo­lu­tion favo­rable était due pour une grande part à une vaste cam­pagne d’in­for­ma­tion menée auprès du public par des asso­cia­tions reli­gieuses fon­dées par de riches et influents tories, telle la Young Men’s Chris­tian Asso­cia­tion.

Le deuxième plan d’ac­tion s’o­père au niveau du coût de la vie notam­ment des den­rées ali­men­taires. Robert Peel est gagné au libre-échange sous la pres­sion de l’é­cole de Man­ches­ter de Richard Cob­den et l’ha­bile cam­pagne orches­trée par l’As­so­cia­tion contre les lois sur les blés, qui dif­fuse par­tout une affiche mon­trant trois miches de pain de tailles dif­fé­rentes en France, Grande-Bre­tagne et Prusse, avec ce com­men­taire élo­quent : Qu’ils labourent pour nous, nous file­rons et tis­se­rons pour eux.

Si la condi­tion ouvrière en Grande-Bre­tagne au cours des années 1850 est encore loin d’être idyl­lique comme l’at­testent les romans de Dickens (en par­ti­cu­lier la sainte hor­reur ins­pi­rée par les wor­khouses, ces bas­tilles des pauvres qu’ex­pé­ri­mente Oli­ver Twist) du moins ces sub­stan­tielles amé­lio­ra­tions vont pré­ser­ver dans l’en­semble les masses labo­rieuses anglaises de la conta­gion du mar­xisme en dépit de la pré­sence à Londres de Karl Marx qui y trouve refuge.

La question des nationalités

C’est une erreur d’op­tique assez com­mune de consi­dé­rer l’empereur Napo­léon III comme l’in­ven­teur, l’ins­ti­ga­teur par excel­lence du « Prin­cipe des natio­na­li­tés », effec­ti­ve­ment au cœur de sa poli­tique. C’est oublier seule­ment deux choses :

La Liberté guidant le peuple. Tableau de Delacroix
La Liber­té gui­dant le peuple
La Répu­blique, bon­net phry­gien sur sa che­ve­lure brune entre un gavroche et un insur­gé dont le visage est ins­pi­ré de celui de l’auteur : Dela­croix. Expo­sée au Salon de 1830 cette toile, qui avait vive­ment impres­sion­né le public, fut acquise par le nou­veau gou­ver­ne­ment… mais, jugée trop sub­ver­sive, elle dis­pa­rut par la suite à diverses reprises.
En réa­li­té Dela­croix n’entretenait guère d’illusions per­son­nelles sur le cours des évé­ne­ments et l’issue des révo­lu­tions de 1830 et 1848. “ On parle tou­jours de liber­té, c’est le but aimé de toutes les révo­lu­tions mais on ne dit pas ce que c’est que cette liber­té… La liber­té poli­tique est le grand mot auquel on sacri­fie pré­ci­sé­ment dans cet ordre d’idées la plus réelle des liber­tés, celle de l’esprit, celle de l’âme. ”
  © COLLECTION VIOLLET

1) il trouve dans l’i­ma­gi­naire col­lec­tif de nos com­pa­triotes un ter­rain tout pré­pa­ré, acquis d’a­vance à une poli­tique exté­rieure géné­reuse et assez folle, propre à res­tau­rer, du moins le croit-il, le pres­tige de la France dans le monde…, tout en neu­tra­li­sant au moins sur ce ter­rain son oppo­si­tion républicaine ;

2) il ne fait que reprendre à son compte la poli­tique étran­gère bri­tan­nique, lar­ge­ment enga­gée mais à peu de risques après 1840 par Palmerston.

Exa­mi­nons en détail ces deux aspects.

A) Cette » natio­ma­nie « , ce démon de l’in­ter­ven­tion­nisme hors de nos fron­tières, au pré­texte de libé­rer les peuples de l’op­pres­sion, exal­tés par les guerres révo­lu­tion­naires, avait sur­vé­cu à l’hu­mi­lia­tion des trai­tés de 1815 et resur­gi en 1830 avec l’ex­plo­sion des frus­tra­tions accu­mu­lées par la Révo­lu­tion, l’Em­pire, la Restauration.

À l’é­vi­dence, la monar­chie de Juillet a le plus grand mal, s’é­puise, se dis­cré­dite à conte­nir l’hu­meur bel­li­queuse de l’o­pi­nion, trait qui n’é­chappe pas à ses hôtes étran­gers : La France était dans le genre sen­ti­men­tal bien plus que dans le genre ration­nel (Hen­ri Heine). L’am­biance, l’air du temps à Paris est à la révolte, non seule­ment dans la presse d’op­po­si­tion, pro­digue de cri­tiques viru­lentes, mais dans la lit­té­ra­ture laquelle ne per­met pas de mar­cher mais de res­pi­rer : la révolte est au théâtre avec Hugo, dans les arts avec Dela­croix (La Liber­té gui­dant le peuple), Rude (La Mar­seillaise sur l’Arc de triomphe)…, avec Ber­lioz…, avec les his­to­riens qui remuent le pas­sé, raniment les épo­pées révo­lu­tion­naire et impé­riale. Y contri­bue l’hy­per­tro­phie de la capi­tale où convergent toutes les jeunes ambi­tions pro­vin­ciales, où affluent par vagues des réfu­giés poli­tiques (notam­ment polo­nais) après 1830.

Tous les oppo­sants au nou­veau régime s’ac­cordent à repro­cher au roi et à ses ministres leur paci­fisme, la pru­dence cal­cu­lée d’une poli­tique étran­gère, sou­mise au nou­vel ordre euro­péen. À leurs yeux, la monar­chie orléa­niste, par son atti­tude com­plice de la Sainte-Alliance, humi­lie la France devant l’Eu­rope. Et pour­tant ! Com­ment ne pas savoir gré à Louis-Phi­lippe, aidé de Tal­ley­rand, d’a­voir en 1831 réglé de la manière la plus heu­reuse le pro­blème belge. Cette vieille pierre d’a­chop­pe­ment de l’Eu­rope, cette Bel­gique dont Miche­let, si peu sus­pect de sym­pa­thie pour la monar­chie de Juillet, nous pré­sente (dans la pré­face de son His­toire de France) comme le coin de l’Eu­rope, le ren­dez-vous des guerres, voi­là pour­quoi elles sont si grasses ces plaines, le sang n’a pas le temps d’y sécher.

Le roi et son ministre eurent la sagesse de refu­ser l’offre, votée en 1831 par le Congrès natio­nal belge, de la cou­ronne au second fils du roi (le duc de Nemours) et d’ac­cep­ter le can­di­dat de l’An­gle­terre, Léo­pold de Saxe-Cobourg à qui il donne en mariage sa fille aînée Louise-Marie. Cette renon­cia­tion, cette accep­ta­tion spon­ta­née d’une bar­rière fron­ta­lière à nos ambi­tions, pas­sa aux yeux de l’o­pi­nion fran­çaise pour une tra­hi­son, un lâche aban­don des idéaux de la Révolution.

L’An­gle­terre qui était hos­tile à une réunion dégui­sée était en effet prête à rameu­ter contre la France les Alliés de 1815. Rap­pe­lons que cette solu­tion de com­pro­mis, diri­gée contre notre pays, était assor­tie d’une garan­tie de neu­tra­li­té dont la Prusse fut alors signa­taire. Pen­sons un ins­tant à ses consé­quences à terme : c’est la vio­la­tion de ce trai­té par l’Al­le­magne au siècle sui­vant qui devait déci­der la Grande-Bre­tagne à se ran­ger à nos côtés en 1914.

Si, vue à dis­tance, l’ère orléa­niste fait figure de paix à l’ex­té­rieur, sinon de calme et de pros­pé­ri­té à l’in­té­rieur, on ne mesure pas assez à quel point elle le doit à la poli­tique pour­sui­vie contre vents et marées par le roi des Fran­çais dont la situa­tion devient des plus incon­for­tables à par­tir du moment où la fronde contre sa poli­tique étran­gère gagne les rangs de sa propre majo­ri­té deve­nue récep­tive aux cou­rants domi­nants de l’opinion.

Le grand per­tur­ba­teur en est Thiers dont les » fan­fa­ron­nades » nous amènent à deux reprises, en 1836 et en 1840, au bord de la guerre (ce n’est pas tout à fait par hasard si le Prince Napo­léon choi­sit ces moments de crise pour se faire connaître, par ses deux bien vaines ten­ta­tives de sub­ver­sion de Stras­bourg et Boulogne).

Thiers, un temps conver­ti par le roi à l’i­dée de la conser­va­tion en Europe, avait ten­té en 1836 un rap­pro­che­ment avec l’Au­triche, qui serait cou­ron­né par le mariage du duc d’Or­léans avec une archi­du­chesse. Le refus de cette alliance, res­sen­ti comme un échec per­son­nel, amène Thiers à envi­sa­ger un conflit avec l’Autriche.

Louis-Phi­lippe, qui ne vou­lait à aucun prix la guerre avec l’Au­triche, en Ita­lie ou ailleurs, l’a­vait alors congé­dié pour le rem­pla­cer par Molé, bien­tôt deve­nu la cible des chefs par­le­men­taires de toutes ten­dances, véri­table cabale, atti­sée par la jalou­sie et les riva­li­tés per­son­nelles comme Thiers lui-même devait en faire l’a­veu plus tard en se récon­ci­liant avec Molé.

Ain­si, ceux-là mêmes qui avaient fait la monar­chie s’employèrent un moment à la dis­cré­di­ter, pro­vo­quant en 1839 une grave crise qui faillit empor­ter le régime.

Pous­sé dans ses retran­che­ments Louis-Phi­lippe n’eut d’autre choix que de rap­pe­ler Thiers en 1840 comme chef du gou­ver­ne­ment avec le por­te­feuille des Affaires étran­gères. Thiers ne vou­lait pas perdre la face devant l’o­pi­nion tout en res­tant fidèle à ses convic­tions : Ce n’est pas la popu­la­ri­té des rues qu’il faut dési­rer mais c’est celle des champs de bataille.

Il ne fit pas mys­tère de son inten­tion d’en­tre­prendre une guerre conti­nen­tale contre la Prusse et l’Au­triche, sou­hai­tée depuis long­temps par le par­ti anti-autri­chien (qui n’a­vait jamais désar­mé en France depuis Louis XV).

Cette ini­tia­tive intem­pes­tive eut pour effet immé­diat de déclen­cher outre-Rhin une vio­lente flam­bée de natio­na­lisme ger­ma­nique dont le feu cou­vait tou­jours depuis 1813.

Il amène le roi de Prusse, soi-disant libé­ral, à prendre ouver­te­ment posi­tion pour l’u­ni­té allemande.

L’é­chauf­fe­ment des esprits devint tel qu’il gagna la famille royale, fai­sant dire au duc d’Or­léans : Mieux vaut périr sur le Rhin ou le Danube que dans le ruis­seau de la rue Saint-Denis.

Fai­sant front contre son ministre et l’o­pi­nion déchaî­née, Louis-Phi­lippe tint bon, ral­lia à la cause de la paix des par­le­men­taires influents autour de Gui­zot : l’ex-ambas­sa­deur à Londres fit valoir que l’An­gle­terre ne per­met­trait jamais à la France de reprendre une poli­tique de conquête, qu’un désastre sur mer était inévi­table et une guerre conti­nen­tale des plus aventureuses.

Le ren­voi de Thiers, son rem­pla­ce­ment par Gui­zot, Soult inau­gu­raient une nou­velle phase de rai­dis­se­ment entre la monar­chie et son opi­nion publique, faite d’in­com­pré­hen­sion réci­proque, de mal­adresse d’un côté, de bel­li­cisme infan­tile de l’autre (atti­sé par une presse irres­pon­sable) dont la viru­lence et même la mau­vaise foi n’ont pas man­qué après coup d’é­ton­ner plus d’un historien.

B) Par la suite, l’en­tente cor­diale fran­co-bri­tan­nique, clé de voûte de la poli­tique exté­rieure de la monar­chie si dif­fi­ci­le­ment pré­ser­vée, va être com­pro­mise une nou­velle fois avec » l’af­faire Prit­chard » (A 3) en 1844, inci­dent appa­rem­ment mineur, mais com­bien révé­la­teur des sus­cep­ti­bi­li­tés natio­nales alors à vif. La guerre avec l’An­gle­terre est évi­tée au prix d’ex­cuses du gou­ver­ne­ment fran­çais et d’une indem­ni­té (qui au demeu­rant ne sera jamais ver­sée). L’o­pi­nion anglaise s’a­paise mais c’est au tour de la fran­çaise de se déchaî­ner contre le roi et son ministre, ne leur par­don­nant pas d’a­voir » désho­no­ré la France » par leur lâche­té face à l’Angleterre.

En 1846 l’en­tente va se bri­ser sur » l’af­faire des mariages espa­gnols » à cause de la pré­ten­tion de Pal­mers­ton d’im­po­ser un Saxe-Cobourg en mariage à l’hé­ri­tière du trône d’Es­pagne, Isa­belle, » sorte de bou­chon royal flot­tant sur un océan de tur­pi­tudes « . (Une autre affaire de mariage espa­gnol pré­lu­de­ra à la guerre de 1870.)

Cette fois Louis-Phi­lippe et Gui­zot tiennent bon n’ad­met­tant pas que le trône d’Es­pagne sorte de la mai­son de Bour­bon. (Isa­belle épouse un Bour­bon tan­dis que le duc de Mont­pen­sier (A 4), cin­quième fils de Louis-Phi­lippe, épouse l’in­fante, sœur d’Isabelle.)

Il faut bien voir qu’au cours des années 1840 le pay­sage poli­tique de l’Eu­rope a chan­gé complètement.

L’An­gle­terre rompt avec l’in­ter­na­tio­nale dynas­tique avec l’a­vè­ne­ment de la reine Vic­to­ria en 1837, laquelle apprend le métier de sou­ve­rain de son cou­sin et époux Albert de Saxe-Cobourg, sau­vant ain­si la monar­chie anglaise dont le pres­tige était en chute libre sous les Hanovriens.

La » Sainte-Alliance » n’est plus qu’une coquille vide : comme nous l’a­vons vu, l’An­gle­terre et la Rus­sie s’op­posent sur la com­plexe » ques­tion d’O­rient » tan­dis que Prusse et Autriche sont rivales en Alle­magne. Une véri­table volte-face de la poli­tique bri­tan­nique s’o­père pro­gres­si­ve­ment sous l’im­pul­sion de Pal­mers­ton et sous l’in­fluence d’un puis­sant cou­rant libé­ral de l’o­pi­nion, hos­tile aux monar­chies auto­cra­tiques. Dès 1840 Pal­mers­ton trouve désor­mais plus pro­fi­table pour les inté­rêts bri­tan­niques de sou­te­nir les mou­ve­ments révo­lu­tion­naires, notam­ment en Ita­lie, en Espagne, en Alle­magne, en Hon­grie, pour en prendre la tête.

En réa­li­té c’est à petits risques que l’An­gle­terre, pro­té­gée par son insu­la­ri­té et son pavillon redou­té sur mer, s’en­gage dans une voie, propre à pré­ci­pi­ter des crises iné­luc­tables à plus ou moins long terme. Les risques seront tout autres pour la France de Napo­léon III.

UN OPPOSANT PROPHÉTIQUE : LAMARTINE

La grand pas­sion de ce temps, c’est la pas­sion de l’avenir,
c’est la pas­sion du per­fec­tion­ne­ment social.

Dis­cours en faveur de la liber­té de presse, le 21.8.1834

L’opposant à la monarchie de Juillet

Lamartine, gravureLamar­tine, poète adu­lé à Paris depuis 1820, très ouvert aux pro­blèmes poli­tiques de son temps, avait fait paraître en 1831 une bro­chure Sur la poli­tique ration­nelle. Peu impor­tait à ses yeux la forme exté­rieure de l’État et de son chef, monar­chie ou répu­blique, l’essentiel était que cer­tains prin­cipes fon­da­men­taux soient res­pec­tés : liber­té de presse, gra­tui­té de l’enseignement, sépa­ra­tion com­plète de l’Église et de l’État, sup­pres­sion de la peine de mort, etc. En un mot, le poète appe­lait de ses voeux l’instauration d’une authen­tique démocratie.

Sié­geant à l’Assemblée, dès son retour d’Orient en 1833, il en était vite deve­nu l’orateur le plus remar­qué, redou­té par ses inter­ven­tions cri­tiques sus­ci­tant l’agacement du roi : “ Ah, ces poètes n’ont pas la tête bien réglée, il y manque quelque chose… Ne me par­lez pas des poètes qui se mêlent de politique ! ”

Le libé­ra­lisme bien com­pris de Lamar­tine ne pou­vant se satis­faire long­temps de la tor­peur du nou­veau régime, il passe ouver­te­ment en 1840 à l’opposition :

“ Il ne sera pas don­né de pré­va­loir long­temps contre l’organisation et le déve­lop­pe­ment de la démo­cra­tie moderne à ce sys­tème qui usurpe léga­le­ment, qui empiète timi­de­ment, mais tou­jours et qui dépouille le pays pièce à pièce de ce qu’il devait conser­ver des conquêtes de dix ans, de cin­quante ans. ” (Allu­sion aux révo­lu­tions de 1830 et 1789.)

“ Répu­blique, consti­tu­tion, monar­chie, alliances, on ne fonde tout cela qu’avec des pen­sées col­lec­tives, avec des pen­sées dés­in­té­res­sées et natio­nales !… Vous vou­lez bâtir avec des maté­riaux décom­po­sés, avec des élé­ments morts, et non avec des idées qui ont la vie et qui auront l’avenir ! ”

On ne peut aujourd’hui que sous­crire à la jus­tesse de ses vues, par exemple quand il s’oppose en vain à la très coû­teuse entre­prise de for­ti­fi­ca­tion de Paris récla­mée par Thiers et Soult… et conçue selon les règles de l’art par “la sape ”.

“ Com­ment dans une ville entou­rée d’ennemis sans com­mu­ni­ca­tions avec les dépar­te­ments, contien­drez-vous une masse de 300 000 pro­lé­taires, sans tra­vail, je dis que dans une situa­tion pareille les fac­tions les plus vio­lentes ten­draient mal­heu­reu­se­ment à s’emparer du pays. ”

Vues pré­mo­ni­toires puisque les “ for­tifs ”, cette enceinte coû­teuse et inutile, contri­bue­ront sur­tout à for­ti­fier la déter­mi­na­tion de la Com­mune en 1871 et rendre plus âpres les com­bats fra­tri­cides du siège de Paris.

À un autre moment, il lui arrive d’exposer la méfiance que lui ins­pire la Prusse, évo­quant “ le jour proche où elle pren­dra la tête de la Confé­dé­ra­tion germanique ”.

Déçu dans ses ambi­tions poli­tiques après 1840 (il espé­rait sans doute obte­nir le por­te­feuille des Affaires étran­gères), condam­né à l’inaction sinon au silence par Gui­zot qui le craint, Lamar­tine va employer ses loi­sirs for­cés à élar­gir son audience dans l’opinion, tou­jours récep­tive à l’évocation de la Révo­lu­tion fran­çaise (popu­la­ri­sée par Thiers en 10 volumes parus entre 1824 et 1827, et à laquelle s’attaquera à son tour Michelet).

Lamar­tine, écri­vain-né, his­to­rien à la manière et selon le goût du temps, va écrire l’Histoire des giron­dins ser­vie en 8 volumes, sor­tis au fur et à mesure en 1847, qui sou­lèvent un enthou­siasme extra­or­di­naire. (On fait la queue avant l’aube devant les librai­ries pour être ser­vis.) Il va sans dire que ce véri­table “ tabac ” (unique en son genre, s’agissant d’un ouvrage his­to­rique), décon­cer­tant aujourd’hui, est révé­la­teur de l’atmosphère pré­ré­vo­lu­tion­naire régnant en 1847.

L’homme d’État

C’est Lamar­tine qui rédige la pro­cla­ma­tion ins­ti­tuant un gou­ver­ne­ment pro­vi­soire de la Répu­blique, dont lui-même et Odi­lon Bar­rot ont pris l’initiative à la der­nière séance de l’Assemblée en février 1848. Âme de la révo­lu­tion, on lui confie le por­te­feuille des Affaires étran­gères en rai­son de son expé­rience diplomatique.

Il lui faut d’un côté résis­ter à cette manie inter­ven­tion­niste des par­tis de gauche impa­tients de lan­cer à l’extérieur, comme en 1793, les armées de la Répu­blique, de l’autre ras­su­rer les puis­sances étran­gères. En effet il n’admet pas que la France fasse la guerre en dehors de solides alliances.

“ Où en serions-nous si nous étions tenus… d’obéir à tous les condot­tieres de la liber­té, tan­tôt à l’Irlande qui nous somme par ses envoyés d’attaquer avec elle l’Angleterre, tan­tôt aux Pro­vinces rhé­nanes qui nous somment par leurs clubs d’attaquer la Prusse, tan­tôt la Pologne, tan­tôt à Gênes, tan­tôt à Milan qui nous somment d’émanciper la Lom­bar­die de l’Autriche. Une telle exi­gence serait l’asservissement de la France à tout pro­pos et hors de propos… ”

Le nou­veau ministre des Affaires étran­gères s’emploie acti­ve­ment et habi­le­ment au cours des deux mois de son man­dat à faire entendre en gen­til­homme le lan­gage de la rai­son aux gou­ver­ne­ments aris­to­cra­tiques de la Sainte- Alliance. Sa lettre aux ambas­sa­deurs étran­gers est un modèle du genre. 

“ Un peuple se perd en devan­çant l’heure de cette matu­ri­té comme il se désho­nore en la lais­sant échap­per sans la sai­sir. La Monar­chie et la Répu­blique ne sont pas aux yeux des véri­tables hommes d’État des prin­cipes abso­lus qui se com­battent à mort, ce sont des faits qui se contrastent et qui peuvent vivre face à face en se com­pre­nant et se respectant… ” 

“ Ce sera un bon­heur pour moi de concou­rir par tous les moyens en mon pou­voir à cet accord entre les peuples dans leur digni­té réci­proque et de rap­pe­ler à l’Europe que le prin­cipe de la paix et le prin­cipe de la liber­té sont nés le même jour en France. ”

En dépit de ses émi­nents ser­vices, de son sang-froid et d’initiatives heu­reuses pour réta­blir l’ordre mena­cé, Lamar­tine, après les jour­nées de juin 1848, est mis hors jeu, poli­ti­que­ment, vir­tuel­le­ment per­du ne pou­vant se résoudre, en conscience dans ce cli­mat de vio­lence et de peur déchaî­nées, à choi­sir clai­re­ment son camp. C’est ain­si qu’il devient sus­pect de com­plai­sance envers la “ cause socia­liste ” en pre­nant la défense de son ami Louis Blanc, un excellent his­to­rien au demeurant.

Blan­qui va dire de lui non sans humour :

“ Mon­sieur de Lamar­tine est bien tou­jours le même, un pied dans chaque camp et sur chaque rive, un vrai colosse de Rhodes ce qui fait que le vais­seau de l’État lui passe tou­jours entre les jambes. ”

En fait, l’opinion effrayée par le désordre et l’incapacité du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire à sur­mon­ter l’anarchie éco­no­mique et poli­tique ins­tau­rée fai­sait de Lamar­tine son pre­mier bouc émissaire.

Comme tous ses col­lègues du gou­ver­ne­ment, il s’était vite trou­vé débor­dé par le cours des évé­ne­ments et la mul­ti­ci­té des défis à relever.

Il n’en demeure pas moins que sa luci­di­té sur les bou­le­ver­se­ments poli­tiques de l’Europe qui se pro­filent à l’horizon contraste avec les vues courtes des élites diri­geantes de son temps.

Un système électoral hors d’âge et funeste

On ne sau­rait mini­mi­ser l’im­por­tance de cette ques­tion et de son enjeu poli­tique, quand on sait qu’elle fut à l’o­ri­gine en février 1848 des mani­fes­ta­tions vite dégé­né­rées en révo­lu­tion. La sub­sti­tu­tion par les libé­raux du duc d’Or­léans au roi détrô­né par l’é­meute pari­sienne était arti­fi­cielle, la grande masse du pays y étant étran­gère au départ.

La charte de 1814 légè­re­ment rema­niée par leurs soins res­tait le cre­do du nou­veau régime réser­vant comme le pré­cé­dent le droit de suf­frage aux seuls riches. Cela peut sur­prendre de la part d’au­then­tiques libé­raux. On s’i­ma­gine com­mu­né­ment que l’hos­ti­li­té au suf­frage uni­ver­sel n’a­vait d’autre cause à cette époque que la méfiance des pos­sé­dants vis-à-vis des masses popu­laires por­teuses à leurs yeux de la » révo­lu­tion « , de la spo­lia­tion des biens.

Or cette hos­ti­li­té était par­ta­gée par les libé­raux avan­cés eux-mêmes qui jugeaient ris­qué et pré­ma­tu­ré d’a­voir à consul­ter un peuple sur­tout com­po­sé de ter­riens atta­chés à des inté­rêts bor­nés à l’ho­ri­zon de leur vil­lage et par sur­croît le plus sou­vent anal­pha­bètes. Seule, pen­saient-ils, la for­tune, du moins la grande aisance, pou­vait affran­chir des pré­oc­cu­pa­tions » vul­gaires « . Il y avait là d’une cer­taine manière comme une sur­vi­vance du vieil esprit où cha­cun devait res­ter dans l’ordre où l’a­vaient pla­cé sa nais­sance, sa for­tune voire la faveur du prince.

Par exemple ceux qui étaient sol­dats faute d’argent pour se faire rem­pla­cer n’a­vaient pas à se pro­non­cer par leur vote sur les grandes options poli­tiques de la nation. (N’é­tait-ce pas un maré­chal d’Em­pire, Soult, qui avait conçu un tel sys­tème de recrutement !)

Curieuse concep­tion d’une démo­cra­tie ne peut-on s’empêcher de pen­ser ! Or ce concept res­tait encore bien vague. L’hos­ti­li­té au suf­frage uni­ver­sel avait d’ailleurs d’illustres réfé­rences : les consti­tuants de 1790 n’a­vaient-ils pas jugé sage de dis­tin­guer entre citoyens » actifs » et » pas­sifs « , Robes­pierre lui-même, refu­sé tout droit de suf­frage aux » domes­tiques « , aux ouvriers agri­coles… ? Quant à cette fameuse loi Le Cha­pe­lier, votée à l’ar­ra­ché en juin 1791, aucun esprit répu­té sen­sé à l’é­poque n’au­rait osé deman­der son abro­ga­tion par crainte des bou­le­ver­se­ments incon­trô­lables qui pou­vaient s’ensuivre.

En fait, le suf­frage cen­si­taire, réser­vé au pri­vi­lège de l’argent, loin d’être source de sta­bi­li­té, avait sur­tout de lourds incon­vé­nients ; mal­thu­sien dans son prin­cipe, repo­sant sur une base bien trop étroite de recru­te­ment, et donc de renou­vel­le­ment du per­son­nel poli­tique, il excluait la plu­part des » intel­lec­tuels « , des talents divers, des » capa­ci­tés » comme on disait alors, il rétré­cis­sait le champ des ambi­tions per­son­nelles à un petit cercle d’hommes, tou­jours les mêmes, aus­si avides et jaloux de pou­voir que prompts à se déga­ger pour s’op­po­ser entre eux : Ça ne peut être que vous ou moi aurait confié Thiers à Gui­zot, un jour de franche explication.

On assis­ta à ce spec­tacle peu édi­fiant pour une opi­nion d’au­tant plus fron­deuse qu’elle se voyait tenue à l’é­cart : les lea­ders du pays légal, Thiers en tête, se mirent à scier la branche sur laquelle ils s’é­taient assis. Ce der­nier fut la plus par­faite illus­tra­tion d’un phé­no­mène de méta­mor­phose assez com­mun en poli­tique : l’homme de pou­voir oublie l’op­po­sant, il devient un homme tout autre. Ce phé­no­mène, qui réserve plu­tôt d’heu­reuses sur­prises, se révé­lait désas­treux dans le cas pré­sent. N’en don­nons que le pre­mier exemple : déçu dans son ambi­tion de deve­nir chef du gou­ver­ne­ment, Thiers s’é­tait joint à l’op­po­si­tion par­ve­nue à se mettre d’ac­cord sur deux pro­jets de réformes.

1) L’in­com­pa­ti­bi­li­té de man­dats par­le­men­taires et d’exer­cice de fonc­tions publiques (moyen de débar­ras­ser la Chambre de 150 fonc­tion­naires votant sur ordre).

2) Un élar­gis­se­ment consé­quent du droit de suffrage.

Appe­lé par le roi à contre­cœur, Thiers ter­gi­verse, explique à ses col­lègues que cette réforme, au demeu­rant sou­hai­table, n’est pas tout à fait mûre, que l’on a inté­rêt à attendre encore un peu… Une seule expli­ca­tion à ce chan­ge­ment d’at­ti­tude : il savait l’hos­ti­li­té de la France rurale à l’a­ven­tu­risme extérieur.

Rien de tel qu’une bonne guerre, esti­mait Thiers, pour sau­ver le roi de ses embarras.

Mais à l’in­verse, de bonnes réformes internes ne sont-elles pas des anti­dotes autre­ment oppor­tuns pour recen­trer une opi­nion, d’au­tant plus prompte à exter­na­li­ser ses rêves de gran­deur, sa nos­tal­gie irrai­son­née d’un pas­sé glo­rieux, que ceux qui poussent à la guerre ne sont pas en géné­ral ceux qui la font (issus sur­tout des classes rurales, ins­truites des dures réa­li­tés de la guerre et plus paci­fiques par tradition).

Le roi et Gui­zot ne virent pas qu’il n’y avait guère de risque, tout au contraire, à ouvrir plus lar­ge­ment le droit du suf­frage, dans la pers­pec­tive d’une bien meilleure repré­sen­ta­tion de la » France pro­fonde « . Anglo­manes l’un et l’autre, fort bien infor­més (le roi est un lec­teur assi­du des jour­naux bri­tan­niques), ils avaient pour­tant sous les yeux l’exemple de la réforme anglaise accom­plie au cours des années 1830, à l’ins­ti­ga­tion d’un tory : Lord Grey. Aus­si dési­rée par la petite bour­geoi­sie que redou­tée par la classe diri­geante, elle n’a­vait pro­duit ni les miracles atten­dus par les uns, ni les désastres annon­cés par les autres : le nou­vel élec­to­rat s’é­tait mon­tré rai­son­nable et l’a­gi­ta­tion s’é­tait dissipée.

On sait que la monar­chie de Juillet allait tom­ber en février 1848 sur la ques­tion du droit de suf­frage blo­quée depuis dix-huit ans. L’en­tê­te­ment de Gui­zot et du roi à ne pas lâcher du lest (disons à dou­bler au mois l’é­lec­to­rat), à s’ac­cro­cher à un pays légal deve­nu une fic­tion juri­dique reste dif­fi­ci­le­ment excusable.

Signes avant-coureurs d’une révolution

On sait que crises éco­no­miques pro­fondes et disettes pré­ludent en géné­ral aux révolutions.

En 1845 les récoltes sont mau­vaises, en 1846 c’est pire, sur­tout dans les pays où la pomme de terre (qui pour­rit alors sur pied) est à la base de l’a­li­men­ta­tion, comme en Irlande (qui connaît la famine et l’exode de sa popu­la­tion), en Alle­magne du Nord (où la mor­ta­li­té devient effrayante à Ber­lin dans les classes pauvres).

En 1847 les récoltes rede­viennent nor­males mais dans l’in­ter­valle les den­rées ali­men­taires ont ren­ché­ri et l’hi­ver 1847–1848 est rigou­reux. Le chô­mage dû à la crise s’est éten­du en France : 20 % dans les mines, 40 % dans le tex­tile, frap­pé selon un pro­ces­sus éco­no­mique clas­sique par une mévente consé­cu­tive à l’as­sè­che­ment des res­sources des classes défa­vo­ri­sées. Les faillites se mul­ti­plient. Ce qui par sur­croît n’ar­range pas les choses depuis 1846, c’est le sur­plus mal résor­bé de l’af­flux à Paris de main-d’œuvre occa­sion­né par l’é­norme chan­tier des » for­tifs » de la capi­tale lan­cé au début des années 1840 par Thiers et main­te­nant achevé.

DEUXIÈME PARTIE

LA RÉPUBLIQUE INTROUVABLE

Les journées de février 1848

L’o­pi­nion était agi­tée depuis plu­sieurs mois par » la cam­pagne des Ban­quets » menée au nom de la réforme élec­to­rale, un ban­quet monstre avait été pro­je­té à Chaillot pour le mar­di 22 février 1848. Son inter­dic­tion pure et simple par ordon­nance du pré­fet de police (l’in­ca­pable et suf­fi­sant Deles­sert) qui s’en remet­tait au géné­ral Jac­que­mi­not lequel répon­dait » sur sa tête » du loya­lisme, deve­nu dou­teux, de la garde natio­nale, avait pro­vo­qué, selon un pro­ces­sus bien rodé, la levée de quelques bar­ri­cades dont la troupe s’é­tait vite ren­du maître.

Louis-Phi­lippe, enfin éclai­ré sur les dis­po­si­tions d’es­prit de la garde natio­nale (et donc de sa » bour­geoi­sie ») qui gagnait ses postes au cri de » Vive la réforme ! » s’é­tait déci­dé à lâcher Gui­zot pour appe­ler suc­ces­si­ve­ment Thiers et Odi­lon Bar­rot, mais des évé­ne­ments tra­giques allaient prendre de vitesse ces ini­tia­tives tar­dives d’a­pai­se­ment : la nuit venue, une colonne nom­breuse de mani­fes­tants s’é­tait por­tée bou­le­vard des Capu­cines où était alors situé le minis­tère des Affaires étran­gères, pour y conspuer Guizot.

Une bous­cu­lade, un coup de feu, le bataillon de ligne char­gé de sa garde s’é­tant cru atta­qué avait ripos­té par une fusillade cou­chant sur le sol une qua­ran­taine de mani­fes­tants. Des insur­gés déci­dés avaient alors char­gé les cadavres sur des tom­be­reaux pour les pro­me­ner à tra­vers Paris, exci­tant les cris de ven­geance de la foule. Le len­de­main, Paris en insur­rec­tion se cou­vrait de barricades.

Le 24 février, le maré­chal Bugeaud appe­lé pour réta­blir l’ordre s’a­vouant débor­dé, Louis-Phi­lippe mena­cé aux Tui­le­ries, mais refu­sant de don­ner l’ordre de tirer sur la foule, (ce qui est à son hon­neur) renon­çait au trône en faveur de son petit-fils, le » comte de Paris « , fils du duc d’Or­léans mort acci­den­tel­le­ment en 1842. On sait que cette ultime ten­ta­tive pour sau­ver la monar­chie allait échouer : la foule avait enva­hi la Chambre au moment où elle venait de se pro­non­cer en faveur de la régence de la duchesse d’Orléans.

Odi­lon Bar­rot avait alors sai­si l’oc­ca­sion pour retour­ner la situa­tion : Est-ce qu’on pré­ten­drait remettre en ques­tion ce que nous avons déci­dé par la révo­lu­tion de Juillet ? Et l’op­po­si­tion emme­née par Lamar­tine pro­cla­mait la Répu­blique, le droit au suf­frage universel…

Un cer­tain nombre de per­son­na­li­tés dési­gnées par­mi les oppo­sants les plus notoires, man­da­tées par l’As­sem­blée pour consti­tuer un gou­ver­ne­ment pro­vi­soire, se réunirent le 25 février à l’Hô­tel de Ville pour régler leurs attri­bu­tions : Lamar­tine aux Affaires étran­gères, Ledru-Rol­lin à l’In­té­rieur, Cré­mieux à la Jus­tice, Ara­go à la Marine et aux Colo­nies, Marie aux Tra­vaux publics…

Entraient par ailleurs dans le nou­veau conseil : Gar­nier-Pagès, Mar­rast, Car­not, Louis Blanc, Flo­con… et l’ou­vrier Albert que l’on dut aller qué­rir dans un café voi­sin pour l’ar­ra­cher à ses états d’âme. (Il ne savait encore si sa place était auprès de ses nou­veaux col­lègues ou… auprès des émeu­tiers, méfiants à l’é­gard d’un nou­veau gou­ver­ne­ment dont on igno­rait les intentions.)

Sa pré­sence au sein du gou­ver­ne­ment pro­vi­soire sem­blait en effet indis­pen­sable pour faire face à la confron­ta­tion des plus dan­ge­reuses qui s’an­non­çait : une foule énorme conver­geait dans l’a­près-midi, vers l’Hô­tel de Ville, exi­geant la pro­cla­ma­tion de la » Répu­blique sociale » gagée par l’a­dop­tion du dra­peau rouge, sym­bole de ses revendications.

Il faut ici mesu­rer la pré­ca­ri­té de la situa­tion où se trou­vait un gou­ver­ne­ment impro­vi­sé, sans pou­voir et moyens réels, n’ayant autour de lui que quelques gardes natio­naux sans armes… et élèves de l’É­cole poly­tech­nique venus se mettre à sa disposition5.

> Face à lui, une mul­ti­tude fré­mis­sante, capable de se por­ter à tous les excès, prompte à se croire tra­hie, bien déci­dée cette fois à ne pas voir esca­mo­tée, comme en 1830, ce qu’elle pen­sait être » sa révolution « .

Les membres du gou­ver­ne­ment, crai­gnant le pire, s’en remirent à Lamar­tine pour faire face. Admi­rable de sang-froid, d’à pro­pos, d’é­lo­quence per­sua­sive, ce der­nier essaya d’a­bord de faire entendre rai­son à 7 ou 8 délé­gués de la foule, qui, for­çant les bar­rages, avaient fait irrup­tion en armes dans la salle des séances.

Il pro­tes­ta d’a­bord contre les doutes inju­rieux for­mu­lés par ses inter­lo­cu­teurs : ses col­lègues et lui n’a­vaient-ils pas don­né assez de gages à la démo­cra­tie, n’é­taient-ils pas acquis à la cause des tra­vailleurs ? Qu’on les laisse œuvrer en paix à la solu­tion des pro­blèmes posés… !

Ne par­ve­nant pas à obte­nir d’eux que l’on fasse confiance à la Répu­blique, Lamar­tine, nul­le­ment décon­te­nan­cé, mit fin à la discussion :

Vous récla­mez le dra­peau rouge, vous vou­lez sur l’heure l’im­po­ser à la France ? La ques­tion est trop grave pour être réglée ici entre nous. Le peuple seul peut la tran­cher. Allons le consulter !

Tous quit­tèrent à cet ins­tant la salle pour se por­ter au-devant de la foule.

Après un long moment pour obte­nir le silence, faire taire les cris de » Vive le dra­peau rouge ! » Lamar­tine, s’im­po­sant enfin à l’at­ten­tion, lan­ça d’une voix forte por­tant aux extré­mi­tés de la place l’a­pos­trophe célèbre fidè­le­ment notée le jour même par Frey­ci­net (A 5) que l’on peut dif­fi­ci­le­ment omettre de rap­pe­ler ici :

… Citoyens, le dra­peau tri­co­lore a fait le tour du monde avec nos liber­tés et nos gloires, tan­dis que le dra­peau rouge n’a fait que le tour du Champ-de-Mars, bai­gné dans les flots du sang du peuple. Vous le repous­se­rez tous avec moi !

Un bref silence… La foule, sub­ju­guée, sous le coup de l’é­mo­tion, se mit à cla­mer de toutes parts : » Vive le gou­ver­ne­ment pro­vi­soire ! Vive Lamar­tine ! Vive le dra­peau tri­co­lore !… Tan­dis que dis­pa­rais­saient les uns après les autres, comme sai­sis de honte, les dra­peaux rouges bran­dis quelques ins­tants auparavant. »

Cela peut paraître à peine conce­vable mais c’est bien ain­si, par la magie du verbe, que les masses pari­siennes firent cré­dit à la IIe Répu­blique, que la méfiance fit place un temps à l’en­thou­siasme conta­gieux, que l’on vit bien­tôt des prêtres bénir un peu par­tout des arbres de la liberté.

La cause de la Répu­blique nou­velle l’emportait sur les san­glants sou­ve­nirs qu’on vou­lait lui substituer.

L’avènement du suffrage universel

Fai­sons grâce ici au lec­teur, pour n’en rap­pe­ler que les prin­ci­paux jalons, de l’é­vo­lu­tion de la situa­tion, tant éco­no­mique que poli­tique, en fait de sa dégra­da­tion conti­nue jus­qu’à la semaine tra­gique de juin 1848.

L’eu­pho­rie géné­rale ne devait durer que quelques jours, le temps de la prise de conscience des défis contra­dic­toires et des énormes pro­blèmes posés au gou­ver­ne­ment pro­vi­soire. Les semaines de mars s’a­vé­rèrent tumultueuses :

  • Il fal­lait sans cesse par­le­men­ter avec les insur­gés récla­mant des satis­fac­tions immé­diates, en pre­mier lieu concré­ti­ser le » droit au tra­vail » exi­gé par Louis Blanc, ques­tion d’au­tant plus redou­table que le nombre de chô­meurs s’a­lour­dis­sait avec la mul­ti­pli­ca­tion des fer­me­tures d’u­sines ne rece­vant plus de commandes.
    Déci­dée le 27 février la créa­tion » d’A­te­liers natio­naux » se heur­ta à des dif­fi­cul­tés consi­dé­rables de mise en œuvre, confiée à une Com­mis­sion sépa­rée des tra­vailleurs sié­geant au palais du Luxem­bourg et pré­si­dée par Marie. Il eût sans doute été judi­cieux d’ou­vrir divers chan­tiers d’u­ti­li­té publique notam­ment d’in­fra­struc­ture d’un réseau de voies fer­rées encore embryon­naire, on trou­va plus simple et expé­di­tif de concen­trer la main-d’œuvre, prin­ci­pa­le­ment sur le vaste ter­rain encore non amé­na­gé du Champ-de-Mars, et de l’oc­cu­per à des tâches d’in­té­rêt très contestable.
  • Il fal­lait en second lieu cal­mer l’ar­deur bel­li­queuse de meneurs exi­geant que l’on aille (entre autres choses) déli­vrer la Bel­gique de sa monar­chie pour y pro­cla­mer la répu­blique. (Ledru-Rol­lin, sans en réfé­rer à Lamar­tine, se prê­ta à une opé­ra­tion dans ce sens qui échoua lamen­ta­ble­ment.) Ce fut sur­tout la tâche de Lamar­tine dont il s’ac­quit­ta avec effi­ca­ci­té comme d’a­pai­ser les craintes des ambas­sades étran­gères à Paris.


Il était en revanche autre­ment facile de don­ner suite au droit, solen­nel­le­ment pro­cla­mé, de tous les citoyens au suf­frage… à cela près que l’on com­men­çait à se deman­der sérieu­se­ment si la pro­vince res­tée calme était à l’u­nis­son de Paris.

Les Ateliers nationaux du Champ-de-Mars, Paris, mars à juin 1848.
Les Ate­liers natio­naux du Champ-de-Mars, Paris, mars à juin 1848. L’entassement de main‑d’œuvre sur ce ter­rain (plus vaste qu’aujourd’hui et non amé­na­gé, qui ne répon­dait à aucune uti­li­té pra­tique) devint vite un centre d’agitation permanent.
© COLLECTION VIOLLET

C’est du côté de l’aile la plus avan­cée que l’ap­pré­hen­sion à ce sujet était la plus vive, aus­si les socia­listes orga­ni­sèrent-ils le 17 mars une mani­fes­ta­tion de masse pour récla­mer l’a­jour­ne­ment des élec­tions, et faire ain­si pres­sion sur le gou­ver­ne­ment. Inti­mi­dé, ce der­nier accep­ta de repor­ter au 23 avril la date du scru­tin. La fac­tion la plus dure de la gauche (les » com­mu­nistes » comme on com­men­çait à l’ap­pe­ler) vou­lut mettre à pro­fit ce répit pour ten­ter de s’emparer de l’Hô­tel de Ville mais se heur­ta sans suc­cès à la garde natio­nale. Cette nou­velle mani­fes­ta­tion à huit jours des élec­tions sus­ci­ta sur­tout dans l’o­pi­nion une vive hos­ti­li­té contre les fau­teurs de désordre.

Vint le jour tant atten­du où le suf­frage uni­ver­sel allait par­ler pour la pre­mière fois, avec un taux record de par­ti­ci­pa­tion, jamais atteint depuis lors, proche de 85 %.

Il fal­lut se rendre à l’é­vi­dence. La France dans son ensemble aspi­rait avant tout à l’ordre, la pro­vince désa­vouait l’ex­pé­rience pari­sienne. Si elle ne se pro­non­çait pas expli­ci­te­ment contre la Répu­blique, néan­moins sur les 800 dépu­tés élus, on en comp­tait à peine 100 dont le répu­bli­ca­nisme était au-des­sus de tout soup­çon, les autres étant, dans la plu­part des cas, des modé­rés tein­tés d’or­léa­nisme ou des légi­ti­mistes inavoués, très peu d’ou­vriers, une ving­taine tout au plus, ain­si que quelques bour­geois socialisants.

Ain­si le pay­sage poli­tique de la France n’é­tait plus du tout le même, l’ho­ri­zon n’é­tait pas plus aux réformes radi­cales à l’in­té­rieur qu’aux aven­tures guer­rières pour la déli­vrance des natio­na­li­tés. Il serait plus exact de dire que la France » pro­fonde » ne répon­dait pas à l’i­mage accré­di­tée par les cercles poli­tiques ou les jour­naux pari­siens. Contrai­re­ment aux pré­ju­gés à son encontre des milieux conser­va­teurs, le suf­frage uni­ver­sel n’é­tait pas syno­nyme de mon­tée en puis­sance de la révo­lu­tion. Déci­dé­ment la « poli­to­lo­gie » était un art encore bien bal­bu­tiant au niveau national.

Le pre­mier geste de l’As­sem­blée fut de dis­soudre le gou­ver­ne­ment pro­vi­soire et de le rem­pla­cer par une Com­mis­sion exé­cu­tive de 5 membres (3 modé­rés plus Lamar­tine et Ledru-Rol­lin) excluant ain­si toute par­ti­ci­pa­tion socialiste.

La gauche révo­lu­tion­naire s’es­ti­mant jouée (on ne lui avait pas lais­sé le temps de faire cam­pagne…) ten­ta alors un coup de force le 15 mai pour ren­ver­ser le nou­veau gou­ver­ne­ment : des insur­gés exci­tés par les clubs s’emparèrent de l’Hô­tel de Ville tan­dis qu’une foule voci­fé­rante enva­his­sant aux cris de » Vive la Pologne ! » le palais Bour­bon où le pom­pier Huber, mon­té à la tri­bune, pro­cla­mait la dis­so­lu­tion de la nou­velle Assem­blée. Il faut pré­ci­ser que cet épi­sode pour le moins ridi­cule était la consé­quence de l’in­cu­rie d’un cer­tain géné­ral Cour­tais, res­pon­sable de l’ordre à Paris, qui n’a­vait pas jugé oppor­tun de prendre des dis­po­si­tions de pro­tec­tion de l’Assemblée.

Pré­ci­sons pour l’a­nec­dote qu’à cette nou­velle les poly­tech­ni­ciens se por­tèrent en armes pour libé­rer le palais Bour­bon, ils arri­vèrent après que la situa­tion fut reprise en mains, on les diri­gea alors vers quelques points chauds de la capi­tale notam­ment à la caserne Saint-Vic­tor pour désar­mer un corps de factieux.

Ceux des dépu­tés socia­listes soup­çon­nés de com­pli­ci­té avec l’é­meute ain­si que leurs lea­ders notoires tels Blan­qui et Bar­bès furent arrê­tés pour pas­ser en juge­ment quand ils ne réus­sirent pas à prendre la fuite. La gauche pari­sienne se trou­vait décapitée.

En réa­li­té, des évé­ne­ments très graves se pré­pa­raient avec la fer­me­ture immi­nente des Ate­liers natio­naux, sources de gas­pillage et foyers d’a­gi­ta­tion per­ma­nente. L’As­sem­blée ayant fixé au 21 juin leur dis­so­lu­tion, la déci­sion fut noti­fiée le 22 à une délé­ga­tion ouvrière sans égards pour ses protestations.

Le len­de­main des ouvriers se ras­sem­blaient place de la Bas­tille, l’un d’eux, un obs­cur chef de sec­tion aux Ate­liers natio­naux (nom­mé Pujol), les haran­gua au pied de la colonne de Juillet et don­na le signal de l’insurrection. Le soir même, la popu­la­tion ouvrière avait pris les armes ; la moi­tié est de Paris se cou­vrait de bar­ri­cades. Cette fois l’Assemblée ne fut pas prise au dépour­vu ; écar­tant les cinq membres de la Com­mis­sion exé­cu­tive, elle don­na tous pou­voirs au géné­ral Cavai­gnac (X 1820, le frère de Gode­froy) pour répri­mer la “ sédition ”.

Ce qui fut fait métho­di­que­ment en trois jours au prix de com­bats achar­nés fai­sant de part et d’autre pas moins de mille morts (par­mi eux Mgr Affre, arche­vêque de Paris, qui avait ten­té de s’interposer entre les com­bat­tants). Sui­virent des arres­ta­tions en masse, dix mille envi­ron, des conseils de guerre expé­di­tifs et quatre mille peines de dépor­ta­tion (pour la plu­part en Algé­rie) pro­non­cées contre les insur­gés. Cette san­glante semaine allait cau­ser dans Paris et dans toute la France une impres­sion pro­fonde : la capi­tale avait ces­sé d’être révo­lu­tion­naire, flé­tris­sant ces ten­ta­tives de sub­ver­sion de l’ordre social et de la pro­prié­té, sus­ci­tant un peu par­tout selon le lan­gage de l’époque la haine des “ par­ta­geux ”. Au sein du mou­ve­ment socia­liste très affai­bli, le sen­ti­ment géné­ral tour­na au découragement.

Une Constitution “ providentielle ”

Cha­cun était conscient de l’urgence de mettre fin au pro­vi­soire en dotant d’assises consti­tu­tion­nelles cette jeune Répu­blique fra­gile, livrée aux humeurs de la rue.

La nou­velle Assem­blée s’était elle-même décla­rée consti­tuante, délé­guant à une com­mis­sion de 18 membres pré­si­dée par Mar­rast le soin de pré­pa­rer un pro­jet de Consti­tu­tion. Elle comp­tait dans son sein des per­son­na­li­tés qua­li­fiées, comme Odi­lon Bar­rot et sur­tout Toc­que­ville (A 6), qui s’étaient immé­dia­te­ment mises au tra­vail, livrant un avant-pro­jet en juin, rema­nié au cours de l’été et fina­le­ment voté le 4 novembre 1848.

Exa­mi­nons briè­ve­ment ses prin­ci­pales dispositions :

La France se consti­tue en Répu­blique dans la fidé­li­té aux idéaux révo­lu­tion­naires de liber­té, éga­li­té, fra­ter­ni­té, pro­clame la sou­ve­rai­ne­té natio­nale, se don­nant comme but d’assurer une répar­ti­tion de plus en plus équi­table des charges et des avan­tages de la socié­té. Le “ droit au tra­vail ” (sur l’insistance de Louis Blanc) et le droit à l’assistance sont pla­cés par­mi les Droits de l’homme. On y ins­crit par ailleurs les gra­tui­tés de l’enseignement pri­maire, de l’éducation pro­fes­sion­nelle, la pro­por­tion­na­li­té de l’impôt. (Toutes ces belles dis­po­si­tions res­te­ront en fait à l’état d’intention.)

Le pou­voir légis­la­tif est confié à une Assem­blée unique de 750 membres élus pour trois ans au suf­frage uni­ver­sel, tan­dis que le pou­voir exé­cu­tif est délé­gué pour quatre ans, man­dat non renou­ve­lable, à un pré­sident élu au suf­frage uni­ver­sel direct et seule­ment res­pon­sable devant lui : il com­mande l’armée et la diplo­ma­tie, nomme ministres et fonc­tion­naires, déclare la guerre, signe les traités.

Ain­si la sépa­ra­tion des pou­voirs légis­la­tif et exé­cu­tif est abso­lue puisque l’Assemblée ne peut révo­quer le pré­sident qui ne peut lui­même la dissoudre.

Qu’un consen­sus ait pu s’établir sur un pro­jet aus­si som­maire entre des poli­ti­ciens aver­tis (comme Odi­lon Bar­rot), un fin connais­seur de “ la démo­cra­tie aux USA ” (Toc­que­ville), des juristes alors renom­més (comme Cor­me­nin) ne manque pas d’étonner.

Rien n’était pré­vu en cas de conflit entre les deux pou­voirs théo­ri­que­ment égaux mais tôt ou tard rivaux. Si les ministres pou­vaient être choi­sis par­mi les par­le­men­taires, leur res­pon­sa­bi­li­té n’était pas clai­re­ment défi­nie. En réa­li­té, l’élection au suf­frage uni­ver­sel du pré­sident confé­rait à ce der­nier un champ d’action pri­vi­lé­gié, dis­po­sant à son gré du pou­voir de nomi­na­tion aux postes clés (pré­fets…). Tenant son pou­voir per­son­nel du suf­frage uni­ver­sel, sa légi­ti­mi­té appa­rais­sait supé­rieure en cas de conflit avec la future Assemblée.

Lors de l’examen du pro­jet par les consti­tuants, le mode d’élection du pré­sident de la nou­velle Répu­blique retint sur­tout l’attention en rai­son de l’insistance de cer­tains dépu­tés pour qu’il soit l’élu de l’Assemblée et non du peuple, l’alternative entre une Répu­blique par­le­men­taire et un régime pré­si­den­tiel leur appa­rais­sant comme un enjeu majeur.

Inter­ve­nant avec fougue dans le débat, Lamar­tine avait don­né libre cours à son élo­quence pour ral­lier de nom­breux hési­tants à son propre choix du suf­frage uni­ver­sel confon­du avec l’essence du régime répu­bli­cain, si le peuple veut la Répu­blique, qu’il le montre par son vote…

Je sais bien qu’il y a des moments d’aberration dans les mul­ti­tudes, qu’il y a des noms qui entraînent les foules comme le mirage entraîne les trou­peaux, comme le lam­beau de pourpre attire les ani­maux pri­vés de rai­son. Je le sais, je le redoute plus que per­sonne car aucun citoyen n’a mis peut-être plus de son âme, de sa res­pon­sa­bi­li­té et de sa mémoire dans le suc­cès de la République…

Il faut ici bien com­prendre qu’à cette époque la doc­trine répu­bli­caine consi­dé­rait que le régime par­le­men­taire était d’essence conser­va­trice et que le pou­voir exé­cu­tif ne devait pas dépendre d’une Assem­blée sus­cep­tible de réta­blir le pou­voir monar­chique. En consé­quence l’exécutif devait pou­voir s’appuyer sur le suf­frage uni­ver­sel, ce qui sup­po­sait que le pré­sident élu soit indé­pen­dant et au-des­sus des par­tis de l’Assemblée.

Le risque était grand objec­ta avec bon sens et insis­tance un fervent répu­bli­cain, Jules Gré­vy (le futur pré­sident de la IIIe Répu­blique, dont le seul tort sera d’avoir un gendre véreux), de voir quelque prince héri­tier des régimes défunts s’emparer du pou­voir, afin de mieux étouf­fer la Répu­blique par la suite. Mes­sieurs les Consti­tuants élu­dèrent ces objec­tions ce qui auto­rise à nour­rir quelques soup­çons quant aux arrière-pen­sées des orléa­nistes et des légitimistes.

Il revint à Lamar­tine de clore poé­ti­que­ment le débat : Il faut lais­ser quelque chose à la Providence.

(On sait en faveur de qui celle-ci devait bien­tôt se prononcer.)

Le “ Comité de la rue de Poitiers ”

Adolphe Thiers, lithographie
Adolphe Thiers, litho­gra­phie d’après nature, par Patout.
© COLLECTION VIOLLET

Les orléa­nistes regrou­pés autour de Thiers avaient consti­tué une “ union élec­to­rale ” ratis­sant large par­mi les sen­si­bi­li­tés poli­tiques “ ras­su­rantes ” : Odi­lon Bar­rot (l’ex-promoteur de la “ cam­pagne des Ban­quets ” en 1847), Fal­loux, Mon­ta­lem­bert, Ber­ryer, Molé (avec qui il s’était récon­ci­lié), etc. Ce comi­té élec­to­ral, bien­tôt dénom­mé “ de la rue de Poi­tiers ” en rai­son du choix de l’hôtel de Poul­pry (bien connu des poly­tech­ni­ciens aujourd’hui) pour y tenir ses assises, dis­po­sait de nom­breux relais locaux dans chaque département.

Thiers, pro­mo­teur et cer­veau du “ par­ti de l’Ordre ”, jugeait sui­ci­daire le choix d’un can­di­dat au sein de son groupe et des gloires usées des défuntes monar­chies, il n’eut pas de peine à convaincre ses amis qu’il était plus habile d’aller qué­rir à l’extérieur un homme neuf dépour­vu d’expérience poli­tique et donc pré­su­mé malléable.

Le prince Louis Napo­léon, auréo­lé du pres­tige de son nom, objet de la curio­si­té du public, depuis sa rocam­bo­lesque éva­sion du fort de Ham (dans l’habit du maçon Badin­guet), accou­ru à Paris à la faveur des évé­ne­ments, lui sem­blait avoir le pro­fil recherché.

Lithographie figurant le plébiscite du prince Louis Napoléon.
Litho­gra­phie de F. Sor­rieu figu­rant le plé­bis­cite du prince Louis Napo­léon.  © COLLECTION VIOLLET

Bien­tôt convain­cu de la per­ti­nence de ce choix, le “ Comi­té de la rue de Poi­tiers ” mit son effi­cace appa­reil élec­to­ral au ser­vice du Prince lequel ne se fit pas trop prier, admi­ra­ble­ment conseillé sur­tout par son demi-frère Mor­ny et par son homme de confiance Per­si­gny (le ministre de l’Intérieur du futur empe­reur), l’un et l’autre habiles à mode­ler l’image et le pro­gramme poli­tique du Prince comme à déci­der des jour­naux influents à faire cam­pagne en sa faveur.

Natu­rel­le­ment tout fut mis en œuvre pour faire de l’ex-carbonaro et conspi­ra­teur un can­di­dat assa­gi et tout à fait présentable.

Dépour­vu de toute arrière-pen­sée de réta­blir le trône impé­rial, il se gar­da bien par ailleurs de par­ler étour­di­ment comme tout le monde de réformes sociales (sus­cep­tibles de leur nuire aupès de l’électorat conservateur).

Louis Napo­léon (selon le mot de J. Bain­ville) s’était méta­mor­pho­sé “en conser­va­teur avec un lan­gage démo­cra­tique”, un mélange qui n’était pas sans rap­pe­ler, faut-il le faire obser­ver, les idées et tra­di­tions du grand empe­reur tou­jours pré­sent dans les mémoires.

Le plébiscite de décembre

La Consti­tu­tion ayant dit que la Répu­blique devait avoir un pré­sident plé­bis­ci­té par le peuple on pro­cé­da sans délai à l’élection, qui eut lieu le 10 décembre 1848, pour déci­der du sort des quatre can­di­dats (“ le Prince ”, Cavai­gnac, Ledru-Rol­lin, Lamartine).

Le résul­tat fut à la hau­teur de efforts déployés et des espoirs mis par le “ par­ti de l’Ordre ” sur le pre­mier, plé­bis­ci­té (à la sur­prise géné­rale d’ailleurs) par 72% des voix. 20% seule­ment s’étaient por­tées sur Cavaignac.

Il est vrai que ce der­nier était vic­time d’un mal­en­ten­du. S’imaginant le sau­veur du régime et se pré­sen­tant comme tel, certes son loya­lisme répu­bli­cain était au-des­sus de tout soup­çon de césa­risme, mais son image était bien dif­fé­rente en réa­li­té, celle du mili­taire zélé, trop zélé même, ayant accom­pli en bon tech­ni­cien la mis­sion ingrate de sau­ver l’ordre. De leur côté, les masses ouvrières le hon­nis­saient pour sa bru­ta­li­té, reje­tant pour long­temps l’image d’une Répu­blique assas­sine, insen­sible à leur misère, comme si Marianne avait tro­qué sa fémi­ni­té entraî­nante contre… des bottes, une culotte de peau et une cravache.

Ce furent moins les suf­frages répu­bli­cains qui se por­tèrent sur lui que l’électorat légi­ti­miste de l’Ouest plus sen­sible au sol­dat per­son­ni­fiant l’ordre et l’honneur militaires.

Avec 5 % seule­ment des voix, Ledru-Rol­lin fai­sait figure de grand per­dant, les dépar­te­ments consi­dé­rés comme les plus “ rouges ” lui avaient pré­fé­ré Louis Napo­léon Bonaparte.

Ain­si fut pro­pul­sé et mis sur orbite ce der­nier, deve­nu par la grâce de Thiers le “ Prince-Pré­sident ”, mais secrè­te­ment bien déci­dé à se libé­rer le moment venu de son contrôle.

Remar­quons inci­dem­ment que cette belle machi­na­tion avait été our­die par celui qui était consi­dé­ré par­mi ses pairs comme l’oracle, le maître incon­tes­té de l’astuce poli­ti­cienne… et pour­tant ame­né bien­tôt à se repen­tir de son option.

On ne sau­rait, à sim­ple­ment y réflé­chir, ne pas mesu­rer l’importance du fac­teur psy­cho­lo­gique sur ce scru­tin. À l’issue d’un pas­sage périlleux, la main assu­rée qui se tend sur l’autre bord, vous évi­tant le der­nier faux pas, ne met-elle pas le point final à vos angoisses ?

Ain­si sans doute a pu s’imposer aux Fran­çais Louis Napo­léon, déjà auréo­lé du pres­tige de son oncle illustre, après cette périlleuse tra­ver­sée de la fon­drière quarante-huitarde.

Gravure satirique figurative des tendances des différents journaux parisiens avant l’élection présidentielle du 10 décembre 1848
Gra­vure sati­rique figu­ra­tive des ten­dances des dif­fé­rents jour­naux pari­siens avant l’élection pré­si­den­tielle du 10 décembre 1848 (“cam­phro­ma­nie ” pour Ledru-Rol­lin). © COLLECTION VIOLLET

(À suivre)

Annexes

(A 1) Louis Auguste Blan­qui (1805−1881), ex-car­bo­na­ro, dont les idées révo­lu­tion­naires sont un cock­tail de saint-simo­nisme, de fou­rié­risme et sur­tout de babou­visme, orga­ni­sa­teur de socié­tés secrètes d’abord répu­bli­caines ensuite socia­listes, conspi­ra­teur impé­ni­tent, com­pro­mis avec Bar­bès dans l’insurrection de 1839, il est empri­son­né pour la deuxième fois mais reprend à sa libé­ra­tion en 1847 la tête du mou­ve­ment pro­lé­ta­rien pour connaître de nou­veau la pri­son en 1848. (À l’inverse son frère aîné Jérôme Adolphe se fera connaître comme un éco­no­miste libéral.)
Armand Bar­bès (1809−1870), empri­son­né après les jour­nées d’avril 1834 et l’attentat de Fies­chi (1835), orga­ni­sa­teur avec Blan­qui et Mar­tin-Ber­nard (le typo­graphe) de l’insurrection de 1839, il vit sa condam­na­tion à mort com­muée en pri­son à vie (grâce à l’intervention de Vic­tor Hugo). Libé­ré à la révo­lu­tion de 1848, élu dépu­té, ins­ti­ga­teur avec Blan­qui de la jour­née du 15 mai 1848, il sera comme lui de nou­veau incarcéré.

(A 2) La sta­tue de Napo­léon en haut de la colonne Ven­dôme, l’achèvement de l’Arc de triomphe de Chal­grin… et sur­tout les céré­mo­nies gran­dioses du retour à Paris en 1840 de la dépouille de l’Empereur, de son inhu­ma­tion solen­nelle sous la cou­pole des Inva­lides (son tom­beau est édi­fié par Vis­con­ti en 1842).

(A 3) Ce pas­teur angli­can à la fois méde­cin, phar­ma­cien, consul et… agent d’influence à Tahi­ti per­suade la reine Poma­ré de mettre fin au pro­tec­to­rat fran­çais sur l’Île. À la suite de son expul­sion par l’amiral Dupe­tit- Thouars, Prit­chard à son retour en Angle­terre ameute l’opinion contre la France. On est au bord de la rup­ture et du conflit. Heu­reu­se­ment Lord Aber­deen et Gui­zot, qui entre­tiennent de bons rap­ports, hos­tiles l’un et l’autre à un affron­te­ment exi­gé par leurs opi­nions, se mettent d’accord sur un arran­ge­ment assez humi­liant à vrai dire pour notre pays.

(A 4) Le roi n’était sans doute pas fâché d’éloigner de Paris son cin­quième fils, libé­ral convain­cu, qui le pous­sait à se sépa­rer de Gui­zot dont il jugeait la poli­tique fatale à la monar­chie. Rap­pe­lons que, deve­nu héri­tier du trône d’Espagne en 1859, il en fut exi­lé en 1868 à cause de ses idées libé­rales. Pré­ten­dant au trône en 1870, il échoua mais réus­sit trois ans plus tard à y pla­cer son gendre Alphonse XII.

(A 5) Rap­pe­lons ici pour mémoire que la révo­lu­tion de 1848 a déjà fait l’objet de deux articles sub­stan­tiels dans La Jaune et la Rouge (numé­ros de mars 1992 et décembre 1988) à par­tir des sou­ve­nirs de témoins et acteurs poly­tech­ni­ciens, res­pec­ti­ve­ment de Frey­ci­net, alors élève de deuxième année à l’École poly­tech­nique, et du maré­chal Lebœuf (mémoires inédits) nom­mé com­man­dant en second de l’École (futur ministre de la Guerre du Second Empire).
Le pre­mier sur­tout prit une part très active au cours des pre­mières semaines, notam­ment en assis­tant Lamar­tine le “ jour du dra­peau rouge ”, ce qui confère à sa rela­tion des évé­ne­ments un carac­tère excep­tion­nel d’authenticité. Il est assez sin­gu­lier que ces sou­ve­nirs de jeu­nesse (consi­gnés au jour le jour) n’aient pas reçu de la part des his­to­riens de cette période toute l’attention qu’ils méritent.
Rap­pe­lons que les élèves de l’École (alors com­man­dée par Aupick, le beau-père du poète Bau­de­laire, bien­tôt “démis­sion­né” par Ara­go) furent mis en congé. S’étant pro­non­cés en majo­ri­té pour le sou­tien à la Répu­blique, nombre d’entre eux, munis d’ordres de mis­sion, ren­dirent d’inestimables ser­vices : sau­ver du pillage le pavillon de Mar­san du Louvre où étaient entre­po­sés les bijoux de la Cou­ronne ain­si que d’autres objets pré­cieux, récu­pé­rer par la force les clés volées du palais du Louvre, veiller à pro­té­ger de l’incendie les châ­teaux de Ver­sailles et Chan­tilly, obte­nir des émeu­tiers la levée des bar­ri­cades (l’une d’elles dut être prise d’assaut), veiller à l’approvisionnement de la capi­tale, etc.
Bien moins heu­reuse fut l’initiative prise par Ledru-Rol­lin, à l’insu de Lamar­tine, d’envoyer 5 poly­tech­ni­ciens en Bel­gique avec la mis­sion d’appuyer, si pos­sible d’encadrer, un sou­lè­ve­ment de chô­meurs : ils devront à la hâte refran­chir la fron­tière et l’un d’eux sera même condam­né à mort par contu­mace, l’opération ayant tra­gi­que­ment tour­né au fiasco.

(A 6) L’auteur alors célèbre de De la démo­cra­tie en Amé­rique dont les deux volumes res­pec­ti­ve­ment parus en 1835 et 1840 avaient valu coup sur coup à leur auteur l’élection à l’Académie des sciences morales et poli­tiques et à l’Académie française.

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