PRODUCTION DE GAZ NATUREL AUX ÉTATS-UNIS de 1990 à 2040

L’Europe au cœur d’une nouvelle guerre gazière

Dossier : Gaz et transition énergétiqueMagazine N°725 Mai 2017
Par Olivier APPERT (68)

Après l’épuise­ment des gise­ments européens, les con­trats à long terme remis en cause par la dérégu­la­tion du marché, les péripéties des livraisons de la Russie par le gazo­duc d’Ukraine, l’Europe devient un champ de bataille où vont s’affronter le GNL améri­cain (issu des gaz de schiste) et le four­nisseur russe. 

L’his­toire du gaz en Europe a com­mencé dans les années 1960 après la décou­verte de gise­ments géants, Lacq en France ou Groningue aux Pays-Bas, puis en mer du Nord. 

Un réseau de trans­port s’est dévelop­pé rapi­de­ment. Ultérieure­ment, les entre­pris­es gaz­ières européennes ont com­mencé à importer du gaz d’Algérie ou de Russie. 

“ L’Europe va devenir un champ de bataille où s’affronteront les États- Unis et la Russie ”

Ces impor­ta­tions se fai­saient dans le cadre de con­trats à long terme dits take or pay créant une sol­i­dar­ité entre acheteur et vendeur car elles per­me­t­taient d’assurer la sécu­rité d’approvisionnement et de débouché avec des prix com­péti­tifs par rap­port aux éner­gies con­cur­rentes grâce à une index­a­tion des prix sur les pro­duits pétroliers. 

La part du gaz dans le mix énergé­tique européen a crû pro­gres­sive­ment. Ce busi­ness mod­el, spé­ci­fique à l’Europe, est aujourd’hui remis en cause par la dérégu­la­tion du marché européen de l’énergie, mais aus­si par la révo­lu­tion des gaz de schiste aux États-Unis. 

REPÈRES

André Giraud, ministre de l’Industrie pendant le second choc pétrolier en 1979, avait coutume de dire que « le pétrole est une matière première avec un fort contenu diplomatique et militaire, une valeur fiscale indéniable et accessoirement un pouvoir calorifique ».
Ce qui vaut pour le pétrole vaut aussi pour le gaz comme l’a montré récemment le conflit entre la Russie et l’Ukraine.

LES PERSPECTIVES DU MARCHÉ DU GAZ

Alors que l’Agence inter­na­tionale de l’énergie, dans un rap­port récent, prévoit l’âge d’or du gaz naturel au niveau mon­di­al, la demande de gaz en Europe est passée de 550 à 400 Gm³ (bcm) entre 2010 et 2014, soit env­i­ron une baisse de 30 %. La baisse de la demande dans le secteur élec­trique en est la rai­son prin­ci­pale (per­cée des renou­ve­lables et con­cur­rence du charbon). 

Il s’en est suivi une baisse de près de 50 % des prix entre 2013 et 2016. La baisse des prix a été accélérée par la chute du prix du pétrole. 

UNE PRODUCTION EN BAISSE

La pro­duc­tion européenne dimin­ue inex­orable­ment : fer­me­ture du gise­ment de Lacq, risque de fer­me­ture de Groningue aux Pays-Bas, baisse de 50 % de la pro­duc­tion en mer du Nord britannique. 

Ain­si, pour son appro­vi­sion­nement, l’Europe va dépen­dre de façon crois­sante des impor­ta­tions. D’après BP, les impor­ta­tions devraient représen­ter 70 % de la con­som­ma­tion européenne en 2035 alors qu’elles ne représen­taient que 40 % en 2005. 

Cette sit­u­a­tion nou­velle change de façon majeure la géopoli­tique du gaz en Europe. L’Europe va devenir un champ de bataille où s’affronteront les États- Unis et la Russie. 

LA RÉVOLUTION DES GAZ DE SCHISTE

L’émergence récente des gaz de schiste aux États-Unis représente un change­ment majeur sur le marché gazier mon­di­al. L’AIE prévoit qu’en 2040 les deux tiers de la pro­duc­tion de gaz aux États- Unis provien­dront de gise­ments non con­ven­tion­nels – con­tre 10 % au début du siècle. 

Il y a dix ans les États-Unis antic­i­paient une dépen­dance accrue vis-à- vis des impor­ta­tions et dévelop­paient des pro­jets de ter­minaux de récep­tion de GNL ; les pre­mières car­gaisons de GNL améri­cain vien­nent d’être mis­es sur le marché international. 

Ain­si com­mence à émerg­er un marché inter­na­tion­al du gaz. Le prix du gaz sur le marché US, le Hen­ry Hub, est la référence des trans­ac­tions cor­re­spon­dantes. L’indexation des prix sur le pét­role et/ou sur les pro­duits pétroliers qui pré­valait sur les marchés européens et asi­a­tiques sera con­fron­tée à ce nou­veau busi­ness model. 

NOUVELLE DONNE

Sur le marché mon­di­al, le GNL améri­cain va con­cur­rencer les expor­ta­tions du Moyen-Ori­ent dont la pro­duc­tion stagne. L’exportation de GNL améri­cain va avoir un impact direct sur les développe­ments en cours en Aus­tralie qui ont été lancés il y a moins de dix ans dans un con­texte de déficit chronique de gaz en Asie. 

Ain­si, d’ici 2025, les États-Unis devraient devenir le plus grand pro­duc­teur de GNL mon­di­al. Il est clair que cette per­spec­tive change en pro­fondeur la géopoli­tique mon­di­ale du gaz. En par­ti­c­uli­er en Europe, le GNL améri­cain entr­era en con­cur­rence frontale avec les expor­ta­tions russes. 

UNE RÉORIENTATION DE LA POLITIQUE D’EXPORTATION RUSSE

Les expor­ta­tions russ­es vers l’Europe cou­vrent env­i­ron le tiers de la con­som­ma­tion du con­ti­nent : elles jouent à l’évidence un rôle géopoli­tique clé. 

“ La Russie se rapproche de l’Allemagne qui est son principal client européen ”

Elles ont con­nu depuis le début du siè­cle des aléas dans le con­texte du con­flit récur­rent avec l’Ukraine. Les rela­tions avec l’Union européenne se sont tendues. 

La Russie réag­it en réori­en­tant sa poli­tique d’exportation vers l’Asie et prévoit d’arrêter en 2019 le tran­sit via l’Ukraine ; en par­al­lèle sont lancés des pro­jets de GNL. Les axes de sa poli­tique sont l’ouverture vers l’Asie, une stratégie ciblée vers l’Europe et le développe­ment du GNL. 

CHANGEMENT DE PIED

Mais en 2015, la stratégie de Gazprom change du tout au tout. Le pro­jet de gazo­duc Turk­ish Stream, devant ali­menter l’Europe du Sud et la Turquie, est dif­féré. Gazprom entame des négo­ci­a­tions avec l’Ukraine sur le prix du tran­sit. La Russie se rap­proche de l’Allemagne qui est son prin­ci­pal client européen. 

Ain­si Gazprom réalise un accord d’échange d’actifs avec BASF qui lui per­met de ren­tr­er en force dans Wingas. Enfin, très récem­ment, la Russie sem­ble avoir con­clu la con­struc­tion d’un gazo­duc du Turk­ish Stream cor­re­spon­dant aux besoins de la Turquie, en évi­tant le tran­sit de l’Ukraine, de la Roumanie et de la Bul­gar­ie à par­tir de 2019. 

Ce ren­verse­ment de la poli­tique russe est à l’évidence lié à la prise de con­science des fon­da­men­taux du marché gazier européen et en par­ti­c­uli­er l’arrivée du GNL américain. 

NOUVEAUX DÉFIS

FORCE DE FRAPPE

Les ressources potentielles de gaz aux États-Unis sont considérables. Les progrès techniques sont rapides. Ainsi, depuis 2011, la production par puits a doublé, la durée moyenne d’un forage est passée de 22 jours à 7 jours et le nombre de puits forés par an et par rig de forage est passé de 16 à 47. Les coûts de production devraient rester bas.

Ain­si l’Europe devient un champ de bataille où vont s’affronter les acheteurs du GNL améri­cain et le four­nisseur russe, sur lequel la Com­mis­sion européenne veille. Le cas de la Litu­anie est illus­tratif. Dépen­dant à 100 % de la Russie pour son appro­vi­sion­nement gazier, la Litu­anie a con­stru­it un ter­mi­nal de récep­tion de GNL avec le sou­tien financier de la Com­mis­sion, afin de diver­si­fi­er ses appro­vi­sion­nements et garan­tir sa sécurité. 

Cela lui a per­mis de rené­goci­er avec Gazprom qui est resté son four­nisseur prin­ci­pal. Cette sit­u­a­tion représente un défi nou­veau pour la Com­mis­sion européenne qui depuis des années a engagé une bataille avec la Russie pour lim­iter son pou­voir de marché. C’est aus­si un défi pour les opéra­teurs gaziers européens qui devront s’adapter à ce nou­veau contexte.

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